''La simplicité du derviche'' : Difficile de rester pauvre en toute simplicité
Par patricia gustin le mercredi, novembre 15 2023, 00:00 - Petits contes de sagesse - Lien permanent
L'argent est traître ... Le désir de posséder encore plus ...
Plusieurs contes l'attestent. Deux articles précédents en témoignent :
- ''L'argent, un fait social total'' où deux contes sont présentés : L'argent change-t-il nos vies ? et Le marchand et le derviche résumé mais à lire dans son intégralité ici .
- ''L'argent dans les contes'' avec 14 autres contes plus ou moins "argentés" qui révèlent les facettes multiples de l'argent : fascination, désir insatiable, puissance, mais aussi comment résistent ceux qui veulent penser par eux-mêmes et vivre libre.
Et maintenant, un autre conte : La simplicité du Derviche .
Après avoir évoqué la possibilité de résister au pouvoir toxique de l'argent, voici maintenant un autre derviche qui, bien que voulant vivre dans le dénument, se crée bien du soucis : ses bonnes intentions ont été mises à mal par un coeur de bonne volonté mais pas assez aguerri.
Et cric, et crac !
La simplicité du Derviche
L'avertissement mis en exergue du conte nous rappelle qu'un conte peut être interprété selon son coeur ... A nous de le recevoir simplement, comme un derviche, et le conte fera son chemin de lui-même sans interprétation abusive...
Un derviche (du persan درويش, derviš, « pauvre, mendiant ») suit l'enseignement soufie qui prône le dénuement comme voie de recherche spirituelle : Il convient de faire barrage à toutes les convoitises de l'ego et du monde, quelles que soient leurs formes, en vue d'une régénération spirituelle.
Cette histoire ne devrait pas être dite :
Aux ignorants qui ne sauraient l'entendre ;
Aux hypocrites qui s'en sentiraient offensés ;
Aux maîtres d'école qui chercheraient à l'enseigner ;
Aux hommes sans foi ni loi qui voudraient en abuser.
adaptation personnelle du conte :
Un homme décide de se faire derviche : il se dépouille de tout et s'en va vivre dans les montagnes, simplement vêtu d'un linge serré autour de la taille. Une caverne va l'abriter, il se nourrira de racines et se désaltérera à l'eau claire des sources. C'est tout !
C'est vite dit ...
Les habitants de son village, pour lui faire honneur et le conforter dans sa décision, l'accompagnent jusqu'au pied des monts.
Le derviche s'éloigne, mais en marchant il pense qu'il aurait certainement besoin d'un linge de rechange chaque fois qu'il voudrait nettoyer celui qu'il porte. Il aurait dû y penser ... Il redescend au village où on lui fourni un second tissu ...
Pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Mais des souris viennent grignoter son linge de rechange... Le derviche redescend au village où on lui offre un chat ...
Pour chasser les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
A peine remonté, le derviche réfléchit : si lui a fait voeu de pauvreté et s'il est prêt à jeûner, le chat n'est pas du tout concerné ... Il doit maintenant veiller à son alimentation par respect pour cette vie animale. Le derviche redescend au village où on lui donne une jatte de lait ...
Pour nourrir le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Le chat a rapidement vidé la jatte de lait. Le derviche pense alors qu'il lui faudra sans cesse descendre et remonter du village pour nourrir le chat. Que de temps perdu au détriment de la prière !
Le derviche redescend au village où on lui confie une vache ...
Pour emplir la jatte de lait
qui nourrit le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Désormais le derviche se voit dans l'obligation de traire la vache matin et soir plutôt que de méditer. Il redescend au village et un jeune homme veut bien l'accompagner pour l'aider en trayant la vache.
Et voilà un jeune homme ...
Pour s'occuper de la vache
qui emplie la jatte de lait
qui nourrit le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Hélas, après quelques temps, le derviche remarque que le jeune homme est de plus en plus triste : il souffre de solitude.
Le derviche, soucieux du bien-être du jeune homme, redescend au village où on lui présente une demoiselle ...
Pour épouser le jeune homme
qui s'occupe de la vache
qui emplie la jatte de lait
qui nourrit le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Bientôt, le derviche entend l'épouse soupirer : elle se languit de sa famille, d'un entourage familier pour converser et avoir quelques distractions. Le derviche, soucieux du bien-être de la demoiselle, redescend au village chercher parents et amis ...
Pour se joindre à la demoiselle
qui a épousé le jeune homme
qui s'occupe de la vache
qui emplie la jatte de lait
qui nourrit le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Et pour finir, le village entier, artisans et commerçants, ont déménagé en haut de la montagne ...
Pour les nécessités des parents et amis
qui avaient rejoint à la demoiselle
qui a épousé le jeune homme
qui s'occupe de la vache
qui emplie la jatte de lait
qui nourrit le chat
qui chasse les souris
qui grignotent le second tissu
qu'il a pris pour remplacer celui qu'il porte au moment de le laver
Et le derviche peut, enfin !, vivre une simple vie de derviche en prière et en méditation, en toute simplicité ...
Pas si simple de faire simple ...
Pas si facile de vivre sans rien ...
Le peu de choses que l'on possède nous possède ...
Sources :
- Jean-Jacques Fdida, Contes des sages du Maghreb, conte soufi, Seuil, 2015, pp 166-72.
- 10 contes du Maghreb, collectif, Belin Education, Boussole - cycle 3, 2022
lI y a toujours des ermites même chez nous !
- A gruissan (Aude - 11), non loin de la Chapelle des Auzils, perchée tout en haut d'une colline avec vue sur la mer, il y eut longtemps un ermite. A mi-chemin, le jardin de l’ermite offre une halte bienvenue aux promeneurs qui souhaitent profiter de la fraîcheur de cette oasis dans la Clape. Une source alimente toute l’année les espèces méditerranéennes de ce jardin. C’est là que vivaient des hommes qui avaient fait vœu de consacrer leur vie à accueillir et guider les passants dans cette nature âpre et belle. Ils vivaient en autarcie. Leurs noms : Antoine SUDRE (1655), Blaise CAMP (1666), Frère MICHEL (1745), Louis BADIE (1783), et le dernier Ermite, Michel Cyprien, qui s’est éteint en 1888, a laissé des traces de sa présence comme une maisonnette ou un jardin d’agrément. Photos en ligne ici.
- En octobre 2021, frère Antoine, qui occupa durant 50 ans une grotte à Roquebrune-sur-Argens, nous quittait à l’âge de 98 ans. Son ami Laurent a repris le flambeau spirituel... et il recherche le calme. Durant un demi-siècle, celui que l’on nommait frère Antoine vécut dans une grotte creusée par le temps et les éléments dans la paroi du rocher. Un lieu de retraite troglodyte haut perché où l’ermite vivait en communion avec la nature, méditait plusieurs heures chaque jour et recevait la visite de randonneurs et de personnes en quête de sens. (...) Depuis, c’est Laurent Seta qui réside dans la minuscule cavité au plafond bas et à l’aménagement très sommaire. Il a effectué plusieurs voyages spirituels en Inde. Il est un authentique Sâdhu. Il s’est détaché de tout bien matériel. Mais il reste quelqu’un de tout à fait humble et humain. (...) Il cultive une foi qu’il décrit comme universelle, au-delà des religions. Mais au contraire de son prédécesseur, il n’a pas de routine fixe, mais vit au rythme de la nature… Et des visites. C’est ce que Martine Le Cam, biographe et amie de frère Antoine, appelle le paradoxe de l’ermite. "Lorsqu’ils décident de se retirer du monde, c’est le monde qui vient à eux". Pour lire l'article paru dans Var Matin, Le nouvel ermite de la grotte du Rocher de Roquebrune-sur-Argens aspire à la quiétude, cliquez ici.