Claudine : Les_plus_beaux_contes_de_conteurs_SYROS Le plus beau cadeau du monde Conte Polonais, culture Yiddish, de Muriel Bloch in : "Les plus beaux contes de conteurs", édition Syros Jeunesse, 1999, p. 188.

Un homme vient tout juste d'être père, et pour la première fois il pleure de joie. C'est le plus beau jour de sa vie. Il veut aussitôt faire un cadeau à son fils, son bébé, son premier-né, mais comme le sont souvent les pères, il n'a aucune idée de cadeau. Il finit par demander conseil à sa femme :
- Ne te tracasse pas tant ! quel que soit ton cadeau, tu fais bien. Le cadeau d'un père à son enfant, c'est toujours le plus beau des cadeaux !
L'homme fronce les sourcils : C'est des mots tout ça ... Je veux une idée de cadeau moi ! Le père interroge ses plus proches amis :
- L'amour, voilà le plus beau cadeau. Celui qui reçoit de l'amour, reçoit tout. Celui qui manque d'amour, manque de tout !
Mais le jeune père hausse les épaules : Toujours de belles paroles !
Cadeaux_http://www.qctop.com/articles/cadeaux-fetes.htmToute la nuit, il passe en revue tous les jouets qu'il connaît ... Les jouets défilent devant ses yeux et les idées tournent dans sa tête comme une toupie ... Mais en voilà une bonne idée : une toupie !. tout excité, le jeune papa attend avec impatience l'heure d'ouverture du magasin.
- Bonjour Madame, je voudrais, s'il-vous-plaît, la plus belle toupie du magasin c'est pour mon fils, mon bébé, mon premier-né. Je veux ce qu'il y a de plus beau, de mieux ! Le prix n'a pas d'importance.
La vendeuse sourit et apporte sur le comptoir une superbe toupie multicolore :
C'est la plus belle toupie du magasin. Regardez, je la fais tourner sous vos yeux : c'est un voyage au pays des couleurs ! Cette toupie resplendit comme un vêtement tout neuf !
En entendant ces mots, le jeune père se dit qu'il vaudrait mieux dans ce cas acheter un vêtement tout neuf ! et il court au magasin de vêtements d'enfants le plus proche.

- Bonjour Madame, je voudrais, s'il-vous- plaît, le plus beau pantalon du magasin c'est pour mon fils, mon bébé, mon premier-né. Je veux ce qu'il y a de plus beau, de mieux ! Le prix n'a pas d'importance.
La vendeuse attrape une jolie boite tout en haut des étagères et en sort un ravissant petit pantalon bleu clair d'un papier de soie tout doux.
- Je vous assure qu'il n'y a a plus doux et confortable que ce modèle. Le tissu est doux, moelleux, comme la mie du pain qui sort du four.
En entendant ces mots, le jeune père se dit qu'il vaudrait mieux dans ce cas acheter un pain brioché tout chaud ! et il court à la boulangerie.

- Donnez-moi le meilleur pain, celui qui est tout chaud sorti du four. C'est pour mon fils, mon bébé, mon premier-né. Je veux lui offrir le plus beau des cadeaux dont il se souviendra toute sa vie.
- Ah, dit la boulangère, quelle bonne idée ! Après le lait de sa mère, le bébé doit sentir l'odeur du pain et la douceur de la mie. Prenez ce pain-ci, la mie est aussi tendre et fondante que la chair d'un petit agneau qui vient de naître !
Le père balbutie une vague excuse et se précipite hors de la ville, là où commence la campagne et cherche un berger.

- Berger ! cherche-moi le plus petit, le plus tendre, le plus fondant de tes agneaux, je veux faire un cadeau à mon fils, mon bébé, mon premier-né ! Le prix ne compte pas !
- Je vous comprends ! un agneau qui vient de naître, c'est un joyau, c'est aussi précieux que l'or !
A ces mots, le jeune père retourne en ville et se précipite dans une bijouterie.

- Je veux de l'or, le plus pur de la boutique. Le prix ne compte pas, je veux ce qu'il y a de mieux pour mon fils, mon bébé, mon premier-né !
La bijoutière lui propose de la poussière d'or aussi délicate qu'une eau de parfum d'immortelles ... Et le jeune papa sort pour se rendre chez le parfumeur.

Et le parfumeur lui répond :
- Vous ne pouviez pas mieux choisir que cette eau de parfum d'immortelles : elle est digne du paradis. elle est subtile, délicate, suave ... ces qualités en font une eau aussi rare qu'une colombe de paix....
Mais oui ! quoi de plus beau cadeau qu'une colombe, symbole de paix, le plus beau cadeau pour toute une vie ! Et voilà l'heureux papa qui après s'être excusé auprès du parfumeur, court vers la boutique du marchand d'oiseaux.

- Montrez-moi, s'il vous plaît, une colombe de paix. C'est pour mon bébé, mon nouveau-né, je veux lui faire un cadeau qui n'a pas de prix !
- Regardez-la, dans la cage derrière vous : admirez la blancheur de ses ailes, sa douceur... il ne lui manque que le rameau d'olivier dans le bec !
- Oui ! dit le père tout excité d'avoir enfin trouvé le cadeau idéal. Est-ce que c'est vraiment ce que vous avez de mieux à me proposer ? Je n'achèterai que ce qu'il y a de mieux !
- Je vous assure qu'une colombe comme celle-ci est aussi précieuse qu'un premier baiser d'amour !

- Un premier baiser d'amour, s'écrie le père... attendez, j'ai changé d'avis, mais je vous en supplie, suivez-moi !
Et l'oiseleur suit volontiers, intrigué, le père de l'enfant qui vient de naître. En passant, ils s'arrêtent devant la boutique du parfumeur, qui les suit, puis de la bijoutière ; ils vont chercher le berger, le boulanger, la vendeuse de vêtements, la marchande de jouets ... et ils suivent tous le père...
- Vous suivez ?
Et en présence de sa femme et de tout ce petit monde réuni, le père enfin rassuré va chercher son fils, son bébé son premier-né. Il le tient tendrement dans ses bras et lui donne enfin le plus beau des cadeaux, ce qu'il y a de meilleur au monde, un baiser, le plus doux des baisers.


Abessia : Cercle des menteurs 1_ JC CarrièreLes deux sultans amis ou L'homme qui venait au mauvais moment in : Jean-Claude Carrière : "Le cercle des menteurs 1 - Contes philosophiques du monde entier", Plon, 1999, p 266. - Le pouvoir doit souvent ruser avec le destin, ainsi que nous le montre cette histoire soufi.

Turkish School "Sultan Mahmud I of Turkey (1696-1754)Un riche marchand de Bagdad vivait dans une demeure splendide. Il possédait des biens de toutes sortes et une famille puissante. Ses navires lourdement chargés faisaient le commerce des Indes. Fortune qui lui venait en partie de sa naissance, en partie de la générosité du khalife de Cordoue, qu'on appelait le roi de l'Ouest, et qui connaissait le marchand.
Brutalement, la fortune changea. La maison et les terres furent confisquées par un usurpateur. Les navires sombrèrent. La famille se dispersa. Même les amis du marchand l'abandonnèrent.
Il décida de se rendre en Espagne pour y rencontrer son ancien bienfaiteur. Il traversa un désert effrayant, où tous les malheurs le frappèrent. Son âne creva. Il fut capturé par des bandits qui le vendirent comme esclave. Il s'échappa très difficilement et fut blessé. Son visage, crevassé par le soleil, ressemblait à un vieux morceau de cuir. De temps à autre, des passants, dont il ne comprenait pas le langage, lui donnaient une poignée de nourriture, un morceau de tissu déchiré, et il n'avait pour boire que l'eau glauque des mares.
Trois ans après le départ de Bagdad, il atteignit Cordoue. Mais on refusa de le laisser pénétrer dans le palais du khalife. Les soldats le repoussèrent avec un mépris brutal. Il dut travailler pendant longtemps, comme un employé de la plus basse catégorie, avant de pouvoir acheter un vêtement présentable. Après quoi, avant de le juger digne d'être admis en présence du prince, le maître de cérémonie lui fit suivre des cours particuliers de bonnes manières, car le marchand avait tout oublié de la politesse indispensable.
Il put enfin pénétrer dans la salle d'audience royale. Le khalife le reconnut aussitôt, l'embrassa et le pria de s'asseoir auprès de lui. Le marchand lui fit le récit rapide de ses malheurs. Le khalife l'écouta attentivement, puis il s'adressa à son premier intendant et lui dit :
- Qu'on donne à cet homme cent moutons, qu'on le nomme berger du roi et qu'on l'envoie dans la haute montagne. Le marchand remercia le khalife, non sans une très vive surprise, car il avait espéré davantage. Des moutons ? Pourquoi des moutons ? Il se retira l'esprit troublé.
Quelques jours plus tard, il quitta Cordoue avec son troupeau de moutons. On le dirigea vers un pâturage râpé. En peu de temps, une épidémie frappa les moutons. Ils crevèrent jusqu'au dernier. Le marchand-devenu-berger revint auprès du sultan, à qui il raconta sa nouvelle et terrible infortune.
- Qu'on lui donne cinquante moutons, dit le khalife, et qu'il retourne à la montagne. Honteux et désolé, l'homme quitta la ville avec les cinquante moutons. Quelques jours plus tard, alors qu'ils commençaient à paître, des chiens sauvages surgirent. Ils affolèrent les moutons, qui se précipitèrent du haut d'un rocher et périrent jusqu'au dernier.
Humilié, le cœur chargé de peine, le marchand-berger retourna auprès du khalife et lui raconta son malheur.
- Qu'on lui donne vingt-cinq moutons, ordonna le khalife, et qu'il continue. Désespéré, car il se sentait le plus misérable, le plus incompétent des bergers, l'homme repartit vers la montagne avec ses vingt-cinq moutons. Quelques semaines plus tard, une brebis mit bas et il se trouva qu'elle portait des jumeaux. Il en fut de même, pour une seconde brebis, pour une troisième. En quelques mois, le troupeau doubla. Les agneaux étaient solides et bien portants. Des pluies abondantes, venues à point nommé, enrichirent le pâturage. Le troupeau doubla encore. L'homme vendit des agneaux pour une somme excellente, il racheta d'autres brebis, il loua d'autres pâturages.
Trois ans plus tard, bien vêtu, marqué par sa nouvelle prospérité, il revint à Cordoue. Le khalife le reçut immédiatement et lui dit :
- As-tu bien réussi comme berger, cette fois ?
- Oui, d'une manière incompréhensible. Ma chance a tourné, tout va bien, quoique je ne me sente, je te l'avoue, aucune inclination particulière pour ce métier.
- C'est très bien, dit le khalife. A l'Ouest, se trouve le royaume de Séville, qui dépend de moi. Ce royaume, je te le donne. Va prendre immédiatement ton pouvoir.
Le marchand-berger-roi se dressa stupéfait et dit au khalife : Mais pourquoi ne m'as-tu pas nommé roi à mon arrivée ? Pourquoi ces années d'épreuves et de travail inaccoutumé ? Voulais-tu m'enseigner quelque chose ?
- Non, dit en souriant le roi, je n'avais rien à t'enseigner. Mais si je t'avais donné le royaume de Séville, le jour où tu as perdu tes cent moutons, quel fléau se serait abattu sur la ville ?"
L'homme ne répondit rien. Le khalife le serra dans ses bras et ajouta, avant de prendre congé du nouveau roi :
- Tu me demandes pourquoi je ne t'ai pas donné ce trône à ton arrivée ? C'est très simple. Parce que le moment n'était pas venu. Et les deux hommes se séparèrent.

D'autres légendes et contes du Moyen-Orient sont en ligne ici

Viviane : Jean Petit, roi de France in : Gaston MAUGARD, Contes des Pyrénées, éditions Erasme, Paris, 1955. Conte recueilli en septembre 1933 par Urbain Gibert, de la bouche de M. Fouet, 70 ans, des Clamences, Hameau de Sougraigne (Corblères audoises).

Non loin de là dans les Hautes Corbières, vivait un vieil homme que l'on appelait "Formiga". Il avait plus de 80 ans, était aveugle mais obligé de travailler car il était veuf et avait 3 filles connues dans tout le pays pour leur beauté.
http://arbrealettres.wordpress.com/2009/10/14/Un jour où comme à l'ordinaire il travaillait dans sa vigne, il entend des corbeaux croasser. Cela ne l'inquiète pas outre mesure mais ce croassement s'accentue, tout près de lui. Il voit perché sur un arbre un corbeau très beau, au plumage noir et luisant.
- C'est à moi que tu t'adresses ? demande le vieil homme.
- Oui, je viens te proposer un marché : voudrais-tu retrouver une forme de 20 ans et ne plus être aveugle ?
- Certes, répond Formiga.
- Alors, demande à l'aînée de tes filles si elle veut m'épouser, et rapporte moi la réponse au même endroit demain.
Le vieil homme rentre chez lui un peu inquiet de la réponse de sa fille. Elle revient tout juste de faire quelques emplettes. Formiga lui parle de la proposition du corbeau, mais elle sursaute et répond avec horreur qu'il n'en est pas question !
Lorsqu'il rapporte la réponse le lendemain, le corbeau l'envoie poser la même question à la seconde : elle est en train de donner du grain aux poules, la question l'effraie tant qu'elle laisse tomber tout le grain ! Le troisième jour, il pose la question à la cadette qui est en train de garder sa chèvre. Elle accepte !!!
Le soir venu, le corbeau vient chercher sa fiancée et avant que personne n'ait compris ce qui se passait, ils disparaissent tous les deux.
La jeune fille se retrouve dans un château magnifique où l'accueille un jeune homme élégamment vêtu. Une défroque de corbeau est à ses pieds. Il se présente comme Jean Petit, Roi de France : il a été changé en corbeau par un enchanteur avec lequel il s'est querellé. Voilà ce qu'il propose à la jeune fille :
- Préfères-tu que je sois corbeau la nuit et homme le jour ou l'inverse ?
Elle choisit de le voir corbeau le jour et son fiancé bien aimé la nuit.
Quelques temps plus tard, elle demande à revoir son père et ses sœurs pour les rassurer. Le prince accepte de recevoir les sœurs au château, mais à condition qu'elles gardent le secret. La jeune femme raconte son aventure et ajoute qu'elle aimerait garder son prince avec elles jour et nuit. Elles brûlent le vêtement de plumes pendant le sommeil de Jean Petit. Il se réveille en sursaut, crie au désastre : il doit disparaitre aussitôt. Il a juste le temps de monter à sa femme une chambre secrète emplie d'une multitude d'objets. Voici ce qu'elle devra faire pour le libérer :
- Avant de me retrouver tu devras remplir de larmes 7 fois 100 bouteilles chaque mois de l'année, user 7 fois 100 paires de chaussure, déchirer 7 fois 100 robes.
A partir de ce jour, la malheureuse recueille chaque larme versée, elle parcourt la campagne dans tous les sens à la recherche de son époux bien-aimé, usant ses chaussures, déchirant ses robes aux ronces, mais elle se rend compte que toute une vie ne suffirait pas. Elle décide de revenir vers le lieux où elle est née, marche des jours et des nuits, et se retrouve dans une forêt immense, dans une clairière où se trouve une maisonnette. Elle frappe à la porte. Une vieille femme la prend en pitié :
- Où allez-vous jeune femme ?
- Je cherche mon mari Jean Petit, Roi de France.
- Je ne le connais pas, mais mon fils le vent du Cers le saura peut-être.
Les volets battent et e vent arrive mais il ne sait rien. Il lui donne une noix.
- Peut-être mon cousin le vent d'Autan saura, je vous y emmène.
Le vent d'Autan ne sait rien. Il lui donne une noisette.
Il emmène la jeune fille voir le vent du Nord qui sait : Jean Petit se trouve dans la ville aux 1000 tours où le prince doit épouser une princesse plus belle que le jour. Il donne une amande.
Le vent du Nord emporte la jeune femme dans la ville en liesse où elle jette tout de suite la noix qui s'ouvre et une robe féérique se déplie. Lorsque la princesse voit la robe, elle la veut à tout prix. Personne ne doit être mieux habillée qu'elle ! La jeune femme qui cherche Jean Petit répond :
- Je ne veux ni or, ni argent, mais passer toute une nuit avec le prince Jean Petit, votre futur mari.
La princesse accepte mais donne un somnifère puissant à Jean Petit. Cette nuit-là, la jeune femme a beau supplier Jean Petit : Souviens-toi , mon roi, de ta femme et de la défroque brûlée... il ne réagit pas.
Le deuxième jour, elle lance la noisette et porte une nouvelle robe éblouissante. La marie la veut et elles concluent le même marché. Et il se passe la même chose. Deux nuits perdues.
Le troisième jour, elle lance l'amande d'où se déplie une robe magnifique qui donne lieu au même échange. Seulement cette fois-ci le prince ne boit pas son vin et fait semblant de dormir ... il voit qu'il y a un échange de jeune femme et se souvent alors de tout son passé. Il rompt et chasse la princesse et retrouve son palais, son premier amour et celui-ci dura jusqu'à la fin des temps !

Voilà un conte merveilleux qui rappelle "La Belle et la bête" et les enchantements qui transforment le bien aimé, mais on y trouve aussi les vents (comme dans la quête auprès du Père Soleil), les 3 robes de Peau d'âne, une fausse fiancée, et un heureux dénouement. Dans le même ouvrage, un autre conte mettait en scène un corbeau mais dans un autre contexte. Le corbeau est là aussi associé à quelque chose de magique.

Pour en savoir plus:


Patricia : La légende du marbre rouge de Caunes-Minervois - Conte collecté dans l'Aude (conte merveilleux)
Une légende raconte qu’un légionnaire romain, témoin du miracle des Noces de Cana, où Jésus avait changé l’eau en vin, avait ramené, en souvenir, une amphore de ce vin dans le coin de terre du Minervois que la munificence de Rome lui avait octroyé en remerciement de ses bons et loyaux services. Et là, par mégarde, il fit un jour tomber son amphore qui se brisa sur le sol. Et le vin, en s’écoulant, traça sur le rocher blanc des veines rouges. Le marbre incarnat de Caunes était né. Et depuis, on exploite des carrières de marbre rouge de Caunes.

En promenade dans le Minervois entre Félines et Caunes, marche aujourd'hui, marche demain lorsqu'on marche on fait beaucoup de chemin, parole de conteuse ! mes pas ou le chemin m'amène(nt) devant une vieille masure, reste de hameau en cours de réhabilitation. Un chantier jeunesse participe à sa restauration … Les murs ont été relevés, il reste la toiture à finir, à l'ancienne, toute en lauzes comme la chapelle juste à côté… J'admire la belle pierre plate du pas de porte et surtout le linteau (au-dessus de la porte), superbe bloc rectangulaire dépassant l'ouverture de chaque côté : il est d'un rose pourpre, veiné et lumineux, pour peu on le dirait palpitant comme la chair d'un géant …
Puis, je passe mon chemin … Derrière moi un marcheur d'un certain âge arrive, un autre descend de la colline. Il est de coutume entre randonneurs de se saluer … ce que chacun fait. La conversation s'engage entre les deux hommes devant la façade en pierres … c'est qu'elle doit en contenir des mots et des histoires cette maison perdue … Alors je ralentis le pas et tend l'oreille …
- Elles sont belles ces pierres ….
- Et ce rouge … vous savez ce que c'est ?
- Du marbre … il a une carrière au-dessus de Caunes-Minervois
- Mais vous savez ce qui se raconte sur cette pierre, et pourquoi elle est veinée, rouge ou rose pourpre ? Il y a un conte ...
Au mot « conte » j'ai stoppé net, penchée en avant dans la montée  ! Mes pieds se sont enracinés dans le sol, mes oreilles s'orientaient déjà en arrière, il ne me restait plus qu'à faire demi-tour … j'avais fait 5-6 pas en avant et mes jambes reculèrent de 7-8 pas … mieux que le tango ! Et je me trouvais devant les deux hommes :
- Un conte ? Une légende ? Cela m'intéresse ! Vous la connaissez ?
Je vais vous la donner comme je l'ai reçue ...

Au temps où la Gaule était Romaine, au temps où la vigne commençait à être appréciée dans le Minervois ... un centurion romain est venu s'installer dans cette région dédié alors à Minerve, déesse des arbres, des arts, des techniques de guerre et des sciences. C'était la coutume de récompenser les centurions méritant (et survivants...) en leur attribuant des terres en Gaule pour leur retraite. Les légions occupaient le pays et avaient créé des villes aux endroits stratégiques, tandis que les centurions à la retraite occupaient l'arrière-pays, donnant leur nom aux campagnes et futurs villages, apportant avec eux leurs dieux et quelques pieds de vignes.
amphore_http://huuan.blog.lemonde.fr/2005/02/Mais ce centurion-là apportait aussi dans ses bagages une amphore … et pas n'importe quelle amphore … Il l'avait ramené de Cana, où il avait été invité à une noce … la fameuse noce où un certain Jésus avait offert en fin de banquet un vin sublime alors que les invités se désespéraient de voir leurs gobelets vides car le vin manquait … On raconte même qu'il avait changé l'eau en vin, mais quel vin ! Fameux, gouteux, joyeux à boire et le meilleur qui eut existé ! Un centurion récemment converti, était présent … étonné de voir servir un aussi bon vin en fin de noces, il est allé voir d'où sortait un si bon cru. Cette amphore était vraiment miraculeuse car les serviteurs avaient beau y puiser elle semblait intarissable : à la fin de la noces, malgré les 200 invités à abreuver, il restait encore du vin ! Extraordinaire ! Le centurion n'a pu résisté : il a emporté avec lui l'amphore – en souvenir .... Ah ! Il y tenait à cette amphore … tellement qu'il l a fit suivre jusqu'en Gaule, dans ce coin rocailleux du Minervois offert par César, pour sa retraite (car en ce temps-là, il y avait une retraite pour les centurions après de longues années de service … s'ils n'étaient pas morts avant ...). Le centurion dormait avec son amphore et ne laissait personne y toucher. Bien sûr cela faisait causer, deviser, et rire. Pour l'instant ...
N'allez pas croire que notre centurion se contentait de profiter de sa retraite au soleil et de boire, non ! Il avait emporté aussi quelques pieds de vigne soigneusement sélectionnés. Il les a planté, soigné, élevés, dans l'attente de la première récolte. Vous savez que lorsque la vigne est jeune, la qualité de raisin n'a pas atteint son maximum … et pourtant le centurion offrait à ses invités un de ces vins tiré de l'amphore qu'il gardait précieusement au frais dans une pièce sans fenêtre2. Mais à chaque service, il n'oubliait jamais de remercier le généreux donateur de l'amphore.
Ce vin si bon, si riche, étonnait tout le monde. Comment faisait-il pour obtenir dès la première vendange une telle qualité de vin ? Bien sûr cela faisait des jaloux. Et des jalouses.
En effet, la vieille qui habitait la colline d'en face, celle qu'on disait un peu sorcière car elle cueillait des simples certaines nuit de pleine lune et d'autres herbes les nuits sans lune … cette vieille voyait d'un très mauvais œil la notoriété du cet estranger romain prendre le pas sur le respect mêlé de crainte qu'elle avait inspiré jusqu'alors. On ne parlait plus que du vin de l'amphore du centurion ! On le disait bon en tout, à boire, à guérir les maux d'estomac et les petites faiblesses dues à l'usure ou à l'âge. Il vous donnait un tel tonus, une telle envie de vivre et de rire qu'on en oubliait de venir consulter la vieille pour avoir une tisane spéciale. Plus de remède à préparer, plus de panier de fruits ou légumes, plus d'œufs déposé sur son seuil et encore moins de poulet quand la guérison se faisait !
Alors, la vieille qu'on disait un peu sorcière, se mit à espionner derrière son fenestrou … elle n'avait plus rien à faire me direz-vous … Elle se mit à surveiller les allées et venues du centurion … Et elle attendit … elle attendit … Cela lui a laissé le temps de réfléchir. Une seule chose restait à faire : dérober l'amphore. Vous pensez qu'elle aurait pu jeter un sort ? Et non, cette vieille était guérisseuse mais pas sorcière ! Mais une guérisseuse qui n'avait plus toutes ses dents pour rousiguer quelques racines ou un quignon de pain dur … le manque et l'envie lui avaient donné de l'amertume et des idées … mauvaises ...
Une nuit sans lune, sombre à souhait, elle sortit … marcha prudemment sur des chemins connus par elle seule et se faufila jusqu'au mas du centurion. Il dormait comme un bienheureux … ronflant joyeusement, l'amphore posée sur son socle, à côté de lui … Il était seul. Elle entra sur la pointe des pieds, sans faire grincer la porte dont elle avait pris la précaution d'adoucir les gonds de quelques gouttes d'huile d'olive … et s'empara de l'amphore !
Elle sortit aussi vite qu'elle put, marcha, tangua, trébucha sur les pierres de la colline en coupant court pour rentrer plus vite chez elle afin de cacher la précieuse amphore … Elle songeait déjà aux breuvages secrets qu'elle allait concocter, aux gens qui viendraient la supplier, ne pouvant plus se passer d'elle et ce breuvage « magique » …
Mais une pauvre vieille essoufflée, raidie par les rhumatismes, la vue troublée par l'âge, a bien du mal à courir dans les pierres par une nuit sans lune … A chaque pierre roulant sous ses pieds elle s'attendait à voir surgir le centurion derrière elle, le glaive à la main … Elle s'est retournée … a glissé … a perdu l'équilibre … l'amphore lui a échappé des mains … elle a voulu la rattraper … Trop tard ! Patatras ! L'amphore était tombée sur les pierres, fendue … le vin si précieux d'un beau rouge rubis a coulé sur les pierres, dessinant sur le rocher blanc des veines rouges …
La vieille a voulu ramasser l'amphore fendue et sauver un peu de ce breuvage merveilleux. Le vin a coulé sur ses mains … elle a senti ses doigts s'engourdir, ses bras se tordre, ses jambes se souder et ses pieds s'enfoncer dans le sol … Elle s'est mise à hurler … mais aucun son n'est sorti de sa bouche car sa langue était déjà desséchée et ses cheveux changés en tiges vertes et fines … des feuilles poussaient déjà.
Caunes-Minervois_Carièremarbre rouge_Lafriq1Ce cep tout tordu a donné un raisin au goût unique, un vin sans pareil … Ce cep serait -dit-on- le père des vignes du Minervois.

Les pierres rougies par le vin de Cana ont donné ce beau marbre incarnat de Caunes-Minervois qui a servi à décorer tant de monuments fabuleux de l'abbaye de Fontfroide au château de Versailles -les colonnes sublimes du Trianon sont en marbre rouge de Caunes –et aussi l’Arc de Triomphe du Carroussel au Louvre, les Invalides, l’Opéra de Paris,.. Le marbre de Caunes-Minervois se retrouve jusque dans les palais de Rome, de Saint-Petersbourg, de Washington.

Le vin miraculeux continue à se répandre en quelque sorte… Intarissable … Pour qui sait le reconnaître, il coule encore sur les pierres et dans nos verres …

Pour en savoir plus :

« Le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée. La mère de Jésus était là. Jésus aussi fut invité à la noce ainsi que ses disciples. Le vin venant à manquer, la mère de Jésus lui dit « Ils n’ont pas de vin ». Jésus lui dit « Que me veux-tu, femme ? Mon heure n’est pas encore venue ». Sa mère dit aux serviteurs : « Faites ce qu’il vous dira ». Or il y avait là six jarres de pierre, pour les purifications des Juifs, contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux serviteurs : « Remplissez d’eau ces jarres ». Ils les remplirent jusqu’au bord. Il leur dit : « Puisez maintenant et portez-en au maître d’hôtel ». Ils lui en portèrent. Quand le maître d’hôtel eut goûté l’eau devenue du vin - il en ignorait la provenance, mais les serveurs la savaient, eux qui avait puisé l’eau - il appelle le marié et lui dit : « Tout le monde sert d’abord le bon vin et, quand les gens sont ivres, alors le moins bon ; toi, tu as gardé le bon vin jusqu’à présent ». Tel fut le commencement des signes de Jésus ; c’était à Cana de Galilée. Il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui ». (Évangile selon Jean, 2,1-11). Au chapitre 7, un centurion demande la guérison de son serviteur. Voilà peut-être comment s'est fait l'association d'idées qui a lancé la légende ...

Comment s'est implantée la vigne en Languedoc ?

On suppose que ce sont les Grecs qui ont implanté la vigne en Languedoc, mais ce sont surtout les romains qui l'ont cultivée. C'est lors de la création de Massalia (Marseille) aux environs de 600 av. J.-C., que les Phocéens implantent la vigne dans la Gaule celtique. L'avancée romaine en 125 av. J.-C., le long du couloir rhodanien vers le nord, et à l'ouest vers le Languedoc, voit la diffusion de la vigne et le développement de son industrie. Narbonne et Port-Vendres en sont les centres commerciaux les plus importants (Wikipédia).

A la chute de l'empire Romain, les moines (Bénédictins et Cisterciens) des monastères et abbayes ont pris la relève et ont continué cette culture à travers les siècles. A la fin du 19e siècle, cette région ne fut que peu touchée par la crise du phylloxera, mais la flambée des cours enrichit rapidement et fortement la région. S'en suivit une terrible crise viticole (surproduction, chute des cours) qui conduisit la région à de sanglantes émeutes. Le gouvernement pris alors conscience qu'il devait légiférer la production viticole et 30 ans plus tard naissait le système des appellations.  Cette région a toujours connu une réputation de vins de piètre qualité, mais ces 20 dernières années, les viticulteurs ont réalisé de nombreux investissements, modifié l'encépagement et réduit les rendements. On trouve maintenant de nombreux A.O.C. et des vins offrant une qualité irréprochable avec en plus cet unique accent méditerranéen.(http://technoresto.org/vdf/languedoc/index.html)