''L'homme qui ne voulait pas mourir''
Par patricia gustin le mardi, décembre 12 2023, 15:22 - Petits contes de sagesse - Lien permanent
La mort fait partie de la vie, mais :
Beaucoup ne veulent même pas y penser ... comme des enfants qui, jusqu'à six ans environ, n'ont pas la notion de mort.
Nous sommes nombreux à la craindre. Les religions nous ont enseigné qu'il existe une vie après la mort pour adoucir cette angoisse.
Certains voudraient même ne pas mourir du tout ...
Ils mettent leur espoir dans la science pour leur éviter une mort définitive (transhumanisme, cryogénisation ...).
Nos anciens en ont fait un conte : L'homme qui ne voulait pas mourir. Un conte transmis de bouche à oreille, collecté puis écrit au XIXème siècle en France et en Italie. Voici ci-dessous la version recueillie dans l'Orne, en 1896, et contée par Jean Markale.
Et cric et crac !
L'homme qui ne voulait pas mourir conte d'Europe,
Résumé :
Un soldat trompe-la-mort gagne victoire sur victoire, devient général des Armées puis premier ministre. Il ne veut pas mourir : il part à la recherche d’un pays où l’on ne meurt pas. Il prolonge sa vie de plusieurs dizaines, voire centaines d'années, mais la mort finira par le rattraper : en déguisant son apparence, elle l’emportera.
Version française de 1896 transmise par Jean Markale :
Il y avait de cela très longtemps... Un garçon de ferme nommé Pierre ne pouvait se faire à son humble condition : il ne rêvait que grandeur et richesses. Il se fit soldat et, comme il était assez courageux, il obtint bientôt un grade Le roi, l'ayant remarqué, lui confia le commandement de son armée.
Il remporta de nombreuses victoires. Le roi, en, récompense, le nomma Premier ministre. Dès lors, l'orgueil de notre homme ne connut plus de bornes.
Les courtisans le voyaient d'un mauvais oeil et ils jurèrent de l'abaisser par tous les moyens. L'un d'eux eut l'imprudence de lui reprocher sa basse origine. Pierre en fut courroucé et obtint du roi que le coupable fût enfermé dans un cachot.
L'ordre fut exécuté, mais comme on entraînait le condamné vers la prison, il rencontra Pierre et lui dit :
- Tu as beau être puissant, il ne t'en faudra pas moins mourir.
Ces paroles frappèrent Pierre. Non, se dit-il, je ne mourrai pas.
Il prit congé du roi et partit à la recherche d'un pays où l'on ne mourait pas.
Après avoir longtemps marché, il trouva enfin ce pays fortuné. Aucun des habitants n'y était encore mort depuis la création du monde. Pierre s'y fixa et y vécut sans soucis.
Il y avait déjà trois cents ans qu'il était dans ce pays lorsque, un jour, on vit s'abattre un oiseau si gros qu'il obscurcissait le ciel. Cet oiseau se nourrissait de sable et de terre, et les habitants du pays apprirent à Pierre que lorsqu'il aurait mangé tout le pays, ce serait pour eux la fin du monde. Mais ils étaient tous si vieux que la vie leur était une charge et qu'ils ne craignaient pas de mourir.
Tel n'était point l'avis de Pierre. Il quitta aussitôt le pays et partit à la recherche d'un autre où la vie serait également indéfinie, mais où il n'y aurait point d'oiseau pour y mettre un terme.
Il arriva dans une île où on ne mourrait point. Il y resta six cents ans. Et certes, il pensait bien qu'il ne mourrait jamais, lorsque les habitants lui signalèrent un poisson d'une grosseur monstrueuse qui buvait d'énormes quantités d'eau. Ils ajoutèrent que lorsqu'il aurait bu toute la mer qui entourait cette île, ce serait pour eux la fin du monde.
Pierre fut effrayé de cette révélation. Il prit son bâton et partit à la recherche d'un pays plus favorisé que les deux premiers.
Mais il eut beau parcourir la terre en tout sens, il ne put rien découvrir. Il se mit à regretter d'avoir quitté l'île où les habitants avaient encore de longues années à vivre avant que le poisson n'eût épuisé toute la mer.
Il prévoyait que sa fin était proche. Il s'assit tristement sur l'herbe, les yeux fixés au sol. Tout à coup son attention fut attirée par la vue d'une mouche qui se débattait dans une toile d'araignée. Machinalement, il enleva la toile et délivra la mouche. Il avait fait cela sans y penser, mais il fut bien surpris de voir la mouche se transformer en une fée richement vêtue qui lui demanda de souhaiter ce qu'il voulait pour sa récompense.
- Je voudrais ne jamais mourir dit Pierre
- Ce n'est pas sur la Terre que tu trouveras cela, dit la fée. Je vais te transporter dans une étoile où nous demeurons. Là où ne meurt jamais
La fée le toucha de sa baguette et aussitôt, il se trouva transporté dans l'étoile.
Des siècles et des siècles passèrent. Pierre était devenu immortel. Mais on s'ennuie tout de même d'être trop heureux. Pierre désirait revoir son village. Il en parla à la fée. Elle s'efforça de le dissuader d'accomplir un tel voyage, mais voyant que c'était bien son idée, elle lui donna un cheval qui devait l'y conduire. Elle lui recommanda de ne jamais descendre de ce cheval car, sinon, il lui arriverait malheur.
Le cheval fendit l'air et Pierre arriva bientôt à son village. Il ne put rien reconnaître, tellement tout avait changé. C'était maintenant une grande ville. Et chaque fois qu'il racontait qu'il avait demeuré ici il y avait quelque chose comme mille ou douze cents ans, outre qu'on avait du mal à comprendre son langage, il fut traité de fou et chassé de partout.
Pierre poussa le galop plus loin. Il fit alors rencontre d'un charretier embourbé qui lui demandé de venir l'aider. Mais Pierre se souvenait des recommandations de la fée. Je ne suis pas si bête que ça se dit-il. Cependant, le charretier insistait et devenait menaçant. Force lui fut de céder. Déséquilibré, il mit pied à terre et se dirigea vers la charrette. Mais ce charretier était la Mort. Elle reprit sa forme habituelle tandis que la charrette devenait un tas de souliers.
- Voilà bien du temps que je te cherche. Cette fois, tu ne m'échapperas plus.
Pierre voulut remonter sur son cheval, mais le cheval s'était enfui. La Mort se préparait à le trancher de sa faux.
- Au moins me diras-tu ce que sont tous ces souliers?
- Ce sont tous ceux que j'ai usés à te chercher.
Et la Mort le trancha de sa faux.
L’amour arrête le temps mais sans amour la vie s’arrête …
Sources :
- L'homme qui ne voulait pas mourir, conte recueilli dans la région de Rémalard (Orne), en 1896, retranscrit par Jean Markale dans le recueil Contes populaires des pays de France, Stock, 1981, et repris dans Le temps des merveilles - Contes populaires des pays de France, 1999, Librio, E.J.L.
- Paul Maisonneuve, L’homme qui ne voulait pas mourir, le conte du mois 01/11/20. Dans cette version l'homme rencontre une lavandière de nuit qui lui demande de l'aider à essorer son drap. La lavandière de nuit que l’on retrouve sous différents noms dans bien des croyances, est toujours liée au domaine de la mort qu’elle annonce à celui qui passe près du point d’eau où elle lave, ou à celui qui doit expier une faute. Ici, comme dans des légendes bretonnes, ne serait-ce pas son propre linceul que l’homme doit essorer ?
Quelques variantes de ce conte :
- Le pays où la mort ne peut entrer, Bruno de la Salle, Le conteur amoureux, Casterman, 1995, p 265-270, est à découvrir dans l'article Face à la mort - Le déni - Deux contes !. Bruno de La Salle s'est inspiré d'un conte du XIXème siècle (ref. ci-dessous)
- L'homme qui ne voulait pas mourir in Filleul-Pétigny Clara (1822-1878), Contes de la Beauce et du Perche, Revue des traditions populaires, t. XI à XXVII, Paris, 1912.
- Contes du Val de Loire, France Loisirs, 1978, page 216
- Contes et légendes des pays de France tome 4, recueillis par Claude Seignolle, coll. Omnibus, 2003, (épuisé)
- Le pays où l'on ne meurt jamais, Italo calvino, Contes italiens, une adaptation de Frida Morrone est en ligne ici