Un conte de France : Le fil magique - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Un enfant pressé de grandir pour faire ce qu'il veut s'aperçoit à ses dépens que la vie passe bien vite et mérite d'être vécue en prenant le temps de vivre chaque moment, et l'enfance en est souvent une excellente période qu'il ne faut pas se presser de vivre.

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

Pierre est un garçon très enjoué. Tout le monde l'aime : sa famille, ses professeurs et ses amis, mais il a une faiblesse ; Il ne parvient pas à vivre dans le présent. Il n'a pas appris à apprécier les petits plaisirs quotidiens.

Ses pensées vagabondent sans cesse, plus vite que les nuages. Quand on lui demande
- Mais à quoi penses-tu ?, il répond invariablement :
- Au jour où je serai grand.
Pierre rêve constamment, les yeux grands ouverts, et ne prend jamais le temps de savourer les instants exceptionnels qui ponctuent ses journées. Quand c'est l'hiver, il ne pense qu'à l'été, et quand l'été arrive, il ne veut rien de plus au monde qu'être en automne. Lorsqu'il est à l'école, il rêve qu'il joue dehors. Lorsqu'il joue dehors, il rêve des grandes vacances.
Ce que Pierre préfère est de jouer avec Lise qui sait courir comme un garçon et ne se fâche jamais, même lorsqu'il perd patience, ce qui lui arrive de plus en plus souvent. Lorsqu'ils jouent ensemble, il pense souvent :
- Si seulement j'étais grand, nous pourrions nous marier !

Foret_Huelgoat_http://www.pnr-armorique.fr/Decouvrir/Le-patrimoine-naturel/Milieux-remarquables/ForetsUn jour d'été, Pierre se promène dans une forêt près de sa maison. Se sentant fatigué, il s'allonge au pied d'un chêne et s'endort en rêvant, comme d'habitude, au temps où il sera assez grand pour choisir sa vie et épouser Lise.
Il a l'impression d'entendre quelqu'un l'appeler par son nom. Vieille dame cheveux blancs_http://brigitisis.centerblog.net/8651-arbre-et-la-vieille-dame-aux-cheveux-blancs-aliceIl ouvre lentement les yeux et il est tout surpris de voir une vieille femme le regarder. Elle devait avoir plus de cent ans et ses cheveux d'un blanc pur comme la neige pendent le long de ses épaules comme une couverture de laine emmêlée. Fée ou sorcière ?
Dévidoir à ficelle_https://www.ebay.fr/itm/115512859859?mkevt=1&mkcid=1&mkrid=709-53476-19255-0&campid=5338722076&customid=&toolid=10050Sa main ridée tient une petite boite ronde comme une balle dont sort un mince fil d'or :
- Pierre, ceci est le fil de ta vie. Si tu le tires légèrement, une heure passera en quelques secondes. Si tu le déroules un peu plus, des journées entières s'écouleront en quelques minutes. Et si tu tires de toutes tes forces, des mois et même des années passeront en quelques jours.
Fil d'or_Gingerlily Perles Pierre s'empresse d'emporter la pelote que la vieille femme lui tend. Il regarde le fil : il lui semble le voir sortir doucement, tout doucement, mais sans pour autant s'allonger. Il aurait bien aimé tirer dessus, mais cela lui fait un petit peu peur.

Le lendemain, en classe, le maître le gronde pour n'avoir pas appris sa leçon. Pierre ne peut résister : il tire très prudemment un petit bout de son fil ... et c'est déjà la fin de journée de classe !
Depuis ce premier essai réussi, Pierre tire de plus en plus souvent sur le fil ; pendant quelques temps il ne vit que les périodes de vacances !


Mais, très vite, Pierre est fatigué d'être un enfant : il a envie de passer à l'adolescence, persuadé que cette nouvelle étape se révélera plus amusante. Il tire un morceau de fil assez important et se retrouve accompagné d'une très jolie jeune fille nommée Lise. Pierre se dit aussitôt :
- Que je suis bête ! Si j'étais plus grand, plus d'école ! Je pourrais apprendre un métier et me marier avec Lise !
Il tire donc un bon morceau de fil ... et ainsi de suite chaque fois qu'il est pressé de passer à autre chose ...

Pierre est maintenant un adulte d'âge mûr, Lise est son épouse et ils sont entourés d'une nichée d'enfants. Pierre se rend compte qu'il vit les plus belles années de sa vie : il prend la ferme résolution de ne plus sortir la boite de sa poche car il vient de s'apercevoir que sa mère, qu'il aimait tendrement, n'était plus la jeune femme qu'il connaissait, mais une femme aux cheveux grisonnants.


Hélas ... vient le temps où ses affaires commencent à mal marcher, il y a aussi pas mal de problèmes dus à la gestion du pays, les gens s'appauvrissent, manifestent, Pierre aussi ... et il est arrêté. Mais avant qu'on ne l'amène au poste de police, il sort sa boite et tire, tire ... Les ennuis passent mais aussi bon nombre d'années. fil d'argent _ CulturaIl regarde le fil et s'aperçoit que le fil qui sortait de la boite n'est plus en or mais en argent ... Le meilleur était passé ...
On dit Petits enfants, petits soucis, grands enfants, grands soucis .... Pierre veut abréger cette période et voir ses enfants tous établis dans la vie ...

Maintenant, Pierre a des cheveux gris, sa mère n'est plus de ce monde ... Lise est malade et s'affaiblit de jour en jour ... Pierre n'a toujours pas appris la patience : il ne suporte pas de voir sa femme malade, il tire sur le fil, puis encore un peu pour une douleur, un courant d'air ... Pierre tire sur le fil mais ces ennuis reviennent : la vie ne lui semble plus aussi joyeuse, aussi facile ... Il tire une fois de plus sur le fil magique et attend que les changements apparaissent.

Ses enfants ont grandi et quitté la maison pour mener leur vie. Pour la première fois, Pierre se rend compte qu'il n'a jamais pris le temps d'apprécier les plaisirs de l'existence. Il n'est jamais allé à la pêche avec ses enfants. Il ne s'est jamais promené au clair de lune avec Élise. Il n'a jamais planté de fleurs dans un jardin ou lu ces livres que sa mère aimait tant. Il a brûlé sa vie.
Un matin le fil d'argent était devenu tout gris. fil grisPierre se regarde dans le miroir et voit qu'il est presque chauve et bien ridé ... Lise le presse de s'arrêter pour prendre le temps de profiter de la vie ; il tire le fil une fois encore ... Enfin la retraite !

Ce jour-là, Il décide d'aller dans la forêt où il avait l'habitude de se promener lorsqu'il était enfant Gros-Chêne-de-Salm-en-automne_Ji-Elle_WikimediaCommonspour s'éclaircir les idées et se réchauffer le cœur. Les arbrisseaux de son enfance sont devenus de grands chênes majestueux. La forêt tout entière semble métamorpho-sée. Il s'étend sur l’herbe d’une clai-rière et s'endort profondément, fatigué de sa marche, c'est qu'il n'est plus tout jeune.
Il a alors l'impression que quelqu'un l'appelle, il ouvre les yeux : Vieille dame cheveux blancs_http://brigitisis.centerblog.net/8651-arbre-et-la-vieille-dame-aux-cheveux-blancs-alicela vieille femme qui lui avait donné la pelote de fil magique de nombreuses années auparavant se tenait devant lui.
- As-tu aimé mon cadeau ? Ta vie a-t-elle été aussi heureuse que tu l'espérais ? demande-t-elle.
- Comment savoir ? Au début c'était amusant, je n'ai guère eu à atendre ni à souffrir dans la vie. Mais tout est passé bien trop vite, Je n'ai même pas pris le temps de vivre, je voulais toujours plus, et plus vite. Et me voici vieux et faible. Je n'ose plus tirer sur le fil ... J'ai vieilli sans rien connaître de l'existence. Je me sens vide. Pour un peu, je tirerai un bon coup pour que tout soit fini ... Finalement ce cadeau était empoisonné.
- Te voilà tellement aigri que tu ne te souviens pas que c'est toi qui a voulu vivre vite, sans attendre de grandir, sans faire face aux difficultés, en espérant que demain serait meilleur mais sans le préparer ... Que t'aurait-il fallu pour assurer ton bonheur ?
- La même boite mais avec la possibilité de faire rentrer le fil : on pourrait ainsi recommencer les bons moments mais aussi avoir une chance de réparer ses erreurs.
La vieille femme se mit à rire ...
- ça c'est impossible ... mes soeurs ne le permettraient pas : ma soeur plus jeune veille sur les jours d'avant la naissance, je surveille le fil qui se déroule, ma soeur aînée coupe le fil. Le temps ne coule que dans un seul sens, on ne peut revenir en arrière ... Pourtant, je vais t'accorder un dernier souhait. Choisis bien cette fois !
Après avoir réfléchi Pierre dit d'une voix lente :
- Je voudrais revivre toute ma vie mais sans la boite magique pour ne pas avoir la tentation de tirer sur le fil. J'aimerais revenir au temps où j'étais un jeune écolier et reprendre le fil de ma vie.

Pierre se rendort et se réveille dans son lit ! Sa mère est près de son lit. Elle est jeune, en bonne santé et rayonnante. L'étrange magicienne de la forêt a exaucé son vœu et l'a rendu à sa vie antérieure. Quelle joie !
- Tu nous a fait peur ! Tu as eu une forte fièvre et tu divaguais sans cesse, parlant dans ton sommeil d'une petite boite d'argent d'où sortait un fil d'or ...
- Et Lise ?
- Lise est venu prendre de tes nouvelles chaque jour, tiens la voilà !
- Je me sens guéri maintenant, vivement que nous retournions ensemble à l'école ! Nous avons tellement de belles choses à vivre ...

Finalement, Pierre se sent tout à fait libre de vivre sa vie en tant qu'enfant. Grandir, il avait bien le temps ...


Sources :

  • Le fil magique, recueil "Contes de tous les pays'', illustré par Niikolaï Ustinov, Albin Michel Jeunesse,1986
  • Conte en ligne ici.
  • forêt : Foret de Huelgoat, Parc Naturel Régional, http://www.pnr-armorique.fr/Decouvrir/Le-patrimoine-naturel/Milieux-remarquables/Forets
  • vieille femme : http://brigitisis.centerblog.net/8651-arbre-et-la-vieille-dame-aux-cheveux-blancs-alice
  • dévidoir à ficelle : ebay
  • grand chêne : Gros-Chêne-de-Salm-en-automne, Ji-Elle, Wikimedia Commons


Commentaire :
Pierre cessa dès lors de sacrifier le présent à l'avenir et vécut avec intensité chaque moment d'une existence riche et heureuse.
Mais Pierre et le fil magique n'est qu'un conte de fées. En réalité, nous n'aurons jamais une deuxième chance. La vie que nous menons est la seule occasion qui nous est donnée de nous éveiller aux splendeurs de notre monde et d'apprécier le cadeau de l'existence. Le temps perdu ne se rattrape jamais (Jules Renard). Chaque journée peut donner un sens à la vie. Savourons l'instant présent, et apprenons de nos difficultés pour mieux vivre après.

Le fil de la vie :
La vie se déroule comme un long fil ... Cette image nous vient des Grecs et des Romains, mais aussi des trois Nornes qui puisaient l'eau au puits du destin pour arroser l'arbre de vie de la mythologie nordique.
Dans la Rome antique Les Parques étaient les trois divinités qui présidaient au destin des Hommes. A l'origine il n'y avait qu'une seule Parque du nom de Parca Maurtia qui était une déesse des naissances, puis, sans doute sous l'influence grecque, les romains adoptèrent le modèle de Moires qui revêtaient l'aspect de trois fileuses.

  • Nona, Clotho pour les Grecs, signifie « neuf » puisque c'est le temps de gestation de l'espèce humaine et le moment de sa naissance où la femme romaine enceinte l'appelait pour qu'elle commence à filer le fil de la vie de son enfant.
  • Decima, Lachésis pour les Grecs nom que l'on peut traduire par « sort » ou « action de tirer au sort », est la Parque qui déroule le fil et qui le met sur le fuseau de sa quenouille.
  • Morta, Atropos pour les Grecs, c'est-à-dire « inévitable » en grec, coupe impitoyablement le fil qui mesure la durée de la vie de chaque mortel.


Puvis de Chabannes_Le rêve_1883_Trois Parques
Le Rêve, tableau de Puvis de Chavannes - 1883 - La vie passe comme un rêve ...
Le fil de la vie se déroule malgré nous, le destin détermine l'instant de notre mort.

Elles sont le symbole de l'évolution de l'univers, du changement nécessaire qui commande au rythme de la vie et qui impose l'existence et la fatalité de la mort. Jacques Lacarrière, Au cœur des mythologies : en suivant les dieux, Paris, Gallimard, 2002, 624 p.

Présentation de Suzanne - évolution de la liberté des enfants - - - -
Présentation de Ode - la liberté intérieure- - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Il peut paraître paradoxal de poser la question de la liberté des enfants, ceux-ci étant forcément dans la dépendance des adultes et soumis à leur autorité. Une enfant ne peut pas faire tout ce qu'il veut. En tant qu'enfant, mot emprunté au latin infans, infantis, « celui qui ne parle pas, jeune enfant », n'avait guère son mot à dire quant aux décisions importantes le concernant.

De l’Antiquité grecque à l’aube du xxe siècle en France, non seulement on ne prêtait pas attention aux paroles des enfants, mais il leur était même souvent, tout simplement, interdit de parler aux adultes.

On constate que les dernières décennies du xxe siècle ont rompu avec les longues traditions de l’enfance muette.

Sur le plan juridique : les libertés fondamentales

Aujourd'hui, la Convention internationale des droits de l’enfance (jusqu'à 18 ans, sauf majorité anticipée), dans son article 13, accorde aux enfants le droit à la liberté d’expression, l’article 14 leur accorde le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion, l’article 15 leur accorde les droits à la liberté d’asso-ciation et à la liberté de réunion en pacifique, sans autre restrictions que celles subies par les adultes. Autrement dit, concernant les libertés fondamentales de pensée, d’expression et d’association, cette convention met les enfants dans une position identique à celle des adultes.

On peut s'interroger, si au lieu de consacrer des « droits de l’enfant », en le mettant sur un pied d'égalité avec l'adulte, on n'abolit pas les fondements mêmes de la notion d’enfant.

Sur le plan philosophique : la question de la liberté dans l'éducation des enfants

Au-delà des libertés, se pose la question de la liberté, définie comme absence de contrainte. Les réponses dépendent de présupposés sur des questions essen-tielles, telles que l'enfant est-il un adulte miniature qui possède en lui toutes les capacités nécessaires à son existence ou est-il comme une bête sauvage qu'il faut éduquer pour en faire un homme civilisé ?
L'enfant n'a-t-il pas des manières spécifiques de voir le monde, vision égo-centrée, pensée magique...?

Quelques exemples de positions philosophiques sur la liberté dans l'éducation des enfants

La question de la liberté des enfants est au cœur de grandes options philoso-phiques, sur la nature de l'homme, la vie en société. Plusieurs philosophes se sont préoccupés de la liberté dans l'éducation des enfants soit comme un moyen soit comme un but, l'une pouvant être exclusive de l'autre.

Ode présentera la position actuelle de Boris Cyrulnik dans son ouvrage Le laboureur et les mangeurs de vent.

La liberté des enfants comme moyens

  • John Locke, inspiré par la philosophie empirique, associe le principe d'autorité de l'éducateur à celui de l'écoute de l'enfant. Il affirme la nécessité de respecter la liberté de l'enfant, non pas par laxisme, mais pour permettre d'observer sa nature et d'adapter son enseignement en conséquence. L'éducation ne peut être rien d'autre que l'adaptation pratique de l'enfant aux réalités de la vie. L'esprit de l'enfant est malléable (principe de tabula rasa). La dialectique du plaisir et de la douleur est le ressort fondamental sur lequel l'éducateur agit pour apprendre à l'enfant à maîtriser ses passions et à prendre la raison pour guide. Locke rejette les idées innées, l'enfant n'ayant aucune connaissance spontanée du bien et du mal (mais il n'est pas bon par nature). Cultiver la réflexion chez l'enfant consiste à procéder à une forme d'introspection sur ce qu'il ressent et non à manipuler des notions abstraites.


  • Jean-Jacques Rousseau remplace la leçon par l’expérience qui est contact direct (sans intermédiaire) avec le réel. Il veut que l’élève se confronte à la réalité et se mesure aux choses et non aux autres. Dans les premières années de sa vie, l’enfant dépend de ses parents ou d’un autre adulte, il vit sous leur dépendance. Cette dépendance n’est pas un esclavage. Elle ne le devient que si les parents suscitent chez l’enfant des besoins qu’il n’avait pas et qu’il ne pourra pas satisfaire lui-même. Il ne doit rien obtenir parce qu’il le demande (en criant fort, comme disait Locke ). Émile (nom du jeune homme imaginaire dont Rousseau se propose de faire un élève modèle), est libre au sens précis où il n’agit sous l’effet d’aucune contrainte extérieure : c’est toujours le désir ou le plaisir qui produit son attention mais cette liberté est surtout un sentiment de liberté. Qu’il croie toujours être le maître et que ce soit toujours vous qui le soyez.


Note : Émile ou De l’éducation est un traité d'éducation de Jean-Jacques Rousseau publié en 1762. Il demeure, aujourd’hui encore, l’un des ouvrages les plus lus et les plus populaires de philosophie de l'éducation. Il s'agit d'un nouveau système d'éducation, dont j'offre le plan à l'examen de tous les sages, et non pas d'une méthode pour les pères, et les mères, à laquelle je n'ai jamais songé. Émile est le nom du jeune homme imaginaire dont Rousseau se propose de faire un élève modèle. (Article à consulter : L’Émile de Rousseau : Résumé)

La liberté comme fin

  • René Descartes prône la liberté de penser qu'il faut apprendre aux enfants par l'apprentissage du doute en déconstruisant ce qu'il croit savoir. D'une part, l'enfant cherche ce qui est utile, et dans cette logique utilitariste, il fait immé-diatement confiance aux sens. D'autre part, il a une vision égo-centrée du monde qui provient de l’expérience puissante du caprice : l’enfant s’imagine que le monde tourne autour de lui parce qu’il a constaté qu’en pleurant, il finit par obtenir ce qu’il veut.
  • Enfin, l’éducation est d’abord une éducation aux préjugés, ce qui rend incapable de juger par soi-même.


  • La première chose à faire serait de se défaire une bonne fois pour toutes de l’enfant qui est en nous. Le scandale de la condition humaine, pour Descartes, c’est que l’homme commence par être enfant.


Note : Actuellement, on parle plutôt de prendre soin de son enfant intérieur ... Thich Nhat Hanh introduit son livre Prendre soin de l’enfant intérieur en ces termes : En chacun de nous se trouve un enfant qui souffre. Nous avons tous connu des périodes difficiles et beaucoup d’entre nous ont été fortement perturbés durant l’enfance. Et pour nous protéger de toute cette souffrance, la seule solution que nous ayons trouvée a été d’oublier ces épisodes douloureux. Chaque fois que la douleur se réveille, cette sensation nous est si insupportable que nous refoulons nos sentiments et nos souvenirs au plus profond de notre inconscient. A tel point que nous pouvons passer des années et des années à négliger cet enfant blessé. Thich Nhat Hanh propose 4 pistes pour guérir notre enfant intérieur : l’écouter, lui parler, dialoguer avec lui, partager nos joies avec lui. (Prendre soin de l’enfant intérieur : pourquoi ? comment ?)

La liberté Intérieure

Boris Cyrulnik dans Le Laboureur et les mangeurs de vents, traite entre autres comment acquérir la liberté intérieure.

  • Il qualifie de mangeurs de vent les personnes qui acceptent facilement de suivre des dictateurs, gourous de toutes sortes, y compris scientifiques. Ces personnes se soumettent aux idées dominantes, par facilité et confort sans se remettre en cause.
  • La confiance en lui et son esprit critique permettent au laboureur de défendre son point de vue.


La fabrication de ces deux identités a, pour Boris Cyrulnik, ses racines dans l’enfance.

  • Nous sommes tous déterminés par notre entourage. Dans un premier temps l’enfant a besoin de sécurité, d’attachement et d’idées claires pour créer la confiance en lui. Ceci lui permettra d’oser, vers l’âge de 6, 7 ans, confronter ses idées avec d’autres personnes.
  • Ce n’est qu’en poursuivant notre cheminement vers l’autonomie que nous accédons à un degré de liberté intérieure. Alors nous pouvons juger, évaluer, intérioriser ou rejeter les récits qu’on nous propose


La plupart du temps, il ne s’agit pas d’un détachement comme on le dit souvent, mais d’un remaniement de l’attachement. La confrontation des idées par le vécu, permet de se faire sa propre opinion ancrée dans le réel et devenir un homme libre (un laboureur).

Certains ont terriblement besoin d’appartenir à un groupe (mangeur de vent) pour se sentir en sécurité. Toute critique atténuerait ce réconfortant besoin d’appartenir. Ceux qui veulent adhérer et se fondre dans un groupe se plaisent à réciter les histoires de la doxa comme une certitude délicieuse, une extase qui leur permet de se sentir confiants dans une logique de la déraison dont parlait Hannah Arendt. .... C’est ainsi que la doxa possède un effet sécurisant.

L’enfant accepte sans discuter parce que la moindre mise en cause atténuerait son effet sécurisant.

Peut-on alors parler de liberté intérieure pour l'enfant, puisqu'il n'a pas l'expérience, le recul, les facultés de raisonner à son plein niveau ?

Un conte tzigane : Quatre frères
Quatre manières de grandir et de vivre - - - - - - - - - - - - - - - - - - - - -

Je me suis inspirée d'un conte tzigane et de la manière de traverser la vie de quatre frères tziganes pour illustrer quatre manières de vivre selon quatre courants philosophiques différents :

Conte adapté pour le café-philo :creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

van-gogh_Les-roulottes-campement-de-bohémiens_wikimediaQuatre enfants, quatre frères, vivaient seuls dans une grande misère et une toute petite roulotte.

Un matin, l'aîné dit :
- Je vais aller gagner ma vie et quand je serai riche, je reviendrai. Enfant tzigane_https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9050195h.item
Pourtant il était bien jeune pour partir seul sur les chemins de la vie. Il marche au hasard, qu'importe ! la richesse peut l'attendre n'importe où ...

Un jour, affamé, perdu, désespéré, il s'endort au pied d'un arbre. La voix nasillarde d'un nain le réveille :
- Hé ! Paresseux ! Je te donnerai de l'or et de l'argent si tu sais répondre à mon énigme sinon tu deviendras mon valet ! Troll_habillé_crus-art.comDans une maison verte, une maman rouge élève ses dizaines d'enfants noirs. Qui est-ce ?
L'enfant ne sait pas répondre ... Le nain éclate de rire :
- Imbécile ! c'est la pastèque ! Tu seras mon valet et n'essaie pas de t'enfuir, ma vengeance serait terrible ! Tu m'appartiens désormais !
Le nain fait travailler l'enfant tant et tant, que le soir il s'écroule sur sa paillasse, épuisé, sans pouvoir penser ...

garçon portant panier_Marcelle_Vallet_https://numelyo.bm-lyon.fr/f_view/BML:BML_01ICO00101P0701_004BIS_N969Le temps passe. Les enfants grandissent. Ne voyant pas son frère revenir, le second enfant part à son tour. Il va faire sa propre expérience. Il marche longtemps puis s'endort au pied d'un arbre. C'est la voix du nain qui le réveille et lui tient le même discours avec une autre devinette :
- Bien que les quatres soeurs cavalent, elles ne rattraperont pas le cheval ! Qui sont-elles ?
Troll_habillé_crus-art.com Le deuxième frère cherche, il court après sa cervelle, son imagina-tion galope mais il ne trouve pas la bonne réponse. Le nain ricane :
- Bougre d'idiot ! Ce sont les quatre roues de la charrette ! Tu seras mon valet et n'essaie pas de t'enfuir.
De l'aube jusqu'à la nuit le pauvre enfant travaille, vaille que vaille, prisonnier comme un poisson dans les mailles d'un filet.

Jeune tzigane_Demetrio_https://www.cheminsdememoire.gouv.fr/fr/linternement-des-tsiganes-en-france-1940-1946Le troisième frère décide de partir à la recherche de ses frères. Il a un peu réfléchi sur la direction à suivre, il part sûr de lui. Mais comme les deux autres, il se retrouve dans la maison de pierre et de bois du nain car il n'a pas su répondre à l'énigme posée :
- Deux soeurs, deux frères : la première court sans jamais se reposer, la deuxième boit sans être jamais désaltérée, le troisième mange sans être jamais rassasié, le quatrième et toujours présent et pourtant invisibleTroll_habillé_crus-art.com. Qui sont-elles et qui sont-ils ?
L'adolescent a beau chercher, fouiller dans sa mémoire, farfouiller dans ses souvenirs, trifouiller ses connaissances, gratouiller son esprit ... Rien ! Le nain saute de joie :
- Plus bête que la plus bête des bêtes ! Ce sont les quatre éléments : l'eau qui court, la terre qui boit, le feu qui dévore et l'air invisible ! Allez ! Au boulot !

jeune tzigane_https://cdn001.tintin.com/public/tintin/img/news/journal/520/tziganes2.jpgDans la roulotte le temps s'étire tristement pour le quatrième frère. Il a passé son enfance à errer librement sur les chemins, il a grandi guidé par sa bonne étoile, il a chanté avec ses frères et appris de ceux qu'il a croisé sur sa route, mais maintenant ses frères lui manquent. Il a bien grandi, bien réfléchi, il part ... Il ne cherche pas au hasard la fortune comme l'aîné, il ne cherche pas à accumuler plus d'expériences et à découvrir le monde comme le second, il ne sait plus si partir pour partir est si bien que cela, il n'attend pas qu'un signe lui indique le chemin comme le troisième et les deux autres frères qui ont suivi le nain sans prendre assez de temps pour réfléchir ... Il marche d'un pas régulier, les yeux bien ouverts, les oreilles aux aguets, les sens en éveil, car il vaut se faire une idée par lui-même du chemin à prendre.

Il rencontre trois compères que la solitude a rassemblé : à plusieurs on se sent plus fort.
OURS brun_Finlande_http://www.visitfinland.com/fr/article/rencontre-avec-un-ours/ Loup_Fremlin_http://www.flickr.com/photos/fremlin/2384478345/sizes/m/in/photostream/ Renard_http://www.all-free-photos.com/show/showphoto.php?idph=PI14392&lang=frIl y a un renard, un loup et un ours chassés de leur famille parce qu'on ne les trouvait pas assez méchants. Ils se prennent d'affection pour ce grand jeune homme qui marche seul lui aussi, à la recherche de ses frères.

Marcher fait avancer, mais ils sont bien fatigués ... ils s'installent pour la nuit et le jeune gars s'endort au pied d'un arbre. Le nain le réveille :
Troll_habillé_crus-art.com - Viens chez moi, il y a de l'or et de l'argent !
- Ce sont mes frères qui m'importent !
- Ils sont chez moi !
Aussitôt arrivés, le nain le fait prisonnier. Il ne sera libéré, et ses frères avec lui, que s'il répond à une énigme :
- Ma mère a un drap qu'elle ne peut pas plier, mon père a un ballon qu'il ne peut pas lancer, ma soeur a une pomme qu'elle ne peut pas croquer, mon frère a des milliers de billes qu'il ne peut pas faire rouler. Qui sont-ils ?
Le tsigane rit ... Cela fait longtemps maintenant qu'il avance le jour dans la roulotte et qu'il pense à ses frères la nuit en regardant le ciel et les étoiles. Il réfléchit et pense à tout ce que lui a apporté la vie au jour le jour ... et il donne la réponse :
- Le ciel nous enveloppe, le soleil nous fixe, la lune nous regarde et des milleirs d'étoiles sont autant de billes dans la nuit.

Le nain est furieux et refuse de donner or et argent promis et de délivrer les trois frères prisonniers. Le tzigane se fâche mais le nain, bien que de petite taille est d'une force incroyable et se met à battre le jeune homme pour le réduire à sa merci.
Le Tzigane appelle ses compagnons à l'aide : le renard fonce sur le nain et le renverse, le loup le mord cruellement et l'ours l'envoie valdinguer si haut, si haut, qu'il s'est perdu dans les plis du ciel, le soleil l'a brûlé, la lune s'est moquée, et le nain n'est plus qu'une cométe perdue dans l'immensité ...

Les quatre frères se sont partagés le trésor du nain, puis ils sont repartis sur les chemins avec le renard, le loup et l'ours : ils ont quitté l'enfance, leur esprit et leur coeur ont bien grandi : sans suivre n'importe qui ni écouter n'importe quoi, ils dirigent leurs pas sous le soleil et sous la lune, en regardant toujours plus haut, la tête dans les étoiles,

Sources :Tout du monde des contes sur les ailes d'un oiseau_Gendrin_Corvaisier_Rue du Monde_2005

  • Catherine Gendrin, Quatre devinettes, quatre frères, conte tzigane inclus dans le recueil "Tour du monde des contes sur les ailes d'un oiseau", Rue du Monde, 2005.


Illustrations :

  • roulotte : Van Gogh, Les roulottes - Le campement de bohémien, Wikimedia Commons
  • photo d'un enfant tzigane (frère 1) : Le petit Lolak, fils du roi des Tziganes, Michaël II et favori de l'association, photographie de presse Agence Mondial, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b9050195h.item
  • le nain est un dessin de troll : crus-art.com
  • garçon tzigane (frère 2) : Un garçon tsigane les pied nus portant un panier en oseille, Marcelle Vallet (1907-2000), bibliothèque municipale de Lyon
  • jeune tzigane (frère 3) : Roger Demetrio, 1944, photographie extraite de son carnet anthropométrique, coll. Archives départementales des Bouches-du-Rhône, L'internement des tsiganes en France 1940-1946, Chemins de mémoire, Ministère des Armées.
  • jeune tzigane et trois enfants à la fenêtre (frère 4) : https://cdn001.tintin.com/public/tintin/img/news/journal/520/tziganes2.jpg, et un article intéressant sur le peuple tzigane sur tintin.com : Peuple de légende ; légendes d'un peuple


Commentaires :
Autant de frères, autant de manières de vivre ... L'enfant a (en principe) la liberté d'orienter sa vie d'une manière ou d'une autre, sauf s'il se laisse balloter par les évènements ou par plus puissant que lui, plus savant, mieux parlant, qui sauront le manipuler.

1/ John Locke n'a pas d'idées préconçues de l'enfant qui peut être bon ou mauvais, mais ne le sait pas encore. Il faut donc laisser l'enfant libre pour observer sa nature. C'est le premier frère qui part au hasard sur les chemins tout jeune pour vivre sa vie.

2/ Jean-Jacques Rousseau se confronte à la réalité car pour lui apprendre se fait par l'expérience. L'enfant laissé libre de faire ses propres expériences peut ressentir un "sentiment de liberté" et se croire maître de son destin ; en réalité les adultes dirigent. C'est le second frère, qui part un peu plus âgé que le premier, trop sûr de lui, croyant diriger ses pas, mais il se retrouve perdu comme le premier frère.

3/ René Descartes prône la liberté de pensée pour tous. L'enfant l'acquiert par l'apprentissage du doute, c'est-à-dire en déconstruisant ce qu'il croit savoir. Au départ, l'enfant a une vision égocentrée du monde car il s'imagine que le monde tourne autour de lui ; il suit les "signes de la Providence", le schéma de vie établi pour lui par la famille, l'éducation, le lieu de naissance mais sans réfléchir. C'est le troisième frère, adolescent, qui part avec des idées toutes faites. Il ne doute de rien au départ. Il est manipulable, il écoute le nain. Le doute d'être sur le bon chemin viendra trop tard ... il se retrouvera prisonnier comme les deux autres.

4/ Boris Cyrulnik oppose les mangeurs de vent et le laboureur :Cyrulnik_Le laboureur et les mangeurs de vent_Odile jacob_2022

Certains ont tellement besoin d’appartenir à un groupe, comme ils ont appartenu à leur mère, qu’ils recherchent, voire chérissent, le confort de l’embriga-dement. Ils acceptent mensonges et manipulations, plongeant dans le malheur des sociétés entières. La servitude volontaire engourdit la pensée. « Quand on hurle avec les loups, on finit par se sentir loup. » Penser par soi-même, c’est souvent s’isoler. Seuls ceux qui ont acquis assez de confiance en soi osent tenter l’aventure de l’autonomie.

- les mangeurs de vent suivent les idées dominantes parce qu'ils recherchent en priorité la sécurité, un confort intérieur. Enfants, ils ont manqué de sécurité, d'attachement fiable, et d'idées claires sur le sens de la vie. Ce sont les trois premiers frères pressés de courir le vaste monde sans objectif si ce n'est de faire fortune le plus rapidement possible et le plus facilement.

- le laboureur - le dernier frère - a confiance en lui et un esprit critique ; il sait donc élaborer une réflexion et des pensées par lui-même. Il a eu une petite enfance sécurisante qui lui permet d'être lui-même. Le dernier frère ne part pas sur un coup de tête mais prend d'abord le temps de grandir entouré d'un groupe (les Tziganes), il réfléchit souvent à ce que lui a appris ou apporté la journée en regardant les étoiles. Sa vie n'est pas seulement matérielle car il recherche une certaine spiritualité en regardant plus haut vers la voûte étoilée. Il grandit, acquiert expérience et maturité. Ses frères lui manquent, il part sur les chemins du vaste monde non à la recherche de la fortune (qu'en ferait-il ?) mais à la recherche de ses frères partis nez au vent, sans but précis.