Proverbes du Japon :

Trente-six plans pour gagner la bataille n'en valent pas un seul pour se désengager du combat.

Un bon sabre est un sabre qui reste dans son fourreau

L'art de vaincre sans combattre

Sur l’immense lac Biwa, véritable petite mer intérieure du Japon, voguait un bac.
Samouraï_https://www.worldatlas.com/articles/the-bushido-code-10-crazy-facts-about-samurai-culture.htmlParmi les voyageurs, l’un d’eux gesticulait un samouraï qui cherchait à se faire remarquer par un parterre de jolies fleurs du monde flottant. A l’entendre, il était le plus grand guerrier de tous les temps. Le saké lui donne une puissance de parole, un lyrisme, qui arrachait de petits cris admiratifs aux jeunes femmes qui l’entouraient.
Samouraï assis_Wiki Commons_A l’arrière un autre samouraï, plus âgé, semblait perdu dans ses pensées. Il tournait ostensiblement le dos au fanfaron, préférant contempler les reflets irisés du soleil couchant dans le sillage de l’embarcation.

Le vantard, vexé par cette indifférence stoïque l’interpelle :
- Vous ne paraissez pas trouver un quelconque intérêt à ce que je raconte. Peut-être pensez-vous que j’invente tout cela ?
- Veuillez m’excuser, je n’ai pas vraiment écouté ce que vous racontiez … L’habileté à manier le sabre ne m’intéresse plus aujourd’hui.
- Vous êtes pourtant porteur des deux sabres. C’est vrai qu’il y de nos jours des lâches qui n’ont du guerrier que l’apparence.
… silence … regards … puis l’aîné se retourne sans relever l’insulte, comme s’il n’avait rien entendu. Cela ne fait qu’enrager le samouraï vaniteux.

paysan japonais_https://eterneljapon.fr/(2)geographie/(2.8)population-japonaise/(2.8)population-japonaise.htmlA ce moment-là, un remous fait tanguer le bac, un paysan effleure le fourreau de son katana. Sa colère péniblement retenue explose !
- Misérable ! Vous avez heurté un samouraï sans vous excuser ! Cela mérite correction !
Le pauvre homme se jette aux pieds du samouraï dressé dans toute s
se prosterne en tremblant et demande pardon.
- Trop tard ! Quittez immédiatement ce bateau, hors de ma vue insolent !
Le samouraï l’empoigne pour le jeter par-dessus bord. L’autre samouraï intervient :
- Arrêtez! Laissez-le, il s’est excusé. Cela devrait vous suffire !
Ravi de l’avoir enfin fait réagir, de l’avoir forcé à sortir de sa réserve, le jeune samouraï ricane :
- Oya, oya, monsieur prend la défense de cet effronté, il me critique en public, il voudrait me donner une leçon ! Très bien. Mais méfiez-vous, je suis expert de l’art du sabre, de l’Ecole Invincible.
- Et moi, je ne suis qu’un modeste pratiquant de l’École de la victoire sans les mains, l’Art de vaincre sans combattre.
Le guerrier éclate d’un rire aviné :
- Vous prétendez me vaincre sans utiliser vos sabres ! J’aimerais bien voir ça ! En garde !

Le samouraï plus âgé, adepte de la non-violence, répond d’un sourire désarmant :
- Nous battre ici, sur le bateau ? Mais vous n’y songez pas ! Nous pourrions blesser quelqu’un ou tomber à l’eau. Allons sur cette île au milieu du lac.
île Chikubu_https://lavalisedeberoy.fr/2020/02/19/lile-de-chikubu-la-petite-terre-sacree-perdue-du-lac-biwa/ Le champion du sabre ordonne aux bateliers d’accoster. Il saute à terre, tire son sabre, se met en garde. Mais son adversaire, toujours aussi calme et maître de lui, reste à bord pour retirer les deux sabres de sa ceinture. Et pour bien montrer qu’il n’allait pas sen servir, il les tend à l’un des nautoniers. Il s’empare aussitôt de sa perche et pousse dessus, dégage le bateau de la rive. Le bac s’éloigne rapidement, emporté par le courant… Le samouraï sur l’île gesticule et crie !
- Lâche ! Revenez vous battre ! Vous n’allez pas me laisser ici !
Le maître de la victoire sans combattre mis ses mains en porte-voix pour lui répondre :
- J’espère que vous avez apprécié ma démonstration de l’Art de vaincre sans combattre !

Celui qui avait réussi cette ruse était un maître du sabre, la plus fine lame de son temps, maître d’armes de plusieurs gouverneurs et d’un shogun. Il avait fait des dizaines de duels, participé à une douzaine de batailles, sans jamais avoir été vaincu. Il n’avait plus rien à prouver.
Il finit par incarner la vérité contenue dans les arts martiaux : Sabre et Zen ne font qu’un.
La compassion conduit un maître véritable à éviter de faire couler le sang inutilement.


D’après les légendes anciennes, l’île Chikubu sur le lac Biwa aurait été une terre d’exil pour les seigneurs impopulaires et pour les poètes qui en racontaient un peu trop…

Source :

  • Pascal Fauliot, "Contes des sages samouraïs", Seuil, 2019, p 49-54


Les trois samouraïs, vaincre sans combattre

Le grand art de la guerre, c’est de demeurer inattaquable enseignait-on jadis en Chine, selon la pensée taoïste. Les fanfarons et les belliqueux sont légions. Toujours, la violence engendre la violence. Les conduites dites héroïques ne sont le plus souvent qu’orgueil et vanité. Combien sont morts pour rien dans des guerres ineptes pour ne pas avoir voulu être lâches !

Version 1 : Les trois samouraïs

Trois samourais_c1880_https://allthatsinteresting.com/samurai-photos#8 Il était une fois un samouraï réputé qui avait trois fils ; il les entraînait depuis leur plus jeune âge au maniement du sabre. Il était très fier de leur habileté et aimait être complimenté à leur sujet. Il trouvait cependant son fils aîné fort passif et nourrissait par contre une grande admiration pour les prouesses du plus jeune, toujours vif, prompt et agile en tout.

Un jour, il invita son vieux Maître d’Armes pour lui montrer tout le savoir-faire de son plus jeune fils. Il entrebâilla la porte d’entrée de la pièce où ils buvaient ensemble le thé selon le rituel traditionnel et plaça un coussin en équilibre. Le samouraï appela son plus jeune fils. Celui-ci arriva fougueusement, poussa la porte brusquement et, alors que le coussin tombait, dégaina son sabre et fendit celui-ci en deux avant qu’il ne touche le sol ! Le père jeta sur lui un regard admiratif.
- Ah ! dit le vieux Maître, celui-là, vous n’en ferez rien de bon ! Il peut s’entraîner encore bien des années et ce sera sans aucun doute en pure perte. Il est bien trop impulsif !
Le samouraï fronça les sourcils, fort étonné de ce jugement, mais se tint coi. Il n’est pas dans la coutume de contredire un Maître. Celui-ci dit alors :
- Faites venir vos deux autres fils que je voie ce dont ils sont capables.

Le samouraï mit un second coussin en équilibre sur la porte et appela son deuxième fils. Ils  entendirent ses pas alors qu’il approchait de la porte. Le second fils ralentit, poussa légèrement la porte d’une main, saisit prestement le coussin au vol avec un sang-froid remarquable puis entra et salua. Le samouraï était fort dépité ; son fils n’avait même pas dégainé son sabre !
'' - Ah ! dit le Maître, avec le temps et beaucoup de patience, vous arriverez peut-être à en faire un Maître d’Armes, mais ce sera long et difficile !

Puis il demanda au samouraï réticent d’appeler son fils aîné. Celui-ci arriva jusqu’à la porte mais n’entra pas !
- Ah ! Voilà qui est parfait ! s’exclama le Maître. Celui-là a vraiment toutes les aptitudes pour devenir un grand Maître d’Armes !


Version 2 : Bokuden et ses trois fils

Pour mieux comprendre le même conte, autrement :

Au crépuscule de sa vie, maître Bokuden décida de se retirer de la direction de son école et de nommer son successeur. La tradition voulait qu’il choisisse l’un de ses trois fils qui étudiaient avec lui depuis leur enfance.

Trois samourais_c1890_https://allthatsinteresting.com/samurai-photos#8

Plutôt que de désigner lui-même celui qui à ses yeux avait le meilleur niveau, il préféra les soumettre à une épreuve. Ce test aurait le mérite d’être objectif et d’éviter la jalousie suscitée par une décision paternelle qui pourrait laisser entendre qu’il avait un préféré. Afin de réfléchir à la question, Bokuden invita l’un de ses confrères, un maître également réputé, à boire le thé avec lui. Ils réfléchirent à une épreuve, pesèrent le pour et le contre. Ils cherchaient quelque chose d’exemplaire qui servirait aussi à enseigner le sens profond de la voie des arts martiaux. Inspirés par les ustensiles de la cérémonie du thé, ils s’arrêtèrent finalement sur un dispositif qui les fît sourire. Ils gagnèrent une pièce de la demeure qui donnait sur un grand corridor. Bokuden demanda à ses fils d’attendre dans le jardin et de venir chacun à leur tour quand il les appellerait. Les maîtres placèrent un bol au-dessus du shōji, la porte coulissante, de telle façon qu’il tombât sur la tête de celui qui entrerait dans la pièce.

Bokuden appela en premier Hikoshiro, son fils aîné. Celui-ci monta quatre à quatre les marches de la véranda, s’engouffra dans le corridor, allait ouvrir le shōji quand, tout à coup, il suspendit son geste. Il y avait quelque chose d’anormal, il sentait une menace. Il leva la tête et, à travers le papier de riz translucide du panneau coulissant, vit l’ombre du bol. Il esquissa un sourire, introduisit le manche de son éventail entre la porte et le chambranle puis, millimètre par millimètre, entrouvrit le shōji sans faire tomber le bol. Il finit par l’attraper et entra dans la pièce avec. Son père sourit et hocha la tête, l’autre maître de sabre aussi, avant de lui faire signe de refermer la porte et de replacer le bol. Bokuden appela aussitôt Hikogoro , son second fils qui, bien sûr, n’avait rien vu de la scène de là où il se trouvait.

Le cadet se précipita dans le corridor, ouvrit directement le shōji mais, dans un réflexe fulgurant, esquiva la chute du bol et le rattrapa au vol. Il entra lui aussi dans la pièce en tenant le récipient dans les mains, pas peu fier de sa prouesse !

La porte refermée et le bol remis en place, ce fut au tour d’Hikoroku, le troisième fils, d’être appelé. C’était le plus fort des trois au maniement du sabre. Avec la fougue de la jeunesse, le benjamin fit glisser le shōji et fut stupéfait de recevoir brutalement un bol sur la tête. Mais, avant que l’ustensile qui avait rebondi sur son crâne ne touchât les tatamis, le jeune samourai dégaina son sabre et le brisa net. Il rengaina tout en se rengorgeant, s’attendant à recevoir un compliment pour cet exploit !

- Alors, demanda Bokuden à son confrère, lequel de mes fils est le plus digne de me succéder ?
- Votre aîné. Il a démontré qu’il est déjà un maître. Il est le digne représentant de votre école car il n’a pas eu besoin de combattre pour vaincre.
- Et que pensez-vous des deux autres ?
- Le cadet a encore beaucoup de chemin à parcourir car, même s’il a bien réagi, il a été surpris. Il n’a pas su anticiper et cela dénote son manque de maturité. Un maître doit toujours avoir l’esprit en éveil. Quant à votre benjamin, malgré sa démonstration éblouissante, il s’est couvert de ridicule. Il était trop tard pour dégainer son sabre car dans un vrai combat il aurait été tué avant. Le bol ne l’a-t-il pas touché en premier ? Et surtout, quelle puérilité de briser ce précieux ustensile ! Il n’avait qu’à s’en prendre à lui-même.


En conclusion :

  1. Le maître d'armes pensait que le premier de ses trois fils, était assurément taillé pour la tâche de Shogun tant sa rapidité et son adresse étaient avérées. Puis il réfléchit au désaveu du sage quelques instants, et comprit que si le fils avait certes cassé la cruche avant qu’elle ne le blesse, il aurait tué un ami qui se serait amusé à lui faire une farce
  2. Son deuxième fils avait bien réagi en ouvrant les bras pour attraper la cruche mais il n'eut pas non plus l’approbation du sage. Le père comprit que si le jeune samouraï avait certes attrapé la cruche avant qu’elle ne se casse, il aurait été tué par un ennemi qui se serait caché pour l’agresser
  3. Le sage esquissa un sourire : Oui, tu as finalement bien compris que la meilleure attitude a été choisie par ton troisième fils : n’ayant pas le temps de savoir si ce qui lui tombait dessus était ami ou ennemi, il s’est promptement écarté pour se mettre hors d’un éventuel danger sans pour autant influencer le devenir de ce qu’il ne connaissait pas.


Boduken ou l'Art de vaincre sans combattre :
Bokuden pratiqua également beaucoup de styles jusqu’à façonner le sien qu’il intitula « l’art de vaincre sans combattre ». Il fut maître d’armes du shogun et de quelques grands généraux de son temps. Des samouraïs venaient de toutes les provinces du Japon étudier son art incomparable. Des ronins tentaient régulièrement de se mesurer à lui dans l’espoir de se tailler une réputation, mais plus les années passaient, moins il répondait à leurs défis. L’un de ses moyens préférés pour décourager les provocateurs était de les emmener dans son jardin et de couper devant eux, d’un coup de sabre, une branche de cerisier ou de prunier en fleurs qu’il leur offrait ensuite. Cela suffisait généralement à démoraliser la candidat, car quand il constatait qu’aucun pétale n’était tombé, il comprenait qu’il n’avait aucune chance. Accomplir un tel exploit supposait en effet une précision et une rapidité difficile à égaler. (https://shoshindojo.fr/actualites/conte-3-bokuden-et-ses-trois-fils/)

Sources :

  • Les trois fils du samouraï : version simple avec un coussin en équilibre, http://regorconteur.wifeo.com/-les-trois-fils-du-samourai.php
  • Bokuden et ses trois fils : avec un bol en équilibre sur une porte entrouverte : https://shoshindojo.fr/actualites/conte-3-bokuden-et-ses-trois-fils/
  • Bokuden et ses trois fils : avec un vase en équilibre sur une porte coulissante. Celui qui est le plus vif et se sert de son sabre est un peu la honte de la famille, Pascal Fauliot, Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon, Albin Michel, Spiritualités vivantes, 1984, p 44.
  • Les trois fils du Shogun, Le choix, conte zen en ligne ici. .


Laisser mûrir le coq, conte des arts martiaux

COQ_chant_https://www.rtbf.be/article/le-coq-qui-chante-a-5h-du-matin-c-est-insupportable-10715062?id=10715062&programId=25Le roi de Tcheou avait confié à Chi Hsing Tseu le dressage d’un coq de combat prometteur, qui paraissait doué et combatif. Le roi était donc en droit de s’attendre à un dressage rapide… et il ne comprenait vraiment pas que dix jours après le début de l’entraînement il n’ait toujours pas eu de nouvelles des progrès du volatile. Il décida d’aller en personne trouver Chi pour lui demander si le coq était prêt.
Oh non, sire, il est loin d’être suffisamment mûr. Il est encore fier et coléreux, répondit Chi.
De nouveau dix jours passèrent. Le roi, impatient, se renseigna auprès de Chi qui lui déclara :
Le coq a fait des progrès, majesté, mais il n’est pas encore prêt car il réagit dès qu’il sent la présence d’un autre coq.
Dix jours plus tard, le roi, irrité d’avoir déjà tant attendu, vint chercher le coq pour le faire combattre. Chi s’interposa et expliqua :
Pas maintenant, c’est beaucoup trop tôt ! Votre coq n’a pas complètement perdu tout désir de combat et sa fougue est toujours prête à se manifester.
Le roi ne comprenait pas très bien ce que radotait ce vieux Chi. La vitalité et la fougue de l’animal n’étaient-elles pas la garantie de son efficacité ?! Enfin, comme Chi Hsing Tseu était le dresseur le plus réputé du royaume, il lui fit confiance malgré tout et attendit.
Dix jours s’écoulèrent. La patience du souverain était à bout. Cette fois, le roi était décidé à mettre fin au dressage. Il fit venir Chi et le lui annonça sur un ton qui trahissait sa mauvaise humeur. Chi prit la parole en souriant pour dire :
De toute façon, le coq est presque mûr. En effet, quand il entend chanter d’autres coqs il ne réagit même plus, il demeure indifférent aux provocations, immobile comme s’il était de bois. Ses qualités sont maintenant solidement ancrées en lui et sa force intérieure s’est considérablement développée.
Effectivement, quand le roi voulut le faire combattre, les autres coqs n’étaient visiblement pas de taille à lutter avec lui. D’ailleurs ils ne s’y risquaient même pas car ils s’enfuyaient dès qu’ils l’apercevaient.

Source :

  • Pascal Fauliot, Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon, Albin Michel, Spiritualités vivantes, p 160-161.


Les portes du paradis, conte zen

Renoncer à l’usage du sabre

Le maître zen Hakuin était d’une qualité rarissime. Un jour, un samouraï lui demanda :
Est-ce que l’enfer existe ? Et le paradis ? Et si oui, où se trouvent les portes ? Comment entrer ?
Le samouraï avait un esprit simple comme tous les guerriers. Il ne s’embarrassait ni de philosophie ni d’arithmétiques, seules la vie et la mort l’intéressaient. Il ne souhaitait pas assimiler une doctrine, mais savoir comment entrer au ciel et éviter l’enfer. Pour répondre, Hakuin adopta un langage à portée du samouraï.
- Qui es-tu ?, demanda-t-il.Samourai
- Je suis un samouraï, répondit l’homme.
Au Japon, le samouraï est le guerrier parfait qui n’hésite pas une seconde à donner sa vie.
- Je suis le premier des samouraïs, poursuivit fièrement le visiteur, même l’empereur me respecte.
-Toi, un samouraï ? se moqua Hakuin. Tu as plutôt l’air d’un gueux
Blessé dans son amour-propre, le samouraï oublia le motif de sa venue et dégaina son épée.
- Voilà une porte, fit Hakuin en souriant. L’épée, la colère, la vanité, l’ego sont les portes de l’enfer.
Le samouraï comprit et remit l’épée dans son fourreau.
- Voilà l’autre porte, celle du paradis, commenta Hakuin.


Sources : 

  • Les portes du Paradis, https://gregoiresowadan.com/index.php/fr/mon-blog/des-histoires-de-sagesse/contes-philosophiques/250-les-portes-du-paradis
  • Pascal Fauliot, Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon, Albin Michel, Spiritualités vivantes, p 130


Le moine et l'adversité :
Le maître réagit de façon identique au mensonge et à la vérité, aux bonnes nouvelles et aux mauvaises nouvelles. Il permet à l’apparence que prend le moment, bonne ou mauvaise, d'être ce qu'elle est. Ainsi, il ne prend pas part au mélodrame humain. Pour lui, il n'y a que ce moment, ce moment tel qu'il est. Les événements ne sont pas personnalisés et il n'est la victime de personne. Il fait réellement un avec ce qui arrive et ce qui arrive n'a alors aucun pouvoir sur lui.

L'éducation du serpent

La non-violence, très bien ... mais n'est-ce pas se poser en victime amenée à tout subir ? A tout une limite et une réplique : un conte indien nous l'explique.

Serpent_couleuvre_André Guyard_2009_http://baladesnaturalistes.hautetfort.com/tag/serpents+non+venimeuxNon loin d’un chemin fréquenté se tenait un serpent redoutable qui piquait à mort tous ceux qui passaient près de lui. Les habitants se rendirent en délégation auprès d’un sage pour se plaindre de la férocité de l’animal, qui n’avait nullement besoin de tous ces meurtres pour survivre.
Le sage se rendit auprès du serpent et réussit à se faire entendre de lui. Il trouva des paroles si profondes, des images si fortes, que le serpent fut bouleversé. La lumière se fit dans son cœur et il jura qu’il ne tuerait plus inutilement, qu’il serait un autre serpent. Et il tint parole.
Le terrifiant reptile devint une sorte de long ver flasque, maigre, sans énergie, qui hésitait même à avaler un insecte. Les villageois se moquaient de sa faiblesse et les enfants lui jetaient des pierres.
Il se traîna jusqu’à la cahute du sage et lui dit :
- J’ai fait ce que tu m’avais commandé. Les gens n’ont plus peur de moi. Mais comme on ne me craint plus, on me méprise et on me bat.
- Ce que j’ai à te dire est bien simple, répondit le vénérable. Je t’ai interdit de piquer à mort sans raison valable et de t’attaquer à n’importe qui. Mais t’ai-je interdit de manger à ta faim ? Et t’ai-je interdit de siffler ?

Source :Cercle des menteurs 1_ JC Carrière

  • Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs 1, Plon, 1999, p. 103
  • couleuvre verte et jaune : http://baladesnaturalistes.hautetfort.com/tag/serpents+non+venimeux



Paraître fort, sûr de soi et déterminé peut (parfois) suffire à dissuader l'adversaire d'attaquer. Il ne faut jamais perdre espoir !

Peut-être la plus ancienne ruse (puisque même les animaux la pratiquent) : donner l'impression d'être fort suffit parfois !

Dame Carcas - histoire médiévale française

Le récit légendaire apparu au XVIe siècle affirme que Charlemagne et son armée étaient aux portes de la ville de Carcassonne afin de la prendre, cette dernière était alors aux mains des Arabes. La cité de Carcassonne avait pour roi un musulman du nom de Balaak. Ce dernier apprenant l'arrivée des troupes franques de Charlemagne, part à sa rencontre avec son armée mais est défait par l'empereur ; lui et tous ses hommes périssent durant la bataille. Dame Carcas, l'épouse de Balaak, apprenant la mort de son mari organise la défense de la cité.

Dame Carcas_Pinpin_https://commons.wikimedia.org/wiki/File:France_cite_carcassonne_dame_carcas.jpgLa Princesse Carcas aurait d'abord utilisé une ruse consistant en la réalisation d'hommes de paille, chacun avec son arbalète, qu'elle fait fabriquer et placer dans chaque tour de l'enceinte. Faisant le tour des murailles, elle ne cesse de décocher des traits sur les ennemis en faisant croire qu'ils sont tirés par ces faux soldats, afin de décourager les assiegeants.

Le siège mené par les Francs s'éternise et il dure depuis déjà cinq ans. Au début de la sixième année la nourriture et l'eau se font de plus en plus rares et la plupart des soldats de la cité sont morts. Dame Carcas aurait eu alors l'idée de faire l'inventaire de toutes les réserves qui lui restent. La ville étant sarrasine une part de la population, musulmane, ne consomme pas de porc. Les villageois amènent ainsi à Dame Carcas un pourceau et un sac de blé. Elle fait engraisser le porc avec le sac de blé puis le précipite depuis la plus haute tour de la Cité au pied des remparts extérieurs.

Charlemagne et ses hommes, croyant que la Cité déborde encore de vivres au point de gaspiller un porc nourri au blé, lève le siège. Voyant l'armée de Charlemagne quitter la plaine devant la Cité, Dame Carcas remplie de joie par la victoire de son stratagème décide de faire sonner toutes les cloches de la ville. Un des hommes de Charlemagne se serait alors écrié « Carcas sonne ! », d'où le nom de la Cité.


Le roi et les barbares - un conte d'Asie

A la suite de violentes guerres fratricides, un roi perdit jusqu'au dernier de ses soldats. Il ne lui resta que deux serviteurs.
Un jour, les barbares arrivèrent aux portes de la ville avec l’intention d'investir le palais. Le roi ordonna alors à ses serviteurs d'ouvrir toutes les portes et fenêtres, puis il s'installa sur le balcon afin d'observer l'arrivée des envahisseurs. eventail en mainTandis qu'il s'éventait avec nonchalance, il les regarda avancer jusqu'aux marches du palais. Sa sérénité troubla les barbares. Ils supposèrent qu'u piège les attendait à l’intérieur. Au lieu d'investir les lieux, le chef rassembla ses hommes et sonna la retraite.
Le roi dit alors:
- Voyez, les barbares, qui sont le plein, ont peur du vide.

Se maîtriser soi-même, vider son esprit de toute peur, puis maîtriser l'esprit de l'adversaire ...

Alexandro Jodorowsky_Sagesse des contes_Albin Michel Sources :

  • conte rapporté par Alexandro Jodorowsky, dans le recueil La sagesse des contes, Albin Michel, 2007, p 206-207.%-%%