Les_saisons_de_l'âme_ DOLGHINMarie-Claire DOLGHIN : «Les trois cheveux d’or du Petit Père Soleil» (conte de Bohême) in : Les saisons de l’âme, des labours aux moissons - L’analyse jungienne des contes de fées (première partie : l’Automne), éditions Dervy, 1999, pp 49-62 (ouvrage réédité en 2009, éditions Dervy, poche)

Présentation de l'éditeur Les mythologies antiques, les légendes et les contes racontent, sous des aspects divers, cette communion de l'âme humaine et de l'âme du monde que l'évolution de nos sociétés a, en apparence, détruite. Pour rendre abordable le monde complexe de la psychologie jungienne, Marie-Claire Dolghin-Loyer a utilisé le fil conducteur du déroulement des saisons, dans ce qu'il recèle de symbolisme, en rendant sensible le fait qu'une évolution psychologique n'est pas seulement intellectuelle mais aussi affective. Cette évolution qui, dans la nature, va des semailles à la moisson, peut aboutir à un état nouveau qu'on peut qualifier de "guérison ". Ainsi, à chaque stade, le lecteur rencontre, pour chaque saison, les sentiments qu'elle inspire, les traditions nées autour d'elle, les mythes qu'on peut y rattacher et quelles transpositions psychologiques sont ainsi éclairées.

Biographie de l'auteur Marie-Claire Dolghin-Loyer, médecin et psychothérapeute, partage son temps entre la relation thérapeutique, l'écriture et l'animation de conférences.

Vous pourrez lire le conte dans son intégralité dans le billet précédent : Les trois cheveux d'or du Petit Père Soleil (1)

Des images qui nous aident à voir ce qui nous est difficile d'accepter

Les aventures du héros retracent les embûches que l’image-père négative dresse devant son rival. Elles montrent aussi comment s’installent, de ce fait, mort et stagnation dans un royaume et comment le héros traverse les épreuves comme un jeune soleil englouti par la mauvaise saison, pour surgir, au retour de son voyage, affirmé dans son épanouissement.Marie-Claire Dolghin

Voici l'analyse qui est faite du conte "Les trois cheveux d'or du Père Soleil" dans l'ouvrage de Marie-Claire Dolghin : Les saisons de l’âme, des labours aux moissons - L’analyse jungienne des contes de fées

La situation décrite au début de ce conte est celle d’un royaume où le roi, sauvage et cruel, passe sa vie à la chasse, seul dans la forêt. C’est un royaume (ou symboliquement un psychisme) dominé par un principe masculin dans sa forme excessive (autorité absolue, activités exclusivement viriles …). Le roi est isolé dans un monde sans rapports humains, perdu dans la forêt, symbole de l’inconscient … Le monde masculin du roi a perdu ses valeurs féminines de sensibilité, d’échanges humains. Ce royaume (cette psyché) a besoin de se réunifier, c-a-d de retrouver les qualités humaines compensatoires qui viendront … recréer une union harmonieuse du féminin et du masculin, symbolisée par le mariage du jeune homme et de la fille du roi.

Cette attitude unilatérale du roi peut évoquer notre monde occidental uniquement épris de réussites techniques, civilisation de conquêtes matérielles dans laquelle manquent la sensibilité et l’amour qu’évoque le monde de la mère et de l’enfant. Cet excès amène une désorientation (le roi se perd en forêt).

La chaumière du charbonnier
Le lieu qu’il trouve pour s’abriter est le plus humble de tous : la chaumière du charbonnier. Par son travail, le charbonnier transforme le bois issu de la nature sauvage en combustible pour foyers humains. Ce travail, sale et noir, apportera du feu dans les habitations. (Dans l’inconscient du roi –la forêt- se trouve un lieu de transformation des énergies sauvages). De cette chaumière vont surgir les germes du renouvellement du royaume : l’enfant, qui apparaît comme un rival du roi mais peut être compris aussi comme un aspect renouvelé de sa personnalité.

Ce sont des femmes qui président à ce destin
Elles réintroduisent la dimension féminine. Chez les Grecs, le destin était figuré par 3 déesses sœurs (Clotho, Lachesis, Atropos : une filait, l’autre tissait, la troisième coupait le fil de la vie). Elles apparaissent ici sous la forme de 3 fées marraines (dans d’autres contes elles se présentent sous la forme d’oiseaux (corbeaux, corneilles, qui accompagnent un vieillard qui figure le temps). L’enfant va simplement suivre une sorte de chemin préformé…

Le roi essaie de s'opposer au changement annoncé
Le thème de l’opposition du roi à l’apparition d’une force nouvelle qui doit rénover le royaume est fréquent (Le roi Hérode apprenant que les 3 mages qui connaissent le destin sont venus honorer le futur roi des Juifs (né dans une humble étable) fait tuer tous les enfants mâles moins d’un an, comme dans l’histoire d’Œdipe, ou celle de Moïse sauvé des eaux et adopté par la fille du Pharaon, roi d’Egypte.
L’enfant nouveau-né représente un aspect rénové de l’âme, un « homme nouveau » se développe avec l’aide d’une déesse-mère qui introduit les attitudes dites féminines qui ont besoin d’être restaurées : simplicité, soumission obéissante au destin, attitude générale de présence et d’éveil (jeune homme) sans excès de combativité (roi autoritaire). Le conte parle ainsi de la rénovation d’un psychisme.

Le roi s’opposera en vain par 3 fois :

  1. il met l’enfant à l’eau, mais il est recueilli par un meunier, figure masculine plus équilibrée que le roi car en raison de son métier il est en contact avec l’élément féminin représenté par l’eau, dont l’écoulement figure aussi le déroulement de notre vie (« le long fleuve de la vie »). Le moulin et la vanne représentent un barrage qui utilise la force de la vie pour un résultat positif, ce qui représente déjà une évolution par rapport à l’expression brutale et sans frein des instincts du roi (chasse). Dans ses meules le meunier broie le grain pour en faire un farine consommable pour les humains : il est un symbole civilisateur de transformation des énergies.
  2. 20 ans passent et le roi essaie de nouveau de détruire son jeune rival et de nouveau la déesse-mère se met sur son chemin. La reine et la princesse n’ont pas de rôle actif dans ce conte mais obéissent sans hésiter à un ordre positif.
  3. Le roi envoie le jeune homme chercher les 3 cheveux d’or du petit père soleil, espérant l’envoyer à une mort certaine.


Fréquence du chiffre 3 : 3 Parques / 3 épreuves mortelles / 3 cheveux / 3 questions / 3 réponses / 3 comme les « trois corps » qui cohabitent en nous (corps physique, corps affectif (âme), corps spirituel (esprit). (M-C Dolghin)

  • S’y reprendre à 3 fois symbolise le nombre de péripéties nécessaires pour faire aboutir une transformation, comme dans un processus de guérison du travail analytique. Dans un premier cycle, la personne semble surmonter les difficultés, puis elle retombe à nouveau dans la désorientation psychique, mais il s’agit moins d’un cercle vicieux que d’une spirale où le sujet retraverse se problèmes à un niveau différent. Ces alternances d’améliorations et de rechutes, parfois désespérantes, conduisent à travers plusieurs cycles jusqu’à un point critique où « le sujet passe de l’autre côté » comme le Jeune homme passe de l’autre côté du monde, dans l’inconscient où il va découvrir les racines du mal et y apporter réparation : les problèmes pourront se reposer à nouveau, la personne est différente et les assume différemment.
  • Trois parques veillent sur l'enfant : elles sont les trois déesses du destin, ou trois fées marraines. Les Parques (par euphémisme, parco signifiant: épargner) sont la transposition latine des Moires grecques. On les représente comme des fileuses mesurant à leur gré la vie des hommes; elles sont au nombre de trois: Nona, Decima et Morta (Clotho, Lachesis et Atropos chez les Grecs) : Clotho (Nona) fabrique le fil de la vie, Lachésis (Decima) déroule ce même fil et Atropos (Morta) le tranche de ses ciseaux. A l'origine, les Parques auraient été, dans la religion romaine, les démons de la naissance, mais ce caractère primitif s'est effacé devant l'attraction des Moires grecques. Elles sont le symbole de l'évolution de l'univers, du changement nécessaire qui commande aux rythmes de la vie et qui impose l'existence et la fatalité de la mort. (http://www.lycee.ch/cours/mytho/parques.html)
  • Trois épreuves :
  1. Né orphelin, puis il est jeté dans la rivière : cette première épreuve concerne la structure du héros, son enfance, les risques de vie ou de mort.
  2. Le héros apporte un message au château, message qui va décider de sa vie ou de sa mort : Cette seconde épreuve représente la mise en marche d’une action, la décision de participer à son destin .
  3. Aller chercher trois cheveux d'or du Petit Père Soleil : cette troisième épreuve se présente comme une quête spirituelle : c’est l’affrontement au monde des dieux et à l’inconscient. Le héros est seul dans sa quête et y consent. Il se laisse guider et explore un monde inconnu et rencontre la frontière entre les deux mondes : la mer noire et le passeur.
  • Trois réponses :

Elles seront étudiées en détail plus loin, en suivant le déroulement du conte.

Les aides :

  • Trois puissances surnaturelles veillent sur son berceau et son destin
  • La troisième parque est sa marraine et l'accompagnera pour le protéger.
  • La reine et la princesse n’ont pas de rôle actif dans ce conte mais obéissent sans hésiter à un ordre positif.
  • Un passeur l'aide à franchir des eaux noires pour arriver sur l'autre rive.


Que représente le passeur ? Il en faut toujours un.
Celui du conte est dans une situation qui n’évolue pas, il va continuellement d’un côté à l’autre sans autre accomplissement…. Il en est ainsi des périodes d’évolution physique où le sujet est dans l’état du passeur, allant continuellement de la berge consciente du monde vers l’autre berge, celle de l’inconscient, mais sans cependant y aller chercher les germes qui s’y trouvent : la situation stagne. Beaucoup de gens oscillent un certain temps entre ces deux mondes jusqu’à ce qu’une énergie suffisante entraîne dans une exploration inconsciente qui permettra ensuite un véritable retour de la vie psychique. En attendant, ils «rament» …
Le passeur représente l’ambivalence du roi qui, tout en niant la nécessité d’une rénovation, accomplit des actes qui la provoquent. Il représente en nous une certain fonction de réflexion qui oscille entre deux positions pour les évaluer toutes deux : aucune décision valable ne s’effectue sans délibération intérieure.
Le passage entre les deux mondes est assuré par une barque et non par un pont qui rendrait possible les passage dans les deux sens sans aide. Sans l’action du jeune homme le travail du passeur serait inutile. Beaucoup de contes relatent la construction de ponts assurant un passage entre deux mondes mais ils sont souvent l’œuvre du Diable qui demande en paiement de son aide le premier être qui passera dessus avant le chant du coq. Comme par hasard, c’est la fille du maître d’œuvre qui passe par là et devient le salaire du diable. Ce thème du sacrifice d’un être pur comme prix d’une construction est un motif largement rencontré dans les récits traditionnels. Il indique qu’une construction technique ou intellectuelle n’est pas bonne en soi, mais qu’il faut aussi un supplément d’âme pour assurer le bon usage de la connaissance.

Les deux villes à-demi détruites :
De l’autre côté de la mer noire (symbole de la séparation entre le monde quotidien et le le monde des ancêtres ou l'inconscient), le jeune homme rencontre les racines de la souffrance du royaume, représenté par ces deux villes à demi détruites. Depuis 20 ans les villes de l’autre monde sont elles aussi malades : l’inconscient ne dialogue plus avec le conscient pour permettre que la richesse de l’un et la compréhension de l’autre alimentent la vie. Cet inconscient perturbé (les villes malades) est le reflet du roi dévoré par la haine et la jalousie depuis 20 ans.

  • Ville 1 : un serpent ronge les racines d’un pommier merveilleux. Le serpent est un symbole ambivalent exprimant selon les cas la vitalité (l’énergie positive ou négative dans la tradition hindoue) ou les dangers de l’animalité (dans la Bible : le serpent du jardin d’Eden mais aussi le serpent d’airain qui a guérit les Hébreux dans le désert). L’inconscient porteur de nos énergies est une force qui doit être canalisée, décantée, transformée jusqu’à son évolution dernière.
  • Ville 2 : une source est tarie et son eau ne guérit plus parce qu’une grenouille empêche la source de couler. La grenouille représente un stade incomplet qu’une nouvelle métamorphose amènerait à l’état humain.

Dans le conte des 3 cheveux d’or du petit père soleil la force de l’inconscient porteur de nos énergies est une force qui s’exerce de façon destructrice, ce qui justifie l’intervention de la déesse-mère et l’attitude particulière demandée au jeune homme : confiance dans le destin et état d’éveil.

Le Petit Père Soleil :

  • Pour réussir le jeune homme doit faire confiance au destin et rester en état d'éveil : c'est une attention active, prête à saisir sa chance. En effet, au cours de cette nuit d’initiation dans la maison du Petit père Soleil, il ne faut pas qu’il s’endorme (dans d’autres contes lorsque le héros s’endort au lieu de veiller, il échoue).
  • Dans la version des frères Grimm (Les trois cheveux d’or du Diable) le petit père soleil est remplacé par le Diable lui-même. Mais ici il n’est pas tout à fait le diable chrétien tentateur, mais plutôt le grand dieu chtonien, Pan, le créateur cosmique qui représente la force et la puissance du dieu créateur. Il parcourt le ciel comme le fait le soleil dans sa course, il voit tout et entend tout, enfant le matin, vieillard le soir comme Apollon dans son char. C’est aussi Lucifer, le porteur de lumière, que sa force et sa luminosité rendent redoutable. Dans la terminologie chinoise, c’est le Yang.
  • Ici le yang est en excès, il faut en lever un peu, lui prélever 3 cheveux d’or.
  • L’or des cheveux comme l’or et les pierreries, évoque une image de perfection qui préfigure le Soi, symbole de la personnalité réunifiée


Les 3 réponses sur le chemin du retour :

Ce qui est à tuer c’est la perversion de l’instinct :

  • Il faut tuer le serpent sous le pommier (L’inconscient porteur de nos énergies est une force qui doit être canalisée, décantée, transformée jusqu’à son évolution dernière : selon la façon dont il est réveillé, elle peut apporter du bien ou du mal)
  • Il faut tuer la grenouille (le stade incomplet des métamorphoses) pour que la source coule à nouveau parce que les énergies instinctives (animales) sont devenues néfastes : la grenouille empêche la sortie de l’eau et le serpent ronge les racines.

A son retour, le héros restaure l’état des deux villes.

  • Ce nettoyage des racines ou des profondeurs de la source n’est * pas sans évoquer le travail analytique. Des complexes autonomes (sentiments d’infériorité, haine, envie, jalousie, frustrations diverses …) empêchent l’écoulement de l’eau, la formation des fruits. La restauration après destruction des complexes (serpent, grenouille) renouvelle l’énergie vitale.
  • Ceci est exprimé aussi par les dons que reçoit le jeune homme : 12 chevaux blancs, 12 cavales chargés de richesses. Le cheval représente l’énergie animale et sa vitalité, avec la particularité qu’il peut être dompté. Le dynamisme est devenu une monture que l’on peut diriger.
  • Les qualités multiples de l’individu sont évoquées par l’or et les pierres précieuses, symboles alchimiques. L’or des trois cheveux comme l’or et les pierreries, évoque une image de perfection qui préfigure le soi, symbole de la personnalité réunifiée.
  • L’opposition, créatrice entre les tendances viriles et féminines apparaît dans la juxtaposition des chevaux blancs et des cavales noires. Ici, sur le chemin du retour, l’instinct est le soutien des qualités humaines et non leur antagoniste.


Lorsque la compréhension entre le conscient et l’inconscient est rétablie, grâce au voyage du héros, il n’est plus nécessaire au passeur de ramer et cette tâche devient la punition du roi.

  • Celui qui représentait un excès d’activité, un excès de puissance et de volonté va se trouver plongé maintenant dans un excès d’incertitude (évolution intermédiaire). Dans la plupart des traditions, il faut pour évoluer mettre quelqu’un à la place où l’on était, il faut que la rame du passeur soit tenue (la fonction de réflexion qui délibère en étudiant deux pans de notre fonctionnement : les conséquences d’une décision sur le plan physique et affectif ou psychique par exemple).
  • C’est aussi parce que son désir d’exploration de l’autre monde est intéressé qu’il se trouve dans l’impossibilité d’y pénétrer, sans pouvoir cependant retourner à son état précédent.


L'attitude du Héros le mène à la réussite :

  • Le jeune homme accepte simplement de suivre les forces qui le guident.
  • Dans le dernier voyage, le jeune homme est seul dans sa quête et y consent. Il se laisse guider et explore un monde inconnu et rencontre de nouveau la frontière entre les deux mondes : la mer noire et le passeur.


L’enfant nouveau-né représente un aspect rénové de l’âme, un « homme nouveau » se développe avec l’aide d’une déesse-mère qui introduit les attitudes dites féminines qui ont besoin d’être restaurées : simplicité, soumission obéissante au destin, attitude générale de présence et d’éveil (jeune homme) sans excès de combativité (roi autoritaire). Le conte parle ainsi de la rénovation d’un psychisme.