Le malchanceux est malchanceux

Praline Gay-Para nous donne à rire (et à méditer) avec son conte Le malchanceux est malchanceux. Tous les ingrédients sont là : un homme sage à longue barbe, au profil généreux, des cadeaux, une dinde, une oie, de bons repas, l'espoir d'une vie nouvelle … (Toute ressemblance avec des personnes existant ou ayant existé, serait totalement fortuite ...). MAIS seuls les vrais cadeaux donnés sans espoir de retour ont vraiment de la valeur et peuvent changer les choses … c'est ce que vous montrera ce conte : car les bons contes (comptes) font les bons amis !!!
Adaptation personnelle :

CAIRE_Fostat_WikipediaTout a commencé dans une rue du Caire. Un roi et son vizir, habillés en hommes du peuple, se promènent et observent les passants. Ils s’arrêtent devant la boutique d’un cordonnierCordonnier_Caire_Zelidja-http://nefermaat.egyptos.net/424-le-caire-cordonnier. Le roi s’approche de la vitre crasseuse qui sert de vitrine et voit l’homme en train de ressemeler de vieux souliers usés. Ses enfants sont assis à ses côtés, sales, déguenillés, ratatinés par le froid. Un spectacle désolant en vérité. Le roi est vraiment désolé. Il dit doucement à son vizir :
dinde_farcie_sauce_miel- Va prendre une dinde au palais, plume-la, fais-la rôtir, mets-y 100 pièces d’or et porte-la au cordonnier. Lui et ses enfants pourront ainsi manger à leur faim, se laver et se vêtir. On ne peut pas les laisser dans cet état !
Le vizir se charge de la commission et le cordonnier remercie chaleureusement le roi qu'il bénit de tous ses vœux. Et le Roi pense ainsi avoir gagné sa place au Paradis ! Le cordonnier enchanté, se met à chanter ! Pensez-donc ! un vrai repas pour toute la famille et une dinde qui plus est ! et offerte ! c'est inespéré, presque miraculeux ! Mais ses chants et la bonne odeur de volaille rôtie et particulièrement bien farcie, traversent la cloison... et cela met en appé !@#$%^&* son voisin matelassier, un bon vivant.
- Une dinde rôtie, une bonne bouteille, et le monde peut s'écrouler ! Le cordonnier ne peut apprécier un mets aussi raffiné ! D'ailleurs comment peut-il se payer un tel repas ?
Il va le trouver :
- Je te donne cinquante piastres en échange de cette dinde. Ainsi tu pourras acheter du pain pour nourrir tes enfants une semaine entière.
Le cordonnier prend les 50 piastres. Le matelassier achète une bonne bouteille et rentre chez lui. Il apprécie la dinde, il bénit la farce !

Trois jours plus tard, le roi appelle son vizir. Il est curieux de voir comment l'argent qu'il a donné au cordonnier lui a changé la vie.
Ils se sont habillés en hommes du peuple et les voilà dans les ruelles du souk. Arrivés devant l'échoppe du cordonnier, catastrophe ! Rien n'a changé ! C'est à désespérer. Le roi est mécontent, sa place au Paradis est compromise... oie_rotie_cuisineAZ Il ordonne à son vizir de porter une oie, la plus grasse, au cordonnier et d'y mettre 200 pièces d'or cette fois. Il est certain que le malheureux a profité de son argent pour rembourser ses dettes :
- Maintenant il pourra vraiment en profiter pour mieux vivre.
Ces pensées l'apaisent. Sa place au paradis, il y tient ... MAIS ... le matelassier, sans doute attiré par le fumet, propose une guinée pour l'oie.
Le cordonnier accepte, une guinée c'est deux semaines de pain pour les enfants ! Le matelassier rentre chez lui avec une bonne bouteille, il dévore la dinde et engloutit les 200 pièces d'or !

Une semaine plus tard...
Une semaine plus tard, le roi, vêtu en homme du peuple, passe à nouveau devant le cordonnier. Il sourit à l'idée de le voir transformé en artisan prospère grâce à sa propre générosité. Il est fier. Quand il colle le nez à la vitre toujours aussi sale, il se sent défaillir :
- Pourquoi le paradis est-il si difficile à atteindre ?
agneau-farci-aux-amandes_MARIONIONLe cordonnier et ses enfants sont aussi maigres, aussi crasseux, aussi grelottants qu'au premier jour de l'histoire. Rien n'a changé ! Le roi ne comprend pas... Je lui ferai envoyer un mouton ! La troisième fois sera la dernière !

Le mouton farci de 300 pièces d'or est livré au cordonnier. Il subit le même sort que la dinde et l'oie et le cordonnier, quant à lui, n'a toujours rien compris ! Le roi est tranquille. Le Paradis lui est acquis ! Avec 600 pièces d'or, on refait un homme, on rénove une vie. Il veut tout de même en avoir le cœur net. Une fois de plus, vêtu en homme du peuple, il part, seul, vérifier le fruit de sa bonté. Il manque de s'évanouir quand il voit la même misère, la même saleté, la même tristesse, le même dénuement. Le roi est fou de colère. Tout cet argent pour rien !

Il rentre au palais et donne l'ordre à ses soldats d'amener le cordonnier. Quand le malheureux arrive dans la salle d'audience, le roi lui dit :
- Je t'ai vu depuis quelques semaines avec tes enfants dans ta boutique. Vous étiez dans une situation de misère absolue. J'ai voulu vous aider. Je t'ai envoyé, une première fois, une dinde rôtie avec 100 pièces d'or, la deuxième fois une oie avec 200 pièces d'or et dans le mouton, il y avait 300 pièces d'or. J'espérais que tu pourrais ainsi améliorer ta situation et celle de tes enfants. Rien n'a changé ! Peux-tu me dire ce que tu as fait de cet argent ? Comment peux-tu continuer à être aussi sale et déguenillé ?
Le malheureux raconte. Le roi fait immédiatement venir le matelassier qui, voyant le cordonnier, se jette aux pieds du roi :
- Pardonne-moi roi du temps. Pour ce qui est de l'argent, le voici, je te le rends, mais la viande, je l'ai mangée !
Le roi est fatigué de voir cette histoire se prolonger, cette histoire qui lui fait perdre son temps et ses espérances :
sac d'or- Toi, le cordonnier, va avec mon chambellan dans la salle du trésor et prends tout ce que tu voudras. Tu seras riche et tu enterreras la misère. Tes enfants pourront enfin s'habiller et profiter de leur existence !

Le roi se sent tout puissant et tellement généreux, un véritable héros ! digne du Paradis ... ???


La salle du trésor est tout en haut d'un immense escalier, bien protégée. Le chambellan monte devant, le cordonnier derrière. Une fois dans la salle du trésor, ce dernier vide son sac à outils et se met à prendre à pleines mains des pièces d'or, des joyaux, des bijoux. Il remplit son sac qui devient très lourd. Enfin il pourra vivre comme tout le monde !
Le chambellan referme la porte de la salle du trésor et les deux hommes redescendent, le chambellan devant, le cordonnier derrière. Ce dernier a du mal à soulever son sac, il le traîne derrière lui. Il pense déjà à toutes les choses qu'il va offrir à ses enfants... quand il s'emmêle les pieds et tombe. Il dégringole jusqu'à la dernière marche, entraînant avec lui le chambellan. Son sac le suit. Le cordonnier tombe sur le chambellan et le tue net. Le sac atterrit sur la tête du cordonnier et le tue aussi !

Résultat des courses :
- 2 morts : le cordonnier et le chambellan.
- 1 éventré : le sac
- 1 blessé grave : le roi, qui a une fois de plus perdu sa place au paradis, et à ce jour, il ne s'en est pas encore remis.

Ne dit-on pas là-bas :
Le malchanceux est malchanceux.
Donne lui une lanterne pour l'aider à marcher sur son chemin,
il éternuera et la lumière s'éteindra.
Même s'il a une lanterne accrochée au derrière,
quoi qu'il fasse, un jour il pétera et la flamme s'éteindra !

Et ne dit-on pas ici : Le cordonnier est le plus mal chaussé...
Lorsqu'on n'a vraiment pas de chance, que tout échoue, il reste le rire ... Qu'y faire ?

Sources :

  • Louliya et autres contes d'Egyte_GAY-PARAGAY-PARA Praline : Louliya et autres contes d'Egypte, Illustrations de PUDLES Daniel, Syros, coll. Paroles de conteurs, 1996.

Jusqu'ici, il n'y avait rien d'autre à se mettre sous la dent que des récits mythologiques de l'époque pharaonique. Grâce à Praline Gay-Para qui en a traduit quelques uns, dans un style qui respecte les tournures de phrases de la langue arabe, il est enfin possible de goûter la saveur si particulière des contes égyptiens contemporains. Les quatre contes de ce recueil sont des merveilles d'humour et d'incongruité : Un roi qui veut gagner sa place au paradis s'est promis de sortir un cordonnier de la misère, mais rien à faire, le malchanceux est malchanceux. Yousif est fou d'amour pour Louliya, fille de Mourgân, un ogre qui ne l'entend pas de cette oreille... Hassan et le derviche magicien parviendront à déjouer le plan funeste d'une princesse qui condamne à mort tous ceux qui croisent son regard. La princesse muette depuis toujours retrouve l'usage de la parole grâce au stratagème du héros, aidé par le génie enfermé dans une boîte d'allumettes. Mais lorsqu'elle parlera, quelle suffocante odeur de renfermé sortira de sa bouche ! (Livres au Trésor)

Illustrations :

  • Une représentation de Fostat tirée de Histoire de l'Égypte par A.S. Rappoport (Wikipedia)
  • Cordonnier du Caire, Zellidjat
  • Oie rôtie : cuisineAZ
  • Dinde farcie aux fruits secs, sauce au miel : club nestle
  • Agneau farci aux amandes et fruits séchés : Marionion


Nurudin le cordelier

Arbre d'amour et de sagesse_GOUGAUDHenri Gougaud : Nurudin le cordelier in : L'arbre d'amour et de sagesse, Contes du monde entier, Seuil, 1992, réédité en 1997. « (…) Aussi sûr que nous avons tous une origine, mon cher ami, nous avons tous un destin. Mais ce destin n’est pas rigoureusement fixe. Il peut prendre tel ou tel chemin, selon la chance, ou l’occasion. Par exemple, voyez ce pauvre cordelier. Sa vie semble tracée. Il est misérable, misérable il mourra, s’il suit sa route prévisible. Supposez maintenant que le hasard lui offre un sac de pièces d’or. Sa vie prendrait un cours sûrement différent. (…) ». Page 311
Ce récit riche en rebondissement insiste davantage sur le poids du destin, sur les essais infructueux pour le changer, mais pourtant un rien peut suffire ... lorsque le destin, la chance, le compagnon qui observe et indique le chemin (ou comme vous jugerez bon de le nommer) décide que c'est le moment et que la personne est digne d'un coup de pouce .... Mais la longueur du récit fait un peu perdre de vue tout cela ... Je vous laisse juge ...

Résumé :

Dans une rue du Caire, un roi et son compagnon, habillés en hommes du peuple, se promènent et observent les passants, les allées-venues dans les petites boutiques ... Ils s'arrêtent devant l'atelier le plus pauvre, celui de Nurudin le cordelier qui use de l'aube au soir ses yeux, ses mains sa vie. Ses enfants sont assis à ses côtés, sales, déguenillés ratatinés par le froid ... et la faim. Un spectacle désolant... Le Roi veut aider, forcer le sort et charge son compagne de faire parvenir au pauvre cordonner une dinde farcie de 100 pièces d'or qui finit sur la table du voisin matelassier pour 50 piastres qui vont permettre à la petite famille de manger toute une semaine. Mais le matelassier garde les 100 pièces d'or.

Trois mois plus tard, le sultan, tout heureux à l'idée d'avoir gagné sa place au paradis par ce beau geste, revient avec son compagnon. Rien n'a changé ! Le roi est mécontent, sa place au Paradis est compromise ! Lorsqu'il apprend ce qui s'est passé, il convoque le matelassier au palais et ordonne à son compagnon de porter une oie farcie de 200 pièces d'or qui est dégustée en famille. Lorsque Nurudin découvre les 200 pièces d'or, il est stupéfait et effaré : où cacher cette somme fabuleuse ? Là, dans un coin il trouve un vieux pot de farine et y cache les pièces sous un peu de farine puis va au café rêver à un avenir sans soucis. Il dort d'un sommeil agité de rêves et sitôt les yeux ouverts se précipite sur le pot de farine ... qui a disparu !!! Sa femme l'a vendu pour 5 piastres à un brocanteur !!!

Trois mois passent tristement, lentement ... Le roi et son compagnon, toujours déguisés collent leur nez à la vitre toujours aussi sale. Le roi se sent défaillir : Pourquoi le Paradis est-il si difficile à atteindre ? Nurudin conte ses malheurs. Le compagnon sourit. Le sultan donne au malheureux un sac de pièces d'or. C'est qu'il y tient à sa place au Paradis !!! Le cordelier cherche une cachette sûre ... pas dans un pot, ni une marmite !!! Sa femme lui conseille de cacher cette fortune dans son turban qu'il ne quitte jamais, sauf pour dormir. C'est chose faite. Au moment de se coucher Nurudin met son turban sous le lit, ferme soigneusement la porte et la lucarne, puis s'endort heureux. Mais au réveil, plus de turban !!! Une mère souris, poussant et tirant des griffes et des dents l'a fait basculer dans son trou derrière la cloison, avec la bourse d'or ...

Trois mois passent. Nurudin, complètement accablé travaille comme un automate... Le roi en visite, profondément déçu, déclare qu'il est écrit que le cordelier ne changera pas sa vie de misère pour une meilleure ... Le compagnon s'attarde un instant et offre un petit cadeau à Nurudin qui pleure sur son tabouret : une boule de plomb trouvée dans la rue en venant visiter le cordelier. Nurudin hausse les épaules et pose le misérable objet sur une étagère et se remet au travail en ronchonnant ...

La nuit venue, son voisin pêcheur frappe à la porte et demande quelque bout de ferraille pour lester son filet. La boule de plomb fera l'affaire.
Le lendemain, vers midi, le pêcheur offre un beau poisson à Nurudin qui remercie. Yasmina, sa femme, prépare le poisson et découvre une pierre étrange aux couleurs irisées. Le soir, tout baigne dans la lumière que diffuse cette pierre ...

Le lendemain matin, une riche voisine offre 50 pièces d'or pour cette pierre. Nurudin, interloqué, ne sait quoi répondre. La femme propose 100 pièces,,, Nurudin écarquille les yeux, 500 ? Nurudin bredouille ... La femme soupire :
- Je n'aurais jamais cru que tu serais si coriace ... 1000 pièces d'or ! Marché conclu !
- Vaut-elle donc si cher ?
- Plus encore, voisin répondit la femme en riant aux éclats. Elle orna la couronne du grand roi Salomon. Celui qui la possède n'a plus besoin de rien.

Depuis ce jour, tout va bien pour Nurudin. Il fait bâtir, enfin !, l'atelier de ses rêves. Il retrouve son vieux turban et la bourse d'or. Il est là, tout étonné quand arrive le brocanteur qui semble misérable. Il n'a qu'un vieux pot à vendre : Nurudin reconnaît son vieux pot de farine qu'il rachète pour 5 piastres ... C'est bien son pot avec au fond les 100 pièces d'or qu'il offre au brocanteur si misérable alors que lui ne manque de rien maintenant.
- Ami, merci. Tu as parlé comme je l'espérais lui dit le brocanteur. Tu es digne. Cela suffit à mon bonheur.
Nurudin regarde mieux cet homme qui semble le connaître et dont la voix lui est familière ... Il reconnaît l'homme qui lui a donné sa chance à plusieurs reprises : la dinde, l'oie et la boule de plomb. Il faut parfois peu pour changer une vie ...

Il est bon de savoir reconnaître sa chance ... Cela permet de la saisir au vol, puis de l'apprécier pleinement ! Surtout si on se rappelle d'où on vient ...

Sources :

  • Henri Gougaud, Nurudin le cordelier in : L'arbre d'amour et de sagesse, Contes du monde entier, Seuil, 1992.
  • Nourredine le cordelier, conté par Maryelle Delour, est à écouter sur le site de l'Aural


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Aide, Cadeaux, Chance, Savoir-faire ou Destin ?

  • Le cordonnier de Bagdad : un autre cordonnier, plus heureux celui-ci parce qu'il sait se sortir de toutes les situations bien que vivant au jour le jour : un conte écrit par Luda et rapporté dans le billet A chaque jour suffit sa peine.
  • L'homme qui venait au mauvais moment conte oriental repris par Jean-Claude Carrière : "Le cercle des menteurs 1 - Contes philosophiques du monde entier", Plon, 1999, p 266. Conté par Abessia le 11 septembre 2010.. Deux hommes riches sont amis, mais l'un d'eux, marchand, perd tout. Il va rendre visite à son vieil ami le Khalife de Cordoue dans l'espoir d'obtenir un peu d'aide. Le sultan en place donne à son ami devenu pauvre quelques moutons, qu'il perd, puis il lui offre une autre chance. Ses cadeaux se perdent par malchance, coup du sort, destin ? Quand, enfin, le mauvais sort ne s'acharne plus sur son ami qui a retrouvé le sens des affaires, il lui offre le royaume de Séville en lui disant ceci : Tu me demandes pourquoi je ne t'ai pas donné ce trône à ton arrivée ? C'est très simple. Parce que le moment n'était pas venu.
  • Le plus beau des cadeaux n'est pas le plus coûteux en argent ... voir l'article précédent C... comme cadeau (1)