Les avertissements

Conte chinois.
Résumé : Noyade-Riviere-mainUn jeune paysan aperçoit la mort dans le reflet de la rivière. Il est effrayé et surpris mais la mort lui dit qu’elle attend quelqu’un d’autre et lui promet qu’elle ne viendra pas le chercher sans le prévenir. La vie passe … Un jour que l’homme se rafraîchit à la rivière, la mort le saisit. L’homme proteste : - Mais tu ne m’as pas averti ! La mort se récrie : - Oh, si, je l'ai fait, et de mille façons : lorsque tu te regardais dans ton miroir n’as-tu pas vu les rides et les cheveux blancs ?

Ce conte m'a servi de support pour l'introduction et la fin du conte que j'ai donné pour le Café-Philo du 21 février 2020 à Gruissan. Pour le lire, cliquez ici.

Sources :

  • Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs I, Plon, 1998, Les avertissements, conte chinois, p 126 (Chapitre La mort est notre dernier personnage).


La mort, cette incohérente, cette fantasque insouciante, nous apporte quand même un cadeau : Elle nous rappelle à l’urgence de vivre ! (Carole Braéckman)

Le pays où la mort ne peut entrer

Conte français écrit au XIX siècle. Adaptation personnelle d'après la version de Bruno de la Salle.

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/
C’était un jeune homme né sous une bonne étoile. Tout ce qu’il entreprenait, il le réussissait.
Il était paysan et succéda à ses parents. En un an il doubla ses biens. Mais ça ne lui suffisait pas. Berger_chevres_moutons_http://centrefrancoportugais.com/2009/03/14/a-serra-da-estrela/
Il partit au village pour apprendre un autre métier. Il avait une bonne étoile et très envie de travailler, en un an il devint forgeron. Mais ça ne lui suffisait pas.
Il partit à la ville pour y devenir plus savant. Il apprit le commerce et devint riche. Mais ça ne lui suffisait pas.
Il partit vers d’autres pays. La guerre se déclara. Il était né sous une bonne étoile ; il était courageux ; il fut nommé commandant. Malbrough_John Churchill de Malborough_La-Voix-du-NordIl gagna toutes les batailles et devint général.
Il avait tout. Ou presque. Argent, connaissance, gloire…

passage ci-dessous omis dans la version présentée au Café-Philo le 21 février 2020.

Le succès, surtout lorsqu’il parait facile, fait des envieux ; les plus pauvres, les laissés pour compte, les malchanceux, les paresseux trouvent que c’est injuste. C’est trop ! Un jour une très vieille mendiante essaie de le tuer : sa seule richesse était son fils tué par le fer d’une baïonnette, une lame forgée par un jeune forgeron. Elle tire trois coups mais comme notre nomme avait une bonne étoile, il échappe à la mort mais la vielle lui crie ceci :
- Tu as vaincu la pauvreté, tu as vaincu l’ignorance, tu as vaincu tes ennemis, mais c’est la mort qui te vaincra !

Le jeune homme comprend que la plus grande richesse est la vie, des millions de fois plus précieuse que tout ce qu’il a acquis … La vie est trop belle pour être perdue ; il part à la recherche du pays où la mort ne peut entrer.

En chemin, il trouve un vieillard qui gratte Barbe_blancheune montagne avec une cuillère en or pour nourrir un poisson ; dans son pays personne ne mourra avant que le poisson n’ait avalé toute la montagne ; il faudra bien 2 000 ans pour raser cette montagne ...
- Et après ?
- Après la mort sera la bienvenue car nous aurons bien vécu !

Vieil-homme-cormoran-riviere-chine

Ça ne suffit pas au jeune homme. Il poursuit sa quête et rencontre un vieillard qui vide l’eau de la mer avec un verre pour la donner à boire à un oiseau ; dans son pays personne ne mourra avant qu’il n’ait vidé la mer et les océans.
- Combien de temps cela prendra ?
- 10 000 ans et après la mort sera la bienvenue car nous aurons bien vécu !

Ça ne suffit pas au jeune homme. Il poursuit sa quête et après des jours, des mois, des années de marche, il aperçoit une silhouette, celle d’un vieillard encore plus vieux que les autres semble-t-il, Femme-cheveux-pieds-blonde-arbresavec une barbe jusqu’aux pieds. Il découvre une jolie femme dont les cheveux d’un blond pâle lui couvre le corps jusqu’aux pieds (et pas une longue barbe blanche, le jeune homme, plus si jeune que cela n’y voyait plus trop clair après tout ce temps à courir le monde). C’est la reine du pays où l’on en meurt jamais. Elle ouvre les bras pour l’accueillir, et lui aussi ouvre ses bras pour la recueillir. Le temps n’a pas de prise sur leur amour qui semble éternel.

Mais un jour, des images du passé lui reviennent, les menaces de la vielle folle, tous ceux qui ne l’ont pas cru, qui se sont moqué, qui ont renoncé à chercher ce pays où la mort ne peut entrer … Il a envie de les revoir pour leur dire la vérité, sa vérité ... ! La reine ne s’oppose pas à son retour mais le met en garde ; elle veut bien le laisser partir sur son cheval qui file plus vite que le vent, plus vite que le temps, mais à une condition : il ne doit jamais descendre de son cheval avant d’être de retour dans le pays où la mort ne peut rentrer ; s'il posait le pied à terre le cheval repartirait sans l’attendre et il ne pourrait revenir. Ils ne se reverraient plus jamais.

D’un bond le cheval survole le pays où le vieillard vidait la mer : il n’y a plus qu’un désert et là où était la mer un petit tas d’os à côté d’un verre.Cheval_Welsh_http://oxerdejoigny.kazeo.com/elevage-ysandre/ceulan-logan,a214578.html
Un autre bond et ils survolent le pays où le jeune homme avait rencontré le vieillard qui nourrissait un oiseau avec la terre et les pierres de la montagne : il n'y a plus que des champs, et au milieu coule une rivière où brille un curieux éclat, le reflet du soleil sur une cuillère en or.
Le cheval fait encore un bon, et le jeune homme se retrouve au pays de son enfance qu’il a bien du mal à reconnaître : les villages sont devenus des villes, les gens sont curieusement habillés et se déplacent dans des drôles de charrettes sans chevaux, on y parle un langue inconnue de lui … 10 000 ans étaient passés et plus encore … il ne restait plus rien de ce qu’il avait construit, des gens qu’il avait connus, famille, amis ou ennemis ; ses souvenirs s'effilochent comme poussière au vent ...

passage ci-dessous omis dans la version présentée au Café-Philo le 21 février 2020.

Il laisse le cheval l’emmener de l’autre côté de la terre, là où dans l’obscurité les chemins sont à moitié effacés. Un vieille se trouve là, elle essaye de tirer sur un raidillon une grosse charrette emplie de chaussures sans âge. Le voyageur a pitié, elle ressemblait un peu à sa grand-mère mariée à un chiffonnier ; il descend de cheval pour l’aider. La vieille se redresse alors et l’empoigne pour que jamais il ne s’échappe. Et lui sent ses forces s’en aller, ses cheveux s’envoler au vent, sa peau se flétrir, se sécher, se rider comme vieux parchemin.

Ajout personnel : une liste de toutes sortes de chaussures ...

La vieille rit et lui montre sa charrette qui déborde de tant et tant de chaussures : cothurnes, spartiates, caligae, Hermès (avec de petites ailes), albarka (basques de préférence), sandales, nu-pieds, à orteils, tongs, claquettes, espadrilles, babouches, mules, poulaines, pied d’ours ou bec de canard, richelieu, monk (double-boucle), Derby, ballerines, souliers, socques, souliers plats et à talons, salomé, escarpins, stilettos à talons aiguilles (pour le verglas), semelles compensées, bottines, bottes, cavalières, cuissardes, bottes de moto, pataugas, rangers, écrase-merde, après-ski, bottillons, boots, bottes de sept lieues, de sécurité, mocassins, tennis, baskets, bateaux, péniches, brodequins, croquenots, godillots, sabots, grolles, godasses, pompes, clarks, savates, tatanes mais aussi chaussons, pantoufles et même des charentaises … en cuir et simili, skaï, vernis, peau, nubuck, fourrure (pantoufles de vair pour Cendrillon) tissu, soie, velours, dorées, argentées, plastique, caoutchouc, pneu, cloquées, … avec …des semelles de bois, ou d’écorce, des crampons, des semelles cloutées, renforcées, ressemelées mais usées quand même … toutes élimées, rapiécées, recousues, recollées, rafistolées, déchirées …
Et en montrant ce tas informe, ce tas immense, l’hideuse vieille lui dit :

- Regarde toutes ces chaussures que j’ai usées pour te trouver ! et je te dis pas le prix du cordonnier !!!
De rage, elle le serre un peu plus encore ... il tombe en poussière tandis que là-haut, dans le ciel, le cheval vole vers le pays de la femme qu’il a aimée (mais quittée), le pays où la mort ne pouvait entrer.

Ma conclusion :

L’amour arrête le temps mais sans amour la vie s’arrête …

Je me suis servi de ce conte, augmenté du précédent (Les avertissements) et assorti d'une conclusion humoristique (Erreur sur la personne), pour illustrer le Café-Philo du 21 février 2020 à Gruissan : le thème était Face à la mort. Pour le lire, cliquez ici.

Sources :

  • Le pays où la mort ne peut entrer, Bruno de la Salle, Le conteur amoureux, Casterman, 1995, p 265-270.


Bruno de La Salle s'est inspiré d'un conte du XIXème siècle :

  • "L'homme qui ne voulait pas mourir" in Filleul-Pétigny Clara (1822-1878), Contes de la Beauce et du Perche, Revue des traditions populaires, t. XI à XXVII, Paris, 1912.
  • Contes du Val de Loire, France Loisirs, 1978, page 216
  • Contes et légendes des pays de France tome 4, recueillis par Claude Seignolle, coll. Omnibus, 2003, (épuisé)
  • Variante : Le pays où l'on ne meurt jamais, Italo calvino, Contes italiens, une adaptation est en ligne ici


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