Les_saisons_de_l'âme_ DOLGHINMarie-Claire DOLGHIN : «Les trois cheveux d’or du Petit Père Soleil» in : Les saisons de l’âme, des labours aux moissons - L’analyse jungienne des contes de fées, éditions Dervy, 1999, pp 49-62 (ouvrage réédité en 2009, éditions Dervy, poche)

Il était une fois un Roi, autoritaire, brutal, pour qui le seul plaisir était la chasse. Il partait pour des journées entières, des semaines même ! Un jour, emporté par le plaisir de la poursuite, il s'est trouvé loin de tout, seul, à la nuit tombante, perdu dans une profonde forêt. Il aperçoit au loin une faible lumière, il s’en approche : c’était une cabane misérable, la chaumière d’un charbonnier. Le roi demande son chemin pour regagner le château. Le charbonnier lui dit qu'il vaudrait mieux pour lui attendre le jour parce qu’avec la nuit, il lui serait impossible de retrouver son chemin dans la forêt. Il se trouve un peu embarrassé pour l'accueillir car il n'y a qu'un seul lit dans sa pauvre cabane et sa femme est en train d'accoucher ..., mais il prépare une couche moelleuse de foin dans le grenier de sa maison.
- Je suis pauvre et ne puis rien vous offrir d’autre ; et ma femme est en train d’accoucher !
Le roi est bien trop fatigué pour faire le difficile ! Il accepte l’offre du charbonnier et, aussitôt couché sur la paille, il s’endort, juste au-dessus de la chambre du charbonnier. Mais au milieu de la nuit, une mystérieuse lumière venant le tire de son sommeil … Il écarte le foin, et regarde à travers les trous du plancher ce qui se passe dessous : il voit la chambre toute illuminée. Le charbonnier dort profondément, à côté de lui sa femme, endormie de son dernier sommeil, et dans le berceau un enfant. Cette clarté étrange provient de trois silhouettes penchées au dessus du berceau : trois femmes, ou plutôt les trois fées du destin, les trois parques qui annoncent ce que sera la vie de ce nouveau-né, un petit garçon :
La première dit :
- Je fais don à cet enfant d’une vie pleine d’embûches et de dangers.
La seconde dit :
- Je fais don à cet enfant de la chance qui le sauvera des dangers.
La troisième dit :
- Je serai la marraine de ce garçon et je lui destine la fille du roi qui est là-haut dans le grenier. A ces mots, le roi se recule d'un bond ! Il est fou de rage ; Il a reconnu les Parques, les déesses du destin, … Et il sait que leurs prophéties s'accomplissent à coup sûr … donc la reine qui attendait un enfant elle aussi, avait sans doute accouché d’une fille pendant qu’il errait dans la forêt. Ah ! Il aurait préféré un fils ! Mais donner sa fille au fils d’un charbonnier, il ne faut pas y songer ! Il va déjouer la prédiction...

Au matin, le roi trouve le charbonnier en larmes au chevet de sa femme. Il propose d’adopter l’enfant et de l’emmener au château. Le charbonnier accepte car il pense au bien de l'enfant, et que c'est sa chance d'avoir une vie meilleure que la sienne.
- J’enverrai un serviteur le chercher et te donnerai en échange l’argent dont tu as besoin pour vivre.
Le charbonnier lui indique la route pour s'en retourner au château le Roi y retrouve sa femme ; effectivement, elle avait bien accouché d’une fillette pendant son absence. Il appelle un serviteur et ordonne :
- Va dans la forêt, tu y trouveras une chaumière, et là un charbonnier. Tu lui donneras cette bourse et, en échange, il te donnera un enfant nouveau-né. Prends-le et va le noyer dans le fleuve le plus proche.
Le serviteur n'osa pas discuter les ordres du Roi : on ne se risquait pas à le contredire ! Ce roi-là était connu pour ses colères mémorables et sa cruauté... Le serviteur va chercher l’enfant et l’emporte dans son berceau, un panier en osier. Passant au-dessus d’un pont, il jette le panier dans l’eau de la rivière !!! Puis il va faire son rapport au Roi : il a bien accompli sa mission. Le Roi, soulagé, pense être débarrassé pour toujours de ce gendre mal venu.

moulin_GaborEszes_wikipedia Mais l’enfant ne s'est pas noyé. Le berceau en osier, tressé bien serré et avec amour par sa mère, descend au fil de l’eau. A un moment donné, la rivière se divise en deux : un petit canalet amène l'eau à un moulin à aube et le panier s'y engage et bloque l'arrivée d'eau à la vanne qui régule le débit d'eau. L'eau coule de moins en moins, la roue du moulin s'arrête de tourner, les meules aussi. Le meunier, vient voir ce qui a bloqué l'arrivée d'eau - des branches et des feuilles certainement - et trouve le berceau où un tout petit enfant pleure faiblement. Il l'emporte immédiatement à sa femme, tout heureux de ce cadeau inattendu car ils n'arrivaient pas à avoir d'enfant.
- Regarde, femme, ce que le fleuve nous apporte ! Toi qui désirais un enfant, le voici !
Et ils l'élèvent comme s’il était leur fils.

VINGT ANS PLUS TARD, le roi, toujours grand chasseur, part pour une grande campagne de chasse et s'égare de nouveau dans la forêt. Il a grand soif et faim aussi. Il suit la rivière et s’arrête au moulin pour demander l'hospitalité. Un jeune homme, beau et bien fait, le sert.
- Meunier, tu as là un bien beau garçon, lui dit le roi.
- C’est mon fils et ce n’est pas mon fils, lui répondit le meunier. Il nous est arrivé, il y a 20 ans, au fil de l’eau et nous l’avons adopté, ma femme et moi.
Le roi comprend aussitôt à qui il a affaire... Ainsi le bébé a survécu … mais il n'est pas question qu'il épouse sa fille, une princesse !
- Je suis en chasse pour plusieurs jours, dit-il, et j’ai besoin d’un messager qui porte une lettre au palais. Ton fils pourrait-il remplir cet office ?
- Ce sera avec plaisir et honneur, dit le meunier.
Le roi prépare une lettre qu’il remet au jeune homme. Dans cette lettre pour la reine, il écrit : ''« Faites exécuter le porteur de ce message avant même mon retour, telle est ma volonté.»'' Il scelle le message de cire fondue, et y imprime son sceau en y appliquant sa chevalière.

Le jeune homme part vers le château, et son destin, la lettre du roi glissée dans sa veste, ne sachant pas qu'il porte sa mort sur lui ... La nuit tombe. Les ombres se font de plus en plus denses, les taillis de plus en plus serrés … il est perdu ! Il débouche enfin dans une éclaircie et voit luire non loin de lui deux yeux jaune brillants … Serait-ce des yeux de loup ? Non, il distingue une forme humaine … et il voit venir vers lui une femme aux yeux étincelants. Une sorcière peut-être ???
- Il ne fait pas bon se promener quand la nuit est tombée, lui dit-elle. Viens te reposer chez moi et ne crains rien, je suis ta marraine.
Le jeune homme, étonné, voit soudain apparaître comme par magie une chaumière … mais il suit sans crainte la vieille femme à l'intérieur. Un feu de cheminée brûle. Après la soupe, il s'endort sur le banc disposé sur le côté de cette vaste cheminée ouverte. Pendant qu’il dort la vieille femme prend délicatement la lettre, lit à l'intérieur sans l'ouvrir grâce à ses yeux étincelants, fait deux ou trois geste au-dessus : le message de mort s'efface … elle le remplace par un autre bien différent sans briser le sceau : « Que ma fille épouse aussitôt le jeune homme porteur de ce message et sans attendre mon retour, telle est ma volonté.» Ainsi le destin du garçon va s'accomplir ... en dépit de tous les efforts du Roi pour l'empêcher ...

La Reine est bien un peu étonnée d’un tel message, mais le jeune homme a si belle allure (peut-être est-ce le fils d'un noble seigneur ?) et les deux jeunes gens se plaisent tant, dès le premier regard, comme s'ils étaient destinés l'un à l'autre, qu’elle s’empresse d’exécuter les ordres. Et puis qui oserait s'opposer aux ordres de ce tyran de Roi !

Je ne vous raconte pas la colère du Roi à son retour ! La Reine, toute tremblante, lui montre le message signé de sa main et portant son sceau et le Roi doit reconnaître qu’une fois encore, la Parque a été la plus forte.
- C’est bien, dit-il. C’est bien, tu es mon gendre, mais je ne veux pas d’un gendre sans dot. Une princesse, ça se mérite ! Apporte-moi trois cheveux d’or du petit père soleil, celui qui sait tout, et je serai content.
Il espérait bien que ce gendre mal venu ne reviendrait jamais d’un tel voyage.
Le jeune homme accepte sans sourciller ce nouveau voyage et part à l’aventure, après avoir fait ses adieux à sa femme. Marche aujourd'hui, marche demain, quand on marche on fait toujours beaucoup de chemin …

passeur_http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Le-Passeur-du-Gange-1.jpgIl part en direction du soleil couchant, marche, marche, marche … et parvient au bord de la mer noire. Un passeur lui demande où il va :
- Je vais chercher 3 cheveux d’or du petit père soleil.
- Ah ! dit le passeur ; j’avais bien besoin d’un voyageur comme toi. Si tu trouves le Petit Père Soleil, j’aimerais bien savoir pourquoi, depuis si longtemps, je dois faire passer l’eau ainsi et pourquoi je ne puis me libérer.
- C’est promis ! dit le jeune homme. Je poserai la question.

vieux_pommier_FRIPPIAT Il poursuit son chemin et arrive aux abords d’une ville aux murailles délabrées. Un vieillard chauffe ses vieux os sur une banc en pierre, en regardant la campagne. Il lui demande son chemin.
- Ah ! dit le vieillard, nous avions bien besoin d’un voyageur comme toi. Et il lui raconte que la ville possédait un pommier qui donnait des pommes merveilleuses : le malade qui en mangeait, fut-il au bord de la tombe, redevenait vif comme un jeune cabri. Or depuis 20 ans, le pommier ne donnait plus de fruits, sans qu’on en sache la raison. Le jeune homme promit de chercher la réponse et continua son chemin.

fontaine_http://www.dreamstime.com/fountain-image10910952Il arrive bientôt devant une autre ville. Il croise un cortège funèbre : un fils enterre son père en pleurant. Le jeune homme le salue en lui demandant son chemin.
- Ah ! dit le garçon. Nous avions bien besoin d’un voyageur comme toi. Notre ville avait une source merveilleuse qui donnait de l'eau de jouvence, longue et belle vie car celui qui buvait de son eau était guéri instantanément . Or, depuis 20 ans, la source est tarie et les habitants de cette ville meurent comme des mouches. Puisque tu vas voir le petit père soleil, demande-lui le remède de ce mal.

Le jeune homme promet et continue son chemin. Il arrive devant une verte prairie et au milieu est une maison toute dorée, brillante. Le voilà arrivé devant la maison du Petit Père Soleil. Sur le seuil était assise une vieille femme au regard étincelant, elle est en train de filer. C'était la 3ème Parque, sa fée-marraine. Elle lui dit :
- Tu ne me reconnais pas ? Je suis ta marraine, celle qui t’a veillé auprès de ton berceau et qui t’a recueilli dans la forêt. Je sais ce que tu cherches. Le Petit Père Soleil est mon fils. Je vais t’aider en te transformant en fourmi et en te cachant dans les plis de ma robe. Mais, cette nuit, ne dors pas, sois bien attentif. A ce moment-là, on entend un rugissement effroyable et apparut un grand vieillard aux cheveux dorés. C’est le soleil, celui qui voit tout, qui entend tout, celui qui parcourt la terre. Le voilà revenu de sa longue course pour se coucher. Il a des reflets cuivrés, mordorés. Ses cheveux sont roussis. Il dit :
- Hum ! Cela sent la chair humaine, ici ! Un humain est venu !
- Oh ! lui dit sa mère, mon fils, tu traverses tant de pays ! C’est toi qui es revenu imprégné de cette odeur. Viens donc te reposer et dormir sur mes genoux.
Et le vieillard épuisé, tout cuivré, pose sa tête sur les genoux de sa mère et s’endort. Alors, dans son sommeil commence une étrange transformation. Peu à peu, les rides de son visage s’estompent, ses cheveux roussis redeviennent dorés ... c'est un homme d’âge mûr qui dort paisiblement maintenant. C’est alors que la vieille mère arrache un de ses cheveux d’or. Le soleil se réveille en un violent sursaut, comme une éruption solaire, et dit avec colère :
- Que se passe-t-il ! Tu ne dors pas, ma mère ? Pourquoi es-tu si agitée ? Pourquoi me réveilles-tu ?
- Oh ! dit-elle, j’ai fait un rêve curieux. Une ville avait un arbre qui, autrefois donnait des pommes de jouvence. Or, depuis 20 ans, cet arbre ne donne plus de fruits et les habitants ne savent pas pourquoi. Ils sont tous vieux et décrépis et s’en vont vers la tombe en se lamentant.
- Ah ! dit-il. Ils sont bêtes ! Ils ne savent pas que dans les racines de cet arbre dort un serpent qui les dévore. Il faut le tuer et le pommier donnera des pommes comme auparavant.
Il se rendort et la mystérieuse transformation se poursuit. Bientôt, c’est un jeune homme aux traits lisses et reposés qui dort là, et la vieille lui tire un nouveau cheveu.
- Aïe ! Ma mère, me laisseras-tu dormir tranquillement ?
- Mon fils, j’ai fait un rêve étrange. J’ai vu une ville dont tous les habitants sont malades. Autrefois, une source donnait une eau miraculeuse, une eau de jouvence, qui guérissait tous les maux, mais depuis 20 ans, elle est tarie.
- Je la connais bien, dit-il. Les malheureux ne savent pas qu’au fond du puits est une grenouille qu’il faut tuer
Il se rendort à nouveau et, bientôt, c’est un jeune enfant qui repose dans les bras de sa mère. Celle-ci tire un nouveau cheveu.
- Mais on ne peut pas dormir tranquille dans cette maison ! Ma mère, ça suffit !
- Mon fils, excuse-moi, mais c’est un rêve encore qui m’a troublée. J’ai vu la mer noire et un passeur qui fait traverser les voyageurs et il se demande s’il devra continuer ainsi jusqu’à l’éternité.
- Qu’il est bête ! dit le soleil avant de se rendormir. La prochaine personne qui se présente à lui, il n’a qu’à lui laisser la rame entre les mains et partir sur son chemin.

Au petit matin c’est un tout jeune enfant qui se réveille dans les bras de sa mère et reprend sa course de par le monde. Alors, la vieille femme se lève, secoue les plis de sa robe, la fourmi tombe et sitôt qu'elle touche le sol elle redevient jeune homme. Elle l'interroge :
- As-tu veillé ? As-tu bien tout entendu ?
- Oui, dit-il, j’ai tout entendu !
- ''Alors, maintenant ma tâche auprès de toi est finie. Tu peux repartir, je n’aurais plus à t’aider. Tu sais ce que tu dois savoir. Elle lui donne les trois cheveux d’or si précieux et le jeune homme repart, seul, vers le château, vers son destin mais il a tout ce qui lui faut désormais ...''

Il atteint d'abord la ville de la source. Le gardien de la ville l’attendait pour le conduire auprès du roi. Il leur dit :
- Au fond de la source est une grenouille ; il faut la tuer et la source jaillira de nouveau.
Le roi le remercie et lui donne en récompense 12 chevaux blancs chargés d’or et d’argent.

Il continue son chemin et arrive près de la ville de l’arbre. Le gardien de la ville l’attendait pour le conduire auprès du roi. Il leur dit :
- Dans les racines de l’arbre est un serpent. Si vous le tuez, l’arbre fournira des pommes comme auparavant.
Le roi le remercie et lui donne 12 cavales noires chargées de pierreries.

Il continue sa route et arrive à la mer noire où l’attend le passeur.
- Alors ? lui dit le passeur, As-tu ma réponse ?
- Fais-moi passer d’abord, moi et mes montures.
Le passeur lui fait traverser la mer noire avec toute sa caravane, cela a pris un certain temps, mais dans les contes le temps passe vite … Le jeune homme saute sur le bord et fait descendre ses chevaux. Alors, et alors seulement, il dit au passeur :
- Le prochain être humain qui s’adressera à toi pour que tu le fasses passer, laisse-le monter et puis mets-lui la rame entre les mains, et tu pourras prendre ton chemin.
Puis il s’en va.

Il parvient au château où plus personne ne l’attendait. Le voilà avec les 3 cheveux d’or, les 12 montures blanches chargées d’or et d’argent, les 12 montures noires chargées de pierreries, et tout le monde écoute son récit merveilleux.
Le vieux roi, tout en l’écoutant, réfléchissait ... Eau de jouvence ! Éternelle jeunesse ! Pierreries ! Or ! … Sans attendre plus longtemps, il prend son cheval et part au galop vers le couchant.

On ne l’a jamais revu et, sans doute, fait-il toujours passer la mer noire … Le passeur a enfin trouvé son remplaçant !