En Introduction : un proverbe indien - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Pour rompre avec notre petit rituel d'un conte en introduction, un autre conte en conclusion du Café-Philo, et pour faire court car Annie avait beaucoup à dire, j'ai proposé un simple proverbe, mais quel proverbe ! Un proverbe qui a son poids, sans être pesant ... et qui a libéré la joie des participants ...
On peut dire que j'en ai fait des tonnes ... mais avec une certaine légèreté ...

La souffrance peut-être due à une mauvaise perception du monde qui nous entoure, où au désaccord intérieur ressenti devant la vision du monde que l'on nous impose. Que faire lorsqu'on broie du noir, lorsqu'on voit tout en gris et que cela nous pèse ?

Il nous arrive tous, à un moment ou l'autre, de ne pas se sentir dans son assiette, de voir tout en noir, ou en gris ... et, pour aggraver les choses, on peut se sentir encore plus mal de ne pas être bien - dans sa peau, sa vie, son travail, sa famille, son quotidien - en pensant que tout ne va pas si mal pour nous, qu'il y a bien pire ailleurs, que d'autres ont bien plus de raisons de broyer du noir ... A-t-on le droit de voir tout en gris dans ces conditions ?
Je ne vois qu'une solution ... s'inspirer de la sagesse indienne ...
Si cela marche en Inde, cela marche aussi en Afrique ... et pourquoi pas ici ?

PROVERBE INDIEN !!! ...

Quand tu vois tout en gris ... quand l'horizon te semble complètement bouché, comme par un mur gris ...

Elephante_Asie_https://www.20minutes.fr/planete/3239915-20220222-loire-atlantique-planete-sauvage-annonce-mort-elephante-flora-parc-depuis-19-ans

Quand tu vois tout en gris ... déplace l’éléphant !

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Et si l’éléphant ne se déplace pas, déplace-toi !



Présentation de Annie Coll
En finir avec la culpabilité et retrouver la joie - - - - - - - - - - - -

La souffrance est présentée en 7 points, la joie en 7 points aussi. Un exposé brillant, clair et passionnant, enrichi de réflexions philosophiques de divers courants. Un pur régal pour l'esprit ; vivifiant ! et joyeux ...

En résumé, la présentation de Annie Coll en italique, et quelques citations ou réflexions personnelles en note.

Quelques idées clés :

L’obligation de prendre toujours plus de plaisir, le culte de la réussite, sont les lignes de force de notre époque. Dès lors, la souffrance morale est devenue une intruse, un sujet tabou. Les personnes qui vont mal subissent une double peine. Au sentiment d’échec, vient s’ajouter la honte inavouable de la souffrance morale. Il s’agit dans cet ouvrage, de déculpabiliser la souffrance psychique sans prétendre la vaincre.

  • La première partie du livre décline en sept chapitres les modalités de la souffrance, dite ontologique, dans la mesure où elle s’inscrit dans la structure même de notre sensibilité.
  • La deuxième partie explore les ressources de la joie, loin des clichés postmodernes, loin de l’incitation démesurée à la satisfaction de tous les désirs.

Contre les mensonges et fausses promesses de bonheur permanent, il importe de montrer que la souffrance fait partie de la condition humaine, et qu’elle n’enlève rien à la possibilité de la joie, si on sait la tenir à bonne distance.

La souffrance morale :

La souffrance morale est devenue un des derniers tabous. On prétend pouvoir la vaincre, il vaut mieux la taire si l’on veut faire bonne figure. Des applications sont en vente sur les smartphones pour mesurer notre bonheur. La joie serait devenue programmable. A l’inverse, le livre (En finir avec la culpabilité - Retrouver la joie) montre que la souffrance est aussi incontournable que nécessaire, car elle participe de notre humanité et n’enlève rien à la possibilité de la joie. L’ombre est à la lumière dans un tableau l’équivalent de ce qu’est la souffrance à la joie dans toute vie.

  • Note 1 : La souffrance morale est souvent liée au sentiment de culpabiité sans qu'il y ait de faute commise, mais en raison d'injonctions irréalisables, comme l'injonction au bonheur : les publicités nous promettent le bonheur, la sensation de plénitude, la réussite, après avoir acheté telle machine à café, ou cette voiture qui vous transportera dans les plus beaux paysages, tel aliment qui réjouira toute une famille qui s'en trouvera épanouie sans problème aucun, etc. Cette injonction au bonheur provoque bien des douleurs pour celui qui aspire à autre chose, un autre travail, un autre chemin, une autre vie, moins consumériste.


L'Alphabet de la douleur :

Femme pleurant_Van Gogh_ http://ecritscrisdotcom.wordpress.com/2013/01/29/marcel-proust-ephemere-efficacite-du-chagrin/ Cette première partie est consacrée à la description de notre sensibilité qui engendre, par sa vulnérabilité, immanquablement plus ou moins de souffrance. Il ne s’agit pas ici d’évoquer seulement les raisons politiques et économiques de la souffrance, qui, si elles sont évidentes ne sauraient constituer leur seule cause.

Chapitre 1 / La passivité de l’affectivité
Comme le montrent Merleau-Ponty ou Damasio, le corps joue un rôle primordial en tant que réceptacle de nos émotions. Il dicte nos humeurs et nos sentiments. Nous ne choisissons pas nos états d’âme, nous sommes ce que nous éprouvons. Cette force qui s’impose à nous favorise une sorte de désespoir plus ou moins latent. Si l’on sait que cette souffrance indéracinable est notre lot commun, cela peut aider à mieux la supporter, à envisager qu’elle glisse tôt ou tard, d’elle-même, pour que la joie revienne.

  • Note 2 : Accepter la souffrance, qui peut survenir à un moment ou un autre de la vie, comme on laisse passer une vague, permet de limiter l'impact dans le temps et de sortir de là en se posant les vraies questions sur l'origine de cette souffrance car elle peut remonter à nos débuts dans la vie ou même avoir été transmise par la mémoire familiale ; en comprenant enfin le pourquoi cette souffrance, elle part d’elle-même, ou pour le moins s'atténue : au lieu de nous sentir victime, nous voilà redevenu acteur de notre vie.

Chapitre 2 / L’illusion du libre arbitre
Il y a un hiatus entre ce que je veux et ce que je peux. Nous sommes le produit de nos gènes, de notre éducation, de notre milieu, des circonstances. Nous butons sur nous-mêmes, comme l’affirme Paul Audi. Seules de bonnes informations peuvent orienter nos choix, mais nous sommes souvent bien ignorants de ce qui est bon pour nous. Une relation dialectique s’établit entre nos actes et nous-mêmes : ce que nous faisons nous transforme, comme l’explique Bergson.

Chapitre 3 / La solitude existentielle
Notre ADN porte la marque de notre singularité. Chacun est unique et différent. Cet état de fait entraîne un sentiment d’étrangeté et d’incompréhension. Comment communiquer ? Comment savoir si nous sommes acceptés ? Que pense-t-on vraiment de nous ? Nous sommes seuls, inexorablement avec nos pensées et notre histoire. La solitude existentielle est alors porteuse d’anxiété, voire d’angoisse et nous pousse à rechercher des liens salvateurs.

Chapitre 4 / L’infini des faux désirs
Il s’agit d’éviter un double écueil : celui de la censure de type religieux et celui de la démesure postmoderne. Spinoza a raison de dire que le désir est le propre de l’homme. Nous désirons pour aller plus loin que nous-mêmes, et cela nous pousse à créer, à inventer. Hélas, le désir n’a plus de limites et cela entraîne la perte de repères. Plus personne ne sait quel est son rôle : l’homme, la femme, le parent, l’amant, l’époux, l’enfant, le maître. L’individu est sommé de s’adapter à la compétition, à un monde qui va trop vite, il est déboussolé et parfois vaincu.

  • Note 3 : On souffre le plus souvent parce qu’on n’a pas ce qu’on désire (bonheur, amour, argent, travail, santé, la glace à la vanille que tes parents n’ont pas voulu t’offrir parce que ça commençait à bien faire etc). Le désir de posséder est insatiable : au lieu de nous pousser vers la vie il devient mortifère, car il n’est jamais assouvi.


Chapitre 5 / La susceptibilité fondamentale
On nous a trop dit que nous devions être autonomes ; la réalité est que nous dépendons absolument des faits et gestes et paroles de notre entourage. Nous sommes modelés autant que nous contribuons à modeler nous aussi ceux que nous côtoyons en les approuvant ou en les décourageant. Comment, dès lors, échapper absolument au jugement des autres ? Nous pouvons passer outre, une fois ou deux, mais pas si le verdict devient aussi majoritaire qu’écrasant. Cette vulnérabilité vient de nos propres doutes. Rien n’est plus difficile que de s’identifier car nous sommes en mutation permanente, à notre insu. La rudesse des relations sociales imposée par le capitalisme exacerbe cette crainte de n’être rien aux yeux d’autrui, crainte, qui par ailleurs, est la source principale des passages à l’acte violent.

  • Note 4 : On souffre d'autant plus quand notre souffrance fondée, visible ou intérieure, n'est pas reconnue ou acceptée par notre entourage.


Chapitre 6 / Le désir d’être heureux, l’insatisfaction
Le bonheur est une idée souvent toute faite, souvent une idée fausse. Pour être heureux, il faudrait toujours avoir bonne opinion de soi… Il faudrait profiter sans cesse du présent sans impatience, ni angoisse du futur… Il faudrait se contenter d’être ce que nous sommes. Nul ne sait à l’avance ce qui le rendra heureux dit Kant.

  • Note 5 : En ne désirant plus rien, aucun risque de souffrir du manque de quoi que ce soit, mais on tombe alors dans l’ennui qui nous éloigne du désir de vivre.


Chapitre 7 / La mort
La mort ne nous est plus familière, nous la détournons de nos yeux, elle nous fait peur. Nous oublions qu’elle rend à la vie toute sa force, son urgence. Il faudrait changer notre regard et voir la vie comme un cadeau, comme le montre François Cheng, plutôt que de considérer la mort comme un scandale quand elle surgit au terme d’une vie bien remplie, bien sûr. La vraie souffrance pour nous est celle de la mort des êtres que nous aimons plus que tout et qui nous manquent à jamais.


L'omega de la joie

Cette partie est consacrée aux valeurs souvent oubliées, porteuses de joie profonde.

  • Note 6 :tête_idiot_série Malcom L’enfant peut t’apprendre trois choses : il est joyeux sans raison, il ne reste pas inoccupé un seul instant, quand il veut quelque chose, il l’exige avec force. Dov Beer Mezeritch (sage hassidique du XVIII° siècle). Selon Eliette Abecassis (Le petit livre de sagesse - une année de phrases à méditer en 2007, Psychologies, p 32) voilà trois vérités importantes que nous apprend l’enfant :
  1. Il faut être joyeux, simplement, irrationnellement, spontanément.
  2. Ne pas rester inactif car c’est justement par l’acte que la joie vient au monde.
  3. Il faut exiger ce que l’on veut, et se battre pour l’avoir. Les bonheurs ne viennent pas tout seuls comme par magie dans les contes de fées, ils s’obtiennent par la force de la volonté et la persévérance.


Chapitre 1 / L’amitié
Valeur essentielle de l’antiquité, la voilà devenue secondaire de nos jours. L’amitié reste pourtant ce que nous avons de mieux pour jouir de la vie. Elle nous procure la satisfaction d’approuver et d’être approuvé dans notre différence. Elle exige, sans en avoir l’air, des qualités morales, mais reste à la portée de tous. Il faudrait inciter à la cultiver, car l’homme heureux a encore besoin d’amis comme le disait Aristote.

Chapitre 2 / L’amour
L’amour est en danger à cause de l’égoïsme, de la logique d’intérêt. Il ne faut pas le confondre avec les passions dévastatrices où l’on n’aime que soi et où l’autre est anéanti. L’amour est le lieu même de l’illusion et donc source de souffrance, mais s’il est solidement bâti sur le respect, l’estime et le désir sexuel, il devient la plus douce expérience de la vie.

Chapitre 3 / L’érotisme
Il importe de le réhabiliter, car il est trop souvent confondu et réduit à la pornographie répétitive et mécanique. Il a une dimension spirituelle et met en jeu le plaisir de l’imagination, de la créativité et le délice des jeux de séduction.

Chapitre 4 / La nature
La nature nous fait le cadeau de la beauté, dit François Cheng. Son pouvoir est plus grand qu’on ne croit, elle offre échappatoires et ressourcements. Elle nous réconcilie avec nous-mêmes, avec le monde et avec la vie.

  • Note 7 : Qui n'a pas fait l'expérience vivifiante d'une immersion en pleine nature ? (sans moustique de préférence) On se sent relié à ce qui nous entoure, la beauté des paysages, de la végétation, de la faune multiple et variée qui ne se montre qu'à celui qui sait s'oublier pour mieux observer. Faire partie d'un Tout nous renforce et donne sens à la vie : nous sentons que chacun a sa place, un rôle, même minime, à jouer dans l'équilibre et l'harmonie du monde. Ceux qui jardinent et n'hésitent pas à plonger leurs mains (sans gants) dans la terre font une expérience similaire : nous pouvons décharger stress et irritation en pleine terre qui l'absorbera et nous donnera en échange une énergie apaisée et vivifiante. En étant reliés au vivant, nous nous sentons davantage vivants nous aussi, vraiment présents à ce qui nous entoure.


Chapitre 5 / Les plaisirs sensuels
On ne parle que de nos petits plaisirs… Il est temps de dire que le plaisir venu des sens est grand, voire immense. Il faut encore apprendre à se réjouir intensément comme Camus sut le faire et le dire.

Chapitre 6 / Le lien poétique au monde
La poésie est volontiers ridiculisée, aujourd’hui et chez nous, comme le dit très justement Jean-Pierre Siméon. La poésie ne se réduit pas à quelques phrases plus ou moins hermétiques et (ou) creuses. C’est un mode de vie. Dans la mesure où elle impose le silence, où elle invite à contempler le monde, à le recréer, à interroger nos origines et notre devenir, elle devient un acte de résistance contre la réalité préfabriquée à laquelle les médias voudraient nous faire croire.

Chapitre 7 / La joie d’exister
Plus personne, à part les magazines féminins, n’ose donner des conseils pour mieux vivre. La philosophie est pourtant une grande ressource. Il faut donc aller voir du côté de Descartes, Spinoza, Nietzsche… et prendre chez eux ce qui est utile pour nous.

  • Note 8 : selon André Comte-Sponville (Dictionnaire philosophique, Presses Universitaires de France, 2001), La joie naît lorsqu’un désir intense est satisfait, lorsqu’un malheur est évité, lorsqu’un bonheur arrive, ou semble arriver. Jouissance, mais spirituelle ou spiritualisée, elle est l’élément du bonheur. Élément singulier pourtant : on n’imagine pas le bonheur sans elle mais elle peut exister sans lui (quelque soit les difficultés de la vie, on peut avoir des moments de joie). C’est comme une satisfaction momentanée de tout l’être – un acquiescement à soi et au monde ; Épicure dirait : plaisir en mouvement de l’âme ; et Spinoza : accroissement de puissance. Se réjouir, c’est exister davantage : la joie est le sentiment qui accompagne en nous une expansion, ou une intensification, de notre puissance d’exister et d’agir. Il y a dans la joie une mobilité spécifique, qui est sa force et sa faiblesse. Quelque chose en elle – ou en nous – lui interdit de durer. C’est le plaisir – en mouvement et en acte – d’exister plus et mieux.


J’en retire sept enseignements que je développe. Extraits du livre ci-dessous :

Comment vivre mieux ?

  1. Prendre de la distance vis-à-vis de la souffrance
  2. La générosité, au sens que lui donne Descartes : Descartes ne croit pas en une méchanceté intrinsèque de l'homme. Nous croyons bien agir et tout se retourne contre nous parce que nous ne détenons pas les éléments pour éclairer nos choix. La générosité, comme précepte de conduite, suppose que l'homme veut vivre en paix avec ses semblables pour peu qu'on le laisse tranquille. Elle montre que la solidarité donne une douceur essentielle.
  3. Assumer son passé : s'il faut être généreux avec les autres, autant l'être aussi avec soi-même et ne pas se juger trop sévèrement.
  4. L'art : en nous projetant hors de nous, nous vérifions notre aptitude à ressentir.
  5. L'action : la vie ne se contente pas de contemplation. L'homme a besoin de monter de quoi il est capable, de laisser sa trace, c'est ainsi, dit Hanna Arendt, qu'il se différencie de l'animal, en luttant, par son action, contre la mort et l'oubli.
  6. "Vis pour autrui, si tu veux vivre pour toi" (Sénèque, Lettres à Lucilius, Flammarion, 2017) "Nous sommes fiers d'être utiles, nous avons besoin de faire du bien, et tant mieux si cela nous fait encore plus de bien à nous-mêmes."(Mauss, Essai sur le don)
  7. Le Commun, une utopie ? Le sort qui nous est réservé dans la société industrielle capitaliste est celui de l'isolement. (...) Le but recherché serait de relier en permanence les personnes entre elles, de faire en sorte que chacun soit toujours encouragé par le groupe, reconnu pour sa participation. Que nul ne se sente inutile ou rejeté mais rien n'interdirait à ceux qui ont besoin de s'isoler et de le faire. (...) Cela n'exclut pas les heurts et quelques souffrances inhérentes à la condition humaine, mais il me semble que l'angoisse de la solitude et l'addiction médiatique sont les pires poisons qui nous soient donnés aujourd'hui, propices à entretenir une passivité absolue par rapport au système économique qui opprime l'humanité et la détresse qui va avec. Cette nouvelle idée porte désormais le nom de Commun. Elle ne désigne pas seulement les biens communs de l'humanité qui sont l'eau, la tere, la santé, l'éducation mais aussi une façon de gérer ensemble leur usage.


Conclusion

silhouette_en_marcheCet ouvrage (En finir avec la culpabilité - Retrouver la joie) dénonce les mensonges, les erreurs et les oublis de notre époque dont les effets sur la souffrance sont dévastateurs.

Bercer les jeunes gens d’illusions en leur faisant croire qu’ils ont toutes les chances, qu’ils sont maîtres du jeu, relève de l’imposture. On fait miroiter tous les possibles, pour mieux condamner et exclure ensuite. A la souffrance matérielle, générée par les injustices du capitalisme, s’ajoute une souffrance morale inégalée qui se double d’une effarante culpabilité.

Il est alors urgent de montrer quelles sont les valeurs plus sûres, de promouvoir le besoin de partage, et de ne pas occulter notre vulnérabilité qui est le signe de notre belle complexité.

  • Annie Coll, En finir avec la culpabilité - Retrouver la joie, préface de Michel Tozzi, Chronique sociale, Comprendre les personnes, 2022, 14 euros.


Un conte en conclusion : Le cordonnier de Bagdad - - - - - - - - - - - -

Ce conte a déjà été publié dans une autre article : A chaque jour suffit sa peine, en décembre 2011, cliquez ici. Mais comme mon conte évolue, comme moi au fil du temps, des âges, selon le vécu ou ceux qui écoutent, j'ai glissé quelques petits détails nouveaux dans le résumé. A vous de comparer avec le texte dont je me suis inspiré.

Résumé - Adaptation personnelle :
Certains, plus prévoyants que d'autres, économisent par crainte d'un coup dur, d'un revers de fortune, d'un accident ... Ils ne voient ou n'attendent de la vie que les problèmes et s'isolent : angoisse et tristesse sont au rendez-vous ...
D'autres préfèrent vivre au jour le jour, savourent les petites joies de la vie sans penser au lendemain. Mais comment faire face aux aléas ? En sachant s'adapter et avec une bonne dose de débrouillardise pour saisir chaque occasion de rebondir... ce qui n'est pas donné à tous ... Pour s'extraire des difficultés quotidiennes une bonne dose de joie de vivre est nécessaire.

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Babouches_Courelle2Le cordonnier de Bagdad vit au jour le jour : il coud des babouches tout le jour et le soir dépense tout pour faire de chaque soir une fête en famille : il rit, mange, boit, chante, et cela suffit à son bonheur.
Cette nuit-là, le calife de Bagdad se promène la nuit dans la ville, déguisé en porteur d’eau : il veut mieux connaître la vie d’un homme du peuple. Il voit comment vit ce cordonnier imprévoyant, sans aucune conscience de la précarité de sa vie, qui dépense sans remords au lieu de garder quelques économies pour mettre sa famille en sécurité si les temps se font plus durs. Il risque de le regretter … Le calife veut lui donner une leçon pour lui apprendre à vivre.
- Mais si l'on fermait ton échoppe ? Que deviendrez-vous, toi, et ta femme, et tes enfants ?
- A mon pire ennemi je ne souhaiterais pareil malheur ! Mais bah ! … un homme qui sait réfléchir et qui ne craint pas le travail trouve un moyen de s'en tirer.

Porte_rustique_http://www.portesantiques.com/portes-d-entree/entree-rustique-avec-barreaux/t1_f29Le lendemain, le calife fait fermer par décret la boutique du cordonnier, classée commerce non-essentiel !

rires de l'assistance à qui cette qualification a rappelé quelques souvenirs liés au confinement Covid ...

Le cordonnier fait des petits boulots et peut faire un vrai festin le soir, à la grande surprise du calife qui va le visiter, toujours sous l'apparence d'un porteur d'eau. Voyant le porteur d'eau à sa fenêtre, le cordonnier l'invite à entrer :
- Bonsoir, ami ! Entre, viens t'asseoir à notre table ! … Est-ce que tu sais ? Par ordre du calife -que les mauvais rêves le visitent chaque nuit !- on a fermé mon commerce ! On m'a enlevé mon gagne-pain. Que faire ? Je suis allé chez les voisins, j'ai scié du bois pour l'un, j'ai porté de l'eau pour un autre, j'ai repeint l'entrée chez le troisième… et le soir venu, j'avais tout de même gagné de quoi nourrir ma famille…
Le calife est très contrarié ... La leçon n'a pas portée ... Il cherche un autre moyen, non pour nuire au cordonnier mais pour le convaincre, et aussi montrer la supériorité de son esprit, la sagesse de ses décisions qui doivent rester incontestables.

Le lendemain, le calife convoque notre cordonnier :
- Mes jardins sont très mal entretenus. Hier j'ai vu un pétale de rose qui traînait au milieu d'une allée. J'ai envoyé mon garde surveiller le travail des jardiniers. C'est toi qui vas le remplacer, puisque tu es sans travail, cela te fera faire quelques heures d'activité hebdomadaires, nouveau décret ! Prends ce sabre et va monter la garde devant ma porte.
Sultan_Zanzibar_Khalifa_ibn_KharubToute la journée, le pauvre cordonnier reste immobile devant la porte du calife s'appuyant le dos au mur tant qu'il n'y a personne pour le voir, et se redressant sitôt qu'il entend des pas. A la tombée de la nuit, le calife lui ordonne de rentrer chez lui mais d'être présent à son poste dès l'aube. Le calife calcule qu'il pourrait dès le lendemain, ou un jour prochain, faire apporter en guise d'indemnité, un panier bien garni à la famille affamée du cordonnier afin que partout on loue sa générosité et sa grande sagesse qui font incontestablement de lui le meilleur guide souverain de cette bonne ville de Bagdad !

Ne pouvant pas faire de petits boulots pour nourrir sa famille, le cordonnier vend le sabre et le soir c'est un festin pour tous et même les voisins ! Il invite le porteur d'eau à partager ce bon moment !
- Ne me parle pas du calife ! Que les puces et les punaises de lit le dévorent ! J'ai passé la journée à user mon dos contre sa porte. Je suis rentré à la maison : rien à manger, rien à boire… Alors j'ai regardé ce grand sabre que l'on m'avait donné pour la parade, bien entendu ! Tout le monde sait que notre calife est un âne, mais il n'est pas encore complètement fou ! Il n'a pas l'intention de me faire tuer quelqu'un avec ce beau sabre qui doit coûter très cher… Je suis allé vendre le sabre et j'en ai tiré plus d'argent que je n'en gagne en trois jours. Et, à sa place, j'ai mis dans le fourreau un sabre de bois que j'ai fabriqué. Il fera tout aussi bien l'affaire… Après tout… lorsqu'on empêche un homme de gagner honnêtement sa vie, on doit s'attendre à être volé

Le calife est furieux ! Ce cordonnier semble au-dessus des lois ... comme suspendu ... et en plus, il ose traiter le calife d'imbécile, et, plus fort, il l'accuse d'être un âne !!! Le lendemain, il ordonne au cordonnier en uniforme qui a repris son poste de garde du palais, de trancher la tête d’un homme accusé de lèse-majesté: c'est un terroriste qui a renversé un plat de loukoums ! Le cordonnier hésite ... Le calife hurle :
- Sors ton sable et coupe lui la tête, c'est un ordre ! et si tu ne t'exécutes pas, c'est toi qui sera exécuté, la tête tranchée !

Comment va-t-il faire ? ... Il joue sa tête, tout de même ...

Le cordonnier met la main sur l'étui du sabre, lève les yeux au ciel et déclame bien haut :
sabre_de_bois- Que le sort en décide ! Si cet homme est coupable il mourra de ma main. Mais s'il est innocent, comme je le pense, que la lame de mon sabre d’acier se transforme en sabre de bois !
Le cordonnier sort le sabre du fourreau et prend un air étonné et ravi ...

Tout le monde rit ...

Le calife rit aussi, que pouvait-il faire d'autre ? et le remercie pour la leçon de sagesse qu’il vient de lui donner :
- Rentre chez toi, cordonnier. Ouvre ton échoppe et continue à vivre comme tu as toujours vécu. Quoi qu'il arrive, tu sauras te sortir d'affaire ! Va en paix et sois heureux ! Et surtout, garde en toi cette joie dans les petites choses de chaque jour malgré les difficultés : c'est ton plus grand trésor !

Le cordonnier est rentré chez lui, et depuis, il continue de vivre comme il a toujours vécu. Toute la journée il coud des babouches, et le soir avec sa famille, il mange, boit, rit, et chante, le cœur léger.
Puissiez-vous en faire autant chaque soir de votre vie, ô vous qui m'écoutez, qui avez reçu ce conte comme des seigneurs et des princesses ; gardez cette joie en vous, car c’est une richesse : c'est l’étincelle de vie qui fait avancer et trouver des solutions pour une vie meilleure.

Ce n’est pas en se tourmentant pour les problèmes quotidiens qui arrivent (pourquoi moi ?) qu’on allongera sa vie d’un pas, et qu’elle sera meilleure, au contraire !

Sources :

  • Le cordonnier de Bagdad, Luda, Flammarion, coll. Cadet Castor, 1985.
  • Le cordonnier de Bagdad, conte de Luda, 365 contes en ville, Muriel Bloch, Gallimard-Jeunesse, Giboulées.
  • Le cordonnier de Bagdad, un conte d'Orient, revisité par Luda, et conté par Sarah'Conte-moi. Tel est pris qui croyait prendre ...
  • Ahmed, le cordonnier de Bagdad, Texte en ligne ici.
  • Le forgeron, un conte des mille-et-une nuits. Vous pouvez consulter ce récit dans le recueil intitulé ''Mille ans de contes arabes", choix et adaptation des textes de Jean Muzi. Milan, 2002.

Haroun al-Rachid allait par les rues désertes de Bagdad quand, soudain, lui parvint l’écho d’une chanson joyeuse. C’était la voix d’un homme heureux. Le calife était si triste qu’il lui vint l’idée de frapper à sa porte pour lui parler, s’en faire un ami et tenter d’acheter un peu de sa bonne humeur et de sa gaieté.
Le Calife interdit aux forgerons de travailler pendant trois jours. Le premier jour, l'homme heureux trouve de l'argent auprès d'un cordonnier endetté. Le deuxième, il se déguise en garde (armé d'un sabre en bois). Le troisième jour, le forgeron est effectivement engagé comme garde du calife et est chargé de trancher la tête d'un criminel avec son sabre en bois...
Le calife, amusé par ce forgeron très malin, décide qu'il deviendra membre de sa cour, continuant de travailler chez son patron à la forge durant la journée, puis le soir il prendra place à la table du calife pour l'aider à garder sa bonne humeur.