Résumé du café-philo animé par Annie Coll :

L’obligation de prendre toujours plus de plaisir, le culte de la réussite, sont les lignes de force de notre époque. Dès lors, la souffrance morale est devenue une intruse, un sujet tabou. Les personnes qui vont mal subissent une double peine. Au sentiment d’échec, vient s’ajouter la honte inavouable de la souffrance morale. Il s’agit dans cet ouvrage, de déculpabiliser la souffrance psychique sans prétendre la vaincre.

  • En première partie sont présentées en sept points les modalités de la souffrance, dite ontologique, dans la mesure où elle s’inscrit dans la structure même de notre sensibilité.
  • La deuxième partie explore en sept points les ressources de la joie, loin des clichés postmodernes, loin de l’incitation démesurée à la satisfaction de tous les désirs.

Contre les mensonges et fausses promesses de bonheur permanent, il importe de montrer que la souffrance fait partie de la condition humaine, et qu’elle n’enlève rien à la possibilité de la joie, si on sait la tenir à bonne distance.

Tous ces points évoqués sont exposés dans l'article précédent :
Café-Philo : Retrouver la joie - Gruissan - 15 mars 2024

La souffrance fait partie de la vie

On peut se sentir coupable parce qu'on ne répond pas aux exigences de la société, l'injonction au bonheur notamment. Changer son regard sur le monde, et sur soi-même, permet de dépasser la souffrance et vivre la joie.

Les deux vies du sultan :

Le sultan s’en veut d’être triste alors qu'il a tout pour être heureux, apparemment ... Grâce à un cheikh un peu médecin, un peu magicien, il voit que sa vie aurait pu être autre, moins paisible et bien plus difficile. Il prend conscience de sa chance en voyant vraiment tout ce qui l'entoure et en appréciant sa vie à sa juste valeur. Mieux, il découvre toute la valeur de la joie au quotidien.

Résumé :

Turkish School "Sultan Mahmud I of Turkey (1696-1754)Le sultan Mahmoud avait des accès de tristesse sans cause ; à ces moments-là, la vie lui semblait fade et dénuée de toute signification. Dans ces moments-là, il enviait le sort des paysans qui chantaient courbés sur les sillons de la terre. Pourtant, rien ne manquait à son bonheur : santé, jeunesse, puissance, gloire et richesses.
Un cheikh, un peu médecin, un peu magicien, se présente. Il demande au sultan d’ouvrir l’une après l’autre les quatre fenêtres de la pièce où ils sont, disposées selon les points cardinaux (Nord, Sud, Est, Ouest) : le Sultan voit quatre cataclysmes plus grands les uns que les autres assaillir son royaume !
à la première fenêtre le sultan voit ses troupes en révolte assiéger le palais,
à la seconde il voit les flammes détruire toute la ville et dévorer son palais,
à la troisième il voit une grave inondation noyer champs, vergers, ville, et le palais s’écroule,
par la quatrième fenêtre le sultan ne voit plus qu’un désert au lieu de son pays si riche.
Mais quand le cheikh referme les fenêtres, tout redevient comme avant, le sultan se retrouve dans son palais luxueux.
Sans lui laisser le temps de se remettre de ses émotions, le cheikh demande au sultan de se pencher au-dessus de la fontaine et lui plonge la tête sous l’eau ! Le sultan traverse le miroir des apparences et voit quelle vie il aurait eu s’il était un pauvre paysan : portefaix, puis changé en âne pour de vrai qui, pendant 5 ans, tourne la roue du moulin, puis homme de nouveau ; mais, selon les coutumes du pays où il est arrivé, pour y rester il doit épouser la première femme célibataire qu’il rencontre ; hélas, c’est une vieille horrible ! Dans un sursaut, le pauvre homme s’arrache du bassin d’eau et redevient le sultan.
Le sultan revient au présent, dans son palais, accompagné du vizir à sa droite, du cheikh à sa gauche, et devant lui sa plus jolie concubine lui présente sur un plateau d'or finement ouvragé un sorbet au citron, celui-là même qu'il avait commandé au moment où le cheikh était introduit devant lui ... le sultan n'avait jamais apprécié autant un sorbet ....et depuis, il apprécie chaque moment de sa vie, les petites et les grandes choses. Sa joie de vivre apporte paix et bonheur à tous ceux qui l’entourent.


Sources :

  • Les deux vies du sultan Mahmoud, conte des mille-et-une nuits : 819, 820 et 821° nuits
  • Texte en ligne sur wikisource.
  • Traduction de Madrus, plus lisible, ici. Joseph-Charles Mardrus est un médecin, poète et traducteur français. ncouragé par Stéphane Mallarmé, il traduisit, de 1898 à 1904, une nouvelle version des contes des Mille et Une Nuits, en seize volumes et 116 contes. Il en produit une version plus érotique que la traduction expurgée d'Antoine Galland. On lui doit également une traduction du Coran et de l’Apocalypse.
  • Le livre des Chemins, Henri Gougaud, pp 310-315
  • Contes du Maghreb, JJ FDIDA, pp 212-229


Le sac de sable

Ce conte court centré sur la culpabilité, appelle a plus de pardon envers nous-mêmes et envers les autres. Pour vivre mieux, un des points suggéré par Annie Coll est d'assumer son passé : s'il faut être généreux avec les autres, autant l'être aussi avec soi-même et ne pas se juger trop sévèrement.

Résumé à ma façon :

Un membre d’une certaine communauté de méditants au désert a commis une faute grave. Le conte ne dit pas laquelle. Quelle punition suffisamment sévère donner pour que le fautif n’oublie pas, mais pas au point de perdre l’homme ?
Le supérieur du groupe demande conseil à un ermite du désert connu pour sa sagesse.
sac dejute_paratrooperLe lendemain, l’ermite arrive aux portes du monastère qui abrite cette communauté : son pas est lourd et traînant, il marche tête basse, il est essoufflé : il traîne derrière lui un gros sac … On court à sa rencontre pour l’aider. Que contient le sac ? Du sable. Mais ce sac est percé en de multiples endroits … à quoi bon le traîner derrière soi ?
L’ermite explique qu’il s’agit du sac de ses manquements qu’il traîne derrière lui, et avec le temps, ils s’échappent peu à peu de sa vie, de ses souvenirs et de la mémoire des autres. Il s’allège, comme sa conscience s’allège. S’il ne savait pas se pardonner à lui-même et réparer ses erreurs en s’améliorant, il serait condamné à porter un sac plein toute une vie de misère.
Alors qu’on enferme dans le sac de sable la faute de l’homme ! Qu’il traîne le sac dans le désert qui absorbera petit à petit les grains de sable qui, individuellement, ne seront plus visibles pour personne : au début il marchera courbé en deux, les yeux fixés au sol, puis peu à peu le sac s’allégera et il pourra se redresser, quand le sac sera léger, il pourra regarder au loin, vers l’horizon, vers l'avenir, et mieux voir où diriger ses pas ; quand le sac sera vide il pourra s’étirer, lever les bras et regarder vers le ciel avec joie, c'est-à-dire regarder vers le but qu'il donne à sa vie. C’est bien pour ça qu’ils sont là, non ? Toucher à la joie d’être un avec le monde pour être nourri et nourrir les autres.

Source :

  • Ce conte a été rapporté par Henri Gougaud dans son recueil « Le livre des chemins », p 285, sous le titre « Le péché »
  • Texte en ligne ici.


Le papillon

On ne peut s’épargner toute souffrance. Accepter ce fait nous aidera à la supporter et, de ce fait, en comprenant qu'elle fait partie intégrante de la vie de toute personne sensible, humaine, nous ne perdrons pas de vue les petites (et grandes) joies que nous réserve la vie, la nature, le monde.
La souffrance a aussi son utilité. La métamorphose du papillon nous enseigne que la souffrance peut aussi nous aider à grandir.

http://tintinnabuleuse.blogspot.com/2009/06/chenille-et-papillon.htmlLorsqu’un magnifique papillon sort de la chrysalide, il inspire d’abord de grandes bouffées d’air pour gonfler son abdomen. Il va ainsi faire céder la chrysalide pour pouvoir faire sortir la tête, les pattes puis les ailes. Ses ailes sont toutes chiffonnées, il va d’abord les gonfler d’air mélangé à un liquide qui va durcir les nervures des ailes. Une fois ses ailes rigidifiées, il va les laisser sécher puis, 1 à 2 heures plus tard, il pourra s’envoler. ici et en vidéo.

Entre deux branches d’arbre, dans un creux, une chrysalide. Un homme l’observe. Il devine une ouverture minuscule dans ce cocon. Un papillon va naître ... La chenille rampante et dévorante va devenir un papillon tout léger, prêt à s'envoler.
Le papillon s’insinue par l’ouverture exiguë ; il pousse, il force, il s’efforce d’écarter la fente si mince, millimètre par millimètre … il s’arrête, à demi sorti, il semble épuisé, résigné ?

La pauvre bête n’en peut plus se dit l’homme témoin de cette lutte qui lui semble terrible. Il veut aider le papillon à prendre son envol : de la pointe de son ongle il élargit l’ouverture, le papillon, d’une simple poussée, se délivre de ce piège ! Joie !

Papillon-chrysalides-branche
Mais ses ailes paraissent ratatinées, elles bougent à peine : toutes petites pour son corps gonflé, elles ne lui servent à rien. L’homme pense qu’elles vont bientôt se déployer, que ce ventre disgracieux qui se traîne va se raffermir, le papillon va prendre son envol ... mais non, le papillon reste informe. Il ne saurait voler. Condamné à rester un rampant, jamais il ne sera papillon de haute voltige. Tout au plus une ébauche difforme de ce qu’il aurait pu être.


Les étapes de l’émergence du papillon similaires à notre croissance intérieure :

  • Le cocon : un temps de latence, une transformation cachée. la douleur liée à la souffrance psychique immobilise mais permet un temps de réflexion pour savoir ce qu’il faut changer.1_papillon_gil_animé
  • Sortir du cocon : Le papillon doit faire de gros efforts pour se libérer ; mais ses efforts chassent l’eau contenue dans son abdomen vers ses ailes qui peuvent se déployer. Décider de changer ce qui ne nous convient pas dans notre vie demande beaucoup d’efforts et de volonté.
  • L’envol : le papillon se libère et fait sécher ses ailes avant de s’envoler. Nous ne pouvons pas tout changer en même temps. Un temps d’assimilation de notre nouvelle vision du monde, de nous-mêmes, et de nos besoins essentiels, est nécessaire.


Sources

  • conte donné lors du café-philo du 26 février 2021 : ''Faut-il alléger la souffrance des animaux ?''
  • Olivier Clerc, Le papillon et le cocon, l'aide qui affaiblit et l'épreuve qui renforce, La grenouille qui ne savait pas qu'elle était cuite et autres leçons de vie, Philanthrop', Jean-Claude Lattès, 2005
  • Henri Gougaud, Le papillon, Petits contes de sagesse pour temps turbulents, livre + CD, p 72-73, Albin Michel, 2013.


La joie nous sauve !

Tomber, rire, se relever et vivre : histoire vraie

Cette histoire n’est pas un conte. Elle pourrait l’être, assurément, mais il se trouve qu’elle est vraie. C’est Christophe Nick, journaliste, qui la raconte.

Mon grand-père fut déporté à Buchenwald.
Un jour d’hiver, en colonne vers la carrière, il glissa sur une plaque de glace et se retrouva par terre.
Le SS qui escortait son groupe arma son fusil.
Mon grand-père eut alors la présence d’esprit d’éclater de rire. Le SS éclata de rire aussi. Mon grand-père se releva.
Il survécut à la déportation.

Il raconta plus tard qu’un ange l’avait sauvé de la mort en lui inspirant ce rire dont il ne se sépara jamais, heureux de vivre en toutes circonstances. - Henri Gougaud

Le rire, expression de l'amour inconditionnel pour la vie, de la joie de vivre, a éloigné la mort …

Sources :

  • Ben Zimet, Contes des sages du ghetto, Seuil, 2003 : texte de Christophe Nick placé en exergue du recueil de contes.
  • Henri Gougaud, Le livre des chemins - Contes de bons conseils pour questions secrètes, Albin Michel, 2009, p 35 : Rire pour vivre, récit de Christophe Nick adapté par Henri Gougaud.


Jayda, ou garder confiance en la vie

Faire face aux désillusions et, pour finir, connaître une joie plus grande encore …

Jeune fille_cruche_http://maghrebcartespostales.e-monsite.com/pages/femmes/travail-des-femmes/femmes-porteuses-d-eau.htmlIl était un jour une jeune fille nommée Jayda. Elle n’avait aucun bien sur terre, sauf ses deux mains, son corps agile et son regard sans cesse étonné par la lumière du monde. Elle vivait dans une hutte de branches au bord d’un ruisseau, se nourrissait de l’eau que lui donnait la source, des fruits que lui donnaient les arbres. Sa pauvreté était rude mais elle ne s’en plaignait pas. Elle l’estimait ordinaire. Elle ignorait qu’en vérité un esprit maléfique l’avait prise en haine et s’acharnait sans cesse à faire trébucher ses moindres espérances, troubler ses moindres bonheurs, à tout briser de ce qui lui était destiné, pour qu’elle n’ait rien, et qu’elle en meure.

ruche sauvage-https://www.association-aquaterre.org/2020/04/09/regenerer-la-resilience-des-abeilles/Or un matin, comme Jayda dans la forêt faisait sa cueillette d’herbes pour sa soupe quotidienne, elle découvrit dans un buisson une ruche sauvage abandonnée par ses abeilles. Elle s’agenouilla devant elle, vit qu’elle était emplie de miel tiédi par le soleil. L’idée lui vint de le recueillir. Elle pensa, bénissant le ciel :
- J’irai vendre cette belle provende au marché de la ville, j’en gagnerai assez pour traverser l’hiver sans peine ni souci.
Elle courut chez elle, prit une cruche, s’en revint au buisson et la remplit de miel.
Alors l’esprit méchant qui veillait à sa perte sentit se ranimer sa malfaisance quelque peu endormie par la monotonie des jours. Comme Jayda s’en retournait, sa récolte faite, il ricana trois fois, esquissa autour d’elle un pas de danse invisible, empoigna une branche au-dessus du sentier, et agitant cette arme de brigand, comme passait la jeune fille cruche brisée_dreamstime_libre de droitsil brisa la cruche qu’elle portait sur l’épaule. Le miel se répandit dans l’herbe poussiéreuse. L’esprit mauvais, content de lui, partit d’un rire silencieux, se tenant la bedaine et se battant les cuisses, tandis que Jayda soupirait et pensait :
- Quelle maladroite je suis ! Allons, ce miel perdu nourrira quelque bête. Pour moi, Dieu fasse que demain soit meilleur qu’aujourd’hui.

Elle s’en retourna, légère, les mains vides. Comme elle parvenait en vue de sa cabane elle s’arrêta, tout à coup sur ses gardes. Un cavalier venait entre les arbres, au grand galop. A quelques pas d’elle il leva son fouet, le fit tournoyer, traversa le feuillage d’un mûrier, fit claquer sa lanière sur la croupe de sa bête et lui passa devant, effréné, sans la voir. De l’arbre déchiré tomba une averse de fruits. mûres du murier platane_https://locavor.fr/produit/159432-pates-de-fruits-aux-mures-bio
- Bonté divine, pensa Jayda, le Ciel a envoyé cet homme sur ma route. Voilà qu’il m’offre plus qu’une cruche de miel !
Elle emplit son tablier de mûres et reprit vivement le chemin du marché.
Aussitôt, l’invisible démon qui n’avait cessé de la guetter se mit à s’ébouriffer, pris de joie frénétique, à se gratter sous les bras comme font les singes, puis se changeant en âne il s’en vint braire auprès de Jayda. Elle le caressa entre les deux oreilles. Il en parut content. Il l’accompagna jusqu’au faubourg de la ville. Là elle fit halte un instant au bord de la grand-route pour regarder les gens qui allaient et venaient. Ane_qui_rit_http://www.preparation-voyage.com/dane-maroc/L’hypocrite baudet, la voyant captivée, profita de l’aubaine. D’un coup sec du museau dans le panier il fit partout se répandre la provision, et se roulant dedans la réduisit en bouillie sale. Après quoi, satisfait, il s’en fut vers le champ.
- Tant pis, se dit Jayda. On ne peut tout avoir. J’ai l’affection des ânes, un vieux croûton de pain m’attend à la maison. Mes malheurs pourraient être pires.

Or, tandis qu’elle s’apprêtait à rebrousser chemin, vint à passer la reine du pays dans son carrosse bleu orné de roses peintes. Elle vit les mûres répandues, l’âne trottant, l’échine luisante de suc. Elle en fut prise de pitié.
- Pauvre enfant, se dit-elle, comme le sort la traite durement !
carosse bleu_https://www.monicamedias.com/carrosse-royal-bleu.htmlElle ordonna à son cocher de faire halte et invita Jayda à monter auprès d’elle. La reine fut tant émue par l’innocence de cette jeune fille qui n’osait rien lui dire qu’elle lui fit offrir une demeure de belle pierre. Jayda s’y installa, et devint bientôt une heureuse marchande.
Mais le mauvais génie veillait, ruminant des fracas.Diable_fume Il découvrit un jour où étaient les biens les plus précieux de sa maison : dans une remise, derrière le logis. La nuit venue, il y mit le feu. Jusqu’au matin il dansa autour de l’incendie, sans souci de roussir les poils de ses genoux. A l’aube, il ne restait que cendres et poutres noires où s’était élevée une belle bâtisse.
Jayda, contemplant ce désastre, se dit que décidément elle n’était pas faite pour la richesse. Elle s’assit sur une pierre chaude. Alors elle vit une colonne de fourmis qui transportaient leur réserve de blé, grain par grain, de dessous les gravats en un lieu plus propice. fourmi_court
Jayda pour les aider, souleva un caillou qui encombrait leur route, et se vit aussitôt éclaboussée d’eau fraîche. Sous la pierre bougée se cachait une source.

Les gens autour d’elle assemblés s’émurent et s’extasièrent. Une vieille prophétie avait situé en ces lieux une fontaine de vie éternelle que personne n’avait jamais su découvrir. Le grimoire disait que seule la trouverait un jour, après un incendie, au bout de longues peines, une jeune fille autant aimante qu’indifférente à ses malheurs. Cette jeune fille était enfin venue.
On lui fit une grande fête. Jayda depuis ce temps est la gardienne de cette source,cruche-eau-freepik_https://fr.freepik.com/photos-libre/close-up-des-flammes-de-feu_903002.htm#term=feu%20de%20cheminee&page=1&position=2 la plus secrète et la plus désirable du monde. A ceux qui viennent la voir, s’ils savent aimer, et s’ils savent que le malheur ne vaut pas plus que poussière emportée par le vent, on dit qu’elle offre à boire l’immortalité dans le creux de ses mains.

Sources :

  • Henri Gougaud, Contes des sages soufis, Seuil, 2004


Le cordonnier de Bagdad

conté lors du Café-Philo du 15 mars 2024, ce récit extrait ds Mille-et-une-nuits est à découvrir dans l'article précédent, cliquez ici.

Résumé :

Babouches_Courelle2Le cordonnier de Bagdad coud des babouches tout le jour et le soir dépense tout ce qu'il a gagné pour faire de chaque soir une fête en famille : il rit, mange, boit, chante, et cela suffit à son bonheur. Le calife de Bagdad se promène la nuit dans la ville, déguisé en porteur d’eau et voit comment le cordonnier faire la fête chaque soir. Quelle imprévoyance !Le calife veut lui donner une leçon de sagesse : il fait fermer sa boutique mais le cordonnier fait des petits boulots et peut faire un nouveau festin le soir. Le jour suivant, le calife ordonne au cordonnier de monter la garde devant la porte du palais ; le cordonnier ne peut pas gagner d'argent alors il vend le sabre. Le calife très en colère lui ordonne le lendemain de trancher la tête d’un homme ... Le cordonnier va s’en sortir encore en s’exclamant : Que le sort en décide ! Si cet homme est coupable il mourra de ma main. Mais s’il est innocent que la lame de mon sabre d’acier se transforme en sabre de bois ! Le calife rit de sa trouvaille, lui demande de rentrer chez lui, fait rouvrir sa boutique, et le remercie de la leçon de sagesse qu’il vient de lui donner.

La joie dans les petites choses est le plus grand trésor qu’il faut garder même dans les difficultés, car c’est l’étincelle de vie qui nous fait avancer et trouver des solutions.

Changer son regard sur le monde permet de dépasser la souffrance et vivre la joie :

Le conte des deux vies du sultan, premier conte de cet article, en est une belle illustration. Voici maintenant deux autres contes :

Les trois portes : trois manières de changer
Change le monde - Change les autres - Change-toi toi-même !

Voici trois manières de changer de vie en changeant son regard sur le monde et, le monde étant notre reflet, en changeant son regard sur soi.

Résumé :

Un Roi avait pour fils unique un jeune Prince courageux, habile et intelligent. Pour parfaire son apprentissage de la Vie, il l’envoya auprès d’un Vieux Sage.
- Éclaire-moi sur le Sentier de la Vie, demanda le Prince.
- Mes paroles s’évanouiront comme les traces de tes pas dans le sable, répondit le Sage. Cependant je veux bien te donner quelques indications. Les trois portes_http://www.temples-egypte.net/oasis/Hibis/temple/troisPortes.htmlSur ta route, tu trouveras trois portes. Lis les préceptes indiqués sur chacune d’entre elles. Un besoin irrésistible te poussera à les suivre. Ne cherche pas à t’en détourner, car tu serais condamné à revivre sans cesse ce que tu aurais fui. Je ne puis t’en dire plus. Tu dois éprouver tout cela dans ton cœur et dans ta chair. Va, maintenant. Suis cette route, droit devant toi.
Le Vieux Sage disparut et le Prince s’engagea sur le Chemin de la Vie.

Il se trouva bientôt face à une grande porte sur laquelle on pouvait lire « CHANGE LE MONDE. » Et il entama son premier combat. Son idéal, sa fougue et sa vigueur le poussèrent à se confronter au monde, à entreprendre, à conquérir, à modeler la réalité selon son désir. Il y trouva le plaisir et l’ivresse du conquérant, mais pas l’apaisement du cœur. Il réussit à changer certaines choses mais beaucoup d’autres lui résistèrent.

Peu après, le Prince se trouva face à une seconde porte. On pouvait y lire « CHANGE LES AUTRES. » Et il s’insurgea contre tout ce qui pouvait le déranger ou lui déplaire chez ses semblables. Il chercha à infléchir leur caractère et à extirper leurs défauts. Ce fut là son deuxième combat. Toutes ces tentatives inutiles étaient épuisantes.

Le Prince arriva devant une troisième porte où figuraient ces mots « CHANGE-TOI TOI-MÊME ».
- Si je suis moi-même la cause de mes problèmes, c’est bien ce qui me reste à faire se dit-il.
Et il entama son troisième combat. Il chercha à infléchir son caractère, à combattre ses imperfections, à supprimer ses défauts, à changer tout ce qui ne lui plaisait pas en lui, tout ce qui ne correspondait pas à son idéal. Il connut quelque succès mais aussi des échecs et des résistances.

Bien des années étaient passées quand il rencontra de nouveau le Sage qui s'enquit du chemin parcouru.

- Qu’as-tu appris sur le Chemin ?
- En essayant de changer le monde, j’ai appris à discerner ce qui est en mon pouvoir et ce qui m’échappe, ce qui dépend de moi et ce qui n’en dépend pas.
- C’est bien. Utilise tes forces pour agir sur ce qui est en ton pouvoir. Oublie ce qui échappe à ton emprise.

- En tentant de changer les autres, j’ai appris que les autres ne sont pas la cause ou la source de mes joies et de mes peines, de mes satisfactions et de mes déboires. Ils n’en sont que le révélateur ou l’occasion. C'est en moi que prennent racine toutes ces choses.
- Sois reconnaissant envers ceux qui font vibrer en toi joie et plaisir. Mais sois-le aussi envers ceux qui font naître en toi souffrance ou frustration, car à travers eux la Vie t’enseigne ce qui te reste à apprendre et le chemin que tu dois encore parcourir.

- J'ai lutté pour me changer moi-même, et j’ai appris qu’il y a en nous des choses qu’on peut améliorer, d’autres qui nous résistent et qu’on n’arrive pas à briser, mais je commence à être las de me battre contre tout, contre tous, contre moi-même. Cela ne finira-t-il jamais ? Quand trouverai-je le repos ?

J’ai envie de cesser le combat, de renoncer, de tout abandonner, de lâcher prise.
- C’est justement ton prochain apprentissage, dit le Vieux Sage. Mais avant d’aller plus loin, retourne-toi et contemple le chemin parcouru.

Le prince s’aperçut que la troisième porte portait sur sa face arrière une inscription qui disait « ACCEPTE-TOI TOI-MÊME. » Et chemin faisant le prince appris à s’accepter lui-même, et à reconnaître ses défauts. Il appris que détester ou refuser une partie de soi, c’est se condamner à ne jamais être en accord avec soi-même.''

Le Prince aperçut au loin la face arrière de la seconde porte et y lut « ACCEPTE LES AUTRES ». En étant en accord avec soi-même, on n'a plus rien à reprocher aux autres, plus rien à craindre d’eux. Le prince appris ainsi à accepter et à aimer les autres.

Arrivé de l’autre côté, le Prince aperçut la face arrière de la première porte et y lut « ACCEPTE LE MONDE ». Le monde est le miroir de mon âme. Que mon âme ne voit pas le monde, elle se voit dans le monde. Quand elle est enjouée, le monde lui semble gai. Quand elle est accablée, le monde lui semble triste. Le monde, lui, n’est ni triste ni gai. Il est là ; il existe ; c’est tout. Ce n’était pas le monde qui me troublait, mais l’idée que je m’en faisais. J’ai appris à l’accepter sans le juger.

Un profond sentiment de paix et de sérénité envahit le Prince. Le silence l’habita.
- Te voilà à présent en accord avec toi-même, avec les autres et avec le Monde, dit le Vieil Homme. Tu es prêt, maintenant, à franchir le dernier seuil, dit le Vieux Sage, celui du passage du silence de la plénitude à la Plénitude du Silence.
Et le Vieil Homme disparut.

Source :
Les trois portes est un conte zen dont le texte est atribué à Charles Brulhart, mais les contes zen viennent du Japon et existent depuis longtemps.

  • texte sur le site Contes à rêver, cliquez ici.
  • lecture du conte à écouter ici. durée 11:11


L’homme qui voyait tout en noir

Ce conte permet de comprendre comment on peut s’affranchir de la dépression, du poids de la tristesse accentuée parce qu’on fait fuir ses proches, de la culpabilité d’être dans cet état de souffrance alors qu’on ne comprend même pas soi-même pourquoi on est dans cet état.

Comment passer de la souffrance morale à la joie, des ténèbres de la souffrance à la lumière de la joie de vivre ? Lorsque tout paraît noir, chanter le monde le fait réapparaitre sous ses couleurs les plus belles à condition de bien vouloir les voir.

Résumé :
creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

C'est l'histoire d'un homme qui voyait tout en noir ... Et il s’est retrouvé dans un univers noir … plus noir que noir … d’un noir intense, profond, immense … on se serait cru dans un tableau de Soulages … mais en pire : un noir sans nuance, sans limite …
Cet homme là, on n'avait pas envie de les fréquenter, alors petit à petit il s'est retrouvé seul. Isolé. Confiné dans son noir quotidien.

Une femme a pensé qu’il voyait tout en noir parce qu’il vivait seul (et non qu’il vivait seul parce qu’il voyait tout en noir). Logique toute féminine … Alors, elle a voulu éclairer sa vie, elle a voulu l’aider. Elle est allé le rejoindre. Mais l’homme a trouvé la femme trop présente, trop pressante, trop d’attentions, trop de questions … Trop femme ! Et cet amour qu’elle attendait en retour ? Lassant, épuisant ! Et les enfants ? Bruyants, fatigants … La famille ? envahissante, la société inutile, le monde mal fait, l’homme raté !

Un jour, la femme est partie, lassée, fatiguée, épuisée. Alors, vieux père là-haut est venu parler à cet homme qui broyait du noir :
- Puisque tu trouves le monde mal fait, et je vois que cela te fait terriblement souffrir, je vais faire disparaître tout ce qui te fait voir la vie tout en noir.
L'homme a plongé dans un noir plus noir que noir. Un outrenoir absolument lisse. Absolument vide. Il s'est retrouvé suspendu dans le vide, dans le néant, Il ne savait même plus depuis quand … où était le haut et le bas … s’il y avait un début et une fin … Il flottait perdu dans le silence … seul … Quand l’homme a cessé de rouspéter, de comparer, de critiquer, il a commencé à s’ennuyer, à s’inquiéter, et il a fini par désespérer, seul face à lui-même, son propre noir, son propre vide …

Au fond de lui, une voix a répondu à ses angoisses :
- Ce qui a été défait ne peut être défait de nouveau. Nomme ce que tu veux vraiment revoir. Chante-le, nomme-le !
http://www.public-domain-photos.com/landscapes/sky/sunset-2-4.htmUn chant est sorti de lui-même et ainsi sont venus les mots. Les images. Le monde. Il a nommé la lune et les étoiles, qui ont éclairé sa nuit ; Il a nommé le soleil (qu’il ne trouvait plus trop chaud), la terre, la forêt, les arbres, la rivière, les animaux, (il a même nommé les moustiques : ils piquent mais nourrissent les oiseaux) ; le chemin est apparu, il a marché, il a couru dans le monde à nouveau, respirant et s’enthousiasmant à chaque nouvelle couleur, nouvelle senteur, nouveau chant, cris, rire, voix. L’homme regardait pour la première fois le monde enfin désiré. Il est arrivé devant son village, il est arrivé devant sa maison. Il a poussé la porte, et là sa femme et ses enfants dormaient tranquillement. Il a souri. Pour la première fois de sa vie.

Depuis, chaque matin, ils saluent le monde avec joie, ils le chantent et le nomment pour que jamais il ne disparaisse.

Sources :

  • conté lors de l’animation de nuit le 15 octobre 2022. Voir l'article N… comme Nuit Noire où vous pourrez lire le conte dans son intégralité.
  • L'homme jamais content, adapté par Abbi Patrix, qui tient ce conte de Gray Hawk, indien Houma de Louisiane. J'en ai tiré ma propre adaptation, enrichie de ma vision de la vie.
  • Pour être un homme nomme, Muriel Bloch d'après Abbi Patrix, Le secret du nom et autres contes, Gallimard jeunesse, 2017


En conclusion, un proverbe hindou

Quand tu vois tous en gris, déplace l'éléphant !