La parole libératrice

Des mots pour soulager les maux...

Bouche cousue, poison mortel

Il était une fois une fille de riche, belle, avenante, désirée des jeunes gens à marier. En vérité, nul ne voyait le couteau que cachait son cœur.
Jeune_fille_triste_http://nsm01.casimages.com/img/2009/01/21//090121035635347663031651.jpgElle eut un époux, il mourut. Un deuxième, même misère. Un autre encore, il résista. Qu’avait-elle fait aux premiers ? Rien de nocif, apparemment. Elle avait dit à chacun d’eux :
Je suis parfois d’humeur revêche. Je peux pour un rien m’emporter, j’en suis capable, je le sais. Garde pour toi nos fâcheries. Hors les murs de cette maison, n’en parle jamais à personne. Promets-moi cela, rien de plus.
Ils avaient promis de bon cœur. L’exigence était si touchante !
Pudeur de femme, avait dit l’un.
Et l’autre : – Amie, sois rassurée, ton désir est aussi le mien.

Première nuit, lumière éteinte, l’amour s’en vient et fait son nid. Mais au matin, qui se réveille? Il arrive qu’on soit surpris. Revêche, l’épouse nouvelle ? Agaçante parfois ? Oh non ! Infréquentable, venimeuse, hurlant de l’aube au soir tombé contre l’époux, contre le monde, sans cesse à ruminer son fiel, empuantissant la maison de méchancetés ricanantes, voilà la sinistre mégère que les malheureux imprudents avaient dû souffrir, le dos rond, d’un jour désespérant à l’autre. Le pire était qu’ils n’avaient pu confier leur peine à personne. Tous les deux en étaient tombés en mortelle mélancolie.

Vint le troisième. Il survécut. Il fit le serment exigé, mais des insultes, des colères, des criailleries de sa femme il ne garda rien, jardin japonais-caillou-https://designmag.fr/plenitude-zen-jardin-japonais.htmlpas un mot. Comment fit-il ? Le soir venu, il s’asseyait dans son jardin devant toujours la même pierre et lui racontait ses malheurs.

Le temps passa. La «treize-langues» (c’est ainsi qu’on nomme chez nous les impitoyables bavardes) en vint à ne plus supporter le silence de son époux. Elle en fit une maladie dont elle guérit au cimetière. De ce jour, enfin, elle se tut. L’homme hérita de tous ses biens et vécut enfin sans souci.

pierre érodée-https://www.geoforum.fr/topic/43324-pierre-ovale/Un soir, par amitié sans doute, il rendit visite au caillou qui l’avait si longtemps aidé à endurer l’insupportable. Il le prit dans sa main et resta bouche bée. Il était carié comme une vieille dent et farci de mauvais insectes. Tous les chagrins, tous les poisons, toutes les plaintes confiées étaient là, grouillantes, enfermées.

« Si ton âme est en peine, parle, même une pierre t’entendra », disent les vieux qui savent tout. Voilà une bonne parole. Celle-là, garde-la pour toi.


Conclusion personnelle :
Ce conte illustre le pouvoir de la parole : se décharger du négatif emmagasiné jour après jour en faisant usage de la parole empêche d’être rongé par le ressentiment. C’est évacuer le poison.

Source :

  • Henri Gougaud, Le livre des chemins - Contes de bon conseil pour questions secrètes,Bouche cousue, poison mortel, pp 126-128
  • Bouche cousue, poison mortel conté par sur le site La vie est un conte : un conte inspirant à écouter et quelques réflexions. https://www.podcastics.com/podcast/episode/episode-17-bouche-cousue-poison-mortel-113714/
  • Illustration 1 : jeune fille triste, en noir, http://nsm01.casimages.com/img/2009/01/21//090121035635347663031651.jpg
  • Illustration 2 : pierre érodée, https://www.geoforum.fr/topic/43324-pierre-ovale/


Trois chemins de réflexion proposés par Henri Gougaud :

  • Ne va pas au jardin des fleurs, ô ami, n’y va pas, en toi est le jardin des fleurs. (Kabir) Faut-il se méfier des femmes à ce point ?
  • Pour l’amour d’une rose, le jardinier devient l’esclave de mille épines (Proverbe turc)
  • En résumé, j’aimerais avoir un message un peu positif à vous transmettre. Je n’en ai pas. Est-ce que deux mensonges négatifs, ça vous irait ? (Woody Allen) Les mensonges s’additionneraient comme en mathématiques ? Additionner deux négatifs, donne-t-il un positif ? Et juxtaposer deux mensonges ? Les lois mathématiques et l'humour de Woody Allen.
  1. Quand on a deux nombres négatifs, leur somme est négative
  2. Deux signes semblables deviennent un signe positif : soustraire un négatif revient à ajouter 14-(-4) = 14 + 4 = 18
  3. Avec des mots, on coordonne, on juxtapose, on associe. Deux notions négatives assemblées deviennent positives : « l’ennemi d’un ennemi est mon ami »

+ + ⇒ + L’ami d’un ami est mon ami
+ – ⇒ – L’ami d’un ennemi est mon ennemi
– + ⇒ – L’ennemi d’un ami est mon ennemi
– – ⇒ + L’ennemi d’un ennemi est mon ami

La parole libérée : la tromperie dévoilée

Comment faire surgir la vérité au cœur du mensonge des apparences ? La logique, l'analyse du sens caché au service de la vérité.

Les jumeaux à la croisée des chemins

Comment discerner une parole vraie d'une parole fausse ? Confronter mensonge et vérité : la cohérence dans l'incohérence permet de discerner le bon chemin.

Le pays est en proie à la guerre civile. Un homme de la religion et de la couleur de l’ethnie minoritaire persécutée voit accourir son voisin, affolé ; il est de la religion et de la couleur de l’ethnie majoritaire et persécutrice mais néanmoins ami :
- On vient te chercher pour te massacrer. Prends ce chemin et fuis.
- Mais ce chemin mène au désert et à la mort, répond l’homme.
- Oui et non. A un certain endroit, le chemin se sépare en deux pistes. L’une mène en effet au désert profond et à la mort. L’autre conduit à l’oasis. A la croisée des chemins deux jumeaux sont là qui pourront te le dire. Attention ! L’un des jumeaux est un menteur, l’autre dit toujours la vérité. Et on ne peut poser qu’une question et une seule. Desert-Algerie-3hommes-https://www.cparama.com/forum/sahara-le-t7845.html
L’ami n’a pas le temps de dire quelle question devait être posée : les assassins arrivent. L’homme s'enfuit ; l’ami fidèle lance les meurtriers dans une autre direction.

Le fugitif réfléchit tout le long du chemin. Une fois arrivé devant les jumeaux, il pose la bonne question, en déduit quelle route prendre et parvient à l’oasis. Le voilà sauvé !

Mais comment ? Quelle question l’homme a-t-il posée ? à qui et qu’a-t-il fait ensuite ?

Réponse : L’homme a dit à un jumeau, n’importe lequel des deux :
- Quel piste ton frère m’indiquerait-il pour aller vers l’oasis ?
Et il a pris l’autre piste ...

Explication :

  • Le menteur dit forcément le contraire de son frère qui, lui, dit toujours la vérité. Il indique donc la mauvaise piste, la piste du désert.
  • Celui qui parle vrai dit évidemment ce que son frère menteur dirait et désigne comme lui la mauvaise piste.
  • Dans l’un et l’autre cas, le fugitif obtient le mensonge : on lui indique la mauvaise piste. Il lui suffit donc de prendre l’autre piste pour arriver à l’oasis et être sauvé.


Source :

  • Le blog d’Hélène Loup, conteuse : http://heleneloup.canalblog.com/archives/2011/02/24/20475509.html
  • Illustration : carte postale ancienne d'Algérie, https://www.cparama.com/forum/sahara-le-t7845.html



Le génie qui mentait ou Les 7 miroirs de l'âme

Un génie ment ; il ne dit la vérité que lorsqu’on ne le croit pas. L'intelligence commune cherche à nous égarer en ne tenant compte que des apparences. Notre génie intérieur possède une parole double qui révèle la face cachée des choses.
Par certains côtés, ce conte éclaire certaines réactions et réparties récentes de notre président ... si cela pouvait éclairer sa lanterne ...

Il y avait une fois un jeune prince qui trouvait les gens autour de lui méchants et égoïstes. bague_émeraudeIl en parla un jour à son précepteur qui était un homme sage et avisé : il confia une bague au prince.
- Cette bague est magique. Si tu la tournes trois fois sur elle-même, un génie t'apparaîtra. Toi seul le verras. Chaque fois que tu seras insatisfait des gens, appelle-le. Il te conseillera. Mais fais attention : ce génie ne dit la vérité que si on ne le croit pas. Il cherchera sans cesse à te tromper.

Kirghize_yeux_http://bourlac.blogspot.fr/2006_06_01_archive.html

Un jour, le prince entre dans une violente colère contre un dignitaire de la cour qui avait agi contre ses intérêts. Il fait tourner trois fois la bague. Aussitôt, le génie apparaît :
- Donne-moi ton avis sur les agissements de cet homme, dit le prince."
- S'il a fait quelque chose contre toi, il est indigne de te servir. Tu dois l'écarter ou le soumettre.
À ce moment, le prince se souvient des paroles étranges de son précepteur.
- Je doute que tu me dises la vérité, dit le prince.
- Tu as raison, dit le génie, je cherchais à te tromper. Tu peux bien sûr asservir cet homme, mais tu peux aussi profiter de ce désaccord pour apprendre à négocier, à traiter avec lui et trouver des solutions qui vous satisfassent tous deux.

Parcourant un jour la ville avec quelques compagnons, le prince voit une immense foule entourer un prédicateur populaire. Il écoute un instant le prêche de cet homme : ses paroles sont choquantes, tout à fait à l'opposé de ses propres convictions. Il appelle le génie.
- Que dois-je faire ?
- Fais-le taire ou rends-le inoffensif, dit le génie.Cet homme défend des idées subversives. Il est dangereux pour toi et pour tes sujets.
Cela paraît juste, mais le prince met néanmoins en doute les affirmations du génie.
- Tu as raison, dit le génie, Je mentais. Tu peux neutraliser cet homme. Mais tu peux aussi examiner ses croyances, remettre en cause tes propres certitudes et t'enrichir de vos différences.

Pour l'anniversaire du prince, le roi fait donner un grand bal où sont conviés rois, reines, princes et princesses. Le prince s'éprend d'une belle princesse qu'il ne quitte plus des yeux ; il l'invite maintes fois à danser sans jamais oser lui déclarer sa flamme. Un autre prince invite à son tour la princesse. Notre prince sent monter en lui une jalousie profonde. Il appelle alors son génie.
- Que dois-je faire, selon toi ?
- C'est une crapule, répond le génie. Il veut te la prendre. Provoque-le en duel et tue-le.
Sachant que son génie le trompe toujours, le prince ne le croit pas.
- Tu as raison, dit le génie, Je cherchais à te tromper. Ce n'est pas cet homme que tu ne supportes pas, ce sont les démons de tes propres peurs qui se sont éveillés quand tu as vu ce prince danser avec la princesse. Tu as peur d'être délaissé, abandonné, rejeté. Tu as peur de ne pas être à la hauteur. Ce qui se réveille en toi dans ces moments pénibles te révèle quelque chose sur toi-même.

À l'occasion de la réunion du grand conseil du royaume, un jeune noble téméraire critique à plusieurs reprises le prince et lui reproche sa façon de gérer certaines affaires du royaume. Le prince reste cloué sur place face à de telles attaques et ne sait que répondre. L'autre continue de plus belle et à nouveau le prince se tait, la rage au cœur. Il fait venir le génie et l'interroge.
- Ôte-lui ses titres de noblesse et dépouille-le de ses terres, répond le génie. Cet homme cherche à te rabaisser devant les conseillers royaux.
- Tu as raison, dit le prince. Mais il se ravise tout de suite en se souvenant que le génie ment comme il respire.
- Dis-moi la vérité continue le prince.
- Je vais te la dire, rétorque le génie, Même si cela ne te plaît pas, ce ne sont pas les attaques de cet homme qui t'ont déplu, mais l'impuissance dans laquelle tu t'es retrouvé et ton incapacité à te défendre.

Un jour, dans une auberge, le prince voit un homme se mettre dans une colère terrible et briser tables et chaises. Il veut le punir. Mais il demande d'abord conseil au génie.
- Punis-le, dit le génie. Cet homme est violent et dangereux.
- Tu me trompes encore, dit le prince.
- C'est vrai. Cet homme a mal agi. Mais si tu ne supportes pas sa colère, c'est avant tout parce que tu es toi-même colérique et que tu n'aimes pas te mettre dans cet état. Cet homme est ton miroir.

Une autre fois, le prince voit un marchand qui veut fouetter un jeune garçon parce qu'il a volé un fruit. Mais le prince avait vu filer le vrai voleur. Il arrache le fouet des mains du marchand, il est sur le point de le battre lorsqu'il se ravise.
- Que m'arrive-t-il ?, demande-t-il au génie. Pourquoi cette scène m'a-t-elle mis dans cet état ?
- Cet homme mérite le fouet pour ce qu'il a fait, répond le génie.
- Me dis-tu la vérité ?
- Non, dit le génie. Tu as réagi si fortement parce que l'injustice subie par ce garçon t'a rappelé une injustice semblable subie autrefois. Cela a réveillé en toi une vieille blessure.

Alors le prince réfléchit à tout ce que le génie lui avait dit.
- Si j'ai bien compris, dit-il au génie, personne ne devrait m'énerver, me blesser ou me déstabiliser.
- Tu as bien compris, dit le génie. Ce ne sont pas les paroles ou les actes des autres qui te dérangent ou que tu n'aimes pas, mais les vieux démons qui se réveillent en toi à cette occasion : tes peurs, tes souffrances, tes failles, tes frustrations. Si tu jettes une mèche allumée dans une jarre d'huile, celle-ci s'enflammera. Mais si la jarre est vide ou qu'elle contient de l'eau, la mèche s'éteindra d'elle-même. Ton agacement face aux autres est comme un feu qui s'allume en toi et qui peut te brûler, te consumer, te détruire. Mais il peut aussi t'illuminer, te forger, te façonner et faire de l'autre un allié sur le chemin de ta transformation. Toute rencontre difficile devient alors une confrontation avec toi-même, une épreuve, une initiation.
- J'ai besoin de savoir encore une chose, dit le prince. Qui es-tu ?
- Je suis, moi aussi, ton reflet dans le miroir.

Source :


La parole libérée mal venue : l'insulte

L’injure salit celui qui la profère

Un homme ayant appris que Bouddha observait le principe de compassion qui commande de rendre le bien pour le mal, vint et l’injuria. Bouddha demeura silencieux. L’homme ayant cessé ses injures, Bouddha l’interrogea :
Mon fils, si quelqu’un refuse d’accepter un présent qu’on lui fait, à qui ce don appartient-il ?
L’homme répondit :
Dans ce cas, le présent appartient à celui qui l’a offert.
Mon fils, dit Bouddha, tu m’as injurié, mais je refuse d’accepter tes injures et te prie de les garder pour toi. Ne seront-elles pas une source de malheur pour toi ?
L’insulteur ne répondit pas et Bouddha continua :
Celui qui méprise ou insulte un autre homme est semblable à celui qui lève la tête et crache vers le ciel. Son crachat ne souille pas le ciel, mais il retombe sur le cracheur et le salit. Ou il est semblable à celui qui, le vent étant contraire, jette de la poussière à un autre homme. La poussière ne fait que revenir vers celui qui l’a lancée.

L’homme sage ne peut être blessé, et le mal que l’autre voulait lui faire retombe sur son auteur.


Source :

  • Conte bouddhiste trouvé sur le blog de Charles Brulhart : http://www.metafora.ch/linjure-salit-celui-qui-la-profere/