Je veille, tu veilles, il (elle) veille... de la veille documentaire à la veillée de contes ...

En Introduction : Bonne ou mauvaise place ? - - - - - - - - - - - - - - - - -

Faut-il s'en tenir à la première décision ? Faut-il rester à sa place ? Cette expression est souvent synonyme d'immobilité. N'oublions pas que nous pouvons décider d'y rester (et se taire) ou partir (pour une meilleure place ?), ainsi que le montre ce conte moderne.

Une jeune fille vient de terminer ses études avec brio. Son père veut lui faire un cadeau pour l'aider à démarrer dans la vie et se faire une bonne place :
- Tu as fini tes études, voici une voiture que j'ai achetée il y a quelques années. Mais avant que je te la donne, emmène-la au parking de la ville, où se vendent les voitures d’occasion, et regarde combien ils proposent. La fille, est un peu déçue, la voiture est bien vieille ... Mais elle propose la voiture au parking de vente des particuliers. Mais elle ramènela voiture chez son père :
- Ils ont offert 1000 euros car elle a l'air très usée !

Le père lui propose autre chose :
- Garde-la et emmène-la au prêteur sur gage. La fille va chez le prêteur sur gages, puis retourne chez son père :
- Le prêteur sur gage a offert 100 euros parce que c'est une très vieille voiture.

Le père demande alors à sa fille d'aller dans un club automobile dont les membres sont des passionnés de vieilles voitures de collection. La fille emmène la voiture au club, et une fois de retour elle explose de joie :
- Tu ne vas pas le croire ! Certaines personnes dans le club m'ont offert 100 000 € parce que c'est une voiture rare qui est en bon état et difficile à trouver.

Le père, lui révèle enfin le fond de sa pensée :
- Je voulais que tu saches que tu ne vaux rien si tu n'es pas au bon endroit. Inutile de te mettre en colère lorsque personne ne t’apprécie à ta juste valeur : cela signifie simplement que tu es au mauvais endroit, que tu n'es pas à la bonne place. Pour trouver ta place, une place où tu te sens bien, commence par quitter l’endroit où personne ne voit ta valeur et va là où on t’apprécie sans t'exploiter.

Ne restez pas dans un endroit où personne ne voit votre valeur.

Présentation de Michel Tozzi
Ma place, toute ma place rien que ma place - - - - - - - - - - - -

Michel Tozzi vous propose de réfléchir à la place que l’on occupe :

• La place est un lieu à la fois géographique et symbolique, car s’y joue mon rapport (facilité ou difficile) avec les autres, par exemple dans la famille, le travail, mes groupes d’appartenance etc.
• Une place peut être donnée, contestée, refusée, revendiquée, conquise, sauvée, perdue … Tout humain désire être reconnu, notamment en ayant une place à lui, pour lui. Et toute sa place pour être à l’aise, sans menace.
• Mais souvent, par exemple par ambition ou jalousie, il veut une place plus grande, ou celle des autres.
• Qu’est-ce qui se joue autour des places, de ma place, de mon rapport à celle des autres ?
  

Être à sa place : quelques pistes de réflexion …

Ce n'est pas si facile d'être à sa place, cela nécessite toute une succession d'actions. Les mots d’action que l’on choisit pour décrire l’espace intangible qu’est cette « place » traduisent la perception que nous avons de nous-même et de notre valeur. Ils influencent ainsi nos comportements, nos décisions… et ultimement notre cheminement (famille, carrière, ...) :

• chercher sa place
• trouver sa place
• avoir sa place
• être à sa place
• se sentir à sa place
• faire sa place (au soleil de préférence ...)
• prendre sa place
• occuper toute sa place
• rester à sa place a un double sens ...
• garder sa place (qui va à la chasse, perd sa place)
  

Avoir sa place
Se demander si on a sa place (dans la société, la famille, le monde ...) évoque le doute, la lutte, même. Cette place n’est pas gagnée d'office. Quelqu'un doit être convaincu qu’elle est accessible, voire légitime. Cette personne, c’est peut-être votre boss, mais il est possible que ce soit vous-même.

Faire sa place
Les femmes sont généralement plus enclines à faire leur place en travaillant d’arrache pied en espérant que leurs efforts seront remarqués et éventuellement récompensés, plutôt qu'à prendre leur place, c'est-à-dire s'imposer. Une méthode héritée du système scolaire, plutôt favorable aux filles, mais où l’épuisement professionnel arrive souvent avant la promotion.

Prendre sa place
Cette expression suggère en premier lieu que nous savons où se trouve notre place ... Oser prendre sa place, c'est nous faire respecter, marquer nos limites, ne pas nous laisser influencer par les envies des autres. Oser prendre notre place nous permet de vivre une vie qui nous correspond pleinement et d'être heureux.
Cela peut aussi signifier s'imposer (surtout dans le monde du travail) et nécessitera en conséquence de fixer l'étendue de notre place, les limites, et risquera de générer quelques conflits...
Prendre sa place est souvent perçu comme une action agressive, comme si cela se faisait toujours au détriment des autres. Pourtant, prendre ne signifie pas toujours "enlever". C’est aussi un synonyme de "saisir", comme dans saisir des opportunités. Il y a autant de façons de prendre sa place qu’il y a d’ambition et c’est peut-être ce qui en fait une tâche aussi complexe. Cela s’apprend. Mettre de côté son humilité (parfois démesurée) et ses peurs (parfois injustifiées) pour laisser libre cours à sa confiance, ça aussi ça se travaille.
Le revers de la médaille est que si nous avons été programmés à devoir imposer nos limites pour nous faire respecter, à travailler fort pour que les gens nous écoutent ou qu’on ressente fréquemment une sensation d’envahissement, le même signal continuera à émettre encore et encore, tant qu’il ne sera pas dissout à la source. La lutte est sans fin ...

Occuper toute sa place
Prendre sa place ou occuper sa place ne sont pas similaires. Ces deux actions relèvent d'énergies différentes. On ne vise pas une extension ou une rivalité comme dans le fait de prendre ma place qui est davantage une revendication.

• Occuper son espace sous-entend que notre place est déjà acquise. L'action d'occuper toute sa place prendra sa source dans le cœur et crée un environnement paisible, clair, fluide et léger.
• Je vous céderais bien ma place, mais elle est occupée Groucho Marx
  
• Au lieu d'être dans un esprit de conquête tourner vers le futur, il s'agit d'être soi tout simplement au présent, de s'accepter pour se faire accepter des autres qui, en cernant ce que nous sommes vraiment et nos objectifs, seront plus à même de les accepter s'ils sont justes et/ou justifiés. Même s'ils s'opposent, nous ne changeront pas du tout au tout. La lutte peut donc s'éteindre d'elle-même.

Encore faut-t-il ne pas se tromper car la place que l'on occupe peut-être plus ou moins bonne, juste ou justifiée, appréciée (par nous et/ou les autres). Plusieurs expressions populaires et quelques citations imagent cette problématique :

Se sentir à sa place
Cela sous-entend le bien-être, la satisfaction, l’équilibre, l’appropriation, de merveilleuses dispositions qui permettent d’approfondir ses compétences et sa confiance en soi. Attention toutefois à ne pas s’enfoncer dans le statu quo et faire du surplace.

• une place sûre, c'est la sécurité, enviée par beaucoup, mais est-elle vraiment la nôtre ?
• une bonne place une place au soleil
• une mauvaise place
• se faire une place au soleil : obtenir une position sociale enviable.
• Laisse chaque chose prendre sa place : laisse chacune de tes affaires prendre son temps. Benjamin Franklin
  

• Note : exemple vécu. Alice nous a fait part de sa propre expérience : jeune professeur nommée en région parisienne, ses collègues l'appelaient "La Catalane" en raison de son accent. Une fois sa formation achevée elle est revenue exercer dans sa région d'origine ; sa famille et ses collègues l'ont alors appelée "La Parisienne" ... Pourtant, nous dit-elle, je suis toujours la même personne ! J'ai vraiment eu l'impression d'avoir perdu ma place ...
  

Fête champêtre, tableau de Bruegel, Pieter le Jeune, 1564–1638, musée Rolin

Chaque chose à sa place ou chaque chose a sa place ?

• Une place pour chaque chose et chaque chose à sa place. Samuel Smiles / Frugalité
• Chaque chose à sa place et les cochons seront bien gardés : savoir rester à sa place. Chacun chez soi et les moutons seront bien gardés : Mieux vaut ne pas trop se fréquenter pour que les rapports restent cordiaux.
• Chacun son métier et les vaches seront bien gardées provient d'une fable de Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794). Ne se mêler que de ce que l'on conaît bien ou sait vraiment faire, selon ses compétences.
  

• Une place pour les rêves mais les rêves à leur place Robert Desnos
  

Choisit-on vraiment sa place ?

• À la place de ; en remplacement de.
• Ne juge personne avant de te mettre à sa place. Ce vieux proverbe rend tout jugement impossible, car nous ne jugeons quelqu'un que parce que justement nous ne pouvons nous mettre à sa place.  Emil Michel Cioran/ De l'inconvénient d'être né
• Assieds-toi à ta place, et l’on ne te fera pas lever Miguel de Cervantes
  

Faut-il changer de place ou rester à sa place ?
N'oublions pas que nous pouvons décider d'y rester (et faire tout petit) ou partir (pour une meilleure place ?) , ainsi que le montre le conte moderne en introduction.

Rester à sa place a un double sens ...

• On peut rester à sa place par sécurité mais a-t-on vraiment choisi cette place ? y sent-on à sa place ? ou est-ce par peur que l'on reste à sa place ?
• Rester à sa place impose aussi de se taire ... c'est reconnaître que notre place est limitée, inférieure.
• on peut aussi décider de rester à sa place après avoir mieux évalué la place actuelle, comme le montre le deuxième conte en conclusion.
• Quand il y a de la place dans le coeur, il y en a dans la maison proverbe danois
  

Changer de place :

• une place interchangeable est souvent une place où on n'existe pas en tant que personne.
• lorsqu'on décide de changer de place, c'est toujours dans l'espoir d'avoir une meilleure place
• ou bien on cède sa place, par devoir ou obligation, politesse, bonté
  

Sources :

• Sa place : l’avoir, la faire, la prendre, L'effet A, https://effet-a.com/conseils/sa-place-lavoir-la-faire-la-prendre/
• Occuper son espace ou prendre sa place ?, Golden Heart Wisom, https://goldenheartwisdom.com/occuper-son-espace-ou-prendre-sa-place/
• et mon expérience personnelle
  

En conclusion : Quand on ne trouve plus sa place - - - - - - - - - - - - -

Quand on ne trouve plus sa place au sein de la famille ...
Quand on se sent à l'étroit dans sa vie de tous les jours ...
Que faire ?
La réponse est dans un conte yddish plein d'humour :
le récit tourne en dérision nos petits problèmes car ça pourrait être pire !

Résumé :

Dans un petit village de Pologne, il y a de cela fort longtemps, vivait une famille pauvre, mais riche d'enfants. Ils vivaient dans une seule et unique pièce, heureusement assez grande pour être séparée en deux. Les rayonnages d'une bibliothèque remplie du sol au plafond servait de cloison. D'un côté le tailleur et sa femme Malka y dormaient, le tailleur y cousait, Malka y cuisinait, tandis que de l'autre côté, dans un espace encore plus étroit, les enfants y dormaient jusqu'à leur mariage, le plus souvent deux par deux, tant l'espace était étriqué.
Malka se dit, que tout de même, son logis pourrait, pour le bien de tous, être un peu plus grand, une pièce de plus, par exemple. Son rêve d'un tel luxe tournait à l'obsession. Alors se sentant sur le point de "craquer", elle fit part de ce cruel problème au Rabbin du village.

Le Rabbin écouta Malka avec attention et recueillement mais ses réponses que l'on attendaient inspirée de sagesse divine, firent sursauter Malka : Il lui demanda de mettre des poules dans sa maison (pour les oeufs) mais il n'y a pas plus curieux et indiscret qu'une poule. Malka ne se sentait plus vraiment chez elle ... mais comment s'insurger quand on vous dit que c'est pour le bien des enfants ?

N'y tenant plus, Malka retourna chez le Rabbin ; d'une voix tremblante, comme retenant des sanglots, elle lui expliqua que la situation était encore bien pire. Le rabbin - avait-il toute sa raison ? - lui demanda de prendre chez elle une chèvre (pour le lait des enfants) !! Les voies du Seigneur sont impénétrables ... Alors là … Malka vécut des jours et des nuits insupportables avec le sentiment qu'elle ne savait plus qui elle était, ni où elle habitait : elle ne savait plus si elle avait une chèvre chez elle, ou si elle habitait chez une chèvre …

Malka retourna chez le Rabbin qui lui demanda de prendre un chat : Le chat mangera les souris, tu pourras garder de la farine et les enfants auront de bonnes galettes avec des œufs, de la farine et du lait. Prends un chat !

Malka est effondrée : les poules ont changé le beau tissu uni du tailleur en tissu pied-de-poule, les chèvres ont grignoté tout ce qu'elles ont pu attraper, le tailleur a lancé la mode des pantalons à franges, et maintenant le chat, après avoir griffé les modèles du tailleur, et croqué quelques souris, s'en prend aux poussins. (PG)

Ce fut l'enfer ! Le chat réussit à exterminer à lui tout seul tous les poussins au milieu de glapissements de la volaille qui courait dans tous les sens complètement affolée, et même voletait jusqu'en haut de l'armoire pour échapper à ce monstre redoutable. Et tout cela dans un grand nuage de plumes ! La chèvre, si brave et paisible jusqu'à présent, fit front des deux cornes aux gesticulations du chat, puis s'enhardissant elle contre-attaqua, prit goût à la bataille, et entreprit de charger le chat chaque fois qu'elle l'apercevait. Le chat crachait tant et plus, tout à fait scandalisé, et fonçait à travers la pièce, faisant fuir en tous sens les poules qui poussaient des cris d'horreur. A l'assassin ! coôot ! A l'assassin ! coôot ! Cela faisait beaucoup rire les enfants ! Ce qui n'aidait pas à ramener l'ordre et le calme … Plus rien n'était à sa place !

Ce fut une Malka épuisée, désolée, désespérée, qui se rendit pour la quatrième fois chez le rabbin, poussée par l'énergie du désespoir :
- Rabbi, ça ne peut plus durer. Je ne sais plus quoi faire... Je sens que je vais mourir.
- Mourir ? Tu n'y penses pas ! Cours au marché dès demain, vends poules et chèvre au premier client venu et donne ton chat à qui le voudra.

Malka ne se le fit pas dire deux fois. Elle remit chaque chose à sa place et, par la même occasion, retrouva sa place à elle, au centre de la maisonnée. La maison devint tout de suite calme, propre, spacieuse, vraiment grande, avec une place pour chacun et Malka se sentit enfin à sa place. (PG)

Source :

• Lionel Rocheman,"Les contes de grand-père Schlomo", Stock 1981, 1990
• ce conte a déjà été donné lors d'une soirée conte en 2014. Le texte intégral est ici.
  

Variantes :

• Cela aurait pu être pire, adapté par la conteuse Muriel Bloch in : Contes Juifs, Editions Circonflexe
• ça pourrait être pire, Margot Zemach, traduction de Muriel Bloch, Ed. Circonflexe, coll. Aux couleurs du temps, 1996. Un conte yiddish traditionnel, où le rabbin semble devenir fou. Un homme vient chercher secours auprès de lui parce qu'il n'en peut plus de vivre avec sa famille nombreuse et bruyante, le religieux recommande alors de faire entrer sous son toit poules, oie, chèvre, vache. Histoire de mieux apprécier la situation antérieure.
• Contes Yiddish en bandes dessinées, Editions Petit à Petit, adaptés Thierry Lamy. Ces contes juifs sont mis en images par différents dessinateurs. On retrouvera, entre autres, Cela aurait pu être pire où il est question d’un homme qui n’en peut plus de vivre dans une toute petite maison avec ses enfants, sa femme, la grand-mère, le chat et le chien. Jusqu’au jour où il demande de l’aide au rabbin qui lui donne de bien étranges conseils…
• Tsila et autres contes déraisonnables de Chelm (contes yiddish), Muriel Bloch, Syros, Coll. Paroles de conteurs, 1998, 2002