Le lit à trois pieds

Le texte sur fond vert est extrait du conte de Henri Pourrat, Le conte du lit à trois pieds.

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

C’est une histoire que contait mon arrière-grand-père Bertin lorsqu’il parlait de son jeune temps.

Tonnelier-wikipediaIl y avait une fois un garçon apprenti tonnelier chez son père.

Un jour – vous savez comme tout va entre hommes - après avoir (trop) bien goûté une bonne bouteille de vin (ou deux …), et dégusté le pineau des charentes de l'oncle Michel, et du bon ! je vous prie de croire ... plus près du cognac que du vin cuit ... le ton monte, la dispute éclate pour un mot de trop. Un des deux avait sans doute une bouteille de trop dans la tête. On en dit vite plus qu’il n’en faut lorsque le vin vous pousse. Le garçon se pique et décide de partir. En claquant la porte. En laissant son lit vide, tiré au carré, couvertures pliées, comme sa petite vie. Il fait un baluchon de ses outils, de ses quatre chemises, et adieu je t’ai vu !

Fini l’apprentissage, vive l’indépendance ! Voilà notre jeune homme qui marche d’un bon pas, tout fier, se sentant prêt à conquérir le monde et son avenir après s’être opposé au père. Il marche vers la ville, à une quinzaine de kilomètres de là, avec l’idée d’aller chercher du travail.

A la moitié du chemin, il fait une petite pause. Passe alors une voiture, conduite à par un monsieur de grande mine. Il ralentit, baisse la vitre :

- Alors, mon jeune ami, on reprend des jambes ? Où allez-vous comme ça ?
- Je vais à la ville chercher du travail.
- Je vois vos outils. N’êtes-vous pas ébéniste ? Si on vous donnait des meubles à réparer ?
- Je suis tonnelier, monsieur, mais je me fais fort de réparer des meubles
- Eh bien, montez, l’ami. J’ai du travail pour vous.


Le monsieur l’a conduit dans un château. Par quels chemins ? Sous quel couvert des bois, quel nuage de l’air ? Après tout, c’est toujours facile de passer de ce pays qu’on connait trop à un autre qu’on ne connait pas. A quelle minute ne se reconnait-on plus ? C’est comme dire à quel instant on s’endort … On l’installe. Bien nourri, bien chauffé, trop parfois, un lit où dormir, mais pas si confortable que cela … On lui apporte des meubles à réparer. Il les répare. Bien ! tout va bien, trop bien !

Un jour, le monsieur vient le trouver. On parle du travail, de l’un, de l’autre, comment font les gens, de la paye qui approche … justement … le maitre du château a une dernière requête un peu spéciale :

- Un lit à trois pieds, vous sauriez bien le faire ?
- Pourquoi pas ?


Trois pieds-essentia-mobiliaLa demande d’un lit à trois pieds lui a bien paru un peu étrange … C’était une manière diabolique de mettre ses compétences à l’épreuve. Et bien, on allait voir … Et il fait le lit. Stable malgré les apparences.

Le lit fait, il le regarde : il se passe trois fois la main sur la figure, reste planté là devant une minute, deux minutes ? Comme s’il sortait d’un songe, tout engourdi encore, mais les sens en éveil. Il pense alors qu’il n’a fait que travailler depuis qu’il est là, qu’il n’a même pas visité le château. Maintenant qu’il a fini … pourquoi ne pas voir qui y habite ? Il pousse la porte, son marteau encore à la main, il sort de l’atelier, avance dans un long couloir, fait quelques pas, toque à la première porte … - '"Entrez !'" lui fait-on.
Il ouvre la porte … Et dans cette chambre, qui trouve-t-il ? Une tante à lui, une vieille tante bien connue pour son avarice, mais qui, depuis des années, était morte !!!

- Salut, mon neveu. Tu vois ? Je n’avais rien, maintenant j’aurai quelques meubles. On t’a commandé de faire un lit à trois pieds, n’est-ce-pas ?
- Un lit à trois pieds, oui, ma tante.
- Eh bien, mon petit, c’est pour moi … Tu sais où tu es, tu t’en doutes ?
- ???
- Donne-moi ton marteau !

Elle attrape le marteau par le manche en regardant le jeune homme dans les yeux, puis le lui rend. Et sur le manche tout brûlant, il voit marquée l’empreinte de cette vieille main comme imprimée avec un fer rouge …
- Mon petit, écoute, écoute-moi. On va régler ton compte … Toi, attention : ne prends que juste ton dû Sinon tu devrais rester ici travailler pour … et finir comme moi. A brûler ton âme à petit feu…

Le soir même, le monsieur vient examiner le lit. Il fait signe que c’est bien cela, le lit qu’il désirait.
- Je vais, mon ami, vous payer ce que je vous dois. Suivez-moi, voulez-vous ?
Il le mène dans une chambre où se voyait un monceau d’or, des pièces et des pièces d’or !http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpeg
- Faites le compte à votre idée, l’ami
- Merci monsieur, mais réglez-moi vous-même.
- Mon ami, prenez donc au tas.
- Monsieur, j’aimerais mieux …
- Moi, l’argent vous savez … Ce n’est pas ce qui m’importe le plus … Prenez largement ce qu’il vous faut.
- Monsieur, je vais faire le compte au plus juste, comme à un client que je connaitrais bien. 21 journées à 3 francs, eh bien, compte rond, 60 francs.

Cette histoire se passait il y fort longtemps, mon arrière grand-père ne connaissait pas les euros, même pas les nouveaux francs … et les anciens francs lui paraissaient un peu faux. Il avait pour référence le franc-or. en son temps le Napoléon Or valait 20 francs avant la première guerre mondiale … Alors 60 francs tout rond ! 3 francs-or, 3 Napoléon !

Entre le pouce et l’index, pour que le monsieur le voit bien, le tonnelier-ébéniste d’un lit à trois pieds prend une pièce de 20 francs, puis une autre, une autre encore … et c’est tout !

Le monsieur l’a ramené en voiture sur la route, exactement où il l’a pris …


Quand le grand-père Bertin racontait cette histoire, il jurait, la main haute, que c’était chose vraie. La preuve ? Il avait passé 4 semaines hors du pays. Où les aurait-il bien passées, n’ayant jamais quitté sa Charente avant de faire Verdun ? Il lui est resté quelque chose de cette expérience : il a toujours travaillé le bois et fait les meubles à vivre et à dormir : lit à baldaquin lorsqu’il s’est marié, berceau à bascule pour les bébés, lit-cage (à barreaux) pour les tout-petits, lit-bateau à rouleaux (de style Louis-Philippe) pour les enfants grandis, mais de lit à trois pieds, plus jamais !!! De peur que « l’autre » le retrouve et vienne le chercher sans doute …

Petite note sur la monnaie :
Le Napoléon a remplacé le Louis d'Or. C'est une pièce d'or française de 20 francs contenant 5,80644 grammes d'or pur, créée le 28 mars 1803 par le premier consul Napoléon Bonaparte. Cette pièce porte plusieurs effigies, et a la même valeur que le Louis d'Or qui arbore celui de Louis XIV. La pièce du Napoléon d'Or est restée en usage jusqu'à la première guerre mondiale. Il valait 20 francs avant la première guerre mondiale … Il vaut maintenant 293,73 €uros. https://www.gold.fr/napoleon-or-20-francs-louis-or/ et https://www.cdt.fr/or/bourse-cours/123-20-Francs-Napoleon.html

Un peu de vocabulaire :
L’expression faire son lit au carré désigne la façon dont les soldats doivent faire leur lit, une tradition apparue avec l’instauration du service militaire en 1978. Cette technique classique est aussi pratiquée dans les hôtels et dans les hôpitaux. Il s’agit de faire en sorte que la literie soit bien disposée, sans surépaisseurs ni plis gênants et inesthétiques. https://www.lacompagniedublanc.com/blog/faire-lit-carre/

Sources :

  • Henri POURRAT, Le Trésor des Contes, Omnibus, 2009. Tome 1 : livre I à VI - Tome 2 : Livres VII à XIII - Réédition de l'édition originale en treize volumes par Gallimard de 1948 à 1962. Le conte du lit à trois pieds, Livre X – 1959.
  • Adaptation personnelle concoctée spécialement pour le café philo du 13 mars 2020, et présentée en introduction. Le texte sur fond vert appartient à la version de Henri Pourrat mais j'ai réécrit le texte dans un langage plus actuel, en le simplifiant parfois. Mon apport personnel est sur fond blanc.


  • Photo : table basse à trois pieds, essentia mobilia
  • Pièces d'or : www.usagold.com/images/gold-coins-bullion


Types de lit :

Comme on fait son lit on se couche !

  • lit à baldaquin, à colonne, colonial ou à boule, LIT-ciel de lit a la polonaise
  • rococo, baroque gothique, colonial, à moustiquaire (pas à mousquetaire, ce n’était pas l’époque)
  • lit bateau, à rouleau, de style Louis-Philippe, ou encore lit empire
  • lit à ciel de lit, en impériale, à la dauphine, à la polonaise,
  • à la turque avec 3 coussins-dossiers,
  • à l’anglaise, traversins et deux coussins en longueur
  • lit clos, lit cage, superposéLit bateau
  • lit jumeau, à l’italienne, queen size, king size
  • lit convertible, gigogne ou lit tiroir
  • lit de camp à trois pieds, lit pliant


  • matelas moelleux, ferme, à plume, à ressort, mousse, à eau, futon
  • draps et couvertures, couette, édredon, courtepointe,
  • oreillers, traversins, coussins


Sources :

  • Lit à la polonaise : Paris, 1775-1780. Los Angeles, The J. Paul Getty Museum, 94.DA.72 - http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/23357/img-6.jpg
  • Lit bateau en noyer : ebay