Approche philosophique du lit

Résumé de l'intervention de Michel Tozzi :
C’est un lieu existentiel, qui nous accompagne de l’origine à la fin. Le lieu par excellence. D’où l’intérêt de le penser philosophiquement pour éclairer son essentialité au cœur de notre quotidienneté. LIT-Nicolas Obery

Mais de quel lit parle-t-on ? (approche épistémologique) : de l’objet concret que nous voyons et dans lequel nous dormons ? De son image dans un magazine, sur internet ou peint sur un tableau ? De son idée imaginée dans la tête ? Du concept de lit, idée générale et abstraite, avec son extension et sa compréhension ? Le lit par exemple chez Platon a tous les statuts : c'est une image, une idée, une forme, un objet, une représentation...

  • Le lit désigne un espace et un lieu comme objet fonctionnel pour s’allonger. L'utilisation du mot « lit » semble ne se généraliser qu'à partir des années 1690 ; avant on disait la « couche » ou la couchette.
  • Le lit commence et finit avec nous la vie, de la naissance (et même de la conception) et de la mort : du berceau au lit funéraire (...) Par son rappel à l’origine et au destin, il est mythique.
  • Le lit est très investi temporellement (le 1/3 de son existence en moyenne). Mais on a peu conscience de la longueur objective de ce temps, qui passe vite quand on dort sans que l’on s’en rende compte, sauf en cas d’insomnie.
  • C’est par excellence et destination le lieu du repos, de la récupération, notamment par le sommeil, ou passage obligé en cas de maladie.
  • Le lit privilégie le contact, c’est l’objet le plus et le plus souvent en contact avec nous (près de la moitié de son corps), et le lieu des étreintes… C’est le lieu privilégié de l’érotisme, des jeux érotiques : lieu d’expression du désir et de la jouissance. Confort pour la sexualité. Matériellement improductif mais biologiquement reproductif, le lieu où l’individu s’il n’y prend garde est piégé par l’espèce.


  • Le sommeil est le lieu privilégié du rêve : du désir refoulé qui remonte de façon déguisée (Freud). On se coupe de l’extérieur et la censure se relâche, on régresse dans la position fœtale, le lit est une machine à remonter le temps


  • Dans le passé le lit fut polyvalent : dans la civilisation sumérienne, on a un lit pour le repos et un autre pour trois des quatre repas quotidiens Dans le Banquet de Platon, les convives mangent et parlent accoudés. Le lit est un lieu de sociabilité, il sert à se reposer, mais aussi à manger, recevoir, travailler, et même à juger (le lit de justice du roi). (...)
  • Le lit est aujourd’hui un lieu privé, dans une pièce intime, à l’abri des regards, y compris des enfants.


  • Le coucher est un rite culturel, ancré sur les rythmes biologiques. On passe la nuit au lit. On se prépare à une petite mort, celle de la journée passée. On peut y lire (avant de dormir ou pendant une insomnie), faire l’amour, mais la plupart du temps on ne fait rien, dans sa bulle qui coupe du monde, de ses occupations, du faire, des interactions humaines : on y est livré à ses pensées. C’est le moment de la « vie examinée » (Socrate), de l’examen de conscience pour les chrétiens.
  • Le lever est un autre rituel : dire oui à un nouveau jour, comme à une xième naissance, une résurrection, joyeuse ou triste selon ce qui nous attend dans la journée, le temps qu’il fait… C’est un (re)démarrage. On quitte son lit pour se préparer au monde. Et comme on fait son lit on se couche !
  • Le lit donne lieu à des pathologies, suivant le plus ou moins grand attachement qu’on lui porte : la clinophobie de certains enfants qui ne veulent pas aller au lit à cause de la solitude et du noir ; la clinophilie de celui qui n’arrive pas à se lever, « traîne » au lit (par peur d’affronter le monde ?). Le lit est le spectacle de ces harmonisations/désynchronisations de notre rythme de vie et du couple : il y a des couche-tôt/lève-tôt, des couche-tôt/lève-tard, des couche-tard/lève-tôt, couche-tard/lève-tard...


Bibliographie

  • Colette Gouvion, Eloge du lit , ed. du Rouergue.
  • La Philosophie du Lit Mary Eden et al., Plon.



Trois contes

Les contes donnés lors de ce Café-Philo sont résumés ci-dessous. Vous pourrez lire dans leur intégralité l'adaptation que j'ai présentée dans un article suivant.

Le lit à trois pieds
Tresor_des_contesHenri POURRAT, Le Trésor des Contes, Omnibus, 2009. Tome 1 : livre I à VI - Tome 2 : Livres VII à XIII - Réédition de l'édition originale en treize volumes par Gallimard de 1948 à 1962. Livre X – 1959. A partir de ce conte j'ai fait une adaptation personnelle contée en introduction.

Résumé : Un jeune homme apprenti tonnelier s'en va de chez son père. Il marche vers la ville, à une quinzaine de kilomètres de là, avec l’idée d’aller chercher du travail. A la moitié du chemin, il fait une petite pause. Passe alors une voiture, conduite à par un monsieur de grande mine, qui l'embauche pour réparer des meubles dans son château. Un jour il demande au jeune homme de fabriquer un lit à trois pieds avant de lui donner son solde et le laisser partir ... étrange demande, mais l'apprenti s'exécute. Une fois le lit achevé, il a l'impression de sortir d'un rêve ; il sort dans le couloir et, cherchant son mâitre, il toque à la première porte. On lui dit d'entrer : c'est une vieille tante décédée qui l'avertir qu'il est ici chez le diable et qu'il fasse attention ! au moment de recevoir sa paye il doit prendre juste son dû, pas plus ... Ce que fit le jeune homme malgré la tentation d'un grand trésor. Le monsieur, au regard noir, le ramène là où il l'a trouvé.

La princesse au petit pois
Ce conte d'Andersen, paru en 1835, a été évoqué par Marcelle lors du débat, puis joliment présenté par Marie-Jo.

Résumé : Princesse-au-petit-pois-Andersen-ill. Edmond Dulac-1911Une princesse égarée en forêt arrive à la porte d’un château en haillons (robe déchirée par les ronces) mouillée (la pluie et la boue lorsqu’elle a trébuché) et toute décoiffée, en un mot méconnaissable. Elle demande l’hospitalité. Cela tombe bien : il vivait dans ce château un prince qui voulait épouser ce qu'il appelle une « vraie princesse ». Bien qu'on lui ait présenté des princesses, aucune n’avait trouvé grâce à ses yeux, car aucune ne lui semble être une « vraie princesse » Le vieux roi et la vieille reine du château lui préparent un lit très spécial : une pile de 20 matelas et de 20 édredons en plumes d'eider, sous laquelle a été placé, à dessein, un petit pois. (Frais cueilli le petit pois est dur, très dur pour la chair douillette d’une princesse qui n’a pas été élevée « à la dure » comme les filles de paysan.) Effectivement, la princesse passe une nuit épouvantable : elle se réveille toute courbatue, meurtrie par ce petit pois, prouvant ainsi sa délicate origine : c’est bien une princesse ! Le prince et la princesse se marièrent, le petit pois fut placé dans un musée où il doit se trouver encore, si personne ne l’a pris, mais curieusement ce conte ne s’achève pas par la phrase classique : « Ils se marièrent, eurent beaucoup d’enfants et vécurent heureux !» … Trop délicate peut-être ?

Source :

  • La princesse au petit pois, Version intégrale, trad. D. Soldi, ill. Delphine Grenier - Didier (Les grands contes) 2003
  • A lire en ligne : ici
  • Lecture par Jean-Pierre Cassel, Le garçon porcher, La princesse au petit pois et Le costume neuf de l’empereur, trois contes d’Hans Christian Andersen, 30 mn, à écouter sur le site de Radio France ici


Illustration :
La princesse au petit pois, conte d'Andersen, illustration d'Edmond Dulac, 1911, Editions Corentin 2011.

Interprétation à la première lecture :

  • Pour mes filles c’était : Les vraies princesses sont des chochottes. (Marie-Jo)
  • Pour moi-même enfant et ma fille cadette : aussi ! Et ma petite-fille très sportive pense également la même chose ... les princesses modernes ne sont plus les mêmes ...


Le lit de Procruste
Procrustre-Caricature-Allemagne-1878. Dans la mythologie grecque, Procuste (déformation de Procruste, en grec ancien « celui qui martèle pour allonger ») est le surnom d'un brigand de l'Attique nommé Polypémon (« le très nuisible »). Il a pour autre surnom Damastès (« le dompteur »). Conté en conclusion, avec deux lits, pour faire écho à un intervenant citant Procustre au cours du débat qui a suivi la présentation de Michel Tozzi.
Celui-là habitait au bord de la route. Il possédait deux lits, l'un très petit et l'autre très grand ; et tous ceux qui passaient par là, il leur proposait d'être ses hôtes. Mais, ensuite, ceux qui étaient petits de taille il les allongeait dans le grand lit et il leur déboîtait toutes les articulations jusqu'à les faire devenir aussi grands que le lit ; et les grands, par contre, il les mettait dans le petit lit, et il sciait les membres de leur corps, qui dépassaient Apollodore
Un seul lit, toutefois, est mentionné dans la version classique, telle que la rapporte Diodore de Sicile :
« Après cela, Thésée tua Procruste, qui demeurait à Corydalle, dans l'Attique. Procruste contraignait les voyageurs de se jeter sur un lit ; il leur coupait les membres trop grands et qui dépassaient le lit, et étirait les pieds de ceux qui étaient trop petits. C'est pour cette raison qu'on l'appelait Procruste.

Sources :

  • Apollodore, Épitomé, I, 4 Deux lits dans cette version.
  • Diododore de Sicile, Livre IV b, 59.Un seul lit sert de critère.


Illustrations :
* Prokustre : caricature du 19éme siècle d'un journal satirique allemand "Berliner Wespen" - Légende : Bismarck dit : Comme vous voyez, Madame Liberté est un peu trop grande - nous voulons changer cela immédiatement pour son bien (Il lui coupe les jambes). Inscription sur le lit : Loi socialiste. Wikipedia Commons : https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Prokrustes.jpg

Pour en savoir plus :

  • Le lit à trois pieds : adaptation personnelle à lire ici
  • Le lit de Procrustre : adaptation personnelle à lire ici
  • Autres contes où le lit joue un rôle important : article suivant, L ... comme LIT - Le lit dans les contes



Comme on fait son lit on se couche

Le symbole du lit dans les contes :

  • Le lit représente la vie : à peine né, c’est le berceau, puis le lit accueille le sommeil de l’enfance, le réveil sexuel à l’adolescence, la vie maritale, le plaisir ou le déplaisir, la violence, la maladie, la vieillesse, la mort. Lit-princesse=courtisane-Edouard Lieve-1875-https://www.flickr.com/photos/mamzellelulu/245266152
  • Le lit est le lieu où se développent les pulsions sexuelles : Le petit chaperon rouge.
  • La sexualité est en sommeil : La belle au bois dormant ne s’éveille qu’au baiser de son prince.
  • Le lit permet de définir à qui on a affaire lorsque la personne y dort : plus de mise en scène dans le sommeil. La princesse au petit pois.
  • Il peut donner lieu à une épreuve. Le lit à trois pieds, Henri POURRAT, Le Trésor des Contes, Omnibus, 2009. Tome 1 : livre I à VI - Tome 2 : Livres VII à XIII - Réédition de l'édition originale en treize volumes par Gallimard de 1948 à 1962. Livre X – 1959
  • Il sert de critère pour jauger les gens et les réduire à un seul modèle, le sien : Le lit de Procruste : uniformiser, quitte à déformer ou dégrader. D'abord symbole de la violence faite aux étrangers, selon le commentaire que Xénophon met dans la bouche de Socrate3, la légende de Procuste est devenue l'illustration de la tendance au conformisme et à l'uniformisation. On parle couramment de « lit de Procuste » pour désigner toute tentative de réduire les individus à un seul modèle, une seule façon de penser ou d'agir.(Wikipédia)


Illustration :

  • Lit de princesse : en fait, il s'agit du lit de la courtisane Valtesse de la Bigne, qui a servi de modèle à Zola pour créer Nana, le personnage principal de son roman éponyme. Ce lit a été dessiné par Edouard Lièvre vers 1875. Musée des Arts Décoratifs, Paris. https://www.flickr.com/photos/mamzellelulu/245266152


Le symbole du lit dans les rêves :

Le sens que peut prendre le lit dans les rêves nous est révélé par Luc Uyttenhove, Le dictionnaire des rêves, Apprenez à décoder vos rêves, Poche Marabout, Psy, 2013.Dictionnaire-des-reves-Uyttenhove-Marabout-2013

  • Le rêve ne se gênera pas pour utiliser cette image pour lui montrer qu’il se comporte mal !
  • Si le rêveur voit sa ou une chambre occupée par un lit immense, le conseil sera peut-être de donner moins d’importance à des histoires d’alcôves.
  • Les formes du lit, les couleurs des draps et des couvertures, les personnes qui s’y trouvent, ont leur importance dans l’analyse du rêve car la chambre seule n’est jamais qu’une pièce vide où le rêveur est en instance d’amour.
  • Il est possible que le songe demande au rêveur de « faire chambre à part », il convient dans ce cas qu’il envisage une séparation effective avec la personne qui partage sa couche.
  • D’autre part, il peut lui être recommandé de « garder la chambre », ce peut être là un message prémonitoire annonçant un état de fatigue, à moins que le rêve ne veuille simplement suggérer au rêveur de ne pas sortir de « chez lui », autrement dit, de ne pas faire de confidences sur ses projets et ses sentiments.
  • Si la pièce est froide, le rêveur est informé que les sentiments qui pourraient l’amener à user d’une « chambre d’amour » sont eux aussi glacials.
  • La chambre est aussi un endroit de repos où le corps s’allonge, l’esprit s’endort, et l’âme rêve (…) La chambre du rêve devient alors l’endroit insoupçonné pour une initiation personnelle.


Expressions populaires liées au lit

  • Comme on fait son lit on se couche. Si on ne prépare pas bien son lit avant de dormir, on risque de passer une mauvaise nuit. Cette expression exprime la causalité qu’il peut exister entre des actes et des conséquences néfastes. Une expression équivalente est « on récolte ce que l’on sème » !LIT-Mr Bean essaye son lit


















  • Personne ne sort de son lit pour dormir par terre. Proverbe indien.
  • Le lit est tout le mariage. Honoré de Balzac, Physiologie du mariage
  • Par terre on se dispute, mais au lit on s'explique. Et sur l'oreiller, on se comprend ! Arletty, Hôtel du nord (1938), écrit par Henri Jeanson
  • Lit dur fait taille droite. Proverbe paysan cité par Henri Pourrat.
  • Mieux vaut bon sommeil que bon lit. Proverbe français
  • Sommeil de plomb, lit de plume. Proverbe provençal ; Les dictons d'oc et proverbes de Provence (1965)
  • Etre sur son lit de mort. Etre mourant. Pierre DesRuisseaux, Trésor des expressions populaires, Petit dictionnaire de la langue imagée dans la littérature québécoise
  • A son lit de mort, l'homme songe plutôt à élever son âme que des lapins. Louis Auguste Commerson
  • Le lit est l'endroit le plus dangereux du monde : 99 % des gens y meurent. Mark Twain
  • Il y a le peureux qui regarde sous son lit, et le peureux qui n’ose même pas regarder sous son lit
  • Un garçon paresseux et un lit chaud sont deux choses difficiles à séparer. (Il n’est pas facile de séparer le paresseux du lit). Proverbes d’Asie, Philippines
  • L'insomnie est la seule forme d'héroïsme au lit, Emil Cioran
  • Trop au lit pour être honnête, déformation de Trop poli pour être honnête, thâtre, une pièce comique de Mathias Perez. Film français de Jacques Marbeuf, interdit au moins de 18 ans, 1980.