Les trois ours

J'ai choisi de conter une version ancienne adaptée du texte de Robert Southey tout en suivant la trame de la version Grimm pour les dialogues. C'est une vieille femme venue de la forêt qui s'introduit sans manière dans la maison des trois ours ...

Vieille femme à sa fenetre_https://www.tripalbum.net/ande/fille/Une vieille femme sans gêne, entre dans la maison des ours, touche à tout, goûte à tout, et s'installe dans le plus petit lit pour digérer confortablement. Elle est réveillée par la voix perçante du plus petit ours et s'enfuit par la fenêtre. Venue de la forêt, elle y retourne comme une sauvageonne qui va droit devant elle sans pouvoir se fixer dans un ordre établi. photo : https://www.tripalbum.net/andes/fille/

Comme le souligne Pierre Péju (Pierre Péju, La petite fille dans la forêt des contes, Robert Laffont, 1997), « nous aimons cet être solitaire et détaché (...) qui passe, casse et s'en va ».

Les enfants ont bien apprécié les changements de ton (j'ai insisté sur la grosse voix de Gros-Ours, la voix intermédiaire de Moyen-Ours et la voix très aiguë de Petit-Ours, une voix à vriller les tympans, comme celle de certains petits. Ils sont restés attentifs, bien que connaissant déjà "Boucle d'Or et les trois ours", car ils ont été déconcertés par l'arrivée de la vielle femme dont j'ai accentué le manque de bonnes manières ...

Les trois ours de Robert Southey :
Souvent considéré comme une histoire folklorique anonyme d'origine écossaise, ou comme l'une des créations de la collection des frères Grimm, ce conte des trois ours est découvert lors de sa première édition en 1837 dans l'ouvrage The Doctor : il a été rédigé par Robert Southey. Probablement basé sur une version plus ancienne, il a été tellement souvent raconté que le lien à son auteur a été perdu.

  • La version de Southey montre trois ours de tailles différentes, sans plus de précision. L’intruse n’est pas une fillette, mais une méchante vieille femme.
  • Dans les versions anglaises c’est une renarde. Ceci fait référence au thème de l'ours dupé par la renarde. Comme ce mot désigne aussi une femme acariâtre, le passage au personnage humain s’est fait naturellement.
  • Le personnage de la petite fille apparaît avec une adaptation du conte de Southey par Joseph Cundall (1849). Elle s’appelle d’abord Silver Hair, Silver-Locks (cheveux d'argent, (en référence à la vieille femme ?), Golden Hair, Golden-Locks, et ce serait Flora Annie Steel qui aurait apporté le nom définitif Goldilocks (Boucle d'Or) en 1918.

Le texte intégral est en ligne ici.

Les trois ours des frères Grimm :

Les trois ours représentent une famille, Boucle d'Or s'invite chez eux, une fois découverte elle s'enfuit ...

3 ours_Rackham_wikilediaIl était une fois... trois ours qui vivaient dans une confortable maison au fond des grands bois. Il y avait un gros Papa-Ours un peu bourru, une Maman-Ours de moyenne taille et un tout petit Bébé-Ours. Chacun possédait sa chaise et son bol. Dans la chambre il y avait trois lits, un très grand pour papa ours, un moyen pour maman ours et un tout petit pour bébé ours.

Un jour, maman ours fit une délicieuse bouillie d'avoine et en versa dans chacun des bols.
" Nous ne pouvons pas la manger tout de suite, dit-elle, c'est beaucoup trop chaud ! "
" Si nous allions faire un petit tour dans les bois en attendant que cela refroidisse, proposa Bébé-Ours, Oh oui ! allons-y ! "
" C'est une bonne idée ! "dit Papa-Ours.
Maman-Ours approuva elle aussi. Et les trois ours s'enfoncèrent dans les grands bois, humant l'air frais le long des sentiers.

Pendant que les trois ours s'amusaient, une petite fille aux magnifiques cheveux blonds passait par là. Elle s'appelait Boucles d'Or. Lorsqu'elle aperçut la maison des ours, elle y entra car elle était bien fatiguée et avait grand faim.
" Oh! Oh ! Y a-t-il quelqu'un ? " cria-t-elle, mais personne ne répondit.
" Huum ! Huum ! Comme ça sent bon ! " s'exclama Boucles d'Or en voyant les trois bols sur la table.
Elle grimpa sur un tabouret pour goûter la bouillie de Papa-Ours. " Aie ! Elle est trop chaude ! " fit-elle en reposant la cuillère. Elle goûta ensuite celle de la Maman-Ours. " Oh ! Elle est trop froide ! " dit-elle en repoussant la cuillère. Elle goûta enfin la bouillie du Bébé-Ours et la trouva tout à fait bien. Elle la mangea toute, sans en laisser une seule bouchée.
Boucles d'Or aperçut alors les trois chaises et voulut grimper sur celle de Papa-Ours. Mais il n'y avait même pas un coussin et elle la trouva beaucoup trop dure. Elle essaya celle de Maman-Ours, mais cette fois il y avait trop de coussins et elle la trouva trop confortable. Elle s'installa enfin sur celle de bébé-Ours. Elle était juste comme il faut, confortable et bien rembourrée. Et Boucles d'Or s'amusa à sauter et à rebondir tant et si bien qu'elle défonça la chaise et tomba par terre.
" Je suis fatiguée " soupira Boucles d'Or en voyant les trois lits dans la chambre. Elle grimpa sur le lit du Papa-Ours, mais redescendit aussitôt. Il était beaucoup trop dur. Elle essaya ensuite celui de Maman-Ours, mais celui-là était trop mou et plein de bosses. Elle monta enfin sur le lit de Bébé-Ours, il était tout à fait bien. Boucles d'Or s'y laissa tomber et s'endormit aussitôt.

Au bout d'un moment, les trois ours, très contents de leur promenade dans la forêt, rentrèrent à la maison et s'aperçurent que l'on avait touché à leurs bols.
" Quelqu'un a goûté à ma bouillie ! " dit le Papa-Ours de sa grosse voix bourrue.
" Quelqu'un a goûté à ma bouillie ! " fit la Maman-Ours de sa moyenne voix.
" Quelqu'un a goûté à ma bouillie et l'a toute mangée ! " cria Bébé-Ours de sa toute petite voix.
" Quelqu'un s'est assis sur ma chaise ! " gronda Papa-Ours de sa grosse voix bourrue.
" Quelqu'un s'est assis sur ma chaise ! " dit Maman-Ours de sa moyenne voix.
" Quelqu'un s'est assis sur la mienne et l'a défoncée ! " pleurnicha Bébé-Ours de sa toute petite voix.

Ils allèrent ensuite dans leur chambre :
" On s'est couché sur mon lit ! " s'écria le Papa-Ours de sa grosse voix.
" On s'est couché sur le mien ! " dit Maman-Ours de sa moyenne voix.
" Venez voir ! Quelqu'un est couché dans mon petit lit ! " s'exclama le Bébé-Ours tout surpris.
Papa-Ours avait une si grosse voix, que Boucles d'Or entendit en rêve le barrissement d'un éléphant.
Quand Maman-Ours prit la parole, elle crut qu'un corbeau croassait.
En entendant Bébé-Ours, elle crut être piquée à l'oreille par un gros bourdon velu, et elle s'éveilla en sursaut. Elle aperçut alors les trois ours. Aussitôt, elle bondit hors du lit et s'enfuit à toutes jambes. Elle ne s'arrêta de courir que lorsqu'elle atteignit sa maison à la lisière des grands bois.

Alors, Papa-Ours répara la petite chaise qui fut bientôt toute neuve. Maman-Ours remit un peu d'ordre dans la chambre, et ils s'installèrent devant trois bols de bouillie d'avoine, qui n'était plus ni trop chaude, ni trop froide, mais juste à point.


Illustration de Arthur Rackham pour l’English Fairy Tales (1918) de Flora Annie Steel. (Wikimedia)

Pour en savoir plus :
« Boucles d’Or et les trois ours » À la recherche de l'identité. article du blog Psycha.ru. Extraits ci-dessous. http://psycha.ru/fr/bettelheim/1976/psychanalyse_contes33.html
Il est généralement admis que « Boucles d’or » a pris sa source dans un vieux conte écossais où une renarde vient troubler la solitude de trois ours 68. Ceux-ci dévorent l’intruse. Il s’agit donc d’un conte de mise en garde engageant l’auditeur à respecter la propriété et la vie privée d’autrui. Puis la renarde est remplacée par une vieille femme acariâtre. En 1894, on découvrit une autre version, sans doute très ancienne, transmise par la voie orale ; dans cette histoire, l’intruse se verse du lait, s’assoit dans les fauteuils et se repose dans les lits des ours qui vivent dans un château perdu dans les bois. Dans ces deux versions, l’intruse est sévèrement punie par les ours qui essaient de la jeter dans le feu, de la noyer et de la précipiter du haut d’un clocher.
Nous ne savons pas si Robert Southey, qui publia pour la première fois l’histoire en 1837 dans son livre « The Doctor », connaissait ces contes plus anciens. Mais il apporta un changement important en faisant fuir l’intruse par la fenêtre et en ne disant pas un mot de ce qu’elle devint par la suite.
En 1856 : l’intruse devient une petite fille qu’il appelle « Cheveux d'argent » (« Cheveux d’argent » et « Boucles d’argent » deviennent, en 1889, « Cheveux d’Or » et, finalement, en 1904, « Boucles d’Or »). Le conte n’atteint une grande popularité qu’après deux autres changements, encore plus importants. Dans les « Contes de ma mère l’Oye », paru en 1878, « Gros Ours », « Ours Moyen » et « Tout Petit Ours » deviennent « Père Ours », « Mère Ours » et « Bébé Ours » ; et l’héroïne disparaît simplement par la fenêtre ; on ne laisse absolument pas prévoir qu’elle ait pu avoir une fin tragique.
Malgré les modifications historiques qui firent successivement de l’intruse une renarde, une mégère et une petite fille sympathique, le personnage principal reste bel et bien une intruse, incapable de s’intégrer au groupe qu’elle visite. L’une des raisons pour lesquelles ce conte est devenu si populaire au tournant du siècle dernier est peut-être que des personnes, de plus en plus nombreuses, avaient l’impression d’être des intruses. Il n'y a pas de méchant dans l'histoire. L'histoire de Boucles d’Or illustre très bien la signification du choix difficile que doit faire l’enfant : doit-il être comme son père, comme sa mère ou comme un enfant ? Les ours n’aident absolument pas Boucles d’Or à résoudre ses problèmes de croissance ; il ne lui reste donc qu’à s’enfuir, effrayée de sa propre audace.
(http://psycha.ru/fr/bettelheim/1976/psychanalyse_contes33.html)

Autres versions :

  • Les trois ours, un conte de Léon Tolstoï pour les tout-petits, récit issu de la tradition orale : http://psycha.ru/fr/bettelheim/1976/psychanalyse_contes33.html
  • Les trois ours, conte traditionnel, version ancienne avec une renarde, publié en 2002 par Hélène Loup dans Conter pour les Petits - La Trame, Edisud. A lire sur le blog d'Hélène Loup.
  • Bou et les trois zours, Elsa Valentin, Ilya Green. L’atelier du posson soluble. 2009. L’histoire de Boucle d’or et les 3 ours est revisitée dans une langue cocasse et phonétique. Bou, petite fille aux cheveux noirs de jais, vit entourée de son paië et de sa maïe ; elle se perd au milieu des bois pour "groupir des flores" et entre dans la « casa pikinote » de 3 « zours ».


L'ourse blessée

Ours_Contes et Légendes_Michel Bournaud_HESSEUn conte issu du recueil de Michel Bournaud, 21 contes d'ours, Castor Poche, Flammarion, 1998 : Jacou et l'ourse.

Je l'ai conté à un public d'amis adultes qui l'ont trouvé très effrayant pour des enfants ... mais les enfants de CM1-CLM2 ont trouvé que ça ne faisait même pas peur ! et je leur ai répondu qu'ils pouvaient rajouter tous les détails qu'ils souhaitaient, décrire la cervelle palpitante de l'ourse blessée à la tête, une large plaie béante, le sang dégoulinant ... ils ont trouvé cela bien mieux (pour la plupart ...) mais je préfère m'en tenir à une version plus sobre, bien que terrible ... :

Résumé :

Dans son pays, Jacou était connu pour avoir la langue fourchue. Il disait toujours du mal des absents. C'était le sourire par devant, la trahison par derrière. Il aurait été capable de faire se battre des montagnes ... Un jour, Jacou part dans la montagne. Sa mère l'a envoyé faire du bois pour l'hiver. Au détour d'un bosquet il rencontre une ourse qui se dresse sur ses pattes de derrière et le fixe de ses petits yeux luisants. Sa fourrure est épaisse, sa gueule énorme, ses grandes dents pointues, ses griffes longues et acérées, ses mamelles imposantes. C'est une ourse qui a eu des petits ... mais elle semble seule... Elle s'adresse à Jacou :
- Je t épouse ! ou je te mange !!! Tu as le choix ...
Doug Seus et Bart_video MDR L'ourse l'amène dans sa tanière. L'ourse est douce avec Jacou. Elle le nourrit. Il commence à s'habituer. Il a moins peur. Et pour que l'ourse continue à bien s'occuper de lu, il prend bien soin de lui faire des compliments : ses yeux sont brillants, vifs, intelligents, ses dents si blanches, sa fourrure si chaude et douce, son ventre si confortable, ses mamelles si belles... Mais il pense tout le contraire de ce qu'il dit. C'est juste pour la séduire, pour qu'elle relâche sa surveillance ... Il la supplie de le laisser visiter sa mère qui doit être terriblement inquiete. L'ourse commence par refuser, puis finit par lui accorder trois jours.
Alors Jacou part tout de suite, dévale la montagne et rejoint son village. Là, seul sa mère l'accueille. Tous les autres villageois sont dépités de voir revenir ce faiseur d'embrouilles. Jacou finit par dire qu'il était prisonnier d'une bête féroce, hideuse, avec une fourrure mitée et pleine de vermine, des dents entartrées, jaunâtres, des yeux bêtes et méchants, et qu'il était révulsé d'horreur lorsqu'elle dormait en le tenant entre ses pattes. Un monstre hideux et puant.
Mais Jacou ignore que l'ourse l'a suivi. Tapie dans l'obscurité sous la fenêtre, elle a tout entendu ... Elle se sent comme poignardée en plein cœur ... Elle repart dans la montagne en pleurant et en gémissant. Elle attend Jacou ... qui revient. L'ourse lui ordonne de lui donner un grand coup de hache sur la tête.
- Choisis ! ou tu fais ce que je te demande, ou je te mange !
Alors Jacou frappe l'ourse. Qui n'en meurt pas. Tous les jours elle va se soigner et demande à Jacou si sa blessure guérit. Au début ce n'est pas joli-joli, mais la plaie finit par cicatriser. Enfin après plusieurs semaines de soins, l'ourse est guérie, la fourrure a repoussé, on ne voit presque plus rien.
- Tu vois, homme, les blessures du corps les plus graves peuvent finir par guérir, mais les blessures de l'âme ne guérissent jamais. J'ai tout entendu, comment tu m'as trompée, menti. Le mal qu'ont fait ces paroles fourbes ne cicatrisera jamais.
Et d'un coup de patte, d'un seul, l'ourse a enlevé à tout jamais l'envie de mal dire à Jacou.

Le conte rapporté par Michel Bournaud se termine ainsi :

Et l'ourse mangea Jacou.

Une version plus complète, adaptée par mes soins est à découvrir dans l'article suivant : O... comme Ourse blessée

Illustrations :