Un conte en Introduction : La tour de Babel - - - - - - - - - - - - - - - -

De la communauté au communautarisme ...

La confusion des langues, un récit revisité à ma façon :
Au tout début de la vie en société, une communauté forte a lancé l’idée d’une tour qui toucherait aux cieux. Les hommes, qui se disaient nés à l’image de Dieu, se sont crus Son semblable, puis ont voulu rivalisé avec Lui se prenant eux-mêmes pour des dieux. Cette tour trop haute, trop grosse commençait à menacer l’édredon de ses nuages. Vieux père là-haut ne pouvant tranquillement faire sa sieste du Septième jour, va faire en sorte que les hommes ne se comprennent plus. Diviser pour mieux régner … La confusion des langues a provoqué l’éparpillement de cette communauté humaine initiale, par famille, par tribu, par corps de métiers, par affinités de langue, de croyances, de but … en autant de communautarismes.

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/En Mésopotamie, les hommes s’étaient multipliés et regroupés en une seule communauté : ainsi tous réunis ils se sentaient forts, invincibles ; ils se croyaient créés à l’image de Dieu, et peu à peu ils se voulurent Son égal ... Leur chef finit par se prendre lui-même pour un dieu : il ordonna d’ériger une tour qui toucherait le ciel : leurs dieux étaient des étoiles, ils allaient les atteindre et les défier ! Plus jamais ils ne vivraient dans la crainte des cieux !
Tour de Babel_Pieter Brueghel l'Ancien_1563Et les ouvriers travaillaient, de gré ou de force, aveuglés, manipulés, dominés, sans se rendre compte qu’ils quittaient la peur d’en-Haut pour la peur d’en-bas envers un souverain absolu, grisé par la puissance, ivre d’orgueil, prêt à tout pour dominer le monde. Leur chef voulait réunir les forces d’en-bas, les forces humaines et les forces célestes. Il ne pouvait dominer que par un pouvoir absolu, une pensée unique qui n’acceptait aucun doute, aucune critique.
La tour grandissait, s'étirait vers les cieux : 90 m à la base et déjà autant en hauteur … Elle défiait les cieux. Encore un peu et la tour allait égratigner l'édredon des nuages.

Impossible pour Vieux père là-haut de faire la sieste ; on était pourtant au Septième jour, son jour de repos. Quelle agitation ! ces tonnes de briques fabriquées, déplacées, empilées ... Quel bruit ! les ordres hurlés par les chefs d’équipe, les ahanements des porteurs, les cris de douleur des esclaves ... Il risqua un œil vers cette fourmilière humaine …

Décidément ces humains ne comprenaient pas vite … Une tel agrégat d’hommes si différents, certains volontaires d’autres pas, ne pouvait mener qu’à des conflits, la haine, la violence. Il fallait les stopper net et les disperser sur la surface de la Terre. Diviser pour mieux régner ... il y avait une telle diversité dans les origines des hommes employés à la construction …Tour de Babel_confusion_https://commons.wikimedia.org/wiki/File:BabelBar.jpg il suffisait de confondre les langues par famille, tribu, corps de métier … D'un divin claquement de langue, la chose fut résolue. Les architectes, les chefs de chantier, les ouvriers, les esclaves ne pouvaient plus travailler à la construction de la tour : ils avaient beau parler, crier, s’énerver, ils ne se comprenaient plus …Ils se sont dispersés sur toute la surface de la Terre, regroupés par affinités de langue, de mode de vie, de pensée, de croyances … Chacun pour soi ! pour sa propre famille, sa tribu, son métier …

La force du nombre avait semblé suffisante, un chef avait su imposer un but commun, mais leur communauté s’effondrait maintenant sous son propre poids. Les différences ont fait exploser le groupe. Sans communication, sans cohésion, sans concertation pas de grand projet ! La communauté a éclaté en communautarismes, chacun tout à fait convaincu qu’il a le meilleur mode de vie, la meilleure culture, LA Vérité …

Ainsi va le monde :

Chez les humains, le groupe ne rend pas plus intelligent. Les QI ne s'additionnent pas. Au sein d'une foule on se laisse gagner par les émotions et on devient influençable, voire violent (pour le moins intransigeant). Chaque groupe minoritaire se méfie des autres communautés. Soit il vit replié sur lui-même pour protéger son mode de pensée, ses croyances, soit il se révolte contre la communauté initiale pour imposer son mode de vie …


Pourtant, tout au contraire de nous, certains groupes d'animaux (oiseaux, poissons, abeilles, criquets ...), ont besoin des leurs pour prendre de meilleures décisions pour se déplacer, se protéger d’un prédateur, choisir le lieu idéal de reproduction … et sans avoir besoin d’un chef !!! Le groupe prime sur l’individu pour la protection de l’espèce. Mais chez nous cela tourne vite au despotisme et en conséquence à la révolte.



Sources :

  • La Bible : Genèse 11:1-9 et la tradition Judéo-chrétienne. Ce mythe a inspiré des réflexions sur l'origine de la diversité des langues, la puissance de l'effort collectif, l'orgueil humain, la fonction civilisatrice de la ville et la totalisation du savoir. On peut y voir aussi une illustration des dangers que représente la recherche de la connaissance, vue comme un défi lancé à Dieu.
  • Plusieurs éléments du récit biblique sont tirés de l’histoire de la Mésopotamie. La tour était perçue comme le moyen de relier le ciel, le monde divin, symbolisé par le temple sommital, avec la terre et le monde souterrain dans lequel est ancrée la base de la ziggurat. Le bâtiment fut placé au centre de la ville, qui selon la croyance des mésopotamiens, au centre de l’univers. Les archéologues pensent que l’édifice servait de  temple et que celui-ci était dédié à l’invocation aux étoiles qui étaient censées incarner les dieux. https://archeologie.culture.gouv.fr/orient-cuneiforme/fr/le-mythe-de-la-tour-de-babel
  • Le récit de Flavius Josèphe dans Les Antiquités judaïques (fin du Ier siècle) ajoute une justification rationnelle à la décision de construire cette tour : Celui qui les exalta ainsi jusqu'à outrager et mépriser Dieu fut Nemrod (Nébrôdès), petit-fils de Cham, fils de Noé, homme audacieux, d'une grande vigueur physique ; il les persuade d'attribuer la cause de leur bonheur, non pas à Dieu, mais à leur seule valeur et peu à peu transforme l'état de choses en une tyrannie.
  • Le récit de la tour de Babel a été mis en relation avec le mythe grec de la révolte des Titan contre Ouranos
  • En Afrique, dans la mythologie des Lozis (population bantoue d’Afrique australe), des hommes méchants construisent une tour afin de poursuivre le Créateur qui s'est enfui au ciel sur une toile d'araignée, mais les hommes périssent quand les mâts s'écroulent. Au Congo, des hommes dans un village se mettent en tête d'atteindre la Lune en érigeant de longs poteaux les uns sur les autres, jusqu'à ce que le tout s'écroule : depuis ce temps-là, personne n'a plus jamais tenté d'atteindre la Lune.
  • Le dominicain Pedro de los Rios, qui a vécu en Amérique centrale entre 1526 et 1529, rapporte une légende selon laquelle la Grande Pyramide de Cholula aurait été construite par sept géants rescapés du Déluge, sous la conduite de leur frère ainé, Xelhua, surnommé l'Architecte. Ils voulaient construire une pyramide qui atteindrait les cieux, mais les dieux, furieux de voir un tel orgueil, lancèrent le feu du ciel sur la pyramide, tuant nombre d'ouvriers, si bien que la tour est restée inachevée


La tour de Babel :

  • Le premier étage est haut de 33 mètres, le ­deuxième, de 18 mètres, et chaque étage suivant s’élève à 6 mètres. Le šahuru (temple au sommet de la tour) mesure quant à lui 15 mètres de haut. La hauteur de l’ensemble s’établit donc à 90 mètres, et la tour à étages se présente comme une pyramide parfaite, s’inscrivant dans un cube aux arêtes de 90 mètres. National Geographic, Francis Joannès, La tour de Babel : ce que l’archéologie révèle du mythe, Publication 9 août 2021, https://www.nationalgeographic.fr/histoire/2021-08/mythe-tour-de-babel-ce-que-revele-archeologie
  • En akkadien Bāb-Ilum signifie « la porte des dieux ».
  • Dans le récit biblique, ce mot prend un tout autre sens en raison d'une confusion avec la racine hébraïque BLBL, qui signifie « bredouiller », « confondre ».



Présentation de Suzanne - Le communautarisme - - - - - - - - -

En résumé, et complété par quelques réflexions personnelles en note.

Quelques idées clés :
  • Le communautarisme est généralement compris, au sens philosophique plus large, comme un ensemble d'interactions, au sein d'une communauté de personnes dans un lieu donné (emplacement géographique), ou au sein d'une communauté qui partage un intérêt ou qui partage une histoire.
  • Le communautarisme s'oppose généralement à la notion d'individualisme dans son ensemble.
  • Le terme de communautarisme désigne souvent la tendance au repli, réelle ou supposée, d'une communauté culturelle, ethnique, religieuse ou sociale.


Communauté ou communautarisme ?
  • Vivre en communauté est rassurant mais réducteur : Le sentiment d’appartenance à un groupe est tellement sécurisant et euphorisant qu’on se laisse griser. C’est là que se cache la force du conformisme. Le bénéfice de la pensée de masse, d’une pensée unique, c’est de se sentir tellement en accord avec le groupe qu’on éprouve l’impression de comprendre. Ce n’est pas l’énoncé qui galvanise, c’est le fait d’être ensemble et de crier haut et fort : Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. Boris Cyrulnik, Le laboureur et les mangeurs de vent – liberté intérieure et confortable servitude, Odile Jacob, 2022, p 107.


  • Tentation du communautarisme : On rêve d'une communauté unie où chacun considérerait son semblable égal à lui même, mais à notre époque où la réalisation personnelle prime, chacun revendique sa propre manière de vivre comme étant celle à suivre. Les conflits de personnalités sont inévitables et peuvent même engendrer une division en sous-groupes au sein d'une même communauté, voire une séparation. Les incompréhensions empêchent une bonne communication. Et sans concertation, pas de grande réalisation.


  • Doit-on, pour vivre en communauté, oublier les valeurs individuelles et craindre le communautarisme ?
  • Quel équilibre trouver entre individu et communauté ?
  • Une communauté forte reste unie par un grand projet, sinon elle devient un ensemble de communautarismes : dans ce cas, y a-t-il encore cohésion nationale ?


Note 1 : Trois stades de la vie en groupe

  1. Vivre en groupe permet de cumuler les forces et les moyens (savoir-faire, outils, ruses, expériences ...) pour mieux survivre. Ce besoin de se regrouper est né des temps où la survie était difficile face à la nature sauvage, les dangers, les fauves, le besoin de nourriture, le froid … La famille est un refuge, la tribu une protection, la communauté, une force. MAIS il n'y a pas de vie sociale possible hors du groupe. La seule voie conseillée est la communauté.
  2. En raison des différences revendiquées comme étant une liberté de vivre, des groupes secondaires se créent au nom du communautarisme. MAIS Le bien du groupe, pensé par le groupe ou sa majorité, ou ceux qui pensent pour le groupe, l’élite, passe avant le bien des individus. Une pensée unique est prônée. L’Histoire nous a donné plusieurs exemples désastreux du communautarisme : Hitler et tous les dictateurs qui ont voulu ériger une communauté forte.
  3. Le stade ultérieur est le sectarisme avec un seul mode de pensée acceptable qui impose de rejeter tout ce qui ne fait pas partie du groupe, de sa manière de fonctionner, règles et croyances. Les individus qui continuent à penser par eux-mêmes et s’interrogent sur le bien-fondé des décisions prises par la communauté sont exclus (excommuniés rejetés, marqués au fer rouge etc.). Il n'y a plus de cohésion avec la communauté initiale (République, famille etc). MAIS en rejetant ce qui ne leur convient pas, les sectes engendrent méfiance, hostilité, haine à leur encontre.


Le groupe est la réalité, le souverain bien, le refuge, la citadelle sans laquelle l’individu serait en péril. L’homme se meut, évolue, se réalise au sein du groupe. Le refus absolu – refus rupture – est une hérésie. Il est désagrégateur du groupe, il fragilise l’individu, le condamne, c’est un suicide.Seydou Badian Kouyaté, Origines – 365 pensées de sages africains, Danielle & olivier Föllmi, Ed. De La Martinière.

N’importe quel groupe, depuis l’association pour la préservation de la saucisse de Morteau jusqu’au parti politique ou la congrégation religieuse, en passant par la bande d’amis d’enfance ou l’équipe de foot du coin, a une dynamique qui lui est propre, qui fait passer les intérêts du collectif avant ceux de l’individu. Autrement dit, votre groupe ne vous veut du bien que tant que vous rentrez dans le rang, que vous ne bronchez pas d’un poil. Une idée originale, une envie différente, et, hop, c’est l’exclusion. Bref, on ne vous aime et on ne vous apprécie qu’idiot et docile.Plan de bataille pour survivre en entreprise - Je bosse avec des cons et des manipulateurs mais je le vis bien ! - Gilles Assopardi, Editions First, un département d’Edi8, coll. Résiste!, 2014, pp 61-62

Définition du communautarisme :

Répandu dans les années 1990, le terme de communautarisme désigne toute forme d’auto centrisme d’un groupe religieux ou ethnique valorisant ses différences avec le reste de la société.

Etymologie :
livre_010.gifLe terme vient du latin « communis », formé de « cum » qui signifie « avec, ensemble » et de « munus » signifiant « charges, problèmes, dettes ». D'un point de vue strictement étymologique, le communautarisme désigne donc :

  • le fait de se mettre ensemble pour affronter des problèmes communs, mais le terme a pris une autre tournure : il désigne actuellement le fait de se regrouper autour d’intérêts communs ;
  • ou au contraire un groupe d'individus possédant comme dénominateur commun le trait religieux, culturel, ethnique, linguistique ou idéologique caractérisant leur « communauté » et les distinguant des autres, de ceux qui n'en font pas partie.

Dictionnaire Le Robert :
Tendance à faire prévaloir les spécificités d'une communauté, des communautés (ethniques, religieuses, culturelles, sociales…) au sein d'un ensemble social plus vaste.

Dictionnaire Larousse :
1. Souvent péjoratif. Tendance d’une minorité à s’isoler du reste de la société et à revendiquer des droits particuliers.
2. Tendance du multiculturalisme américain qui met l'accent sur la fonction sociale des organisations communautaires (ethniques, religieuses, sexuelles, etc.).

Note 2 :

  • Communautarisme est un terme souvent péjoratif en France, car utilisé pour nommer des communautés que l'on considére fermées sur elles-mêmes, peu intégrées dans la communauté nationale.
  • Par contre dans les pays anglo-saxons, le communautarisme est un enrichissement de la société. Aux Etats-Unis, le communautarisme est un terme très positif. Là-bas, plus les cultures différentes co-existent, mieux c’est. Les communautés étant considérées de l’autre côté de l’Atlantique comme le meilleur rempart contre l’individualisme et contre le pouvoir de l’Etat. BFM/RMC
  • La manière d’utiliser et de manipuler le terme de « communautarisme », rend difficile ou impossible le débat sur le multiculturalisme, sur l’universalisme, bref le vrai débat sur la gestion d’identités plurielles au sein de notre pays.


Ne cherche pas à faire entrer tous tes frères dans ton monde … Tu leur ôterais toute leur différence. Nina Mari, indigène Quiché (Guatemala), Révélations – 365 pensées d’Amérique latine, Danielle & olivier Föllmi, Ed. De La Martinière, 2006

Un peu d'Histoire :

Si « le terme apparaît ponctuellement et dans des usages très variés » à partir de la fin du XIXe siècle, « c'est à partir de 1989, année de la première affaire du foulard islamique à Creil (Oise) qu'il se stabilise comme catégorie péjorative ciblant particulièrement l'islam » en France. Le terme intègre Le Petit Larousse en 1997, et le Robert en 2004.

Les communautaristes voient les droits des individus d'abord comme des droits collectifs liés à l'appartenance à une communauté. C'est le sens souvent retenu en France.Charles Taylor précise « Il renvoie plutôt aux communautés qui existent à l'intérieur d'un pays, les communautés culturelles, comme on les appelle au Québec ». Ils peuvent revendiquer des droits différents Communautarisme_groupes_liens_123FR justifiés par l'appartenance à une communauté (droit de régler les problèmes selon des lois propres, de manifester une appartenance religieuse…)

Les communautariens sont un courant qui s'oppose au libéralisme politique. Ils refusent les comportements individuels organisés uniquement par des lois. Les communautariens vont préférer le bien au juste. Comme l'explique Charles Taylor « ...cela équivaut pratiquement au républicanisme français. C'est une philosophie de la communauté nationale envers laquelle ses membres ont des responsabilités et des devoirs ».

Note 3 : extraits de l'article Le communautarisme et la question du droit des minorités selon Charles Taylor. Contre un déni de justice, Jean-Claude Poizat, Cairn info.

  • Dans la pensée de Rousseau, le citoyen jouissant d’une égale dignité serait également un citoyen sans réelle identité, existant seulement dans sa simple dimension formelle. Cette absence d’identité n’empêche pas Rousseau d’insister sur la nécessité de mettre fin à la différenciation entre les citoyens. Ce projet ne manque cependant pas d’alimenter les critiques à l’encontre du philosophe, suspecté finalement d’être à l’origine d’une pensée totalitariste, niant les identités individuelles pour ne plus tenir compte que de l’identité uniforme du groupe. …
  • Selon John Rawls, Théorie de la justice, paru en 1971, le communautarisme est une doctrine politique issue d’une réflexion philosophique sur les principes du libéralisme. Le communautarisme exprime la volonté de voir attribuer à certains groupes, définis par des critères socioculturels, des droits particuliers non reconnus par le système libéral classique. Cette doctrine suppose que le libéralisme exerce une violence cachée.
  • Taylor dénonce le fait que le libéralisme, sous couvert d’universalité, se refuse à reconnaître les identités particulières de certains groupes en tant qu’expression d’une forme culturelle spécifique. Selon Taylor, la « politique de reconnaissance » recouvre deux enjeux : reconnaître l’égale dignité de tous les citoyens au sein d’un système de droit, et reconnaître la spécificité propre à chaque individu en tant que membre d’une communauté. Le respect de ces deux exigences n’en constitue pas moins une source de conflit.


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Dualisme du communautarisme :
  • La communauté renforce l’identité de l’individu car il s’identifie à tout un groupe. Le rituel codifie, allie, affilie, structure, renforce les liens, crée la communauté, donc l’identité. Griot d’Afrique centrale.


  • Faire partie d'une communauté, c'est adhérer aux normes communes à ce groupe, L'individu passe au second plan. Selon Pierre-André Taguieff : Le communautarisme est défini par ses critiques comme un projet sociopolitique visant à soumettre les membres d'un groupe défini aux normes supposées propres à ce groupe, à telle communauté, bref à contrôler les opinions, les croyances, les comportements de ceux qui appartiennent en principe à cette communauté.


  • Comme tout organisme vivant, la société est pulsatile. Elle alterne le désir d’explorer avec le besoin de sécurité. Elle oscille entre la haine de l’étranger et l’amour du proche. Boris Cyrulnik, Des âmes et des saisons, Odile Jacob, 2021, p 38


Note 4 : extraits de l'article Le communautarisme, qu’est-ce que c’est ? par Marine Carballet, publié le 04/09/2020

  • Il existe en France une très forte spécificité du rapport entre l’État, la société et ses communautés, religieuses notamment, en raison d’un fort attachement à l’universalisme qui voit dans chaque individu avant tout un citoyen et non le tenant d’un groupe ou d’une communauté, et de la laïcité.
  • L’idéal d’assimilation qui concernait certaines minorités religieuses, juive et musulmane précisément, a cédé la place à l’impératif de l’intégration puis à la valorisation des différences depuis les années 1980. Ces différences exacerbées posent problème au sein d'une république où les valeurs communes sont Liberté-Egalité-Fraternité.
  • Pierre-André Taguieff nous invite également à «distinguer idéalement le communautarisme absolu du communautarisme relatif, limité ou tempéré». Aujourd’hui, le débat sur le communautarisme se focalise essentiellement sur l’islam, ce qui engendre des débats excessifs Figaro Vox


Du communautarisme au séparatisme :

Selon la sociologue Sylvie Tissot, la « communauté » se voit « parée de toutes les vertus quand elle est nationale, et elle appelle une allégeance, un amour, un dévouement impérieux et exclusifs (un « bon communautarisme »). Elle devient suspecte dès qu’elle est régionale, sociale, sexuelle, religieuse, ou dès qu'elle est minoritaire.

Le terme « séparatisme » tend à remplacer celui de « communautarisme » dans le débat public, lorsqu'on parle de groupes ethniques ou religieux qui veulent d'abord suivre leurs lois propres (tradition, religion) avant celles de l'Etat. Cette notion empruntée dans un sens ethno-culturel, à Christophe Guilluy qui l'utilise dans son livre Fractures françaises de 2010.

La fabrique du communautarisme :

Le communautarisme pourrait être né d'un sentiment de rejet vécu par un certain nombre de concitoyens qui ne trouvent pas leur place dans la communauté nationale. Si des individus se reconnaissent davantage dans un groupe particulier plutôt que dans la collectivité nationale, c'est la conséquence de l'échec de la nation à fédérer autour d’un socle commun où tous se reconnaissent.

Le rejet de certains groupes est lié à la peur de la différence en premier, puis la méfiance et l'intolérance amènent le dénigrement qui produit de vives réactions en réponse à la souffrance du mépris, du rejet ressenti, puis vient la colère plus ou moins agressive, et, enfin, la violence engendre la violence. Un chien qui a peur d'être attaqué devient agressif : il mord avant d'être mordu.

L’acceptation et le respect – ou non – des différences marque une société qui sera selon sa position en paix ou divisée en toutes sortes de communautarismes au risque de se perdre.

Note 5 :

  • Si la communauté renvoie à des groupes humains d'une grande diversité, le terme « communautarisme » exprime généralement des enjeux relatifs à des appartenances culturelles. (...) D’une manière générale, le communautarisme est une demande de prise en compte des droits particuliers des communautés culturelles par les législations nationales. Partant du postulat selon lequel un individu se construit une identité au sein de sa ou ses communauté(s) culturelle(s), les droits individuels des citoyens devraient intégrer la dimension culturelle pour mieux être à même de défendre lesdits citoyen. En échange, les communautés ayant obtenu la reconnaissance de leur identité se soumettent à des règles communes qui garantissent la coexistence. (...) Les opposants à ce courant mettent en avant le danger d’enfermer l’individu au sein de sa communauté et de destruction du « pacte républicain » qui repose sur la base de droits égalitaires attribués à tous les individus. Communauté/Communautarisme


  • Quand la connaissance se réduit à la récitation de la doxa du groupe, elle enferme le sujet dans une cage confortable qu’il maîtrise mais qui l’éloigne de ceux qui habitent d’autres mondes. (...) c’est ainsi qu’on se prépare à la haine de ceux qui voient le monde autrement. (…) Dans toute population, certaines personnes éprouvent le plaisir du doute qui invite au questionnement. Mais dans la même population vivent ceux pour qui la certitude est une sécurité. Comment voulez-vous qu’il n’y ait pas de guerre ? Boris Cyrulnik, Le laboureur et les mangeurs de vent – liberté intérieure et confortable servitude, Odile Jacob, 2022, p 75-77


Un conte en conclusion : L’eau qui rend fou - - - - - - - - - - - - - - - - - -EAU_goutte_monde_http://www.cieau.com/les-ressources-en-eau/dans-le-monde/ressources-en-eau-monde

Ce conte a déjà été publié dans une autre article : L'eau qui rend fou, en mars 2016, cliquez ici pour accéder à la page.

Résumé - Adaptation personnelle :

Autrefois, un sage inspiré lança à l'humanité un avertissement terrible. A une certaine date toute l'eau de la terre allait disparaître et serait remplacée par une eau nouvelle qui rendrait tous les hommes fous : ceux qui en boiraient auraient l'illusion d'être intelligents et conscients de tout ce qui se passait mais ils vivraient en réalité dans une sorte de rêve … à moins de préparer avec le plus grand soin des réserves d’eau pure … mais les hommes étant ce qu'ils sont … un seul homme suivit cet avis. Il collecta assez d'eau pour abreuver 100 personnes pendant 100 ans au moins. Lorsque les nouvelles pluies remplirent de nouveau les puits, les hommes, pourtant avertis, burent ... et devinrent tous fous.

EAU_verre_israel_http://www.europe-israel.org/2015/10/leau-au-moyen-orient-israel-est-la-solution-et-non-le-probleme/Mais, au bout d'un certain temps, lassé de sa solitude, notre ermite buveur d'eau pure finit par quitter son abri. Il trouve ses anciens compagnons totalement changés : ils tiennent des discours étranges, avec force gestes qui lui paraissait dénués de sens. Ils ont complètement oublié ce qui sest passé. L'homme qui a gardé toute sa raison essaye de leur parler, de leur expliquer les dangers de cette eau : on le prend pour un fou. Beaucoup haussent les épaules, refusent de l'écouter, ou bien on se moque, on le rabroue ...
- Mais il est complètement fou, celui-là ! Qu'est ce qu'il nous raconte avec ses histoires d'eau polluée ... de réserves d'eau pure qu'il veut partager avec nous ... ce n'est pas net tout ça ... tssss !
Certains ont pitié de ce pauvre homme qui divague, un doux dingue, un fou ... mais un fou dangereux car subversif .… Ses concitoyens le regardent d'un air méfiant, hostile, il dérange. Un jour on décide de l’enfermer pour protéger les autres de sa folie.

L'homme complètement affolé, rejeté par tous, perd son bon sens avant de perdre la raison : il court boire l'eau du puits et oublie jusqu'à l’endroit où il gardait sa provision d'eau.

Le peuple de la ville le félicite : l'homme était guéri de sa folie. Enfin, il avait rejoint la communauté et se comportait comme tout le monde. Tout semblait aller pour le mieux …


Epilogue :
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On peut espérer que dans un autre pays, un sage plus prudent que les autres et quelques-uns de ses amis se soient abstenus de boire de cette eau qui rend fou en faisant des réserves suffisantes d’eau pure. Plutôt que de rester isolés, ils ont recherché ceux qui s'étaient abstenus, comme eux. Une autre communauté s’est ainsi formée.

Quelques uns ont résisté à la pensée déviante, imposée par la majorité :

  • Alexandre Soljenitsyne a fait 8 ans de goulag pour avoir dénoncé le comportement des dirigeants de l’URSS. (1945-1959). Plusieurs de ses livres ont été publiés pour témoigner, dont L’Archipel du goulag.
  • Nelson Mandela a fait 27 ans de prison avant d’être libéré avec le soutien de centaines, de milliers de personnes qui ont bu à son eau. En tant qu’avocat il participe dans un premier temps à la lutte non violente contre les lois de l’apartheid avant de mener une campagne de sabotage contre des installations publiques et militaires. Après vingt-sept années d'emprisonnement dans des conditions souvent difficiles et après avoir refusé d'être libéré pour rester en cohérence avec ses convictions, Mandela est relâché le 11 février 1990. Nelson Mandela devient le premier président noir d’Afrique du Sud en 1994. Il mène une politique de réconciliation nationale entre Noirs et Blancs.


Pour aller plus loin :

  • La peur (de la maladie, de la solitude, du rejet etc.) est mauvaise conseillère.
  • Peut-on avoir raison seul contre tous ? Question traitée à la fin de l'article ''L'eau qui rend fou''
  • Faut-il résister au risque de se trouver tout à fait isolé, voire emprisonné ?
  • Beaucoup ont préféré rejoindre leur famille, les gens qu’ils connaissaient et tant pis si c’était fou ! C’est douloureux d’être séparé des siens, encore plus de vivre exclu d’une communauté. L'humain n'est pas fait pour vivre seul ... il recherche le réconfort, la force, la protection d'un groupe.
  • Quand une communauté impose une pensée unique, peut-on encore parler de communauté démocratique ? est-ce plutôt du communautarisme ? du sectarisme ?
  • Le nombre suffit-il à faire la différence entre communauté démocratique et communautarisme ? Les premiers chrétiens étaient traités comme une secte déviante avant de devenir un groupe religieux bien établi et puissant, la chrétienté.

Le Chat-Geluck_Raison_Majorite

Sources :

  • Jean-claude Carrière, Le cercle des menteurs I – Contes philosophiques du monde entier, Plon, 1998, p 368, Une légende populaire arabe


  • Khalil Gibran (1883-1931), conte arabe, extrait de "Philo-fables" de Michel Piquemal. Une sorcière empoisonne le puits de la ville : Tous ceux qui boiront de cette eau deviendront fous." Seuls le roi puissant et sage et son chambellan sont épargnés. Le roi ne parvient pas à calmer la population qui se rebelle, ne voulant pas être gouvernée par un roi dément : ils décidèrent de le détrôner. Ce soir là, le roi but de l'eau du puits, puis passa le gobelet doré à son chambellan : ils devinrent fous à leur tour, la foule célébra leur guérison et organisa de grandes fêtes.


  • Conte soufi : Un fakir, prévenu par un ange, ne boit pas l'eau empoisonnée qui rend fou. Mais il parait dès lors tellement différent qu'il fait peur... Bien que sain d'esprit, il passe pour fou aux yeux de tous. Ils finirent par décider de l'enfermer pour se protéger : « Fakir, nous avons remarqué ces derniers jours que ton comportement était devenu bien étrange ! Tu dis des choses incompréhensibles, tu fais peur à tout le monde, bref nous pensons que tu es devenu fou et nous allons malheureusement devoir t’enfermer ! ». A ces mots, le fakir courut boire de l’eau du puits...


  • Maître Plée, dans son livre L'Art Sublime et Ultime des Points Vitaux, Note de bas de page 119, page 304, conte une histoire de Sapiens, un sage qui ne s'abreuve pas à la même source que les fous  : Dieu trouvant les hommes déraisonnables, modifie la composition de l'eau afin qu'ils perdent le sens de la réalité. A quoi bon les avoir dotés d'intelligence et d'une claire vision des choses si cela était pour se conduire comme des fous nuisibles, si peu attentifs au monde ... Mais un homme sage est épargné en étant prévenu : il met en réserve suffisamment d'eau pour abreuver une centaine d'homme pour cent ans. Le roi du pays, aussi fou que son peuple, veut soigner ce dément qui prétend que l'eau potable rend fou... sans résultat car l'homme - pas fou du tout - absorbe les pilules qu'on lui donne avec l'eau de sa citerne ... Mais avec le temps, lassé de vivre dans la solitude, l'homme préservé voulut fonder une famille et avoir des enfants. Mais aucun père ne voulut marier sa fille à un fou ! Un jour, désespéré, ne voulant pas mourir tout à fait seul et sans descendance, le seul homme de la terre qui n'était pas fou se décida à boire l'eau de la fontaine publique. Aussitôt, il oublia tout et, devenu fou à son tour, il parut enfin « normal » aux yeux de tous et, fut accueilli avec joie : il était guéri ! Le médecin fut félicité par le Roi pour avoir réussi à rendre lucide et normal ce pauvre fou. Notre homme trouva enfin la fille de ses rêves : en bon fou qu'il était devenu, il choisit bien évidemment la plus folle. Ils eurent beaucoup d'enfants, tous parfaitement fous .... A lire ici. Sapiens signifie le sage ou celui qui sait. Sapiens est rejeté par tous les hommes comme anormal, mais en réalité il est le seul homme normal car il ne s'abreuve pas à la même source que les fous. Cette histoire nous montre donc qu'être normal ne signifie pas être comme les autres ou accepté par eux, mais être sain d'esprit (et le rester parmi les fous). Cette histoire nous montre aussi qu'un homme sain d'esprit au milieu des fous ne tient pas indéfiniment. D'où l'utilité de, parfois, cacher son savoir, pour ne pas susciter la jalousie et le rejet, "jouer au fou", pour sembler normal. Sembler normal en ayant l'air un peu fou, ce qu'il faut sans en faire trop ; être réellement normal, en gardant en soi la lucidité requise à l'action. Telle est la voie tracée par cette histoire de sagesse d'Henri Plée. Maître Plée, Henry Plée, est né le 24 mai 1923 à Arras (Nord-Pas-de-Calais) et mort le 19 août 2014 à Paris ; il est un expert français en arts martiaux japonais. 10e dan (Japon) de karaté, Henry Plée est le pionnier du karaté en France et en Europe au début des années 19502. Il est en outre 5e dan de judo, 3e dan d'aïkido et 1er dan de kendo. Il est aussi le maître le plus haut gradé hors du Japon.


Illustrations :

  • Goutte d'eau : http://www.cieau.com/les-ressources-en-eau/dans-le-monde/ressources-en-eau-monde, mar. 2016
  • Verre d'eau dans le désert : http://www.europe-israel.org/2015/10/leau-au-moyen-orient-israel-est-la-solution-et-non-le-probleme
  • Le chat, Geluck


La folie du roi Salomon :

Salomon nous parle de la folie et de la mémoire avec une grande sagesse. La conclusion est différente, plus philosophique, et plus optimiste aussi ...

Salomon_Kikojo_http://kikojo.over-blog.net/article-10600960.htmlUn jour, le roi Salomon fit venir son conseiller principal et lui dit :
- J'ai lu dans les étoiles que tous ceux qui mangeraient de la récolte de cete année seraient frappés de folie. Qu'allons-nous faire, mon ami ?
- Sire, faites donner l'ordre qu'on prépare, à notre intention, des réserves sur les récoltes des années précédentes, et nous ne toucheront en rien à ce qui poussera cette année.
- A quoi cela nous servirait-il, mon ami ? Nous resterions seuls, sain d'esprit, parmi tous les hommes frappés de folie. Tous diraient que c'est nous qui sommes fous, et non point eux. Et il ne reste pas assez des récoltes des années précédentes pour nourrir tout le peuple !
- Que faire, Sire ? demanda alors le conseiller.
Le roi Salomon lui répondit :
- Nous n'avons pas d'autre solution que d'être fous avec tout le peuple. Mais je voudrais que nous fussions différents en ceci : que nous sachions notre folie !
- Comment y parvenir ?
- Nous allons, toi et moi, graver sur nos fronts le signe de la folie. Chaque fois que je te regarderai, chaque fois que tu me regarderas, nous saurons l'un et l'autre que nous sommes fous, qu'il fut un temps où nous ne l'étions pas, et que viendra peut-être le jour où nous ne le serons plus !


Sources :

  • Ben Zimet, Conte des sages du ghetto, Seuil, 2008, p 104, d'après le Talmud.