Masque d'écorce, un masque social ?
Par patricia gustin le jeudi, décembre 2 2021, 15:50 - Petits contes de sagesse - Lien permanent
Pour faire suite au café-philo du 12 novembre 2021, voici un conte qui complétera les réflexions faites au sujet du masque, cet objet devenu usuel, quotidien même.
Les masques par le passé ont servi à :
- jouer un autre personnage,
- faire lien avec les mondes invisibles des esprits,
- se cacher, à se protéger.
Nous ne retenons actuellement que la dernière fonction : se protéger d'un virus et protéger les autres de sa transmission. Dans quelle mesure est-il efficace, indispensable ou non, ce n'est pas l'objet du débat ici.
Pour aborder une autre sorte de protection du masque, voici un conte africain : Masque d'écorce Un baobab a joué un rôle protecteur pour une pauvre orpheline jusqu'à ce qu'elle parte par désir de vivre en société. Un masque d'écorce protège son visage des regards trop appuyés, trop curieux, trop méprisants, jusqu'à ce qu'elle soit acceptée et vive enfin en sécurité. A ce moment-là, et seulement à cette condition là, elle peut enlever le masque.
Ce masque d'écorce protège des regards méprisants, mais il n'enlève rien à la personnalité simplement cachée en apparence.
Ainsi le masque est protecteur :
- au sens physique, dans certains métier ou sports,
- au sens biologique en limitant le contact avec les virus,
- il nous préserve aussi des regards mal venus, de trop de curiosité et/ou du mépris.
- il permet de se rendre compte de la qualité du regard posé sur nous : il y a les personnes qui ne voient que l'aspect du masque et celles qui chercheront à nous connaître vraiment.
Et cric et crac !
L'histoire sort du sac ...
article mis à jour et complété le 1er février 2022
Masque d'écorce
Conte adapté à ma façon :
Le jour où le corps de maman Misère lui dit : « Maintenant, ça suffit, va sans moi. » elle serra son enfant contre elle, son regard appela au secours, elle chercha un lieu où l’abriter, un être à qui le confier. Elle n’avait ni mari, ni frère. Elle prit sa fille dans ses bras, elle s’en fut au bout de son champ où était un vieux baobab et elle appuya son front contre son tronc :
- Vieux Père des arbres, toi qui a connu mes parents, mes grands-parents, voici mon enfant. Mes forces me quittent. Je ne suis rien, je n'ai rien ni personne à part elle. Alors, ouvre pour elle ton écorce, accueille-là, protège-là, nourris-là, apprends-lui à vivre, et quand ses seins auront poussé, sois celui qui ouvre la porte et qui par amour dit : “Va-t’en”...
Maman Misère dépassa le baobab et trépassa. Le baobab ouvrit sa porte, prit l’enfant et la fit entrer. Elle vécut là, aimée, cachée, autant de saisons qu’il fallut pour lui faire une chevelure, un regard de soleil heureux, un corps aux courbes désirables.
Un soir de grand vent, du village, vinrent des rumeurs de tambours, de chants, de rires. Elle écouta.
- Entends-tu, père baobab ?
Ce que le vieux père entendit, ce fut le désir de sa fille.
- Le monde est rude, mon aimée. Les gens y sont simples, cruels, généreux, malfaisants. Habille-toi d’un sac de corde, masque ta figure de bois. Ne retire ni l’un ni l’autre avant d’être sûre de lui.
- De qui donc, père baobab ?
- Tu le sauras. Va maintenant.'
De l’arbre sortit une fille vêtue comme sont les mendiants, masquée d’un visage d’écorce où les yeux seuls étaient vivants. Elle s’en alla droit au village, passa une maison, puis deux. À la porte de la troisième, elle frappa et attendit. Une femme vint sur le seuil. C’était la mère d’Hamadi, le plus beau garçon du pays. Elle s’effraya.
- Masque-d’écorce, qui es-tu ? Djinn ou être humain ?
- Je suis fille vivante et pauvre.
- Si c’est vrai, sois la bienvenue.
Dans la cour, Hamadi parut. Il s’en revenait de la fête. Il grimaça.
- Mère, dit-il, qui est ce monstre à qui tu parles ? Son masque cache du malheur. Il salit l’air que je respire. Je n’en veux pas dans ma maison !
- Remets donc ton cœur à sa place et prends pitié de cette enfant. Ne me fais pas honte, mon fils ! L’accueil des misères qui passent est le devoir le plus sacré.
- Fort bien, ma mère, j’obéis. Mais que ce cauchemar vivant n’attende de moi rien de bon !
De ce jour, il lui fit vivre une vie de bête. Elle passait à trois pas de lui ? il lui crachait entre les pieds. Elle lavait des vêtements ? il traînait des pieds devant le linge à peine lavé. Si elle lui portait un bol de lait, il l’envoyait au diable.
Ce fut ainsi jusqu’au matin où, sur la place du village, s’en vint un messager royal. On s’assembla autour de lui. Il dit à tous :
- Hommes d’ici, dans trente-trois jours, Sankayé, la sainte cité du pays, célébrera une nouvelle année pour votre roi. Musiciens, poètes, jongleurs, danseuses plus belles que le paradis rêvé, le roi vous les offre de bon cœur. Venez tous à Sankayé !
Hamadi partit le premier. Après trente jours, le voilà arrivé. Sur la place aux mille musiques il ne vit qu’elle. Elle lui parut la grâce même, légère et forte du rythme de sa danse, si proche et si distante à la fois, habitée par la musique et indifférente aux jeunes gens qui lui venaient danser autour, elle avait un sourire lumineux, un regard à embraser un cœur sec. Il la contempla un moment, s’approcha, l’esprit embrumé et toute fierté oubliée. Elle se laissa prendre la main. Il l’entraîna dans une auberge à moins que ce ne fut elle qui l’amena. La vaste salle était déserte. Ils s’assirent, se parlèrent, se touchèrent.
- Chante-moi, dit-elle. Et il chanta.
Tout à coup, la terre se mit à trembler. Partout des cris, des courses folles, des murs écroulés. Dans la pénombre de l’auberge, ni l’un ni l’autre ne bougea. L’un chantait la beauté de vivre, l’autre, immobile, l’écoutait. La ville disparaissait petit à petit comme d'anciens souvenirs. Dans l’auberge, Hamadi se tut. La jeune fille soupira. Il ôta de son doigt sa bague. Un vertige l'envahit. il eut juste le temps de la tendre à la belle avant de s'écrouler :
- Prends-là, dit-il, et garde-la. Si je te perds, qu’elle te protège.
Dès qu’il revint à lui, il se redressa et s’étonna. Il était sur un tas de décombres, au-delà de la ville. Il courut chez lui, pour prendre son cheval, un sac et son sabre. Sa mère, comme font toutes les mères, s’inquiète :
- Mais où vas-tu, souci de ma vie ?
- Peut-être au bout du monde s'il le faut. J’ai rencontré à Sankayé mon âme-sœur. Si je ne la retrouve pas, que la mort me prenne en chemin.
Masque-d’écorce vint à lui avec sept boulettes de viande enveloppées d’un linge blanc. Il la repoussa comme on chasse une mouche importune. Elle s’en alla en catimini fourrer le paquet dans son sac. Il partit sans rien saluer, ni sa mère, ni sa maison, encore moins un masque d'écorce.
Au soir, sur la rive d’un fleuve, il fit halte, alluma son feu et dîna de ses sept boulettes qu’il fut surpris de trouver là, parmi des habits de rechange. Dans la septième était la bague qu’il avait donné à l’aimée révélée à Sankayé. Il s’en revint chez lui. Troublé, il pressa son cheval. Elle l’attendait devant la porte. Pour la première fois, il la regarda vraiment. Elle ôta son masque d’écorce. Son masque de fille cherchant sa place dans ce monde. Elle était invisible sous son écorce, mais une fois son visage à découvert il ne regardait plus qu'elle. Ils s’épousèrent...
Ajout personnel :
Ils s'installèrent non loin du baobab qui les protégea de son ombre bienfaisante. Et s'il arrivait à son mari d'avoir des mots durs, elle remettait aussitôt son masque d'écorce. Ne la voyant plus vraiment, il se se sentait perdu. Il se souvenait, disait un mot doux, partageait une petite attention, offrait ce qu'il avait de plus précieux : son cœur et son temps (souvenirs, présent, projets) ... alors elle enlevait son masque : son visage plein de vie réapparaissait, et lui se retrouvait aussi : il pouvait reprendre le chant de la vie qu'elle dansait jour après jour ...
Sources :
- Masque d'écorce, conte africain : Henri Gougaud, Le livre des chemins - contes de bon conseil pour questions secrètes, Albin Michel, 2009, pp. 245-250
Pour en savoir plus :
Le masque pwo (c'est-à-dire « femme »), fait de bois légèrement frotté de rouge, à perruque de fibres, les détails du visage soulignés de noir et de blanc, est l'incarnation de l'ancêtre féminin et constitue surtout une représentation idéalisée de la jeune fille.
Un masque social ?
Dans ce conte le masque d'écorce me semble être un masque social protecteur.
Masque social, masque d' hypocrite ?
Comme le serait un masque de fausse humilité, ou de servilité. Le masque devient alors un outil très utile au manipulateur.
Ce masque-là risque d'être arraché un jour ou l'autre, lorsque l'entourage aura percé à jour celui qui se cachait derrière une fausse attitude : A bas les masques !
Un masque social pour se cacher le temps de se construire :
Masque social, ne veut pas dire obligatoirement hypocrisie. Ce peut être un masque de timide qui, doutant de ses capacités, n'ose pas se montrer tel qu'il est. Afficher une certaine distance, une certaine manière de vivre peut être tout simplement une manière de se protéger des critiques, du mépris, des jugements des autres sans pour autant vouloir tromper l'autre.
Ce masque d'écorce ne sera enlevé qu'au moment où on pourra être soi-même en toute sécurité.
Mais le masque empêche de voir qui est la belle personne dissimulée derrière :
- Beaucoup s'arrêtent aux apparences.
- Ils oublient qu'un masque peut être changé ...
- Les masques changent, l'âme de la personne reste ...
- La personne qui se cache derrière reste elle-même quelque soit le masque.
Le masque, un visage qui surprend, n'est pas toujours accepté
En peu de mots, le conte à tout dit des réactions fréquentes lorsqu'il s'agit d'accueillir la différence, ce qu'on ne comprend pas et dont on se méfie. Et pourtant si nous voulons rester humain l'accueil des misères, plus ou moins masquées, est sacré !
- ''Remets donc ton cœur à sa place et prends pitié de cette enfant. Ne me fais pas honte, mon fils ! L’accueil des misères qui passent est le devoir le plus sacré.''
- Fort bien, ma mère, j’obéis. Mais que ce cauchemar vivant n’attende de moi rien de bon !