Projection du film documentaire de Benoit Sauphanor :
"La Duchesse"

La Duchesse_Benoit Sauphanor_15 novembre 2022_Gruissan Heureuse découverte de La Duchesse, Madame Grand-Duc de la Clape. La Clape est un espace naturel protégé, une garrigue et ses falaises, qui surplombe Gruissan.
Cet excellent documentaire, très chouette, représente des années de patience, de guet, de repérage, de prises de photos de jour comme de nuit, par Benoit Sauphanor. Les images sont très belles et nous font découvrir des couples de Grand-Duc qui ont élu domicile au creux des rochers, mais aussi la faune sauvage de ce lieu préservé.
Les commentaires de Benoît sont dignes d’un conteur. La projection a été suivie d'un échange avec les spectateurs.

Puis nous nous sommes rassemblés sur le parvis du Palais des Congrès.

Promenade nocturne et contes

En attendant le départ de la déambulation menée à la simple lueur de nos loupiotes, quelques devinettes nous ont fait attendre l'extinction des éclairages de la ville. Les réponses vous seront données en fin d'article.

1/ Qu’est-il impossible de ramasser quand elle est tombée ?

2/ On les trouve la nuit sans qu’on les ait cherchées mais on les perd le jour sans qu’on les ait volées ?..

3/ Agée d'un mois à peine et déjà vieille ... Qui est-elle ?

4/ Nous sommes sœurs aussi fragiles que les ailes du papillon mais nous pouvons faire disparaître le monde ?

Et comme mes auditeurs étaient très forts à ce petit jeu, voici deux devinettes sur un autre registre :

  • Il est là quand on le cherche, il n’est plus là quand on le trouve
  • Je ne coûte rien mais vaut de l’or ...


réponses à la fin de l’article ...

Une fois tous réunis, une soixantaine de personnes, nous sommes partis tous ensemble vers le bois de l'étang ... Bien entendu, j'ai attendu que soient données toutes les réponses ... c'était la condition sine qua non ... pour conter la chouette, notre duchesse ...

Qui est le plus grand ?

Certaines nuits, quand le ciel est clair, la lune toute ronde paraît tout près de la terre. Cette nuit-là, elle parcourt le ciel sur son grand traîneau d'argent et chante :
Je suis grande, grande, grande ! Bien plus grande et bien plus gaie que le soleil en entier !


Au milieu de la garrigue est un lac minuscule. Entendant le chant de la lune, il répond :
Lune, lune, ne te vante pas ! Je suis bien plus grand que toi ! Regarde-moi et tu verras que je ne te mens pas !
La lune se penche sur le petit lac et voit son reflet. Et le lac chante :
Je suis grand, grand, grand ! Bien plus grand et bien plus gai que le soleil en entier, que la lune argentée, car chez moi je peux les loger !


Dans un pin habite l’écureuil, pas plus gros que mon poing. Réveillé par tout cela, il sort de son nid : il s'étire, bâille en ouvrant largement la bouche qu'il en ferme son œil gauche. Et dans son œil droit, il voit : le lac et la lune. Alors il chante à son tour :
Je suis grand, grand, grand ! Bien plus grand et bien plus gai que le soleil en entier, que la lune argentée, que le lac aux eaux diaprées : dans mon œil tous peuvent entrer !


Grand-duc-d'Europe_Benoit Sauphanor_LPOLa chouette, la duchesse, madame Grand-Duc de la Clape, arrive alors, saisit l'écureuil agité et l'engloutit. Puis elle se met à chanter :
Ouh ! Ouh ! Quelle tête intelligente sur mon cou ! Je suis grande, grande, grande ! Bien plus grande et bien plus gaie que le soleil en entier, que la lune argentée, que le lac aux eaux diaprées, que l'écureuil agité, dans mon ventre ils sont rentrés !


Qui est le plus grand ?


Source du conte :

  • Qui est le plus grand ?, Contes ritournelles, Edith Montelle, Gulf stream éditions, 2006.
  • Photographie de Benoit Sauphanor.


Ensuite nous avons apprécié une lecture en occitan et en français d'un récit écrit par nos écoliers

Le Grand-Duc était la vedette. Un dernier conte, adapté pour l'occasion, a clôturé cette déambulation nocturne, à la seule lueur de la lune et des étoiles (un peu pâles cette nuit-là).

Si tu es un homme, nomme ! Du noir absolu aux couleurs de la vie

Ce conte a voyagé : il nous vient des indiens Houma de Louisiane. Lorsque tout paraît noir, le chant du monde le fait réapparaitre sous ses couleurs les plus belles à condiditon de bien vouloir les voir.

On ne peut empêcher les oiseaux noirs de voler au-dessus de nos têtes, mais on peut les empêcher d'y faire leur nid. Proverbe chinois

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

C'est l'histoire d'un homme qui voyait tout en noir ...
Homme_NOIR_http://i.imgur.com/bZPPP.jpgEt il s’est retrouvé dans un univers noir … plus noir que noir … d’un noir intense, profond, immense … on se serait cru dans un tableau de Soulages … mais en pire : un noir sans nuance, sans limite …
Mais il faut bien dire qu’il l’avait un peu cherché ! On l’appelait le mal content et la plupart des villageois ne faisaient que le saluer … de loin … quand ils ne pouvaient éviter de le croiser. Qui aimerait fréquenter quelqu’un qui voit tout en noir ? Surtout la nuit …


La nuit ? Trop noire ! Les étoiles ? Trop pâles ; La lune ? Trop changeante ; Le soleil ? Trop chaud ; Le ciel ? Trop bleu (ça n’allait pas durer) ou Trop gris (sûr, il allait faire trop noir, d’un noir d’orage) ; La pluie, trop mouillée ; L’herbe ? Trop verte ! Les fleurs ? Trop bariolées ; Les arbres ? Trop grands et les fruits toujours trop haut ! Les animaux ? Trop fuyants ou trop bruyants ! Le village ? Trop loin, le chemin trop long, les cailloux trop nombreux, trop pointus .. La maison ? Trop petite ! Et ne parlons pas de la famille (envahissante), la société (inutile, pas besoin des autres pour savoir ce qu’il voulait, ou plutôt ce qu’il ne voulait pas), la politique, menteuse et trompeuse … En un mot, le monde était mal fait, la nature laide, l’avenir tout noir, l’homme raté !!!


Cet homme là, comme tous les hommes qui broient du noir, on n'a pas envie de les fréquenter, alors petit à petit il s'est retrouvé seul. Isolé. Confiné dans son noir quotidien.


Une femme a pensé qu’il voyait tout en noir parce qu’il vivait seul (et non qu’il vivait seul parce qu’il voyait tout en noir). Logique toute féminine … Alors, elle a voulu éclairer sa vie, elle a voulu l’aider :
- Il y a sûrement quelque chose de bon en lui, mais c’est caché sous tout ce noir. Il faut gratter un peu pour voir, doucement, patiemment … Cet homme souffre, je vais l’aider !
Elle est allé le rejoindre. Mais l’homme a trouvé la femme trop présente, trop pressante, trop d’attentions, trop de questions … Trop femme ! Portrait d'une famille juive_Pinsk_Pologne_1922_Et cet amour qu’elle attendait en retour ? Lassant, épuisant ! Et les enfants ? Bruyants, fatigants … La famille ? envahissante, la société inutile, le monde mal fait, l’homme raté !

Ça ne s’était pas arrangé …


Un jour, la femme est partie, lassée, fatiguée, épuisée. Elle a mis le chemin sous ses pieds ; excédée, elle a levé les yeux au ciel :
- Vieux père là-haut, fais quelque chose ! Moi je n’en peux plus ! J’ai tout essayé …
Alors, vieux père là-haut, à la demande de la femme qui n’en pouvait plus, est venu parler à cet homme qui broyait du noir :
- Puisque tu trouves le monde mal fait, et je vois que cela te fait terriblement souffrir, je vais faire disparaître tout ce qui te fait voir la vie tout en noir.


La société inutile ? Les voisins malsains ? Disparus ! La femme trop femme ? Pfff ! envolée ! Effacée comme les enfants trop bruyants : le silence enfin ! La maison trop petite, le village trop loin, le chemin trop long ? Gommés ! La nature mal faite, la pluie trop mouillée, le soleil trop chaud, le ciel trop bleu ou trop gris ? Finis, évanouis !
Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé dans le vide de la nuit interstellaire.
La lune trop changeante, les étoiles trop pâles, les planètes trop loin ? Absorbées par ce noir infini. Ce noir absolu. Sans commencement ni fin. Le voilà plongé dans un noir plus noir que noir. Un outrenoir absolument lisse. Absolument vide. Il s'est retrouvé suspendu dans le vide, dans le néant, Il ne savait même plus depuis quand … où était le haut et le bas … s’il y avait un début et une fin … Il flottait perdu dans le silence … seul …


Pierre Soulages_musée Rodez_La nuit sous les étoiles_GruissanAu début, il s’est senti soulagé, libéré, paisible, rien à redire … C’était apaisant, puis inquiétant, et pour finir terriblement angoissant. Quand l’homme a cessé de rouspéter, de comparer, de critiquer, il a commencé à s’ennuyer, à s’inquiéter, et il a fini par désespérer, seul face à lui-même, son propre noir, son propre vide … Il a attendu, attendu, puis il a commencé à appeler autour de lui et à hurler, et supplier :
- Il y a quelqu’un ?… C’est pas bientôt fini tout ce noir ?!!! ce promenoir est un vrai éteignoir ! Sortez-moi de cet outrenoir !!! Rendez-moi le monde !!! au moins un soir … un peu d’espoir …
Au fond de lui, une voix lui a répondu :
- Ce qui a été défait ne peut être défait de nouveau. Mais si tu es un homme, nomme ce que tu veux vraiment revoir sans le passer au laminoir de tes idées noires. Si tu veux que le monde réapparaisse autour de toi, alors désire-le, de tout ton être. Chante-le, nomme-le. Si tu es un homme, nomme ! Peut-être que si tu dis ce que tu désires, cela réapparaîtra. Essaye ! Peut-être que cela va marcher.


Alors l'homme a respiré du plus profond de lui-même. Mais les mots ne lui venaient pas. Il avait la gorge noué. Son cœur s'est mis à battre tambour de plus en plus vite. Un chant est sorti de lui-même et ainsi sont venus les mots. Les images. Le monde. Il a nommé la lune et les étoiles, qui ont éclairé sa nuit ; Il a nommé le soleil (qu’il ne trouvait plus trop chaud), la terre, la forêt, les arbres, la rivière, les animaux, (il a même nommé les moustiques : ils piquent mais nourrissent les oiseaux) ; le chemin est apparu, il a marché, il a couru dans le monde à nouveau, respirant et s’enthousiasmant à chaque nouvelle couleur, nouvelle senteur, nouveau chant, cris, rire, voix.

jardin et cours d'eauL’homme regardait pour la première fois le monde enfin désiré. Il est arrivé devant son village, il est arrivé devant sa maison. Il a poussé la porte, et là sa femme et ses enfants dormaient tranquillement. Il a souri. Pour la première fois de sa vie.


Laponie_Finlande_LAC_Terres d'aventures.jpgDepuis, chaque matin, ils saluent le monde, ils le chantent et le nomment pour que jamais il ne disparaisse. Comme eux, saluez le soleil, la pluie, le vent, et tout ce qui donne couleur et sens à la vie pour qu’elle perdure.


Sources du conte :

  • L'homme jamais content, adapté par Abbi Patrix, qui tient ce conte de Gray Hawk, indien Houma de Louisiane. J'en ai tiré ma propre adaptation, enrichi de ma vision de la vie.
  • Pour être un homme nomme, Muriel Bloch d'après Abbi Patrix, Le secret du nom et autres contes, Gallimard jeunesse, 2017


Illustrations :

  • Homme en Noir : http://www.styleforum.net/t/283997/dior-homme-cape
  • Portrait d'une famille juive. Pinsk, Pologne, vers 1922 : http://www.ushmm.org/wlc/fr/gallery.php?ModuleId=21&MediaType=PH
  • Musée Pierre Soulages, Rodez (Aveyron), Patrice Thebault, AFP, article du 26/10/2022, Franceinfo:Culture
  • Soleil levant sur la forêt : http://www.terdav.com/ps-finlande/rn-laponie-finlandaise/tp-circuit-accompagne/at-multi-activites/fin063--multi-activites-soleil-minuit


Réponses aux devinettes

1/ La nuit
2/ Les étoiles
3/ La lune
4/ Les paupières