Le pari du Calife

Calife_Jacques VilleretLe Calife a une passion, faire des paris … surtout quand il est sûr de gagner ! Et pour aider la chance et ne prendre aucun risque, il fixe li-même les termes du pari. Alors, bien entendu, les courtisans trouvent mille prétextes pour éviter de jouer avec lui. Il se trouve maintenant réduit à parier avec ... des commerçants, ses femmes ... (et il ne leur laisse aucune chance ....) les gardes et même les serviteurs ...

Un matin, à l'occasion de travaux dans son palais, un tas énorme de pierres est entreposé dans la cour du palais. Trois ouvriers s'affairent pour transporter ces pierres sur le lieu de construction. Cela donne une idée au Calife :
- Qui veut parier avec moi ?
Évidemment, personne ne répond ... tout le monde baisse la tête, les ouvriers travaillent frénétiquement (ils les connaissent les paris du Calife !). Le calife répète sa question dans un soudain silence :
- Qui veut parier avec moi ?
Silence ... Le calife précise aussitôt :
- pierres_de_tailleJe parie que personne n'est capable de transporter ce tas de pierre avec ses seules mains, d'un bout à l'autre de la cour avant le coucher du soleil ! Qui veut parier ?
Tous les hommes présents gardent la tête basse car la tâche semble impossible. Silence ... Soudain, un jeune maçon s'avance de quelques pas et demande :
- Quel est l'enjeu du pari ?
- Dix jarres d'or en cas de réussite.http://www.usagold.com/images/gold-coins-bullion.jpeg
Le jeune maçon réfléchit un instant et dit :
- Je suis prêt à accepter ce pari, mais avec une condition supplémentaire
- Je t'écoute.
- Tu pourras arrêter le jeu à tout moment et, dans ce cas, tu ne me donneras qu'une jarre d'or.
Le Calife se fait répéter la question, réfléchit, cherche le piège ... Il pourra arrêter le jeu à n'importe quel moment, mais dans ce cas, il ne perd qu'une jarre d'or .... Quel est le sens caché de cette clause ? Qu'est-ce que cela cache ? Le maçon de dit pas un mot et, même, fait mine de se retirer. Par amour fou du jeu, le Calife accepte cette condition, après tout il est sûr de gagner : Comment un seul homme pourrait déplacer en un seul jour ce que trois ouvriers ont déposé la veille ... Mais il tient à préciser de nouveau les conditions du pari en ajoutant une petite formalité :
- Si, avec tes seules mains, tu arrives à déplacer toutes ces pierres d'un bout à l'autre de la cour avant le coucher du soleil, tu gagneras dix jarres d'or ! Si j'abandonne le pari, je te donnerais une jarre d'or. Mais si tu perds ... tu perdras aussi la tête !
- Pari tenu ! lance le jeune homme qui se met aussitôt au travail, en souriant... Il s'attaque à un tas énorme, pierre par pierre, observé par le Calife et toute sa cour.

Au bout d'une heure la masse de pierres à déplacer ne semble pas avoir diminué : il n'a transporté qu'une infime partie. Et pourtant, mystérieusement, il continue à sourire.
-Pourquoi souris-tu ? demande le Calife. ''Il est évident que tu ne peux gagner ! Tu n'en viendras jamais à bout en une seule journée !
- Tu te trompes répond le jeune maçon en traversant la cour. Je suis certain de gagner.
- Comment cela ?
- Parce que tu as oublié quelque chose... Et voilà pourquoi je souris ...
- Qu'ai-je oublié ?
- Oh, une chose très simple...
Le jeune homme continue son va-et-vient, tranquille, souriant, plongeant par son attitude le Calife dans des abysses de réflexion obscure. Qu'avait-il oublié ? il se répète encore et encore les termes du pari ... il n'y a pas de piège possible. Comment le jeune maçon pourrait-il gagner ?

Après trois heures de travail, le tas de pierres se dresse à peine entamé... Trois ou quatre jours ne suffiraient pas à le transporter d'un côté de la cour à l'autre. Et pourtant le Calife s'inquiète ... Qu'a-t-il bien pu oublier ?

Au début de la quatrième heure, le jeune maçon sourit toujours. Cela agace le Calife. ''
- Es-tu toujours sûr de gagner ?
- J'en suis sûr.
- Qu'ai-je oublié ? dis-le moi. Ai-je mal évalué le volume du tas de pierres ? Suis-je la victime d'une illusion ?
- Oh ! non répond le jeune homme. C'est une chose beaucoup plus simple que ça. Et il continue ses allers-retours, toujours souriant. De plus en plus souriant ...

Au début de la cinquième heure, le Calife donne des signes d'agitation, il commence à faire les cent pas lui aussi...
- Es-tu toujours sûr de gagner ?
- J'en suis toujours sûr.
- Mais regarde : le tas est encore très haut et il te reste à peine quatre heures avant le coucher du soleil. Comment peux-tu espérer gagner ton pari ?
- ''Je te le répète dit le maçon, imperturbable, tout en transportant une pierre, je te le répète, tu as oublié une chose très simple. Le Calife s'agite, son front se plisse, ses sourcils se froncent, son regard se fait encore plus sombre. Il convoque ses conseillers en une session extraordinaire. Même les plus rusés n'ont pas de réponse. Pour eux, il était évident que le Calife allait, une fois de plus gagner son pari et couper une tête imprudente. Quelle chose aurait-il pu oublier ?

A la sixième heure, le Calife convoque les mathématiciens de la cour pour faire de savants calculs concernant la masse de pierre à déplacer, ce qui a été déplacé, ce qui reste à déplacer, la vitesse du déplacement, etc. Normalement le Calife devrait gagner. alors quelle est la chose toute simple qu'il a oublié ?

A la septième heure, le Calife, voyant le jeune homme sourire encore et toujours malgré sa fatigue, s'affole :
- Pourquoi souris-tu ?
- Je souris parce que je vais gagner un trésor
- C'est impossible ! tu ne peux pas gagner
- Tu as oublié une chose très simple
- Quoi ? Qu'ai-je oublié ? Vas-tu user de quelque sortilège ? Es-tu sorcier ? Es-tu Djinn ? Des créatures surnaturelles vont-elles sortir des murs pour t'aider ?
- Non, répond le maçon, c'est beaucoup plus simple que ça.
Le Calife convoque les astrologues. Ce jour-ci lui est-il néfaste ? Doit-il y avoir quelque cataclysme ?
Il surveille le jeune maçon toujours souriant, toujours sûr de gagner ... Le Calife ne tient plus en place, le Calife s'énerve, il est rouge d'excitation, ses mains tremblent, le Calife n'en peut plus ! Il veut savoir ! Il n'a encore jamais perdu, alors qu'elle est cette chose qu'il a oublié ? Le Calife est à bout ! Qu'a-t-il oublié qui risque de le faire perdre ?

A la dernière heure du jour, le Calife n'y tient plus : il arrête le travail du jeune maçon :
- Es-tu toujours sûr de gagner ?
- J'en suis toujours sûr.
- Qu'ai-je oublié ?
- Décides-tu d'arrêter le jeu ? ... Si tu arrêtes maintenant, tu sauras avant qu'il ne soit trop tard ...
- Oui ! J'arrête !
- Et tu me donneras une jarre d'or ?
- Oui, je te la donne ! Mais dis-moi, je te le demande, quelle est cette chose très simple que j'ai oubliée ? Cette chose toute simple que personne ne voit ? Quelle précaution n'ai-je pas prise ?
Le jeune maçon pose sur le sol les pierres qu'il transporte, et posément explique sa situation :
- Tu n'as pas prêté assez d'attention à la condition supplémentaire que j'ai posée
- ''Mais je n'ai fait que penser à cette condition ! je n'ai pas arrêté de me demander comment tu pourrais réussir et me faire perdre, ce qui me ferai décider d'arrêter le jeu !
- ''Oui, mais tu n'as pas saisi que moi je jouais pour une jarre d'or et toi pour dix jarres d'or en échange du transport complet des pierres. Pour moi, une jarre d'or est un trésor inestimable. Je savais depuis le début que je ne pouvais, d'aucune manière gagner dix jarres. C'était une seule jarre que je voulais ... alors j'ai fait ce qu'il fallait pour l'obtenir.
- ''Mais comment as-tu fait pour gagner ? Quelle est cette chose très simple que j'ai oublié ?
- ''Tu as oublié la plus simple des choses : tu as oublié que tu pouvais perdre confiance en toi-même ... De mon côté ma confiance en ma réussite, a agi comme un levier qui faisait monter le doute dans ton esprit.
Le Calife resta silencieux. En effet, bien trop pris par sa passion du jeu et trop confiant en sa perception des choses il n'avait pu envisager la stratégie du jeune maçon ...

sac d'orLe jeune maçon saisit la jarre d'or intelligemment gagnée, la chargea sur son épaule, traversa la cour entre les deux tas de pierres, un grand et un petit, et s'en alla loin, très loin dans un autre royaume.


Un autre pari ... à la façon de Nasreddine

Calife_Vizir_IznogoudNasreddine était connu pour sa pauvreté. D'ailleurs, il se plaignait constamment de son manque d'argent. Pourtant, certain soir, il donne chez lui un tel festin que l'écho de sa magnificence parvint aux oreilles du Calife qui convoque aussitôt Nasreddine pour lui demander d'où il tenait l'argent pour donner une pareille fête.
- Je fais des paris répond Nasreddine, et je gagne.
- Mais tu paries sur quoi ?
- Sur n'importe quoi.
- Serais-tu prêt à parier avec moi ?
- Sur-le-champ.
- Dix pièces d'or ?
- Dix pièces d'or.
- Et que paries-tu ?
- Je parie que demain matin à ton lever tu auras un gros bouton sur la fesse droite.
Pari tenu ! Le lendemain matin, le Calife se réveille après une fort mauvaise nuit passée à se tourner et se retourner en se tâtant la fesse droite, au cas où un bouton apparaîtrait. Il se lève, se contorsionne pour se voir dans la glace et constate qu'il n'a rien sur la fesse droite, ni d'ailleurs sur la gauche.
Tout à fait satisfait d'avoir gagné son pari, le Calife fait appeler Nasreddine : il lui annonce qu'il a perdu son pari. Nasreddine demande à vérifier, sauf votre respect ... il y a tout de même dix pièces d'or en jeu ... Le Calife accepte, baisse rapidement son pantalon et montre ses fesses à Nasreddine qui dut reconnaitre qu'il avait perdu, et se retire modestement, à reculons.
Le soir même, Nasreddine donne une fête encore plus somptueuse que la première. Le Calife l'apprend, le convoque et lui demande, assez mécontent, comment il peut festoyer ainsi alors qu'il se prétend pauvre et n'est pas plus riche qu'hier puisqu'il a perdu son pari (Il doit tout de même dix pièces d'or au Trésor Public)...
- Oh, C'est très simple, lui répond Nasreddine. J'avais parié cinquante pièces d'or avec ton vizir et j'ai gagné.
- Et qu'avais-tu parié ?
- Que ce matin, s'il venait assez tôt et se cachait derrière une tenture, il verrait le Calife me montrant son cul !


Il est comme ça Nasreddine :
Pour lui pas de problèmes ! Toujours des solutions !

Ah, j'ai oublié de vous dire qu'il parait que depuis cet affront le Calife s'est trouvé guéri de cette passion du jeu ... enfin, presque ... il parait qu'il a institué une sorte de loterie nationale pour être sûr de ne jamais perdre tout à fait ...


Pour en savoir plus :

Sources :

  • Le pari du Calife in : « Le cercle des menteurs I » de Jean-Claude Carrière, éditions Plon, 1999, p 282-285 (réédité en format poche en 2008). Ce conte a été donné lors de la balade contée du 7 octobre 2012 au Moulin d'Azam.
  • Le pari de Nasreddine rapporté par Jean-Louis Maunoury, Hautes sottises de Nasreddin Hodja, Phébus, 1994, lu dans « Le cercle des menteurs I » de Jean-Claude Carrière, éditions Plon, 1999, p 262 (réédité en format poche en 2008)


Calife :
Le calife avait presque les mêmes fonctions qu’un roi. Tous les musulmans lui devaient obéissance : c’était le dirigeant de la communauté des musulmans. Il portait aussi le nom de commandeur des croyants. (http://lewebpedagogique.com/regisgaudemer/un-calife/)

Nasreddine :

  • ''Un texte très ancien décerne à Nasr Eddin Hodja le titre d’« idiot complet ». Il ne faut pas se méprendre : cette qualification n’est pas un blâme mais un éloge. Elle ne signifie pas

que Nasr Eddin soit complètement idiot, selon l’expression usuelle, mais bien plutôt qu’il est un « idiot accompli ». Comme d’autres accèdent à l’illumination, il aurait atteint le stade suprême – sublime – de l’idiotie.'' Jean-Louis Maunoury

  • D'autres histoires de Nasreddine ? ici ou , si ce n'est ailleurs... et aussi dans ce blog


La foi soulève des montagnes :

  • Cette expression fait référence à la Bible. C'est une allusion à l’Évangile de Marc 11 :22 "Jésus prit la parole, et leur dit: Ayez foi en Dieu. Je vous le dis en vérité, si quelqu’un dit à cette montagne : Ôte-toi de là et jette-toi dans la mer, et s’il ne doute point en son cœur, mais croit que ce qu’il dit arrive, il le verra s’accomplir.''
  • Une autre référence se trouve dans l'évangile de Matthieu. Les disciples de Jésus n'ayant pas réussi à faire sortir le démon du corps d'un enfant, le père de celui-ci supplie Jésus de l'aider. Voyant qu'il avait accompli la tâche avec succès, les disciples du Christ lui demandèrent pourquoi eux n'avaient pas réussi, ce à quoi il répondit : "Car je vous le dis en vérité, si vous aviez de la foi comme un grain de sénevé, vous diriez à cette montagne : "transporte-toi d'ici là" et elle s'y transporterait, et rien ne vous serait impossible" (Matthieu, 17,19). Aujourd'hui, cette expression signifie que l'on a pu accomplir une tâche très difficile.}} (http://www.linternaute.com/expression/langue-francaise/586/soulever-des-montagnes/)


D'autres contes de cailloux et de pierres ?
Ils sont nombreux ! Quelques uns sont à découvrir dans l'article
C... comme cailloux