Quelques reflets de l'argent :

  1. séduisant, éblouissant, il rend aveugle : l'argent est un piège
  2. puissant, il achète presque tout mais ...
  3. envahissant, envoûtant par le désir insatiable qu'il suscite, nous croyons le posséder, mais c'est lui qui nous possède.
  4. certains refusent de servir un tel maître : si l'argent est puissant, il n'est pas tout-puissant ...
  5. Question de perspective


1/ L'argent, séduisant, éblouissant, puissant, est un piège

Là où est ton trésor, là est ton coeur Mathieu 6:21

L'argent rend sourd

Un grillon en ville

Un ethnologue new-yorkais reçoit un jour à Manhattan un de ses vieux amis sioux. Et comme à grand-peine ils cheminent dans la cohue des gens, des voitures hurlantes, des gyrophares policiers, bref dans l’ordinaire boucan d’une avenue crépusculaire, à l’heure de pointe, le Sioux s’arrête soudain au coin d’une rue, tend l’oreille et dit :
- Tiens, j’entends un grillon.
Son ami s’étonne.
- Un grillon ? Laisse tomber, mon vieux, tu rêves. Entendre un grillon, à New York, dans ce vacarme ?
Grillon_main_https://sites.google.com/site/lapetiteboheme01/textes-et-contes-spirituels-sur-les-animaux/un-grillon-a-new-yorkLe Sioux va droit à l’angle d’un mur. Dans une fente de béton poussent des touffes d’herbe grise. Il se penche, puis s’en revient. Au creux de sa main, un grillon.
- Alors ça, bafouille l’ami, abasourdi, c’est incroyable. Une ouïe fine à ce point-là, c’est un truc de sorcier, ou quoi ?
- Pas du tout, répond le Sioux. Chacun entend ce qui l’habite et ce qui importe dans sa vie. Facile à démontrer. Regarde.
Il sort quelques sous de sa poche et les jette sur le trottoir. Tintements brefs, légers, fugaces. Dans la bousculade autour d’eux, tandis que les voitures, au feu du carrefour, klaxonnent, démarrent, rugissent, dix, quinze têtes se retournent et cherchent de l'œil, un instant, ces pièces de monnaie qui viennent de tomber.
- Voilà, c’est tout, dit le Sioux.


Gougaud_Petits-contes-de-sagesse-pour-des-turbulents_2013 Sources :

  • Henri Gougaud, Le sioux, Petits contes de sagesse pour temps turbulents, p 158


L'argent rend aveugle

Le derviche et le marchand
Conte donné lors du café-Philo du 3 novembre 2023 : L'argent, un fait social total

Sources :

  • Jihad Darwiche : Le Derviche et le Marchand, Albin Michel Jeunesse, coll. Petits contes de sagesse, 1999
  • Texte intégral en ligne dans l'article Le derviche et le marchand ; cliquez ici


L'argent éloigne de l'amour

Comment les fleurs vinrent aux genêts :
L'amour de l'argent est sans fin et fait perdre l'essentiel.

Au Bout du bout de la lande vit un vieux chasseur. Sa femme est morte depuis longtemps. Sa fille vit avec lui. C'est la plus jolie fille du pays, mais son père trouve à redire à chaque prétendant. Il les refuse tous ! Un jour un jeune homme tente sa chance. N'y va pas lui souffle le vent, tu ne récolteras que du mépris., mais il n'écoute que son cœur. Le vieux le dévisage de haut en bas, de bas en haut ... méprisant ... et refuse de donner sa fille à un va-nu-pied. Le jeune homme propose sa force, son courage, et son amour. Le Père lui jette alors un sac en peau de porc et lui dit : Ne reviens que quand il sera plein !
Le jeune gars part, tête basse, et jette un dernier regard vers la maison, espérant apercevoir la jeune fille. Elle est là, derrière la fenêtre de sa chambre, elle le regarde et sent que son amour est sincère. Elle saute par la fenêtre et le rejoint. Elle a pour lui trois choses précieuses :
Une poire dorée à n'offrir qu'à un roi : elle t'apportera la prospérité.
Un rossignol qu'elle sort de son corsage : il te rappellera à ton souvenir cette promesse solennelle que je te fais : je t'attendrai chaque jour tant que je trouverai un rameau à planter sur la lande.
Un baiser d'amour pour lui donner la force de revenir.
Le jeune homme marche longtemps avant d'arriver aux portes du château du roi. Il a bien failli manger la poire à 3 reprises parce qu'il a avait soif, faim, et qu'il était épuisé. Mais à chaque fois le rossignol l'en a empêché par son chant qui lui a rappelé la promesse de sa fiancée. Dix rameaux sont déjà plantés. Il offre la poire au roi qui lui propose un écu. Mais le rossignol lui conseille de demander deux poules pondeuses.
Il met les poules dans le sac. Arrivé au marché, le sac est plein d'œufs, et ainsi chaque jour de marché. Les écus commencent à remplir le sac.
Il achète un porcelet et un agneau. La toison de l'agneau pousse tellement vite qu'il la vend fort cher et il élève le goret. Il achète d'autres porcelets et d'autres agneaux avec l'argent gagné.
Puis, les affaires marchant toujours bien, il achète une barque et se met à pêcher. Tout lui réussit, tant qu'il écoute le rossignol. Il finit par avoir toute une flottille de barque de pêche.
Le sac est presque plein.sac d'or Mais il se dit qu'il lui faut construire une maison digne d'accueillir sa femme. Il sort des écus du sac et le rossignol se met à l'avertir en chantant à tue-tête : Pense à celle qui t'attend ... La colline est déjà toute couverte de rameaux !. Mais l'homme prend plaisir à sentir les pièces rouler sous ses doigts : il achète aussi un cheval blanc pour porter le sac et un cheval noir pour lui, et de beaux habits. Le rossignol chante tristement, désespéré mais il continue à vouloir montrer sa réussite : il décide de revenir avec deux sacs remplis d'écus d'or ...http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpeg http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpegEn atteignant la richesse, il en a aussi découvert les vertiges... Le rossignol le quitte. Cela marque l'homme. Mais le mal est fait.
Dans la nuit une tempête fait couler ses barques, disperse son troupeau de cochons qui, affolés, se précipitent du haut de la falaise, les agneaux sont dévorés par les loups, les poules par des renards, sa maison est frappée par la foudre ... Il a tout juste le temps de sortir avec un sac d'écu ... Il comprend, trop tard. Il rejoint la cabane qu'il s'est faite en arrivant et retrouve un vieux coffre avec des vieux habits dans lesquels il ne rentre plus. Il se lave à la fontaine et s'aperçoit que son corps s'est épaissit, ses cheveux grisonnent aux tempes ... Il est temps de rentrer. Mais en voulant fermer le sac, un écu roule, une pie le vole ... Le sac n'est pas plein ...
Il veut vendre un cheval mais personne ne veut acheter une vieille rosse... Le temps à passé ... et l'autre cheval s'écroule sous lui. Il pense alors à réclamer au roi après toutes ces années l'écu refusé pour la poire. Il s'aperçoit que cette poire est miraculeuse parce qu'elle se reforme chaque nuit. Le roi, qui était devenu son ami au temps de la réussite, jette la pièce demandée avec mépris à l'homme mal habillé.
L'homme repart avec un cheval qui porte le sac, et marche, marche ... Le chemin du retour est long. Il arrive enfin devant la maison du vieux chasseur qui lui ouvre brusquement la porte :
- Elle est partie. Elle a planté un rameau chaque jour jusqu'à la mer. Et quand elle n'a plus trouvé d'endroit libre, elle est monté dans une barque ...
Genets_PatriciaGUSTINL'ancien fiancé, accablé, de rage jette le contenu du sac d'écu sur la colline couverte de buissons, car chaque rameau a poussé ... La colline semble couverte d'or ... C'est l'or des genêts qui poussent jusqu'à la mer ...
L'histoire s'arrête là ... Il a couru jusqu'à la mer ... n'a vu sur le rivage que des traces de pas et d'une barque tirée ... Il a pris la mer et s'est lancé à la recherche de sa jeunesse ... Le conte ne dit pas s'il a pu la rattraper ou si la jeune fille en traversant la mer a trouvé un prince ... A vous de deviner ...

Source :Comment_les_fleurs_vinrent_aux_genets_LEOURIER

  • Comment les fleurs vinrent aux genêts de Léourier Christian, Albin Michel, collection Petits Contes de Sagesse, 1998.


L'argent est un piège mortel

Le roi Midas
On peut perdre sa vie à ne vivre que pour accumuler les richesses.

Résumé :

Midas change sa fille en or_https://www.lalibre.be/archives-journal/2016/10/20/je-touche-le-pactole-O2LTTRVEOZBJNEJTZRS6BMDP4U/En récompense d’un service, Dionysos, le dieu du vin, donne au roi Midas le pouvoir de changer en or tout ce qu’il touche. Sa richesse est de plus en plus grande mais il ne peut embrasser personne, il a fait la triste expérience de changer sa propre fille en or ... et dès qu'il porte sa nourriture à ses lèvres, elle se change en or : il va mourir de faim, de soif et de solitude... Il finit donc par demander à Dionysos de lui retirer ce pouvoir. Il doit aller se laver à la source du fleuve Pactole. Depuis ce jour, ce cours d’eau charrie des paillettes d’or, d’où l’expression « toucher le pactole ».

Sources :Philo-fables pour la Terre_Michel Piquemal_Albin Michel 2010

  • Mythologie grecque.
  • Les philo-fables pour la Terre, Michel Piquemal, Albin Michel, 2010, Le roi Midas, p 66-68.



Le fil de l’araignée : Métaphore du piège de l'argent
creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Araignée_toile_mouche
La toile de l'araignée ressemble au piège de l'argent : son fil est brillant mais gluant. Il emprisonne celui qui l'admire de trop près et veut s'y installer : le visiteur, ou plutôt la proie, reste collé sans pouvoir s'en dépêtrer ; il se fait possèder, puis vidé de toute substance vitale. Ne restent que l'araignée repue et un cadavre : le désir insatiable et dévorant, et un pantin sans âme.


Un riche pauvre

Résumé : un pauvre ne peut se défaire d'une bourse magique, il reste assis à extraire des écus l'un après l'autre jusqu'à en mourir.

Il existait autrefois un pauvre homme qui, se couchant un soir, ne put s’endormir :
- Pourquoi, pensait-il, la vie est-elle si pénible pour les pauvres gens ? Et pourquoi les riches accumulent-ils tant d’argent ?… Il y en a qui ont des caisses pleines d’or ; et pourtant ils amassent encore, et se privent de tout. Si j’étais riche, moi, ce n’est pas ainsi que je vivrais ; je me donnerais du bon temps, et j’en procurerais aux autres aussi.
Tout à coup il entendit quelqu’un lui dire :
- Tu veux être riche ? Voici une bourse ; il ne s’y trouve qu’un écu, mais aussitôt que tu l’auras pris, un autre le remplacera. Retire donc autant d’écus que tu voudras, et ensuite jette la bourse dans la rivière. Mais, avant de jeter la bourse, aie soin de ne pas dépenser un seul de tes écus, sinon ils se transformeraient tous en pierres.
Le pauvre homme était fou de joie. (...)
- Toute cette nuit, je vais en retirer un gros tas d’écus, et demain je serai riche ! Dès le matin, je jetterai la bourse dans l’eau, et je vivrai à ma guise.
Mais le matin, il changea d’avis.
Il en retira donc tout le jour, puis il en voulut encore, et encore, ne pouvant se décider à quitter la bourse.
Cependant, il sentit la faim (...) Il aurait bien voulu manger, mais non pas se séparer de la bourse. (...)
Robert François, 87 ans_ photo de Christine Caubet-Boullière_Journal Sud-Ouest, "Robert, le vieil homme et le fleuve", 15/05/2011La nuit vient, et il ne s’arrête pas encore. Une semaine s’écoule, un mois, puis une année, et il reste toujours près de la bourse. (...) Il continue de vivre, en mendiant, oubliant qu’il avait désiré vivre pour son propre plaisir et pour celui des autres.
De temps en temps il prend une grande résolution : il s’approche de la rivière pour y jeter la bourse, mais il s’en éloigne aussitôt. Il est maintenant vieilli, jauni lui-même comme son or, mais il ne peut cesser de tirer des écus. Il meurt ainsi, pauvre, sur son banc, la bourse entre les mains.

Source :


Course mortelle pour possèder plus de terres

Un roi voulait récompenser l'un de ses paysans qui lui avait sauvé la vie. Il lui offrit toute la terre qu'il pourrait parcourir depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher.Le piége géométrique_Hassan Musa_Grandir_1999 Aussi, dès l'aube, l'homme se mit à courir, traversant les champs sans se soucier ni de la chaleur, ni de la faim, ni de la soif, accélérant au contraire sa course à mesure que le soleil déclinait. Et quand l'astre du jour en fut à ses rayons il doubla encore ses enjambés pour gagner quelques arpents de terre en plus. Puis, à la dernière lueur du globe de feu disparaissant à l'horizon, il s'abattit sur le sol, étendant encore ses mains crispées pour ne pas perdre une motte de la précieuse terre... Hélas il ne se releva pas. Sa course l'avait tué.
A ce moment-là passait justement un riche religieux. Il se pencha sur le cadavre et lui dit :
- Ô paysan, pourquoi désirer tant d'arpents, quand, pour ton repos éternel, six pieds de terre te suffisent ?

Dans l'atelier du philosophe :
Voilà un texte (un de plus) sur le désir insatiable des hommes.. Mais au fond, n'est-il pas logique que ce paysan qui n'a rien veuille beaucoup de terre ? N'est-ce pas plutôt le roi, qui a tout, qui devrait être blâmé de n'avoir donné plus simplement une partie de ses biens. Quand à celui qui a inventé de ce conte, de quel côté se situe-t-il ?

Sources : Philo_Fables_PIQUEMAL-

  • Les philo-fables, Michel Piquemal, Albin Michel, 2003, La tombe du paysan, conte bulgare, p 84-85.
  • Le piège géométrique, conte soufi du Soudan, Hassan Musa, Grandir, 1999


2/ L'argent achète PRESQUE tout, mais ...

Les mains blanches :
Avec l'argent ce qui est noir devient blanc.

Résumé à ma façon :

Trois garçons courtisent la même fille : l'un est marin, l'autre boulanger, le troisième coiffeur. Tous les jeunes gens se connaissent depuis l'enfance. La mère demande à sa fille d'en choisir un mais elle n'arrive pas à se décider. La mère trouve uen solution pour les départager sans avoir à choisir à sa place : sa fille prendra pour mari celui qui a les mains les plus blanches. Rendez-vous est pris pour le dimanche prochain. Le boulanger, les mains toujours dans la farine, a toutes ses chances : le coiffeur sont toujours bien propres, très blanches aussi ; le marin ne dit rien et baisse la tête car c'est lui qui assurait l'entretien du moteur du bateau.
Le lendemain, son patron de pêche voit son air abattu et le rassure : il lui demande de passer chez lui dimanche prochain avant la confrontation, il lui donnera de quoi blanchir ses mains : il est sûr qu'il aura la fille. Ceci dit, il l'envoie s'occuper du moteur. Le marin se dit que son patron a entière confiance en son remède, et il reprend espoir ...

http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpegLe jour dit, le vieux marin sort d'un tiroir une bourse de cuir et en verse le contenu sur la table : des louis d'or ! Il les compte puis les mets dans la main du jeune marin :
- Je te les prête, tu mes les rendras lundi. Quand les deux autres galants auront montré leurs mains, tu tendras les tiennes pleines de pièces d'or. Je suis prêt à parier ma prochaine cargaison qu'on te donnera la préférence.

Le dimanche décisif arrive. Les trois garçons ont bien nettoyé leurs mains, surtout le marin après une semaine de mécanique ... mais il est confiant. Après que chacun ait savouré le dessert préparé par la fille, la mère dit solennellement :
- Voyons maintenant lequel a les mains les plus blanches.
Le boulanger présente ses mains :
- Tes mains sont bien blanches, mais il reste un peu de pâte sour un des ongles ...
C'est le tour du coiffeur, qui se voit déjà choisi ...
- Il s'en faut de peu que tes mains soient aussi blanches que celles du boulanger ...
http://www.7sur7.be/static/FOTO/pe/3/2/12/large_707202.jpgLe marin s'est levé, les mains dans les poches. Il les sort emplies de louis d'or ... La mère est enthousiaste :
- Ah ! Ma fille, je n'ai jamais vu de mains aussi blanches, voilà vraiment celui qu'il te faut !

Source :

  • Contes des sages de Bretagne, Jean Muzi, Seuil, 2010, pp 171-179.


Ce qui ne s'achète pas

  • Ce qui est gratuit parait sans valeur lorsqu'on veut le donner sans contrepartie. Le don parait suspect dans un monde où les échanges sont basés sur l'argent, le don appelant un contre-don.

Sophios, le philosophe, demande à ses élèves de charger une charrette de tout ce dont nous n'avions plus besoin, et Sophios fit de même. Puis, nous avons parcouru les rues de la ville afin d'offrir tous ces objets aux passants. Mais comme le maître s'y attendait, les gens se détournèrent : ils refusaient ces marchandises qui n'étaient pas à vendre ; cela leur semblait suspect...
- Regardez comme on considère aujourd'hui ceux qui donnent : on se méfie, ce sont des parias, des pestifèrés. Ce qui ne s'achète pas n'a plus de valeur en ce monde. Pourtant les vraies valeurs ne s'achètent pas.

PIQUEMAL_Fables de Sophios_Albin Michel-2004 x100
Source :

  • Petites et grandes fables de Sophios, Michel Piquemal, Albin Michel, 2004, Ce qui ne s'achète pas p 95.


  • Les vraies valeurs ne s'achètent pas.


Les vraies valeurs de la vie ? C'est ce que l'argent ne peut pas acheter : la santé, l'amour... Paulo Coelho

Le temps est plus précieux que l’argent car vous pouvez obtenir plus d’argent mais vous ne pouvez pas obtenir plus de temps. Jim Rohn

L'amour est plus précieux que la vie ; l'honneur plus que l'argent : Mais plus précieux que tous deux, la parole donnée. Edmund Spenser / La Reine des fées, poète anglais né en 1552.

Quel est en ce monde le plus précieux des biens ?

Caravane_Touareg_Mali_2006_LoïcBaron_http://baron.loic.free.fr/Mali/DOC/Rapport.Mali.htmlAlors que la caravane du grand marchand Abdourahmane campait dans le désert après un fructueux voyage, des nomades et leurs chameaux faméliques vinrent demander l'hospitalité. Abdourahmane les reçut comme on doit recevoir tout étranger et se lia d'amitié avec ces hommes qui n'avaient rien. Il leur offrit des outres d'eau pour qu'ils puissent reprendre leur voyageoutre_guerba-trepied_https://cultpatr.blogspot.com/2017/02/recipient-traditionnel-deau-et-de-lban.html. Le chef des nomades accepta le cadeau mais promit de lui ramener les outres au grand caravansérail de Tassili, point de rencontre annuel de tous les marchands. Ce serait l'occasion de se retrouver, de rendre les outres et d'entretenir leur amitié.

Lorsque les nomades eurent disparu à l'horizon, Abdourahmane expiqua à son fils combien eux, les marchands, étaient plus heureux parce qu'ils disposaient de maisons, de tapis, d'eau en abondance et de nourriture à profusion.

Arrive le temps du rendez-vous. Mais Abdourahmane n'est pas présent au caravansérail comme prévu. Le chef des nomades, inquiet de ne pas le voir, demande où il pourrait le trouver et, toujours chargé des outres de cuir, part à sa rencontre. Après dix jours de marche forcée à travers le désert, il rejoint la caravane du marchand et lui rend ses outres. Il est reçu en ami par le marchand étonné qu'il l'ait cherché si loin pour honorer sa promesse.

Lorsque leurs routes se séparèrent, le riche marchand explique à son fils qu'il ne sait plus s'ils sont vraiment plus riches que seigneurs du désert, ces misérables en apparence, car, si eux, les marchands possédaient beaucoup de biens matériels, les nomades avaient gardé la liberté, le sens de l'amitié et le respect de la parole donnée, valeurs que l'on tient en haute estime et qui n'ont pas de prix.


Source :

  • Petites et grandes fables de Sophios, Michel Piquemal, Albin Michel, 2004, La parole donnée, p 117.


3/ Qui possède qui ?

Un derviche est un sage qui ne possède rien et que rien ne possède. (voir le conte Le derviche et le marchand en ligne ici). Un conte illustre ce choix de vie lorsque le personnage principal refuse une haute fonction qui lui apporterait puissance et argent pour garder sa liberté dans une vie plus simple.

Qui possède qui ?

Un homme, connu comme philosophe, visite un de ses lointains cousins qui, dit-on, a fait fortune.
A son arrivée, son cousin lui fait visiter sa maison et lui montre toutes les merveilles qu'elle conient. Mais au moment de partager le repas, il s'excuse : il n'a pas le temps car il a des comptes à finir, un dossier urgent à conclure ; il se contente d'un morceau de fromage et d'un bout de pain.
Le lendemain, le visiteur repart et propose à son cousin de faire un bout de chemin avec lui.
- Malheureux ! Je ne peux m'absenter comme ça : il faut que je ferme tout à double tour de peur d'âtre volé et cela prendrait trop de temps de faire le tour de la propriété.
Le philosophe constate qu'effectivement, son cousin doit peu sortir : il est tout pâle. En plus il l'a vu avaler toutes sortes de petites piules comme s'il était gravement malade : pillules pour le stress, pour dormir, pour avoir plus d'énergie ...
- Tu ferais bien pourtant de t'offrir quelques jours de congé. Profite de tes richesses, prends du bon temps, tu l'as mérité !
- Ce n'est pas si simple. J'ai emprunté beaucoup d'argent pour poser ces portes blindées, un système d'alarme, refaire un mur de clôture, séuriser ma piscine ... Il me faut travailler pour rembourser.
- Es-tu bien sûr que tu possèdes tout cela ? N'est-ce pas plutôt ton argent, tes richesses et ta vaisselle dorée, tes couverts en argent, tes oeuvres d'Art, qui te possèdent ?

Source :

  • Petites et grandes fables de Sophios, Michel Piquemal, Albin Michel, 2004, Qui possède qui ?, p 82.


4/ Antidote :

Ni trop ni trop peu ...
Eloigne de moi la fausseté et la parole mensongère ;
Ne me donne ni pauvreté, ni richesse, ... Proverbes 30;9

Un exemple : Diogène

Diogène, philosophe grec de l'Antiquité, a fait le choix de préférer la liberté à la richesse et au confort : il a refusé d'être possédé par l'amour de l'argent, ou des règles en société. Diogène vivait dehors, dans le dénuement, vêtu d'un mauvais manteau, muni d'un bâton, d'une besace et d'une écuelle. Dénonçant l'artifice des conventions sociales, il préconisait une vie simple, plus proche de la nature. Il s’est autoproclamé avec fierté « citoyen du monde » et a utilisé son caractère facétieux pour porter atteinte au bon ton et à cette société hypocrite, qui avait rendu riches quelques privilégiés au prix du malheur et de la ruine du plus grand nombre.

On raconte que Diogène sommeillait contre le tronc d'un arbre lorsqu'un riche marchand passa près de lui.
- Mes affaires se portent à merveille, aussi je voudrais t'en faire profiter. Prends cette bourse pleine de pièces.
Diogène le regarda sans faire un geste.
- Allons, prends-la. Je te la donne car je sais que tu en as bien plus besoin que moi.
- Ah bon dit Diogène, tu as donc d'autres pièces comme celles-là .
- Oui, bien sûr, j'en ai beaucoup d'autres.
- Et tu n'aimerais pas en avoir encore beaucoup plus ?
- Si, bien sûr !
- Alors garde cette bourse et ces pièces, car tu en as plus besoin que moi.


Un jour, alors que Diogène soupait d'un frugal plat de lentilles, il est interpellé par Aristippe, philosophe qui faisait partie des courtisans du roi.
- Tu vois, si tu apprenais à plier devant le roi, tu ne serais pas contraint de te contenter de déchets, ou d'un pauvre plat de lentilles
Diogène le foudroya du regard :
- Si tu avais appris à te contenter de lentilles, tu n'aurais pas à ramper devant le roi !


Sources :Philo_Fables_PIQUEMAL

  • Les philo-fables pour la Terre, Michel Piquemal, Albin Michel, 2010, Diogène et le marchand, pp 49-50.
  • Les philo-fables, Michel Piquemal, Albin Michel, 2003, Diogène et les lentilles, pp 46-47.



La bonne fortune à prendre ou à laisser ?

Le mendiant sur la place du village n'avait rien, pourtant il souriait tout le temps. Cette éternelle bonne humeur finit par excéder le calife qui juge que c'est là une forme d'arrogance insupportable. Si les pauvres sont plus heureux que les riches, à quoi cela sert d'accumuler terres et possessions ! Il fait jeter le mendiant en prison.
Mais la bonne humeur de notre mendiant ne se ternit pas : logé, nourri, il passe ses journées à raconter des blagues aux autres prisonniers. Les gardiens eux-mêmes trouvent leur vie plus légère avec un tel prisonnier. Lorsque le calife vient visiter la prison, il voit le mendiant en train de conter et mimer une baignade imaginaire : la geôle n'est qu'un grand éclat de rire. Le calife, accablé, ordonne aussitôt de faire libérer cet homme qui pervertit l'ambiance de répression par un rire subversif.
Le calife convoque son vizir pour une réunion extraordinaire. Le vizir caresse sa barbe, réfléchit un instant, puis une illumination traverse ses yeux :
- Je crois avoir trouvé la solution : nommons le Grand Collecteur des Impôts, avec un gros salaire ; il croulera sous les responsabilités, les problèmes, l'ambition le gagnera et il perdra le sourire ...
Le vizir disait sans doute vrai mais ... le mendiant refuse poliment cette bonne fortune suspecte qui lui tombe sur la tête. Depuis, le calife cherche toujours le moyen de lui faire perdre son sourire.

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Source :

  • Petites et grandes fables de Sophios, Michel Piquemal, Albin Michel, 2004, La bonne fortune, p 111.
  • Ne vous faites pas de trésors sur la terre, là où les mites et les vers les dévorent, où les voleurs percent les murs pour voler. Mais faites-vous des trésors dans le ciel, là où il n’y a pas de mites ni de vers qui dévorent, pas de voleurs qui percent les murs pour voler. Car là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur. Mathieu 6:19-22


5/ Question de perspective

Pauvre ou riche ?

Un jour, le père d'une très riche famille amène son fils à la campagne pour lui montrer comment les gens pauvres vivent. Ils y passent quelques jours sur la ferme d'une famille qui n'a pas beaucoup à leur offrir.
Au retour, le père demande à son fils :
- As-tu aimé ton séjour?
- C'était fantastique, papa !'
- As-tu vu comment les gens pauvres vivent ? Qu'as-tu appris ? demande encore le père.
- Merci Papa de m'avoir montrer tout ce que nous n'avons pas. J'ai vu que nous n'avions qu'un chien alors qu'ils en ont quatre.campagne-lac-chien_https://dogsonholiday.fr/fr/vacances-avec-votre-chien/ Nous avons une piscine qui fait la moitié du jardin et ils ont une grande crique. Nous avons des lanternes dans notre jardin et eux ont des étoiles partout dans le ciel. Nous avons une immense galerie à l'avant et eux ont l'horizon. Nous avons un domaine mais eux ont des champs à perte de vue. Nous avons des serviteurs alors qu'eux servent les autres. Nous achetons nos denrées et eux les cultivent. Nous avons des murs autour de la propriété pour nous protéger. Eux ont des amis qui les protègent.
Le père en resta muet.

Trop souvent nous oublions ce qui nous est acquis pour nous morfondre sur ce que nous n'avons pas. Ce qui est un objet sans valeur pour quelqu’un peut très bien être un trésor pour un autre. Ce n'est qu'une question de perspective. C'est à se demander ce qui arriverait si nous avions de la gratitude pour tout ce que nous avons au lieu d'en vouloir toujours plus. Apprenons à apprécier ce que vous avons. Retrouvons nos yeux et notre cœur d’enfant.

Voir ou vouloir possèder

Il y avait un homme très riche. Il y avait un homme très pauvre. Chacun d'eux avait un fils et chacun d'eux vivait de part et d'autre d'une grande colline.
Un jour, l'homme très riche fait monter son fils au sommet de la colline et, embrassant tout le paysage d'un grand geste du bras, il lui dit :
- Regarde, bientôt tout cela sera à toi !
Au même instant, l'homme très pauvre fait monter son fils sur l'autre versant de la colline et, devant le soleil levant qui illuminait la plaine, il lui dit simplement :
- Regarde !

Notre société a peu à peu dévalorisé tout bonheur gratuit, pour ne glorifier que la possession et l'achat. (...) Mais a-t-on vraiment besoin de posséder quelque chose pour l'admirer et ressentir du bonheur ?

Sources : Philo_Fables_PIQUEMAL

  • Les philo-fables, Michel Piquemal, Albin Michel, 2003, Regarde, p 134-135.


Pour aller plus loin ...

  • CAFE PHILO - POP PHILOSOPHIE : L'argent, un fait social total - Gruissan - 3 novembre 2023, cliquez ici
  • Un livre : Jean-Claude Carrière, L'argent - sa vie, sa mort, Odile Jacob, janvier 2014, 275 pages. Présenté ici. Les Égyptiens tenaient en haute estime le métal argent. Plus tard, surtout après la découverte de l’Amérique et des mines fécondes que les Espagnols se dépêchèrent d’épuiser (et où tant d’esclaves moururent), l’argent déclina, renonça, s’effaça devant l’or. Celui-ci, toujours rare, demeura le seul étalon. Aujourd’hui, que que nous appelons « argent » n’est plus de l’argent, n’est plus du métal, n’a plus de matière, de forme, de poids, de couleur. Les grecs et les Romains, nos ancêtres indirects, pensaient que nous avions besoin d’une obole même après notre mort. Il fallait payer la traversée du fleuve sombre, où nous emmenait Charon le passeur dans sa barque. (…) Besoin d’un peu d’argent pour atteindre l’autre monde, où nous allons être jugés. Au-delà, non. On peut arriver les poches vides. En enfer tout est gratuit. pp 34-35
  • Un article du blog : Consommer ... davantage, mieux ou plus juste ?, cliquez ici.
  • En ligne, un article de la BNF de Corona Schmiele : De l’or à foison : L’argent dans les contes de Grimm, https://cnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/dossier_argent_dans_contes_302.pdf