Joris (9 ans 1/2) : porte_bleueNasrreddin au restaurant ou Comment ne pas payer l'addition in : GENDRIN, Catherine, Les Contes de l’Olivier : Contes juifs et arabes réunis, Contes choisis et adaptés par Catherine GENDRIN et Illustrés par Judith Gueyfier, Édition Rue du Monde, 2007, 143 p.

Quand Nasreddin s'invite à manger une soupe, tout peut arriver ! Une histoire à raconter les soirs de cafard ...

Nasreddin a envie de voir la mer ... Il marche, se promène, admire les portes et les volets d'un bleu resplendissant, profond et merveilleux ... Mais à force de marcher il a faim. Il passe devant un restaurant et l'odeur l'interpelle ... ça sent tellement bon ... mais il n'a pas d'argent. Nasreddin s'éloigne et s'enfonce dans une petite ruelle sombre ... il se penche et ramasse on ne sait quoi dans la poussière, puis le met dans sa poche. Il retourne au restaurant et commande les meilleurs plats : langouste, homard, plateau de fruits de mers, gambas grillées ...
soupe_marocMais (et ce moment arrive toujours hélas !), le garçon apporte l'addition. Nasreddin commande une soupe "pour digérer". Le garçon est bien un peu étonné (après tout ce que Nasreddin a mangé ???) mais le client est roi... Il apporte la soupe à Nasreddin, qui se penche pour mieux sentir la bonne odeur et regarder discrètement à droite et à gauche si personne ne l'observe, puis il sort de sa poche on ne sait quoi et le jette dans la soupe. Aussitôt il appelle le garçon :
-"Appelez-moi immédiatement le chef cuisinier !".
Le cuisinier arrive précipitamment et demande un peu inquiet :
- "Il y a quelque chose qui ne va pas, Monsieur ? La soupe est-elle trop épicée ? Trop salée ?"
- "Regardez plutôt !" répond Nasreddin très en colère ... Et le cuisinier voit dans la soupe ... des cafards !!!
-"Je n'y comprends rien, je vous assure ... S'il vous plaît, Monsieur, ne dites rien à personne, je vous offre le repas !"
Et c'est ainsi que Nasreddin a pu faire un festin de roi sans rien payer. Il repart, repu et heureux, un sourire jusqu'aux oreilles, jusqu'à ses yeux rieurs, même ... et croise sur le chemin du retour son voisin, tout aussi pauvre que lui, qui lui demande ce qui le réjouit à ce point "Ah, si tu savais le bon repas que j'ai fait ... et pour pas cher !" et Nasreddin raconte toute l'histoire.
Cela donne l'idée au voisin d'en faire autant : il s'attarde dans une petite ruelle sombre, ramasse ce que vous savez, s'attable au restaurant, commande tout ce qu'il y a de plus cher, et demande pour finir... une soupe. Le garçon appelle tout de suite le cuisinier qui arrive et parle discrètement à l'oreille de ce client :
-"Ah, monsieur, c'est que nous avons eu un petit problème hier avec la soupe, et depuis nous n'en servons plus, surtout en fin de repas ... "
Alors le voisin de Nasreddin se lève précipitamment, furieux ! Il prend ce que vous savez dans ses poches et s'écrie :
-"Alors, où je vais les mettre ces cafards, moi !"

Vous pouvez écouter ici la recette de "La soupe aux cafards" dont s'est inspirée Joris.

Patricia : La soupe au caillou in : Michel HINDENOCH, Édition Syros Jeunesse, collection Paroles de conteurs, 2007, poche, 45 pages.

soupe_caillou_lettresUn soldat rentre à pied chez lui, bien heureux que la guerre soit finie. Et peu importe qu'elle soit perdue ! En chemin il demande l'hospitalité à une vieille dame qui l'envoie promener : Y'a pas assez à manger pour les habitants ! (...) T'as qu'à manger de la soupe au caillou ! Et clac ! elle lui ferme la porte au nez.
Dépité le soldat s'apprête à s'en retourner, quand il baisse la tête et voit... un caillou... Il frappe de nouveau à la porte :
- Vous, ne croyez pas si bien dire, ma brave dame, justement la soupe au caillou c'est une recette de chez nous !
Il demande juste une marmite et de l'eau, pour faire cuire sa soupe. La vieille est tellement étonnée qu'elle en oublie de fermer sa porte, elle laisse le soldat entrer ... Il s'installe, elle lui apporte une marmite emplie d'eau, il laisse couler tout doucement le caillou, et se met à tourner, tourner, la soupe ...
- Il est pas bien, celui-là, se dit-elle. Alors, elle n'ose pas trop le contrarier...
- Si je me souviens bien, dans la recette de chez nous on dit qu'il faut d'abord que l'eau accueille le caillou ... Et chez nous, on met un peu de farigoulette (du sel parfumé aux herbes de la garrigue), mais si le pays est si pauvre qu'il n'y en pas pour les habitants ... on fera sans ...
- Allons, un peu de sel ce n'est pas le diable ! dit la vieille
Le soldat jette une poignée de sel dans la soupe au caillou et continue de tourner ; de petites bulles d'argent commence à se dandiner et à danser vers la surface ; il goûte et sent le parfum de la soupe ...
- Chez nous, on dit aussi qu'il faut aider l'eau à gagner l'intérieur du caillou. C'est difficile, ça. Alors pour l'aider, on ajoute un oignon. Mais s'il n'y en a pas pour les habitants par ici ...
- Tout de même, ça doit bien se trouver un oignon ...
La vieille va dans la souillarde (le débarras derrière la cuisine) remue un ou deux cageot et revient avec un oignon. Le soldat enlève à la main les premières pelures, pique son couteau dans l'oignon, et le fait griller tout doucement sur les flammes. Une bonne odeur commence à se répandre. Quand l'oignon est bien grillé, il achève de le peler, le coupe en petits morceaux et le jette dans la marmite. Puis, il se remet à tourner la soupe. ça sent bon. Les bulles montent et caressent le caillou, font danser les lamelles d'oignon ..
- Ah, oui, pour une bonne soupe au caillou, il faut aider à respecter la différence entre l'eau et le caillou. Car ce qui est important dans la recette de la soupe au caillou, c'est cette différence ... Alors, chez nous, on ajoute un peu de farine... Mais il ne doit pas y en avoir ici, comme il n'y a pas assez à manger pour les habitants ...
- Faudrait pas exagérer, je vais voir, je dois bien en avoir un peu de farine ...
Et elle apporte un sachet au bord bien roulé ... Le soldat verse la farine dans la paume de sa main, en fait un château, une tas bien pointu, et verse tout doucement la farine dans la soupe au caillou, tout en tournant ... Il goûte et hoche la tête :
- En voilà une bonne soupe au caillou. Aussi bonne que chez nous. Ah ! je me souviens ... un jour, un jour de fête sûrement, on avait mis du beurre dans notre soupe au caillou. Et ça a été la meilleure soupe que j'ai mangé ; mais par ici, vous ne devez même pas savoir ce que c'est du beurre ...
- Non mais ! Faudrait pas nous prendre pour des arriérés ! Mais bien sûr qu'on sait ce que c'est que du beurre, j'en ai même un morceau.
Elle apporte un petit morceau de beurre tout serré dans son papier gras ... Le soldat coupe le morceau en deux et de la pointe de son couteau fait glisser la portion de beurre dans la soupe au caillou... Le beurre se sent si bien dans la marmite qu'il en fond de plaisir ... Le soldat touille encore, goûte et sourit :
- Cette fois-ci c'est bien la meilleure soupe au caillou que j'ai faite ! Je vous invite à la déguster avec moi : vous êtes mon invitée !
- C'est un peu fort : "invitée" ! mais je suis encore chez moi, des fois ! Invitée, invitée ...
Ce mot réveille en elle des souvenirs lointains. C'est que cela fait bien longtemps qu'elle n'a pas été invitée... Alors, elle se lève, un léger sourire effleure ses lèvres, et se dirige vers le buffet pour prendre les assiettes à soupe. A chaque pas elle se sent rajeunir ... 60, 50, 40, 30, 20 ans ! c'est une jeune fille qui met la table !!! Et le soldat apporte la marmite et sert la soupe. Et ils l'ont mangé les yeux dans les yeux.
Même si on vous dit que les conteurs sont des menteurs ... Croyez-moi ! Ce jour-là le soldat et la vieille ont partagé la meilleure soupe au caillou de toute leur vie.


D'autres versions de soupe ici et . L’ancien conte populaire, Stone Soup (La soupe au caillou) a été adapté aux différentes cultures, et même rebaptisé en fonction des traditions : soupe au bouton (judaïque), soupe au clou (scandinave), ou même soupe à la hache (russe). Le message délivré reste le même : par la magie de la coopération et une touche d’imagination, la faim – même en pleine pénurie – peut être éliminée. Ce n'est pas la pierre, mais les villageois qui firent ensemble quelque chose de magique.

Virginie : "Vos enfants ne sont pas vos enfants" de Khalil Gibran : "Le prophète", LGF - Livre de Poche, 1996.

enfants_monde_fotoliaEt une femme qui portait un enfant dans les bras dit : Parlez-nous des Enfants.
Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même,
Ils viennent à travers vous mais non de vous.
Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas.
Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées,
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes,
Car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter,
pas même dans vos rêves.
Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux,
mais ne tentez pas de les faire comme vous.
Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.
Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés.arc
L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance
pour que Ses flèches puissent voler vite et loin.
Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie;
Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.


Viviane : nous a donné deux contes : Le conte de Cric, Crac ou comment se faire payer son cochon in : Henri POURRAT, Trésors de Contes, Tome II, livre VII (1ère édition 1956), p 9, Ed France, Loisirs, 2009

cochonLe Pierre, Piarrou pour les amis, a mangé le cochon de l'année, saucisse, pâté, pâté de tête, ventrêche, côtelettes, lard, pied, et jusqu'à la queue dans les lentilles ... mais il ne l'a toujours pas payé à l'aubergiste ... Comment faire ?
L'aubergiste voit bien qu'il n'est pas prêt d'être payé ... Il a trouvé une astuce pour faire en sorte que ce cochon soit payé par un autre ... grâce à un pari : Voilà ce qu'il propose à Piarrou : "A tout ce qu'on te demandera, oui, à tout, et toujours, il ne te faudrait répondre que cric ou crac. Cela jusqu'au jour où j'irai chez toi te prendre le nez entre deux doigts et te le tirer."
Et le Piarrou rentre chez lui et ne répond que par Cric, Crac à toutes les questions que lui pose sa femme qui le croit devenu fou. Elle va se confier à sa voisine qui tente de la rassurer : "Et pourquoi veux-tu qu'il devienne plus fou que d'habitude ?" Mais quand elle va parler avec le Pierre, elle s'aperçoit que ça ne va pas du tout : et Cric ! et Crac ! il ne sait rien dire d'autre...
Elles vont chez le médecin qui ne les croit guère : "Qu'est-ce que vous me chantez : le Piarrou ne peut pas être devenu fou : il l'était depuis toujours ..." Enfin il fait une visite et constate la gravité de l'état dans lequel se trouve le Pierre.
Une heure après tout le quartier, puis tout le village est au courant. Chacun veut entendre par soi-même et tantôt joyeusement, tantôt furieusement, Piarrou articule des Cric ! ou des Crac! Certains rient, d'autres se signent ...
Une semaine passe. L'aubergiste arrête le médecin et l'interroge :
- Je voulais vous demander docteur, il y a huit jours j'ai commandé un plat de truites à Piarrou? Est-ce bien vrai qu'il a perdu l'esprit ?"
- N'y comptez plus sur vos truites ! Et j'ai peu d'espoir de guérison ..
- Moi, je crois qu'en usant d'un certain secret je pourrais le guérir ...
- C'est une épidémie ! En voilà un autre qui devient fou ! Un secret pour guérir
- Vous voulez parier Docteur ?
- Ce que vous voudrez, vous allez perdre !
- Alors disons le prix d'un cochon que me doit le Piarrou ...
Ils vont ensemble voir le Piarrou, l'aubergiste lui tire le nez et voilà le Piarrou délivré :
- Tu sais, je commençais à le trouver bien cher ce cochon !
- Eh bien, demande à notre docteur, à lui de le trouver cher, s'il veut : c'est lui qui va le payer !
On, se mit à rire avant même d'expliquer et puis ils ont trinqué !!!


La soupe bien salée in : Henri POURRAT, Trésors de Contes, Tome I, livre II, p 415, Ed France, Loisirs, 2009

soupièreDans une ferme vivaient le père, la mère, la fille, le fils et la belle-fille. Mais c'était sans tenir compte du proverbe "Dans une maison, ne faut qu'une femme et qu'un four". Pas une n'avait les mêmes façons de faire et la maison allait souvent à hue et à dia. Un jour on fait venir un tailleur comme c'était de coutume en ce temps où on ne se déplaçait guère en ville. Alors le tailleur restait dans chaque grosse ferme le temps qu'il fallait pour habiller les gens, chacun selon ses moyens. On soigne le dîner dans ces occasions-là.
La mère fait ses recommandations à la belle-fille, mais sur un ton ...
- "Mais, n'oublie pas, surtout de saler la soupe !" Une manière de lui rappeler qu'elle avait oublié de la saler l'avant-veille. Et elle s'en va à ses occupations.
La soupe est sur le feu. Bon, un moment après, la fille revient de garder les moutons : "Il faut que je sale la soupe, ma belle-sœur est tellement tête en l'air ..."
La mère revient, "Il faut que je sale la soupe, sûr et certain que cette tête de linotte l'a oublié".
La belle-fille arrive : "Il faut que je sale la soupe. Si je l'oubliais, je n'aurais pas fini d'entendre chanter ..."
Le tailleur toujours assis dans la salle avait tout vu, mais sans rien dire ... C'est qu'il voyait aussi le jambon, les andouilles qui pendaient aux solives ... et vers qui on se tournerait si l'on ne pouvait manger la soupe ... Il se lève donc à son tour, et jette une poignée de sel dans la soupe ...
Le maître rentre. On sert la soupe. Il est le premier à goûter ... et tranquillement dit :
- "Vous aurez oublié de saler ..."
Et bien sûr toutes se récrient qu'elles ont chacune mise ce qu'il fallait ... Alors on attaque le jambon. Mais le maître avait l'œil et remarque la mine réjouie du tailleur ; il l'interpelle :
- "Mais vous, vous être resté dans cette salle : vous les avez bien vues venir l'une après l'autre ? Vous n'auriez pas pu avertir que cette soupe était déjà salée ?"
- "Oh, moi, j'ai cru que c'était la manière de faire de la maison : que chacun mettait son grain de sel dans la marmite. Alors, bien sûr, j'ai voulu faire comme les autres ..."


Joris : Une soupe au caillou faite par le loup (version Anaïs Vaugelade), puis intarissable il nous a raconté certains vœux insolites.

Patricia : pour conclure un seul vœu me semble nécessaire in : Jean-Claude CARRIERE, Le cercle des menteurs, Tome I, Plon, 1998, p 147

Le génie libéré dit au pêcheur :
- Formule trois souhaits et je les exaucerai. Quel est ton premier souhait ?
- Le voici, dit le pêcheur, je voudrais que tu me rendes assez intelligent pour que je fasse un choix parfait pour les deux souhaits suivants.
- C'est accordé, dit le génie. Et maintenant, quels sont tes autres souhaits ?
Le pêcheur réfléchit un instant et répond :
- Merci. Je n'ai pas d'autres souhaits.

Et bien sûr nous avons dégusté une soupe ... aux courgettes, version loup ... mais sans caillou... (sans loup non plus)... puis nous nous sommes régalés d'un cake aux olives de Virginie, avec pour finir une tarte au citron meringuée apportée par Viviane ... tout cela au coin du feu. Une vraie veillée de contes ..