On n’a jamais parlé autant qu’aujourd’hui de communication, de rencontre, d’épanouissement personnel… On se dit au cœur des choses, et s’interposent soudain portable, images, virtuel, Internet … Tour de Babel ?

Il fut un temps, pas si lointain, où la rencontre naissait du désir, de l’envie irrésistible de se voir face à face, de se toucher, de se parler sans intermédiaire. Alors, ce plaisir à venir donnait la force et le courage d’entreprendre le long voyage nécessaire, rythmé par le pas lent des caravanes.
C’est ainsi que la Reine de Saba rendit visite au sage Roi Salomon. C’est ainsi que la Reine de Saba reçut la visite du Grand Salomon, avec qui elle rivalisait de sagesse.

Elle lui proposa une sorte d’énigme. Elle le conduisit dans une pièce de son palais où des artisans prodigieux avaient rempli tout l’espace de fleurs artificielles … des fleurs nées de leurs rêves, de leur art, de leur savoir-faire… Des fleurs odorantes, de multiples variétés, de toutes sortes, de toutes formes, de toutes couleurs… Des fleurs qui n’auraient jamais osé se côtoyer dans le même jardin. Elles se balançaient doucement sous l’effet d’une brise inconnue, d’une brise venue de nulle part qui diffusait un parfum envoûtant, entêtant, plus que présent.
La reine interrogea Salomon :
Voici mon énigme : une de ces fleurs, une seule, est une vraie fleur. Peux-tu me l’indiquer ?

Salomon regarda attentivement autour de lui. Il fit appel aux trésors de sa sensibilité, à toutes les forces de sa concentration. Il ouvrit son esprit pour laisser libre son intuition. Mais il ne put désigner la vraie fleur. Je ne sais si c’est l’intensité de la réflexion, ou la chaleur humide de la serre, toujours est-il qu’il transpirait abondamment…
Il règne ici une chaleur inhabituelle. Peux-tu demander à un de tes serviteurs d’ouvrir une fenêtre ?

La reine ordonna ; on ouvrit une fenêtre. Et un instant plus tard, Salomon désigna la vraie fleur sans aucun risque d’erreur, sans aucune hésitation. Il ne pouvait se tromper : une abeille, entrée par la fenêtre, venait de se poser sur l’unique vraie fleur.

S’il est toujours aussi difficile d’être Salomon et d’atteindre la sagesse, il est encore plus difficile d’être l’abeille et d’avoir son discernement … Mais le plus difficile de tout, et de tout temps, est d’être la fleur.

D'après Jean-Claude Carrière : Le cercle des menteurs, éditions Plon 1998, p. 409
coquelicot_elodie