L'étonnante origine des langues et des migrations
Les canards de la discorde

Ce conte des Indiens d'Amérique du Nord nous conte la confusion des langues et la dispersion des hommes par groupe, en communautarisme en quelque sorte. Ainsi, le mythe de la tour de Babel (conté lors du dernier Café-Philo : le communautarisme) a fait le tour du monde avec quelques variantes : ici pas de tour qui monte jusqu'au ciel mais des oiseaux et une dispute au sujet des cris et sifflements produits par un vol de canards, puis la séparation en tribus nomades.

Résumé à ma façon :creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Lorsque nos arrière-arrière-grands-parents n'étaient pas encore nés, tous les Indiens vivaient ensemble dans la paix et l'harmonie. Canards siffleurs d’Amérique_Bernard Tremblay_http://www.foudesoiseaux.com/observations/1910
En ces temps lointains, durant les longs mois d'hiver, les canards sauvages se rassemblaient par milliers, pour former de gigantesques hordes qui s'envolaient dans un sifflement assourdissant dès qu'on s'approchait d'elles.

Un jour, deux chasseurs tuent deux volatiles et se mettent à parler du vacarme que font les canards.
- Ce sont sûrement leurs ailes qui provoquent ce son strident. dit le premier chasseur.
- Pas du tout, ce sont leurs becs ! réplique le second.
Une dispute s'ensuit. Ils demandent au chef de les départager. Le chef demande à voir les oiseaux, mais comme ils sont morts, on ne peut savoir avec certitude d'où sort ce sifflement.
Le grand conseil est réuni rapidement car en ce temps-là les indiens parlaient tous la même langue et avaient le même grand-chef. Les avis sont partagés et les sages décident d'écouter de leurs propres oreilles ces fameux canards siffleurs. Mais les canards volent trop haut pour qu'on puisse déterminer si le vacarme qui les accompagne est produit par des milliers de bec cancanant de concert ou par le bruissement incessant de leurs ailes fendant l'air avec force. Tous crient pour se faire entendre, les canards et les hommes ... Les indiens se séparent en colère sans avoir pu faire accepter un point de vue ou un autre.

La querelle se poursuivit tout l'hiver ! Peu à peu, déchirées par ce conflit, les familles se sont divisées, les amis se sont fâchés, et pour la première fois deux clans se sont formés : le clan des becs et le clan des ailes.
Au printemps, incapables de cohabiter plus longtemps car des regards haineux empếchaient tout dialogue, il fut décidé qu'un clan partirait au loin, vers le sud, en se choisissant un nouveau chef et en se donnant un nouveau nom. C'est ainsi que se formèrent les deux premières tribus que la terre ait jamais connues.
Après un long voyage, la seconde tribu s'installa sur un territoire bien différent que celui qu'elle avait quitté. Au fil du temps de nombreux mots furent inventés pour désigner les animaux , les plantes, puis les objets nouveaux Au bout de quelques années apparut une langue qui avait peu de choses à voir avec l'ancienne.

Dès lors, la discorde s'installa définitivement parmi les Indiens. Dès qu'une dispute éclatait, de nouvelles tribus se formaient et de nouveaux chefs étaient désignés. A chaque migration des mots inédits apparaissaient. Peu à peu les tribus dissidentes voyagèrent de plus en plus loin et finirent par se répandre dans le vaste monde, multipliant les nouveaux dialectes, les nouvelles langues, les nouvelles manières de chasser, pêcher, manger ; certains se déplaçaient sans cesse, d'autres construisaient pour cultiver. Mais toujours ils se disputaient comme des canards siffleurs, avec des cris stridents.


Cette histoire a fait plus d'un "couac" ... et quelles prises de bec !
Il ne restait plus qu'à partir à tire-d'aile ...

Sources :

  • Les canards de la discorde in :"Histoires de voyages extraordinaires", Isabelle Lafonta, Flies France, coll. La caravane des Contes, 2014.


Canard siffleur d'Amérique :Canard d'Amerique_https://azmartinique.com/fr/tout-savoir/animaux/oiseaux/canard-d-amerique

  • Les canards de la discorde sont des canards à front blanc, connus sous le nom de canards siffleurs d'Amérique. Le cri caractéristique du mâle s'achève par un sifflement bruyant qui a donné son nom à l'espèce. La femelle ne siffle pas mais pousse des cris rauques. Ces palmipèdes passent la belle saison près des étendues d'eau douce et des fleuves du Canada, en Alaska ou dans le nord des Etats-Unis, puis ils hivernent au Mexique, dans les Antilles ou en Colombie-Britannique. Leur nourriture se compose principalement d'herbes et de plantes aquatiques.


photographies :

  • canards d’Amérique en vol : Bernard Tremblay
  • canard à front blanc, mâle : belles photos et présentation très intéressante sur AZMartinique


Les oiseaux dans le filet

Deux attitudes sont possibles :

  • leur union leur permettra de s'échapper
  • le refus d'un message nouveau, différent, entraînera la perte de tous.


L'union fait la force : Seul on va plus vite. Ensemble on va plus loin.

Des colombes se trouvent prisonnières, enfermées bien serrées dans le filet d'un oiseleur. L'une d'elles, de plus grande expérience peut-être, apaise ses compagnes et leur dit :
- Ne vous affolez pas !http://thumbs.dreamstime.com/thumb_1/1095358377LLX7XS.jpg Il suffit que nous prenions chacune une maille du filet dans notre bec, nous allons nous envoler toutes ensemble car le filet s'envolera avec nous, et nous pourrons nous échapper.
C'est ainsi qu'elles emmenèrent le filet haut dans le ciel et purent s'échapper d'un coup d'aile, toutes ensemble.


Les prisonnières Sans concertation, pas de réalisation

Un autre jour, ce furent des perdrix qui se trouvèrent prisonnières du filet. L'une d'elle qui avait un peu voyagé, cria plus fort que les autres :
- Ne vous affolez pas ! J'ai vu des colombes se libérer d'un même filet : il suffit que nous prenions chacune une maille du filet dans notre bec, et le filet s'envolera avec nous, et nous pourrons nous échapper.
Ce fut un beau tohu-bohu, criailleries, chamailleries, et cris en tout genre ...
- Mais qui c'est celle-là qui veut nous commander ?
- C'est moi la plus ancienne : suivez-moi !
- Et pourquoi elle ? c'est moi qui ait le plus de famille ici !
- Non, faites comme moi ! etc.
Faute de pouvoir s'accorder, de suivre une seule direction, le filet est retombé sur elles toutes ... et elles sont restées prisonnières.

Sources :

  • L'union fait la force in : Nicola BAXTER, 80 histoires autour du monde, Ed. Piccolia, 2002.
  • Les prisonnières, conte entendu lors d'un Festival des Contes à Limoux, mais j'en ai oublié la source ...



Faire du tri dans la société ?
Le roi qui voulait tuer tous les vieux

Voici un conte africain rapporté par Amadou Hampaté Ba, mais ce conte comporte une multitude de variantes dans chaque culture, car il y a des vieux partout ! Certains, peu respectueux les croient inutiles car improductifs, mais ils sont la sagesse, la mémoire, l'expérience de tout un peuple. En Afrique, Tunisie, Arménie, Russie, Italie, France, au Moyen-Orient, au Japon ...

Résumé :
Le roi voulait éliminer tous les vieux pour faire une nation forte, jeune, entreprenante, que les groupes voisins craindront et respecteront. Les vieux qui ne travaillent plus semblent inutiles à la société. Un seul fils cache son vieux père au lieu de le jeter du haut d'une falaise. L'empereur met à l'épreuve l'intelligence ds jeunes nobles de sa cour en leur posant des énigmes. Aucun ne peut répondre, sauf celui qui interroge son vieux père qui répondra grâce à son expérience, sa sagesse, sa connaissance personnelle, à des énigmes que les jeunes gens n’ont pu résoudre.

Vivre en communauté donne de la puissance, facilite la vie, mais nier les valeurs individuelles c’est se priver de connaissances, de sagesse, de savoir-faire uniques, et c’est aller aussi à la catastrophe. Lorsque le bien du groupe passe au-dessus de l’individu c'est dramatique..

Jeune-homme-AfricainDans une cité de haute brousse, au coeur du royaume de Toula-Heela, un jour le roi mourut. M'Bonki, son fils unique, lui succéda. Hélas, encore jeune et inexpérimenté, M'Bonki fut si grisé par le pouvoir dont il venait d'hériter que bientôt il aspira à l'exercer sans limites, et surtout sans se heurter aux éternelles remontrances des vieux. Il ne voulait qu'une chose : pouvoir commander librement aux jeunes de son village et leur faire subir toutes ses fantaisies sans être gêné par personne.

M'Bonki est un nom peul qui signifie mauvais, mal.

Une nuit, il rêva que des vieillards, marchant à la queue leu leu, venaient l'un après l'autre lui faire la leçon et contrecarrer ses volontés. Le matin-même, il fit réunir tous les jeunes gens du village sur la grand-place qui faisait face au palais, et donna ordre à chacun d'eux d'aller tuer son père, ses grands-pères... bref, de tuer tous les vieux du village! Et il les menaça de mort s'ils ne s'exécutaient pas.mort
- Je veux, leur dit-il, que mon pays soit comme la nature aux premières pluies de l'hivernage, qu'il n'y ait partout que de l'herbe verte et pas un seul brin d'herbe desséchée ou jaunie par le temps. Désormais, je ne veux voir partout que des visages jeunes !

Accablés, les garçons se retirèrent et firent ce qu'on leur avait ordonné.Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/ Tous, sauf un. Ce dernier, nommé Taasi, était très attaché à son vieux père, dont il admirait la sagesse. Aussi, à la nuit tombée, sans faire de bruit, il le fit sortir de sa case. Coupant à travers les hautes herbes pour échapper aux regards, il le conduisit jusqu'à une grotte qu'il avait découverte au flanc d'une colline. Il l'y installa, plaça à côté de lui une bonne provision de nourriture et d'eau, et promit de revenir le voir chaque soir en cachette.

Premier défi :

Le lendemain matin, le roi réunit de nouveau les jeunes gens.
- Alors, tous les vieux sont-ils morts ?
- Oui répondirent les jeunes gens.
- C'est bien. Entrave de sable_https://www.cliccroquette.com/accueil-animalerie-en-ligne-cliccroquette-maroc/639-entrave-pour-cheval-animalerie-en-ligne-cliccroquette-maroc.htmlMaintenant, je vais vous demander de faire quelque chose pour moi. Voilà ; je voudrais que vous réalisiez pour ma monture royale, cet alezan doré qui, comme vous le savez, ne boit que du lait provenant de vaches blanches du Sahel, une entrave uniquement tressée avec des grains de sable fins. Apportez-la-moi dans trois jours. Sinon, le bourreau que voilà vous coupera la tête !
Tout content, il rentra dans son palais.
Les jeunes gens, stupéfaits, restèrent figés sur place. Pendant un moment, ils en perdirent même l'usage de la parole. Comme ils retrouvaient leurs esprits, les exclamations fusèrent de tous côtés :
- Comment ! une entrave faite avec du sable ? Mais c'est impossible ! Par quel moyen allons-nous y arriver ? On tise de fibres, pas du sable !
- Attention ! fit le plus âgé, Quand le roi dit quelque chose, il le fait. Et si nous n'arivons pas à lui fournir ce qu'il demande, il va tous nous tuer !
Ils avaient beau réfléchir, se lamenter, invoquer les mânes des ancêtres, aucun ne trouva de solution miracle ...

Le soir venu, Taasi,Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/ le garçon qui avait sauvé son père, alla retrouver celui-ci dans sa grotte afin de lui apporter son repas du soir. Conformément à l'usage, il attendit que son père ait fini de se restaurer pour lui paler de ce qui le tourmentait.
- Père, le roi M'Bonki, après avoir fait tuer tous les vieux, s'apprête exécuter tous les jeunes.
- Qu'il s'en garde bien ! s'exclama le vieil homme. Un chef qui tue tous ses sujets ne deviendra rien d'autre qu'un gardien de cimetière ... Et pourquoi ferait-il cela ?
- Il vient de demander à tous les jeunes du village de réaliser une chose impossible. Il nous a ordonné de confectionner une entrave pour son cheval, mais il vaut que cette entrave soit faite de grains de sable tressés ensemble. Et si nous ne lui apportons pas dans trois jours, il nous fera couper la tête. Qu'allons-nous devenir ? Comment lui donner satisfaction ?
- C'est tout simple, dit le vieil homme. Mon fils, approche ton oreille afin que ma bouche y dépose ce que tu diras au roi M'Bonki quand tu seras en face de lui.
Taasi prêta docilement son oreille à la bouche de son père, et retint la leçon que le vieux lui dicta.

Au matin du troisième lever de soleil, les jeunes gens se tenaient sur la place du palais, la tête basse, les yeux rougis à force d'avoir réfléchi jour et nuit à ce qui les attendait. Le roi apparut.
- Alors, avez-vous tressé mon entrave ?
Personne n'osa prendre la parole. Un lourd silence s'installa.
- Je vous donne le temps de dix battements de paupières pour répondre, tonna le roi. Sinon, le bourreau commencera son travail et sa main ne s'arrêtera que lorsqu'il ne restera plus aucun d'entre vous !
S'armant de courage, Taasi fit un pas en avant et dit :
- Ô roi, chevalier hors pair dont l'alezan doré en vit que du lait des vaches blanches du Sahel, nous sommes tous tes sujets dévoués jusqu'à la mort. N'avons-nous pas tué nos pères sur un seul mot de toi ? Si nous n'avons pas encore tissé ton entrave, ce n'est nullement par esprit de refus, car pour rien au monde nous ne voudrions te mécontenter. Mais dans notre souci de te satisfaire et d'accomplir un travail parfait, nous voudrions que tu nous montres ta vieille entrave de sable afin qu'elle nous serve de modèle. Nous en étudierons la trame et tisserons pour toi une nouvelle entrave si belle qu'elle fera l'admiration de tous !
Un frémissement de soulagement parcourut l'assemblée des jeunes ...
Le roi resta silencieux un moment. Puis il se leva brusquement, fit un signe de la main et dit d'un ton bougon :
- Bon, partez ! Et revenez demain matin !

Second défi :

Le lendemain, il leur dit :
- Hier vous vous êtes montrés très insolents.palais de Kadhafi https://www.dakaractu.com/Guerre-au-Mali-Tombouctou-Le-palais-de-Kadhafi-a-ete-bombarde-par-les-Francais_a37994.html Non seulement vous n'avez pas exécuté l'ordre que je vous avais donné, mais, avec votre demande, vous m'avez ôté toute possibilité de vous mettre en accusation. Ne vous croyez pas quittes pour autant ! Aujourd'hui, je vous donne l'ordre de me bâtir un palais flottant entre terre et ciel. Allez, exécutez-vous, et revenez ici dans une semaine ! Il y va de votre tête.
Plus abattus que jamais, les jeunes gens se dispersèrent.

Comme d'habitude, le soir venu. Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/Taasi alla retrouver son père en secret.
- Père, ce matin le roi nous a demandé de lui construire un palais suspendu entre terre et ciel. Cette fois-ci nous sommes perdus !
- Mais non ! le rassura le vieil homme. Et il déposa dans son oreille ce qu'il fallait réponde au roi.

Le lendemain, Taasi déclara à ses camarades que, dans la nuit, une nouvelle idée lui était venue. Il la leur expliqua. Pour éviter d'attirer sur lui seul la colère du roi, il fut convenu que, le jour du rendez-vous, le plus âgé d'entre eux prendrait la parole en leur nom à tous.
Le matin du septième jour arriva. Tous les jeunes gens se tenaient sur la place. Le roi sortit de son palais, flanqué de deux serviteurs armés de larges éventails pour chasser les mouches et lui faire du vent. Persuadé que, cette fois-ci, ses jeunes sujets n'auraient pas le dernier mot, il vint s'asseoir, l'air satisfait, sur l'estrade royale.
- Alors ? Avez-vous pensé à ce que je vous ai demandé ? Êtes-vous prêts ?
Le doyen des jeunes gens s'avança.
- Oui, roi, nous sommes prêts. Nous avons réuni tous les matériaux nécessaires, et nous sommes prêts à commencer immédiatement le travail. Mais pour être certains que le palais suspendu correspondra exactement à ce que tu désires, qu'il ne sera ni trop grand ni trop petit, ni trop haut ni trop bas, nous te demandons de tracer pour nous entre terre et ciel le plan de ses fondations
Furieux, le roi les renvoya et rentra chez lui.

Troisième défi :

Quelques jours plus tard, il leur dit :
-Pour vous punir, je vous ordonne de vous réunir tous demain sur la place des exécutions publiques, au moment où le soleil surplombera les canes des hommes, les cimes des arbres et les dos des animaux. J'y viendrai moi-même, accompagné du bourreau. Si je vous trouve au soleil, je dirai au bourreau de vous couper la tête. Et si je vous trouve à l'ombre, ce sera la même chose. Allez ! à demain !

Le soir même, Taasi désespéré, Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/fit part de cette nouvelle exigence à son père qui le rassura une fois de plus :
- Ce n'est pas grave ; voici ce qu'il faut faire...

Et le lendemain matin, quand le roi arriva sur la place des exécutions,FILETS_PECHE_liège_http://www.authentic-antiques.com/images/Vieux-filet-peche.jpg à son immense surprise il trouva tous les jeunes gens abrités sous des nasses à poissons, mais ces nasses étaient tressées avec de larges cordes dont le nattage était si lâche qu'il laissait passer la lumière. Si bien que l'on trouvait sur la peau des jeunes gens à la fois de l'ombre et du soleil ...
- Ah ! ah ! Vous vous êtes mis à l'ombre ! s'exclama-t-il.
- Non, roi ! Regarde, nous sommes au soleil Et ils montrent les taches du soleil sur leur peau.
- Alors, vous êtes au soleil ?
- Non, roi, nous sommes à l'ombre ! Et ils montraient les taches d'ombre sur leur peau.

Quatrième défi :

- Vous avez encore eu le dernier mot, s'irrita le roi. Mais la prochaine fois, vous ne vous en tirerez pas si aisément. Venez tous sur la place du palais demain matin. Si vous êtes sur une monture, le bourreau vous tuera. Et si vous venez à pied, il vous tuera aussi.
Et il reprit le chemin du palais,la colère le faisant marche plus vite qu'il ne sied à un roi respectable.

Taasi retourna voir son père. Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/Au lieu d'être atterré par la nouvelle demande du roi, le vieil homme sourit :
- La solution est très facile, mon fils ! Voici ce qu'il faut faire ...

Et le lendemain matin, quand le roi M'Bonki sortit du palais, il découvrit sur la grand-place un spectacle si étonnant qu'il lui arracha un sourire : ane-3 africains_https://sentinellebf.com/le-kenya-interdit-le-commerce-des-anes/les jeunes gens étaient tous montés sur des ânons si petits que leurs pieds traînaient à terre. Et tout en étant assis sur leurs montures, ils marchaient en tous sens à travers la place, à grands coups de jambes maladroits ... La situation commençait à amuser le roi.
- Ah ! A ce que je vois vous êtes tous montés !
-Non, roi ! Regarde, nous marchons ...
-Alors, vous êtes venus à pied ?
-Non roi ! Tu le vois, nous sommes tous sur le dos de nos montures

La draisienne était inventée ...
Cinquième défi :

Piqué au vif, le roi chercha une nouvelle astuce :
-Revenez demain ! Si vous venez en riant, on vous coupera la tête ; et si vous venez en pleurant, on vous la coupera aussi. J'ai dit !

Amadou Hampâté Bâ_http://unesco.sorbonneonu.fr/amadou-hampate-ba-la-tradition-orale-africaine-a-lunesco/
Le lendemain, toujours sur les conseils du vieux père de Taasi, les jeunes gens s'inondèrent les yeux de jus d'oignon. Si bien que lorsqu'ils pénétrèrent sur la grand-place, ils versaient des larmes abondantes tout en riant aux éclats, tellement ils étaient heureux de jouer ce nouveau tour au roi

Le roi sortit du palais. quand il les vit,oignons_https://www.jaimefruitsetlegumes.ca/fr/aliments/oignon/ pleurant et riant à la fois, il ne put s'empêcher de rire lui aussi. Son coeur se calma, et il comprit que seul un vieil homme caché quelque part avait pu conseiller ainsi les jeunes gens.

Une révélation ... enfin !

- Allons, rassurez-vous ! Je ne vous ennuierai plus. tout ce que je vous demande, c'est de me dire si l'un de vous a conservé son vieux. Les réponses que vous m'avez données chaque fois ne peuvent pas venir de vous. Seule l'expérience d'une longue vie peut inspirer une telle sagesse ...

Tout le monde garda le silence. Méfiant, Taasi se taisait aussi.
- Si vous me dites la vérité, ajouta le roi, je ne vous ferai aucun mal. Moi, M’Bonki, roi au pays de Toula Heela, je déclare sur les mânes de mes ancêtres que si l’un de vous a caché son père quelque part, il peut me l’avouer sans crainte. J’accorderai la vie sauve au vieil homme. Mieux, je lui donnerai une place d’honneur auprès de moi, car je viens de comprendre qu’un roi dépourvu de vieux conseillers est semblable à une force aveugle qui cogne sans mesure et va droit au suicide. Voyager par une nuit obscure n’est pas dépourvu de danger : or un pays privé de vieux sages est comme un voyage par une nuit sans lune. Que celui qui a sauvé son père me parle donc sans inquiétude.
Rassuré, Taasi s'avança :
- Ô roi ! Tes sages paroles ont rafraîchi nos coeurs. C'est moi qui ai conservé mon vieux père, et c'est lui qui m'a dicté toutes nos réponses.
- Fais-le venir, dit le roi. Je serai heureux de connaître un tel sage.

Les jeunes allèrent tous ensemble chercher le vieux dans sa grotte, et le ramenèrent en triomphe au village.
Le roiCréfit photo : Fondation Amadou Hampâté Bâ, reconnaissant ses erreurs et son inexpérience, prit le vieil homme auprès de lui et en fit son conseiller pour le restant de sa vie. Et c’est depuis ce temps-là, dit-on, que les rois africains se sont toujours fait entourer d’un « Conseil de vieux ».


Sources :

  • Le vieux sage photographié est Amadou Hampâté Bâ lui-même.
  • Le roi qui voulait tuer tous les vieux ou Nul ne peut voir tout seul le sommet de son crâne, Contes des sages d’Afrique, Ed. du Seuil, conte recueilli par Amadou Hampaté Ba, pp 43-60
  • Le conte lu par Ariane Mawaffo, youtube, 22 avr. 2020, durée 15:57
  • 231 citations de Amadou Hampâté Bâ sur Babelio.
  • documentaire : Amadou HAMPÂTÉ BÂ – La tradition orale africaine, 1969, durée 57:31. L'introduction explique la place de la tradition orale dans la société africaine. Les métaphores et récits transmis oralement sont une façon d'enseigner. Une pensée qui n'est que dans la tête des vieillards est une pensée morte : il faut la semer dans la tête des jeunes. minute 37:00


Variantes du conte autour du monde :

Ce conte est connu dans de nombreux pays, avec des variantes. Amadou Hampâté Bâ a confié un jour que les deux derniers épisodes (les jeunes gens montés sur de petits ânons et le recours au jus d'oigon) lui avaient été racontés par M. El Mndjara, son collège marocain au Conseil exécutif de l'Unesco (entre 1962 et 1970). Il les a ajoutés à son récit.

Niger : Le village des jeunes. Contes et Légendes du Niger, Ed. Flies France, p. 114. Il était une fois un village où les jeunes étaient aussi nombreux que les vieux. Un jour les jeunes décidèrent qu’ils subissaient trop de contraintes de la part des anciens qui étaient trop exigeants avec eux. Ils ne les laissaient pas vivre leur vie de jeunes et leur imposaient trop de règles. Un jour donc les jeunes se réunirent et convoquèrent les anciens : Trop c’est trop, dirent-ils, nous avons décidé de quitter ce village et d’en fonder un autre où nous ferons ce que nous voudront… Les anciens répondirent Nous sommes d’accord mais vous vous assumerez jusqu’au bout, nous ne serons plus là pour rattraper vos bêtises

Turquie : Salomon et le vautour. Contes des sages juifs chrétiens et musulmans, Ed. du Seuil, par J.J. Fdida.

Arménie : La sagesse du vieillard. Contes et Légendes d’Arménie, Nathan, p.105. Bien au-delà de la 7ème montagne, du 5ème fleuve et de la 3ème mer s’étendait un royaume heureux… … hélas un jour le vieux roi mourut et son fils le remplaça sur le trône… il en voulait à son père d’avoir régné trop longtemps, de ne pas avoir abdiqué pour lui céder le trône ; il en voulait à tous les vieux de la terre qu’il accusait de s’obstiner à commander jusqu’à la fin de leur vie. Son premier acte de roi fut d’ordonner le bannissement de tous les vieux du royaume. Chacun devait jeter à la rue ses parents, ses grands parents sous peine d’être puni de mort. Les supplications se heurtèrent à la volonté inflexible du roi qui tenait à débarrasser son royaume de tous les inactifs qui mangent sans produire, de tous les malades qui coûtent sans rapporter… Une guerre survient, les rois s’affrontent par le biais d’énigmes qui ne sont résolues que grâce à l’aide d’un vieillard resté en vie et caché par son fils. Le roi change d’attitude… et quand d’aventure, passait par le pays un vieux moine ou un vieux pèlerin, les portes du château lui étaient toujours ouvertes. Le roi le recevait avec bienveillance, le logeait au château et lui lavait les pieds en signe de respect.
Arménie : Le vase d’Or rapporté par Natha Caputo, Contes des 4 vents, Nathan, p. 126. Il était une fois il y a très longtemps un sultan très méchant. Son cœur était dur aux hommes comme aux bêtes. Jamais il n’avait pitié de personne, jamais il n’aurait caressé un chien. Tous le craignaient. Et lui ne craignait qu’une seule chose, la vieillesse. Tous les jours pendant des heures, il restait assis sur ses coussins, une glace à la main. Et il examinait son visage. S’il remarquait un cheveu gris, vite il le faisait teindre. S’il apercevait une seule ride, il se massait doucement pour tenter de la faire disparaître. Car, disait-il, tout le monde me craint tant que je suis jeune et fort, mais quand je serai vieux, personne ne m’obéira plus. Et pour que rien ne vienne lui rappeler la vieillesse, le cruel sultan avait ordonné que tous les vieillards soient tués. - Je ne veux voir que des visages jeunes autour de moi, disait-il. Malheur à celui dont les cheveux devenaient gris. Il était emmené par les gardes du Sultan, conduit sur la place publique, là il avait la tête tranchée. De toutes parts, des femmes et des enfants, des jeunes gens, venaient supplier le Sultan d’épargner leur mari ou leur père…

Russie : Pourquoi on ne chasse plus les vieillards. Contes et légendes de Russie, Ed. Flies France, p. 40. Il était une fois un tsar si cruel qu’il ordonna de chasser tous ceux qui ne pouvait pas travailler ou qui étaient trop vieux…
Autre ruse russe : un prince exige que le moulin du meunier tourne alors qu'il n'y a pas de vent ce jour-là : Un moulin à vent est fait pour tourner ! J'exige qu'il tourne ! Débrouille-toi ! Je repasserai demain et gare à toi si tu ne m'as pas obéi ! Le lendemain, le meunier explique au prince qu'il a fait le nécessaire en donnant l'ordre au moulin de tourner : Le moulin 'a écouté et m'a répondu. Il m'a dit : Je suis prêt à t'obéir. Mais va dire au prince, qui est plus puissant que toi, de commander au vent de se lever. Le prince et les moulins à vent, Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs - Contes philosophiques du monde entier - I, p 280. ''
Ukraine : Pourquoi on ne tue plus ses parents. Contes et Légendes d’Ukraine, Ed. Flies France, p. 51

Japon : La montagne où on abandonne les vieux. Jadis vivait un fils très pieux. En ces temps-là, les vieux étaient considérés comme des personnes gênantes. On les transportait à dos d’homme jusqu’à la montagne, et on les y abandonnait à leur sort. Le père de notre fils pieux a soixante ans, il faut donc s’en débarrasser…. Ubasute est au Japon une pratique consistant à porter un infirme ou un parent âgé sur une montagne, ou un autre endroit éloigné et désolé, pour le laisser mourir. L'ubasute apparaît parfois comme une métaphore du traitement réservé aux personnes âgées par le Japon contemporain, où les taux de suicide sont supérieurs à la moyenne. Cette ancienne pratique a marqué le folklore japonais, il est à la base de beaucoup de légendes, poèmes et kōan.
Conte zen : Dans une allégorie bouddhiste, un fils porte sa mère sur une montagne sur son dos. Pendant le trajet, elle tend les bras, attrape les brindilles et les éparpille sur leur passage, pour que son fils puisse retrouver le chemin du retour.

Italie : Pourquoi on ne tue plus les vieux, Contes et légendes d’Italie, Ed. Flies France, p. 83. Dans les temps anciens, il était coutume de tuer les personnes âgées tous les cinquante ans…. Le vieux père (même ouvrage, p. 86)

France : Un conte d'Alphonse Daudet Le secret de Maître Cornille, Lettres de mon moulin, parle plutôt d'entraide et du savoir irremplaçable des anciens. Le moulin de maître Cornille est le seul encore en activité depuis qu’une minoterie à vapeur s’est installée. Or, depuis longtemps, plus personne ne lui apporte de blé alors que les ailes du moulin continuent de tourner. On découvre que le meunier fait passer pour des sacs de farine de simples sacs de plâtre. Les villageois décident alors d’apporter du blé au moulin. Maître Cornille pleure de joie en les voyant tous arriver ; il avait toujours cru qu'un jour les gens reviendraient chez lui moudre du blé, bien qu'il commençât progressivement à perdre espoir. Durant toute la fin de la vie de maître Cornille, les gens de la région continuèrent à lui apporter régulièrement quelques sacs à moudre, mais quand le vieux meunier mourut, le dernier des moulins à vent s'éteignit avec lui

Défis similaires à résoudre par la ruse :

Cameroun : Les poutres d'eau, Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs - Contes philosophiques du monde entier - I, p 280. Le chef des mânes fit savoir qu'il donnerait sa fille en mariage à celui qui lui apporterait des poutres d'eau. Chacun se récria : Des poutres d'eau ! Comment est-ce possible ? Seule la tortue, l'animal-aux-100-solutions, accepta la proposition du chef. Elle se rendit au bord de la rivière, commença à tapoter l'eau de ses pattes, puis elle envoya un messager au chef pou rlui dire : Les poutres d'eau sont prêtes. Qu'il m'envoie rapidement une ficelle de fumée de sa pipe, pour les attacher. Et je les lui enverrai aussitôt. Le chef des mânes donna sa fille à la tortue.

Maroc : La robe de marbre, Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs - Contes philosophiques du monde entier - I, p 279. Toutes les traditions s'accordent là-dessus, la ruse est l'arme la plus subtile et la plus efficace que l'homme puisse opposer à l'exercice du pouvoir. Un sultan ordonna à un pauvre tailleur de Fez de lui fabriquer une robe de marbre, faute de quoi il aurait la tête tranchée. Le pauvre homme se mit à pleurer, ne voyant aucun secours. Mais sa fille, à l'esprit délié, lui vint en aide. Quand le sultan fit réclamer la robe de marbre, le pauvre homme lui fit répondre : Le robe est prête. Mais il me faut des fils de sable pour la coudre. Peux-tu me les faire envoyer ?

France : L'énigme du quatrième défi : Si vous êtes sur une monture, le bourreau vous tuera. Et si vous venez à pied, il vous tuera aussi., est connue en France par Henri Pourrat, La fille à l'esprit délié in : "Le trésor des contes", livre VII (1956)

Un pêcheur a maille à partir avec son voisin, qui plus riche que lui, porte le différend devant le juge. Sa fille décide d'aller parler au juge qui la trouve trop jeune pour démêler cette affaire. Pour mettre son esprit à l'épreuve, il lui demande de revenir ni nue ni habillé, ni à pied ni à cheval, ni les mains vides ni garnies de quelque présent que je puisse prendre. La fille se présente vêtue seulement d'un filet, montée sur un gros lièvre qu'elle tenait d'une main par les oreilles, et de l'autre main elle apportait une caille ... qui s'envola avant que le juge put saisir ce cadeau ... Le juge dit alors :
- Fille au filet tu as l'esprit bien subtil. Démêle donc pour moi toute l'affaire de ton père.
Elle l'a si bien démêlée, si finement et si clairement, qu'elle a su emporter la décision du juge et son père a gagné le procès. Depuis, elle façonne des devinettes en façonnant des nasses ...


La suite enrichie d'autres énigmes sont à découvrir dans l'article E... comme Enigme, les réponses aussi. Et comme je suis gentille, regardez dans les commentaires, tout en bas de cette page ...

  • Qu'est-ce qui a l’œil à la pointe de la queue ?
  • Qu'est-ce qu'on pend par les yeux ?
  • Chemine sans avoir de pieds et retourne au sein de sa mère ...
  • Leur mère les fait pâtir, leur père les fait mourir ...


Une variante grecque de ce conte, citée à la suite, La spirituelle fille du pauvre homme, pose cette énigme : Tu dois chevaucher et ne pas chevaucher, m'apporter un cadeau et ne pas l'apporter. Nous tous, petits et grands, nous sortirons pour t'accueillir, et il te faudra amener les gens à te recevoir et pourtant à ne pas te recevoir. Réponse dans l'article du 16 décembre 2012 cité plus haut : E... comme Enigme.

Vous aimez les énigmes, les devinettes ?
En voici d'autres dans l'article R... comme Réponses - Bonnes réponses ...


La force des traditions : Bonne ou mauvaise influence ?

Nous ne pouvons pas faire table rase du passé, ni de ce qui nous le rappelle : les anciens, et les traditions. Mais faut-il préserver les traditions à tout prix ?

  • Sont-elles un facteur d'unité ou un critère du passé qui divise ?
  • Sont-elles une des bases du communautarisme ?
  • Préserver les traditions sans se poser de question, est un appauvrissement de l'esprit.
  • Quel impact peuvent avoir sur notre société "moderne" les traditions ?


Ce sera l'objet de l'article suivant avec trois nouveaux contes :

La force des traditions : elles rassemblent ou divisent

  • 1/ Les mots oubliés : croyances et traditions unissent tout un groupe ; elles renforcent l'individu en donnant du sens à sa vie.
  • 2/ L'importance du chat dans la méditation : une tradition qui a perdu son sens n'a plus de raison d'être ; c'est un appauvrissement de l'esprit.
  • 3/ Lorsque les morts gouvernent les vivants : rester figé dans le passé pour se préserver conduit à se méfier, puis la peur incite à attaquer ; un conte qui dénonce un communautarisme excessif qui conduit au séparatisme.