Un conte en Introduction : L'argent change-t-il nos vies ? - -

Plus on le regarde, moins on le voit. Le miroir au tain argenté

Conte revisité à ma façon :

Un jour, un petit enfant demande à son père :
- Papa, c’est quoi l’argent ?
L’homme réfléchit un moment, puis il l'amène devant la fenêtre.
- Que vois-tu à travers la vitre ?
VanGogh - Chambre à Arles _ 1889 _ Musée d'OrsayA travers le verre, l’enfant voit les gens qui passent dans la rue, ses amis qui jouent au ballon, sa mère qui rentre du marché, la circulation des voitures, et tout ce qui l'entoure : ses proches, les maisons, les arbres, les fleurs, le paysage.
Puis le père va chercher de la peinture d’argent dont il recouvre toute une face d'un morceau de verre ; cela fait le tain d’un miroir.
- A présent, regarde cette glace.

Je me suis déplacée de l'un à l'autre des participants du café-philo assis en cercle pour leur présenter un petit miroir en leur demandant ce qu'ils voyaient ... L'étonnant est que les réponses étaient différentes de l'un à l'autre : Une femme un peu âgée - Quelqu'un entre deux âges - Un homme noir - Une femme brune - Un homme qui réfléchit - Quelqu'un qui paraît fatigué - Une personne pas si vieille que ça - Une jeune femme qui se pose des questions etc ... et heureusement ! enfin ! Moi-même ! ... la réponse attendue ... Car effectivement,

tête_idiot_série MalcomDans cette glace, l’enfant ne pouvait voir que son propre visage.
- Voilà le danger de l’argent, ajoute son père. Il te conduit à ne voir que toi-même

Source :

  • Le miroir et l'argent, conte tiré du livre "Les philo-fables", de Michel Piquemal, éditions Albin Michel, 2003.
  • L'argent, Henri Gougaud, Petits contes de sagesse pour temps turbulents, p 84. L'argent est-il si important ? demande un fils à son père. Ils font la même expérience pour conclure ainsi : Retiens donc ceci mon garçon. Quand l'argent t'envahit l'esprit, tu ne vois plus que lui partout. Tu ne vois plus rien de la vie.


Ce qu’on peut voir au soleil est toujours moins intéressant que ce qui se passe derrière une vitre. Dans ce trou noir ou lumineux vit la vie, rêve la vie, souffre la vie. Charles Baudelaire

Présentation de Marcelle - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Introduction de Marcelle :

L’argent comme « fait social global » peut s’appréhender à la rencontre de plusieurs champs : économie, sociologie, littérature, morale, anthropologie, histoire et pourquoi pas théologie. En faire un sujet purement philosophique est difficile, à moins de considérer, comme Canguilhem, que la réflexion philosophique se nourrit des apports des autres disciplines et de notre expérience quotidienne qui est grande en la matière. C’est ce que nous tenterons de faire.


Fait social total : Durkheim Emile (1858–1917), un des fondateurs de la sociologie, développe la notion de fait social total. Un fait social total possède comme attributs fondamentaux la contrainte, l’extériorité et l’inévitabilité.

L'argent, monnaie d'échange : Il est bon de noter au préalable que les échanges économiques ne sont qu’une modalité particulière de l’ensemble des relations d’échanges réglées entre les individus.

Définition de ce que l'on nomme "argent"

L’argent, nous dit le Petit Robert, c’est toutes sortes de monnaies (Métalliques, papier monnaie, scripturales).

Argent renvoie donc à monnaie : La monnaie est un moyen d'échange, à savoir un moyen de paiement ayant une valeur fiable aux yeux de tous. Elle a trois fonctions essentielles :
monnaie_bronze_fals arabo-byzantin-http://www.identification-numismatique.com/t1335-fals-arabo-byzantin-omeyyade-frappee-a-homs-emese

  • Fonction d’intermédiaire des échanges (Payer).
  • C’est une unité de compte (Compter).
  • C’est une réserve de valeur (Être stockée).


Monnaie renvoie plutôt à l’aspect technique financière, tandis qu’argent est plus chargé affectivement. On peut aimer l’argent, mais on n’aime pas la monnaie !

Histoire de l’argent

Troc, libre échange, monnaie :

  • Au tout début, on peut supposer qu’il n’y avait pas d’échanges, mais seulement le vol et la prédation. (on prend ce que l'on trouve sans s'occuper si cela appartient déjà à quelqu'un). Puis vint le troc. C’était un mode d’échange sympathique mais qui avait ses limites. Il supposait la coïncidence de l’offre et de la demande, et la nécessité de l’immédiateté de l’échange.
  • L’utilisation d’objets de valeur a émergé : grains d’orge, grains de sel (D’où vient le terme de salaire), bœuf, coquillages... Peu à peu, ces objets ont acquis une valeur représentative. Ils sont devenus des unités de valeur.
  • pièce-argent-ancienne-http://www.silver-coin-investor.com/World-Silver-Coins.htmlL’utilisation de la monnaie métallique serait apparue vers le 7 ème siècle avant J.C. chez les Grecs d’Asie Mineure. Il s’agissait de pièces avec une marque d’identification de la valeur et l’effigie du roi ou de l’empereur, ce qui avait une fonction d’authentification (Les faux monnayeurs ont toujours été sévèrement punis). Si on peut faire l’histoire de l’apparition de la monnaie, cela ne signifie pas que le troc ou le don contre /don aient disparu).


note 1 : Les fausses pièces du roi de Lydie : Las des négociations interminables lors de tout échange, le roi de Lydie décide que le temps est venu d'inventer une monnaie d'échange et le porte-monnaie qui va avec ! Il demande à son argentier comment le remplir. L'argentier propose de créer des pièces en or, toutes semblables. L'idée plaît au roi mais il craint qu'en inventant la monnaie, on invente une fausse monnaie. L'argentier a la réponse : "il suffira de les marquer du sceau royal qui en garantira "le bon poids et le bon aloi" ! Il est tout de suite nommé "Grand Argentier du Roi". De l'or pris dans la réserve royale sont coulées de nombreuses pièces qui remplissent 9 sacs. Mais le roi, sceptique, ou trop bien habitué à toutes sortes de mensonges, tromperies, vols en tout genre, fait ajouter un sac de fausses pièces, en apparence pareilles aux autres mais d'un alliage plus lourd ce qui donnait l'illusion qu'elles avaient plus de valeur. Les vraies pièces pesaient un gramme chacune, les fausses deux grammes. Le souverain mit au défi l'Argentier de trouver le sac de fausses pièces. L'argentier, riche de son savoir-faire, trouva la solution sur une balance à un seul plateau ! Il ajouta une à une une pièce de chaque sac : une pièce = 1 g, deux pièces = 2 g, trois pièces = 3 g, ainsi de suite. Dès qu'il y a un poids qui ne correspond pas au poids attendu, cela révèle la présence d'une fausse monnaie et le sac d'où elle provient. L'honneur et l'intelligence, des deux hommes ont été ainsi préservées : le roi avait raison mais l'Argentier aussi en démontrant que l'on peut reconnaître une fausse monnaie d'une vraie. C'est devenu plus compliqué avec les billets de banque actuel, une simple pesée ne suffit pas... Qui dit richesse, dit voleur, mais aussi contrôle ... Contes des sages mathématiciens et astucieux, Jean-Yves Vincent, Seuil, 2021 pp 159-162.

Puis la monnaie s’est de plus en plus dématérialisée :

  • Progressivement, la pièce a cessé d’avoir en elle-même une valeur équivalente au chiffre inscrit sur une de ses faces pour devenir une représentation symbolique de cette valeur (Ex : lettres de change, puis papier monnaie...).
  • Dans l’usage de la monnaie la notion de confiance est centrale. Les crises de confiance produisent des Krachs boursiers. La dévaluation de la monnaie peut apparaître comme une trahison.
  • Le développement des échanges monétaires a nécessité la création de lieux de dépôt et de gestion : les banques.

Les échanges entre humains ont acquis une dimension hautement symbolique qui est celle de la monnaie actuelle. Ceci crée entre les individus un lien symbolique réglé et un véhicule d’échange à l’instar de ce qu’est le langage humain.

La monnaie a une double valeur représentative :

  • d’une part elle porte en elle le pouvoir de représenter toutes les acquisitions potentielles qu’elle permet,
  • d’autre part ce n’est qu’une représentation de valeur. Exemple : un billet de 100 euros en lui-même n’est qu’un papier qui ne tient sa valeur que d’une convention, mais il permet d’acheter n’importe quels biens et services équivalents à cette somme.


note 2 : Les Égyptiens tenaient en haute estime le métal argent. Plus tard, surtout après la découverte de l’Amérique et des mines fécondes que les Espagnols se dépêchèrent d’épuiser (et où tant d’esclaves moururent), l’argent déclina, renonça, s’effaça devant l’or. Celui-ci, toujours rare, demeura le seul étalon. Aujourd’hui, que que nous appelons « argent » n’est plus de l’argent, n’est plus du métal, n’a plus de matière, de forme, de poids, de couleur. Les grecs et les Romains, nos ancêtres indirects, pensaient que nous avions besoin d’une obole même après notre mort. Il fallait payer la traversée du fleuve sombre, où nous emmenait Charon le passeur dans sa barque. (…) Besoin d’un peu d’argent pour atteindre l’autre monde, où nous allons être jugés. Au-delà, non. On peut arriver les poches vides. En enfer tout est gratuit. Jean-Claude carrière, L’argent, sa vie, sa mort, Odile Jacob, 2014, pp 34-35. D'autres extraits dans l'article consacré à cet ouvrage ici.

Effets des échanges monétaires sur la vie en société

  • Gain évident en efficacité.
  • Elargissement illimité du nombre de partenaires.
  • Elargissement de la temporalité des échanges (On peut thésauriser pour dépenser plus tard, ou au contraire emprunter pour consommer tout de suite et rembourser plus tard).
  • Contribuer à donner une identité et solidariser des groupes humains par l’usage d’une même monnaie (UE).


Cette évolution des modalités des échanges accentue leur fonction symbolique et marque ce que l’on peut considérer comme un progrès anthropologique. Sans éviter quelques dérives :

  • Cette société monétarisée a produit un humain qui calcule. Tout se vend, tout s’achète ! Il devient même cynique. L’argent tend à s’imposer dans l’univers des valeurs.
  • L’argent établit un système d’équivalence généralisé entre des choses a priori incommensurables.


Ambivalence de l'argent :

L'argent libère du groupe mais asservit car il est indispensable pour vivre dans notre société actuelle.
L'argent permet de réunir des individus liés par les mêmes intérêts économiques et crée des castes au sein de la société.
On l'aime ou on le déteste.

L’argent est libérateur

  • Grâce à l’argent, l’individu préserve son autonomie. Lorsqu’il a payé ce qu’il doit pour un bien ou un service, il est quitte (à l’inverse de la logique don /contre don).
  • Il peut échanger avec des personnes qui lui sont tout à fait étrangères. L’argent concourt à l’homogénéisation de la vie sociale avec l’élargissement du cercle social en rendant possible l’échange avec des personnes extérieures au groupe d’appartenance.

Ce faisant, il contribue à affranchir les individus du contrôle social direct exercé par le groupe.

L’argent agit comme contrainte et entraine des privations relationnelles

  • Il faut impérativement se procurer de l’argent pour l’échanger contre les biens et les services. Il renforce la dépendance réciproque des individus, spécialement dans la vie urbaine.
  • L’argent produit une anonymisation de la vie sociale. Non seulement il nivelle les choses, mais il nivelle les individus. Ceux-ci n’ayant plus besoin de se connaître pour échanger, ils tendent à devenir des anonymes les uns pour les autres. Leur personnalité ou leur statut social n’intervient plus dans l’échange.


L’argent possède des effets paradoxaux d’homogénéisation et de différenciation

Il contribue à homogénéiser et à anonymiser les relations (phénomène renforcé par les commandes par internet), et en même temps il contribue à nous différencier.

  • Exemple : la pratique du salariat, notamment dans les grandes entreprises, a eu un effet d’homogénéisation des travailleurs, ce qui a permis à ceux-ci d’acquérir une conscience de classe et de se regrouper dans des syndicats. Ils sont devenus moins vulnérables individuellement. Par ailleurs, grand progrès par rapport au servage, le patron n’achète que la force de travail (salaire), ce qui libère de son contrôle tous les autres secteurs de la vie du travailleur.
  • L’argent distingue. Il amène des différences très sensibles dans le mode de vie, dans le statut social, dans la structuration de la société en classes sociales, dans les lieux de résidence, les moyens de transport, l’accès aux loisirs et à la culture, sans parler des comportements ostentatoires (voitures, montres, marques ...).


L’argent n’est pas seulement un médium froid. Nous avons avec lui des rapports affectifs complexes

  • Exemple : si on veut se procurer des cigarettes, on peut en trouver dans n’importe quel bureau de tabac. Je pourrais en théorie aller dans le premier venu. Pourtant, tout un ensemble de considérations affectives feront que j’irai ici et pas ailleurs. En principe le fournisseur de ce que je veux acquérir est indifférent et pourtant mon choix ne se fait pas au hasard, mais à partir de préférences affectives pas toujours conscientisées par le consommateur (accueil, musique, clim...)
  • L'argent développe des comportements passionnels : désir d’accumuler (chrématistique) ou de dilapider son argent (l’argent lui brûle les doigts). Le désir d’accumuler peut devenir addictif (Harpagon). Clé_OrCe qui n’est qu’un moyen devient une fin en soi, d’autant que par la spéculation, l’argent produit encore plus d’argent.


note 3 : le désir est insatiable, et la peur de manquer et de voir son monde s'écrouler impose d'avoir toujours plus pour se sentir en sécurité.
si l’argent devient une fin en soi, il se transforme en faim insatiable, une avidité qui n’a aucun sens. Il génère souvent son propre piège, celui du « toujours plus », sans qu’on sache alors à quoi l’employer. (…) L’argent tissait son piège qui n’est autre que la peur qu’il disparaisse, peur de se retrouver pauvre alors qu’on a oublié comment on tenait la tête hors de l’eau, peur de se redécouvrir encore plus fragile. (…) La peur domine et l’argent se laisse vénérer comme antidote à la peur. Un cycle qui peut devenir infernal. On pouvait aussi se débrouiller les poches vides. Toutefois cela demandait d’avoir les reins solides psychologiquement. Antoine Paje, Et elle me parla d’un érable, du sourire de l’eau et de l’éternité – Certaines minutes de notre existence sont cruciales, Fleuve éditions, Pocket, 2015, pp 131-132

L'argent, un fait social total

L’argent ne doit pas seulement être appréhendé à partir du phénomène du marché, mais en tant que support de transactions sociales. Il doit donc être considéré comme un fait social. La prise en compte des significations sociales de l’argent est essentielle pour comprendre les pratiques monétaires, c’est-à-dire les manières de dépenser, d’épargner et de donner de l’argent, et cela bien au-delà de la sphère privée. A titre d’exemple, lors de l’instauration de l’euro, les organismes européens ont fait appel à des psychanalystes pour travailler sur la notion de confiance.

Argent et morale

Tout un univers de moralisme ambivalent s’attache à l’argent. Nous avons avec lui un rapport tourmenté. Trop pingre ou trop dispendieux, trop cigale ou trop fourmi ! L’affaire est toujours compliquée avec les dépenses.

Achats et remise en question de nos choix

  • Est-ce que je suis dans le meilleur rapport qualité/prix ? Est-ce que j’ai vraiment besoin de ce que je vais acheter ? Est-ce que je ne fais pas une folie ? Enigme _ http://francesmq.blogspot.fr/2010/06/des-enigmes-pour-samuser.htmlEst-ce que je ne suis pas en train « de me faire avoir » ? Je peux avoir autant de remords d’avoir acheté l’objet que de ne pas l’avoir acheté. Les professionnels de la vente connaissent ces états d’âme. Ils s’efforcent de lever nos scrupules ! Si les revenus sont très modestes, faut-il manger ou se chauffer ? Doit-on s’interdire ou interdire à ses enfants tous les petits plaisirs ?


Nos ambivalences :

  • On se fustige d’être matérialiste, mais on ne peut pas renoncer à chercher le meilleur rendement pour ses économies. Une grande partie de notre vie est consacrée à gagner de l’argent : gagner de quoi entretenir et améliorer sa vieArgent_mains liées-squelette. On serait blâmé de ne pas le faire. Mais on peut avoir le sentiment de « perdre sa vie à la gagner ».
  • Que dire du succès populaire des loteries qui promettent des sommes mirifiques sans nécessiter de mérite autre que d’avoir investi une petite somme d’argent et du rêve, rêve de quoi... Pourquoi Monsieur tout le monde veut-il tirer le gros lot qui lui ferait égaler la fortune de certains PDG, joueurs de foot, ou capitaine d’industrie qui par ailleurs, le scandalisent.
  • Que dire du fait que pour certaines personnes, l’argent, qui on l’a vu n’est qu’un moyen, devient une fin en soi qui écrase toutes les autres valeurs morales (Harpagon) ?
  • Pourquoi est-il possible que par la spéculation et l’actionnariat, l’on puisse gagner plus d’argent en étant inutile socialement ?
  • Pourquoi attendons-nous de l’Etat des services publics efficaces tout en renâclant devant l’impôt ?


note 4 : Jodorowsky nous rappelle que l'argent n'est qu'un moyen dont il ne faut pas avoir honte. L'argent peut être une bonne énergie, il permet de réaliser de grandes choses, mais dans notre société il est vécu comme quelque chose de honteux car lorsqu'on en gagne beaucoup on est suspecté d'être un exploiteur. L'amour de l'argent nous fait perdre de vue le sens de la vie et enlève toute bonne énergie à l'argent : il stagne (on thésaurise, on l'aime trop) et devient un radeau qu'on a peur de quitter. Un conte zen, Traverser la rivière, illustre ce raisonnement : Un maitre zen disait : Lorsque certaines personnes doivent traverser une rivière en radeau, elle commencent leur traversée mais, par la suite, elles perdent de vue leur objectif. Elles demeurent sur le radeau : il est devenu leur but. Certains pensent que le but dans la vie est de gagner de l'argent. Le but, c'est la joie. Il faut faire de l'argent avec quelque chose que l'on aime vraiment (...) L'argent est (à ce moment-là) une énergie divine (...). Cette énergie peut être employée positivement ou négativement à la construction ou à la destruction. Alexandro Jodorowsky, Le doigt et la lune, Albin Michel, Espaces libres, 1997, Traverser la rivière, pp. 27-28.

Le tout n’est pas d’avoir de l’argent, encore faut-il se l’être procuré de manière honnête, honorable, à la sueur de son front.
http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpeg N’être ni rentier, ni voleur, ni boursicoteur, ni usurier, ni trafiquant, ni joueur, ni spéculateur, ni corrompu, ni corrupteur, pas non plus prostituée. L’argent que l’on croyait un médium neutre se trouverait entaché, il deviendrait sale. Il nécessiterait alors d’être blanchi. Un peu de charité, quelques dons, la création de quelques fondations, quelques expatriations en terre bienveillante peuvent faire l’affaire pour redonner bonne mine à l’argent !

note 5 :

  • Bien mal acquis ne profite jamais, seule une conduite juste préserve de la mort — Proverbe de Salomon, La Bible, Proverbes 10:2.
  • Bien mal acquis ne profite jamais, il faudra bien le restituer un jour ; et vous reconnaîtrez que voler est non seulement un crime, mais encore une folie. — H. Godefroid Thomas, Petits sermons, 1847.


Les institutions n’échappent pas aux complexités liées à l’argent. Est-il juste d'avoir ou de donner (ou non) autant d'argent ?

  • L’histoire de l’Eglise catholique pour ne prendre qu’elle ne manque pas d’ambiguïtés. Au cours des 12 ème et 13 èm siècles de multiples mouvements de protestations sont venus contester le train somptueux du pape et du clergé. Puis il y eut « l’affaire des indulgences », qui a été à l’origine de la réforme. Selon Max Weber les valeurs du protestantisme ont soutenu l’avènement du capitalisme, parce que Dieu récompensait certains. Mais ils doivent en retour financer des fondations.
  • Au niveau des Etats, on retrouve les mêmes contradictions et dilemmes : fallait-il soutenir les entreprises « quel qu’en soit le prix », sachant que l’on creuserait la dette de manière abyssale ?
  • Au niveau de l’Europe, fallait-il maintenir le cap de la rigueur budgétaire, sachant que certains pays seraient mis à genoux ? Les reproches de toute façon seront au rendez-vous !


En conclusion

L’argent on l’a vu n’est pas neutre, il est un fait social total, il est omniprésent dans la vie sociale et économique, dans la subjectivité individuelle et dans la vie relationnelle, dans les Etats et entre les Etats.

Il faudrait essayer de trouver dans la nature même de ce qu’est la monnaie ce qui rendrait compte du rapport trouble que l’on entretient avec l’argent.

  • Ne serait-pas parce que, comme Dieu, il est omniprésent et omnipotent ? Il a une puissance virtuelle indéfinie (celle de représenter la possibilité d’acquisition de presque tout). On peut dire encore que comme Dieu il est entouré de tabous (Il est indélicat en France du moins, de demander à quelqu’un combien il gagne). L’argent nécessite que l’on ait confiance en lui, foi en lui, et pourquoi pas qu’on l’adore ! Ne parle-t-on pas avec quelque raison du Dieu argent. N'est-il pas vertigineux qu’un objet qui fait notre quotidien ait la possibilité (virtuelle) d’assouvir tous les désirs ?
  • Comment s’étonner alors des ambivalences qui nous animent : méfiance et/ou fétichisation.


Quelques pistes de régulation :
L’accroissement scandaleux des inégalités entre citoyens d’un même pays et entre pays du sud et pays du nord demande que l’on évoque quelques pistes de régulation (dans nos sociétés et au-dedans de nous-mêmes).

  • Le communisme avait proposé « à chacun selon ses besoins ». Cela s’est avéré une utopie ravageuse, car c’était méconnaître que l’homme est un être de désir et pas un être de besoin. Et le désir, est on le sait, sans limite.
  • Ce que l’on nomme « l’Etat-Providence » (bien que le mot soit détestable) est un moyen de soutenir les citoyens en difficulté. A charge aussi pour cet Etat de mieux répartir la richesse, par la proportionnalité de l’impôt, les droits de succession, les droits sociaux, les retraites par répartition... La limitation des gains excessifs semble se heurter à des difficultés particulières (la fuite des cerveaux et des capitaux, la perte de l’esprit d’entreprise, etc.).
  • On peut suggérer la sanctuarisation de certains domaines publics, comme la santé, l’éducation, la culture. Sans supposer qu’ils n’ont pas un coût, il faudrait que leur gestion échappe au seul impératif de la logique économique. On est en train de payer le prix de l’idée qu’il fallait gérer l’hôpital comme une entreprise avec la grande mise en difficulté du système hospitalier, car cette logique-là s’est avérée ruineuse.
  • Peut-être pourrions-nous faire appel à la théorie de Rawls (philosophe américain libéral et néo-contractualiste) que l’on peut qualifier de socio-libérale et réaliste ? Elle repose sur l’idée que toute inégalité devrait être justifiée par le bien des plus désavantagés et par l’égalité des chances donnée à tous.


  • On ne peut pourtant pas soutenir, sans faire preuve de cynisme, que « tout se vend et tout s’achète ». La parole est d'argent, le silence est d'or.


Argent-parole-silence_https://www.20minutes.fr/economie/4059759-20231101-toussaint-2023-oui-mort-presque-business-comme-autre

  • L’amitié, l’amour, la dignité, la vie elle-même ont une valeur inestimable, mais n’ont pas de prix.

Argent-coeur-balance_https://www.lavie.fr/mot-clef/richesse/

Proverbes : - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

L'argent ne fait pas le bonheur mais il y contribue. Proverbe français.

L'argent peut acheter une maison, mais pas un foyer. Il peut acheter le lit, mais pas le sommeil. Il peut acheter une horloge, mais pas le temps. Il peut acheter un livre, mais pas la connaissance. Il peut acheter une position, mais pas le respect. Il peut acheter du sexe, mais pas l'amour ! Proverbe chinois

Les vraies valeurs, c'est ce que l'argent n'achète pas Paulo Coelho


Un conte en conclusion : Le derviche et le marchand - - - - - -

Résumé :

Après avoir dilapidé la fortune familiale, un jeune homme tente de se suicider, découvre de l'argent caché et décide de se "refaire" (son père a été prévoyant en organisant cette découverte). Parti avec une caravane de 40 chameaux, il rencontre un derviche qui lui propose de partager un trésor enfoui dans le désert. Le jeune homme s'octroie la totalité du trésor jusqu'à une boîte que le derviche a gardé sur lui. Un onguent magique contenu dans cette boîte permet de voir tous les trésors enfouis dans le sol, mais il ne faut l'appliquer que sur l'œil droit (appliqué également sur l'œil gauche, on devient aveugle). Le jeune homme insatiable, ébloui par tout ce qu'il voit en ayant mis la pommade sur l'œil droit, se dit qu'il verrait encore plus de choses en en mettant sur l'autre oeil ... Le voilà aveugle, aveuglé par son désir inépuisable de posséder encore plus d'argent... Il n'a jamais réussi à retrouver ses 40 chameaux chargés de richesses ...

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Il a erré sans fin ... Seul ... Aveugle ... Il a manqué mourir de soif … une caravane l'a recueilli, lui et ses paroles. Et c'est ainsi que son histoire est arrivée jusqu'à nous...
Pour ce qui est des 40 chameaux … ils sont encore en train de courir dans le désert … Ouvrez bien les yeux … vous pourriez voir passer cette caravane … à moins que vous ne rencontriez le Derviche … qui ne possède rien et que rien ni personne ne possède.
MAIS ... ne vous laissez pas aveugler par tout cet argent : le soleil du désert lui donne un tel éclat qu'il empêche de voir le monde tout autour. Et si on ne voit plus les autres, on finit par se perdre dans un désert de solitude.

Sources :

  • Jihad Darwiche : Le Derviche et le Marchand, Albin Michel Jeunesse, coll. Petits contes de sagesse, 1999
  • Texte intégral en ligne dans l'article Le derviche et le marchand ; cliquez ici