Un partage équitable ?

Le partage selon Dieu ou la Justice des hommes ? Adaptation personnelle d'après un court récit de Nasreddine. Des gamins se chamaillent pour partager quelques noix. Pour rétablir la paix, Nasreddine procède au partage selon leur choix : à la manière de Dieu ...

porte_bleueTrois enfants jouent dans la ruelle. Un âne passe. Sur son dos bringuebale un tas de ballots. Derrière lui, dans la poussière, des noix tombent d'un sac troué. Les enfants se poussent du coude, les ramassent, et rassemblent leur butin dans l'ombre d'une porte bleue.
- A moi la grosse part, dit l'un. J'en ai raflé plus que vous deux.
- Hé, ho, pas si vite, voleur, c'est moi qui les ai vues, dit l'autre.
- C'est pas juste ! dit le troisième. Qui vous a emmenés ici ? C'est moi, poussez-vous, bas les pattes !
Nasreddin Hodja, qui passe par là, leur demande la raison de cette dispute. Les enfants parlent tous en même temps.
- Si je comprend bien, vous voulez partager ces noix si possible équitablement. C'est bien cela ?
Les enfants approuvent.
- Comment désirez-vous le partage. Selon la loi divine ou selon la loi des hommes ?
- Selon la loi divine ! Il n'est de justice qu'en Dieu ! répondent les enfants d'une seule voix.
- noix-mains-https://www.jardin-pratique.fr/2016/10/05/le-noyer-spontane/Parfait. Asseyez-vous donc dos au mur et tendez devant vous les mains.
Nasreddine donne quelques noix à l’un, une poignée à l’autre, deux à celui-là ... Les enfants protestent, et pour une fois, ils sont d'accord :
- C’est pas juste !
- De quoi vous plaignez vous ? C’est là le partage selon la loi divine : Donner sans compter ! Beaucoup aux uns, peu aux autres. Si vous m’aviez demandé le partage selon la loi des hommes, cela aurait été différent !
creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/
* Un notable se présentant aux élections municipales aurait privilégié les parents électeurs ou les familles amies. Celui qui pense diriger son petit monde se prend pour un dieu.

* Un sage philosophe, un humaniste aurait, après enquête, fait des parts différentes selon les besoins des enfants (pauvre ou riche ; affamé ou bien nourri) ou son mérite (travailleur ou paresseux …).

* Selon la loi des hommes, un juge impartial aurait appliqué strictement la loi de l’égalité et, en accord avec les mathématiques, aurait fait autant de parts égales que de personnes : une part pour chacun de vous et une part pour lui. Voilà comment cela se passe lorsqu'on ne sait pas s'arranger entre amis : on va voir un juge qui n'oubliera pas de prendre sa part !

- Mais vous avez voulu un partage selon Dieu : vous avez eu des parts inégales, réparties inégalement entre vous. Qui a dit que la vie était juste ? Et maintenant qu'est-ce qu'on dit, les enfants ? Merci.''


Sources :

  • Les lois du partage selon Nasreddine, Jean Muzi, Contes des sages et facétieux Djeha et Nasreddine Hodja, Seuil, 2009, p187. En ligne ici.
  • Le partage, Henri Gougaud, Le livre des chemins, Albin Michel, 2009.
  • Photo de noix : https://www.jardin-pratique.fr/2016...


Juge perspicace, malin et rusé

Le juge habile Tolstoï_Contes-et-FablesLe bon juge, conte de Léon Tolstoï : in : Contes et histoires vraies de Russie, Ecole des Loisirs, Neuf en poche, 1990.

Un voyageur prend en croupe un estropié pour le conduire jusqu'à la ville prochaine. Une fois arrivés, le cavalier demande au boiteux de descendre. Cet homme de mauvaise foi refuse en disant que c'est son cheval et que c'est à lui de descendre. Il ne veut pas en démordre. Ils vont chez le juge qui est fort occupé : il a déjà plusieurs affaires difficiles à résoudre.

Un savant, un moujik et une femme présentent leur affaire : chacun des deux hommes accuse l'autre d'avoir voulu lui voler sa femme.
Le juge, après les avoir entendus, garda un instant le silence, puis il dit :
Laissez la femme chez moi, et vous, revenez demain.

Affaire suivante : un boucher se plaint que le marchand d'huile n'a pas voulu lui rendre la monnaie tandis que le marchand prétend que le boucher n'a pas payé.
Après un silence, le juge répond :
Laissez l’argent chez moi, et revenez demain.
Le tour du voyageur et du mendiant estropié arrive. Après un nouveau silence, le juge dit :
Laissez le cheval chez moi, et revenez demain.

Le lendemain, une grande foule se réunit pour connaître les décisions du juge.
1/ La femme fut remise au savant et le juge fit donner au moujik cinquante coups de bâton.
2/ l'argent fut donné au boucher et le marchand d'huile reçu cinquante coups de bâton.
3/Le juge demande au voyageur et à l'estropié de venir reconnaître leur cheval entre vingt autres à l'écurie. Le juge rend le cheval au voyageur et fait donner cinquante coups de bâton au mendiant.

Après cette dernière exécution, le juge s’en retourne chez lui, et Baouakas le suit.
Que me veux-tu ? lui demande le juge. Serais-tu mécontent de mon jugement ?
Du tout, j’en suis fort satisfait, répondit le voyageur ; seulement je voudrais savoir comment tu as su que la femme était au savant et non pas au moujik, que l’argent était au boucher plutôt qu’au marchand d’huile, et que le cheval m’appartenait.
Voilà comment j’ai su la vérité quant à la femme du savant : je l’appelai le matin chez moi et je lui dis : « Verse de l’encre dans mon encrier. » Elle prit l’encrier, le nettoya vivement et adroitement, et l’emplit d’encre ; donc, elle était habituée à cette besogne. la femme du moujik n'aurait pas su s’y prendre.... Quant à l’argent, voilà comment j’appris la vérité. J’ai mis les pièces dans une cuvette pleine d’eau et j’ai regardé ce matin s’il surnageait de l’huile. Si l’argent avait appartenu au marchand d’huile, celui-ci l’aurait taché au contact de ses mains huileuses. Comme l’eau restait claire, l’argent était au boucher. Pour le cheval, c’était plus difficile. Le mendiant reconnut aussi vite que toi son cheval parmi les vingt autres. Mais ce qui m'importait de voir c'était qui et comment le cheval reconnaîtrait. Quand tu t’es approché de ton cheval, il a tourné la tête de ton côté, tandis que lorsque le mendiant l’a touché, il a baissé l’oreille et levé une jambe. Voilà comment j’ai su que tu étais le vrai propriétaire du cheval.
Alors le voyageur lui dit :
Je ne suis pas un marchand, je suis l’émir Baouakas. Je suis venu ici pour voir si ce que l’on dit de toi est vrai. Je vois, maintenant, que tu es un sage et habile juge. Demande-moi ce que tu voudras, je te l’accorderai.
Je n’ai pas besoin de récompense, répondit le juge ; je suis assez heureux de savoir que je suis un juge juste et d'avoir les compliments de mon émir.
balance_justice

Bien sûr, vous l'avez compris, c'est un conte ...
Sources :

  • Léon Tolstoï, Contes et fables, Plon, 1988.
  • Vous trouverez le texte intégral en ligne ici.


Un singe pour tout un fromage ou Le jugement du singe - Conte du Cap-Vert, Marilyn Plénard, Histoires de singes, Editions Flies, La caravane des contes, 2018. Deux chats trouvent un fromage. Ne se faisant pas confiance et souhaitant un partage équitable, ils font appel au jugement du singe. Le singe coupe en deux parties inégales le fromage, rabote le morceau le plus grand qui devient le plus petit, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste rien. Voilà ce qui arrive lorsque la méfiance l’emporte sur la confiance et l’intérêt sur l’intelligence.En ligne ici.

Le jugement de Salomon : peut-on partager un enfant ?

Considéré comme « Sage parmi les hommes », Salomon se rendit populaire en début de règne par ses jugements pleins de sagesse. Le Premier livre des Rois (I Rois 3, 16-28) raconte le différend qui opposa deux femmes.

  • Nous avons ici toutes les étapes d'un procès : l'accusation, la défense, la question à éclaircir, le processus de manifestation de la vérité, le jugement et la reconnaissance publique de la validité du jugement. Mais ce qui retient l'attention, c'est le processus symbolique suivi pour la manifestation de la vérité, avec, à la fin, le passage de l'épée à la parole. (Etienne Duval)
  • Comme l’a bien compris le roi Salomon, il faut passer du sacrifice à la séparation et à l’acceptation du manque (Etienne Duval)
  • Ce célèbre épisode de la vie du Roi Salomon a donné lieu à l'expression « jugement de Salomon ». Il peut signifier soit que face à l'impossibilité d'établir la vérité dans un litige, on partage les torts entre deux parties, soit on met ces mêmes parties devant une situation qui oblige l'une d'elles au moins à changer sa stratégie.

Salomon-Jugement-Raphael-WikipediaDeux femmes vivaient dans la même maison et chacune mis au monde un enfant à trois jours d'écart. Mais une nuit, l'un des deux bébés meurt étouffé. Les deux femmes se disputent alors l'enfant survivant. Celle qui avait perdu le sien ne pouvait supporter de voir sa compagne avec le nourrisson survivant. Elle se mit à affirmer haut et fort que ce bébé était le sien. Bien entendu la mère du bébé ne voulait pas le lui laisser.
Pour régler le désaccord, les deux femmes vont devant Salomon. Le roi ne pouvant les départager uniquement sur leurs paroles, réclama une épée et ordonna : « Partagez l'enfant vivant en deux et donnez une moitié à la première et l'autre moitié à la seconde ».
L'une des femmes déclara qu'elle préférait renoncer à l'enfant plutôt que de le voir sacrifié. En elle, Salomon reconnut la vraie mère, et il lui fit remettre le nourrisson.
Alors « tout Israël apprit le jugement qu'avait rendu le roi, et ils vénérèrent le roi car ils virent qu'il y avait en lui une sagesse divine pour rendre la justice ».

Sources :

  • I Rois 3, 16-28 : récit du jugement de Salomon rapporté dans la Bible, le premier livre des Rois.Texte en ligne ici.
  • Etienne Duval
  • Wikipedia
  • Le jugement de Salomon, tableau de Raphael, Raffaello Sanzio, peintre et architecte italien de la Haute Renaissance (1483-1520).


Dans ces contes, le juge est juste et perspicace, même si, parfois, il ne s'oublie pas ... Mais d'autres contes font à travers un récit facétieux la satire d'une justice lourde, longue, coûteuse, et difficile à comprendre comme dans ce conte russe :

Raide comme la justice

Le jugement de Chemiaka : conte russe

Champ-potager-https://fleurdecallune.blogspot.com/p/le-champ.html Un homme riche prête un champ à son frère pauvre mais il lui réclame pratiquement la totalité des récoltes.
- Ce n'est plus m'aider, mais m’exploiter !
- Avec tout ce que j'ai fait pour toi ...
Les deux frères portent l’affaire devant le juge : ils partent vers la grande ville.

BEBE-couffin-https://www.allobebe.fr/couffin-bebe-moris-et-sacha-aAM063425160.html A la première halte ils sont accueillis sous une tente mais le frère pauvre étouffe un bébé en s’asseyant sur un coussin qui est en fait un couffin. Le frère riche propose à la famille de les accompagner jusqu’au palais de justice.

Le frère pauvre, désespéré, tente de se suicider en sautant d’un pont. Pont-barque-Mantes-Limay-https://www.delcampe.net/fr/collections/cartes-postales/france/mantes-la-jolie/cpa-78-mantes-mantes-limay-le-vieux-pont-vue-densemble-tb-plan-edifice-petite-animation-barque-858005557.html Mais il n'a pas vu qu'une barque passait dessous ... En sautant, il tue raide un vieux père que ses fils promenaient en barque. Nouveau scandale, nouvelle escorte …

La troupe des plaignants arrive en ville. Ane-Santorhttp://enroutevers.com/pages/Grece/les_cyclades.htmin-Dans une ruelle étroite, un âne bloque le passage. Le frère pauvre, pressé d’en finir, veut aider : il tire sur la queue de l’âne pour le faire reculer ; la queue de l’âne lui reste dans la main. Le maître de l’âne prétend qu’un âne sans queue n’a plus aucune valeur. Nouveau scandale, nouvelle escorte …

Ils arrivent tous devant le juge qui rend des conclusions surprenantes :
1/Que l’homme pauvre garde la femme un an ; ainsi il pourra la restituer à son mari avec un nouvel enfant
2/ Il faut prouver que c’est bien le saut du haut du pont qui a tué le vieux père : le fils doit essayer de faire la même chose lui sur le pont, son frère dans la barque dessous
3/ L’homme pauvre devra garder l’âne et le nourrir jusqu’à ce que sa queue repousse. Tous les plaignants refusent et le juge les condamne chacun à payer les frais de justice du pauvre : 100 pièces d’argent pour chaque affaire.
4/ Pour finir le juge propose au pauvre d’acheter le champ à son frère pour 100 pièces d’argent. Il pourra vivre du fruit de son travail dorénavant. L’homme pauvre laissera les deux sacs de pièces restantes au juge dont les yeux brillent comme des charbons ardents, un regard diabolique, autant que son jugement.

Sources :

  • Afanassiev, Les contes populaires russes, Maisonneuve & Larose, 2000, p 521.
  • Dans l'isba - contes du pays russe", traduits par Hellé, Paris, Société Française d'Imprimerie & de librairie, Ancienne Librairie Lecène, Oudin Et Cie, Paris, année d'édition inconnue (fin 19e).
  • Adaptation contée à Limoux par Agnès Chavanon au Festival du conte le 17 mars 1999
  • couffin et bébé : allobebe


"Le frère riche et le frère pauvre" Ce conte éthiopien met en scène deux frères qui se disputent pour tout : d'abord l'héritage, puis le trésor trouvé dans le champ donné par le plus riche au plus pauvre, et pour finir le pauvre veut récupérer ses fèves mangées par son neveu. Le juge se montre intransigeant dans son jugement ce qui fait prendre conscience aux deux frères de l'absurdité d'une justice dépourvue d'humanité. Ils finissent par se réconcilier.

Juge avide

Le juge et le bœuf : Le juge qui se voulait rusé est trompé par un paysan. ''Le pauvre et le juge" .. en ligne ici.

La justice ou l’argent. Jean Muzi, "Contes des sages et facétieux Djeha et Nazreddine Hodja," Seuil, 2009.

Nasreddine avait effectué divers travaux dans un jardin appartenant à un juge.
- Est-ce la justice ou l’argent qui est le plus important pour toi ? demande le juge après l’avoir payé.
- C’est l’argent car il aide la justice à pencher d’un côté ou de l’autre.


Un juge conciliant

Juge de paix , conte du Moyen-Orient qui circule avec différents personnages :

  • Un rabin : Ben Zimet, La solution, Contes des sages du Ghetto, Seuil 2008, p 22.
  • Nasreddin : Jean-Jacques Fdida, Juge de paix, Contes des sages du Maghreb, Seuil, 2015, p 25. Une autre variante fait intervenir la femme de Nasruddine à la place du greffier.


creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/Une grande controverse divise le village en deux. On en appelle à Nasreddin pour résoudre le problème. Sa femme l'avertit que cela pourrait se retourner contre lui. Mais Nasreddin, flatté par la confiance et l'honneur que lui font les villageois, ne se dérobe pas. Il se fait cadi, juge oriental.
Il se rend sur la place du marché et fait face aux villageois réunis en deux clans opposés. Le représentant du premier groupe expose son cas avec tant d’ardeur que Nasreddin finit par lui dire :
- Tu as raison !
Mais le représentant du second groupe, à son tour, se défend avec éloquence et, à lui aussi, Nasreddin finit par dire :
- Tu as raison !
La femme de Nasreddin le tire par la manche et lui fait remarquer que l'affaire ne peut se résoudre comme cela :
- Yè, Nasreddin, tu ne peux pas donner raison à la fois à l’accusé et au plaignant !
Et Nasreddin lui répond :
- Tu as raison !
C'est ainsi que Nasreddin exerce, au sens strict du terme, sa fonction de Juge de Paix ...


Une trop petite affaire pour être jugée ?

La toute petite femme et le juge , conte libanais et conte d'Egypte raconté par Praline Gay-Para, Dame Merveille et autres contes d'Egypte, Actes Sud, Babel, 1998 : Une toute petite femme va se plaindre au juge que la mouche lui a volé son miel… Le juge ne veut pas traiter une si petite affaire. Il renvoie la petite bonne femme. Mais elle va se débrouiller toute seule ! Photo de Rufina Coca

FEMME-tout petite-Rufina Colca-https://www.portraits-de-voyage.fr/portrait-6-rufina-colca/C'est l'histoire d'une toute petite femme.Tout ce qu'elle possédait était tout petit ; sa maison, son armoire, sa chaise. Tout était très très petit.
Tous les matins, elle balayait le sol de sa maison et tous les matins elle trouvait une pièce de monnaie. Elle la mettait dans une petite niche du mur pour acheter de la viande et tous les jours, le voleur venait prendre la pièce !
Un jour, elle va chez le juge et dit :
- Monsieur le Juge, tous les jours je balaie ma maison.
- Parce que tu es propre.
-Tous les jours je trouve une pièce.
-Parce que c'est ton destin.
-Je mets la pièce dans la niche à côté de la cheminée.
-Parce que tu es intelligente.
-Je veux acheter de la viande avec cet argent.
-Parce que tu as bon appétit.
-Tous les jours le voleur vient voler la pièce.
-Parce que tu es naïve.
-Que faire ?
-Débrouille-toi !

Elle rentre chez elle. Elle met des crottes dans la niche, enfonce des épingles dans le mur, met un coq au plafond et cache un âne derrière la porte.
Le voleur revient. Quand il pose la main dans la niche pour prendre la pièce, il ne prend que des crottes. Il veut s'essuyer au mur, les épingles le piquent. il ouvre la bouche pour dire un juron, le coq s'y soulage abondamment. Il sort en courant et prend un coup de sabot de l'âne.

Parfois il vaut mieux se débrouiller soi-même ...

La toute petite bonne femme, la mouche et le juge, raconté par Jean-Louis Le Craver, Didier Jeunesse. Le juge ne peut pas emprisonner la mouche qui a mangé l'omelette de la toute petite bonne femme. il lui donne un bâton pour qu'elle assomme elle-même la mouche. Justement ... la mouche vole par ci par là et se pose sur le nez du juge ...A lire ici et à écouter par .

De larges extraits sont cités ici et

La querelle des deux lézards, Amadou Hampatê Ba, La poignée de poussière, NEI-EDICEF, 1994,Il n'y a pas de petite querelle ... Le résumé est à lire ici.

Un Juge partial mériterait une gifle

La gifle, Michel Piquemal, Les Philofables, Albin Michel Jeunesse, 2003, p 128. Un riche gifle un pauvre, non essentiel. Le juge le condamne à payer en compensation un bol de riz, nourriture essentielle, correspondant à une journée de salaire. Le pauvre, choqué par ce jugement, gifle le juge qui pourra toujours se dédommager avec le bol de riz qu’il devait recevoir …Adaptation personnelle avec Nasreddine :

Un jour un pauvre se disputa avec un riche. creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/Le pauvre était un artiste qui exposait ses œuvres dans la rue : des toiles d’un bleu lumineux, profond, vibrant, des dessins fantastiques, et même quelques caricatures qui se voulaient humoristiques bien que satiriques. Un notable qui passait par là s’arrêta, regarda, et s’offusqua : il lui semblait bien qu’un de ces dessins le montrait sous un aspect peu avantageux. Il affirma bien haut que peinture, dessins et caricatures, en un mot l’Art, toutes ces activités non essentielles, devraient être totalement interdites d’exercice.
Gifle - Et la liberté d’expression ! Rétorqua le pauvre artiste.
Le ton monta et, sans plus de préambules, le notable gifla le pauvre artiste, pensant ainsi le faire taire.

Notre homme ne comptait pas se laisser faire : l’affaire fut portée devant le juge. Mais le juge se trouvait être un ami de celui qui avait frappé le pauvre artiste. Le juge écouta les deux plaignants et décida que le notable donnerait en dédommagement à l’homme pauvre un bol de riz. bol noir-riz blancCe qui correspondait, en ce temps-là et en ce lieu précis, à une journée de travail.
- Te voilà largement dédommagé : une nourriture essentielle pour une activité non essentielle ...

Le notable n’ayant ni riz ni bol sur lui, déclara aller en chercher. Les heures passèrent. Notre pauvre artiste comprit qu’il avait été berné : un bol de riz pour une gifle … Une nourriture essentielle pour un artiste non essentiel, certes ! mais une bien petite punition pour un homme riche. Ce bol de riz ne pouvait compenser l’affront reçu, au contraire. Pire que tout : le juge ne semblait pas s’en rendre compte.
L’artiste se leva, s’approcha du juge et lui fit signe comme s’il se préparait à lui confier quelque chose à l’oreille, le juge se pencha vers lui … et reçut une gifle retentissante, une gifle magistrale !
- Mais tu es fou ! cria le juge. Qu’est-ce qui te prend ?
- Juste un réflexe, l’envie de clore cette affaire ! Excellence, puisque le prix d’une gifle est un bol de riz, vous n’avez qu’à garder pour vous celui qu’on doit m’apporter. Moi je n’ai plus de temps à perdre en attendant que justice soit faite. Et il partit d’un pas léger, soulagé … un petit sourire au coin de lèvres …


Variantes avec un roi :

Le pilon et le mortier ou "Le roi et le fou", conte Peul, Amadou Hampaté Bâ, "Contes des sages d'Afrique" Seuil, 2004.

Roi-Afrique_http://club.doctissimo.fr/linda-moni/rois-africains-216565/photos.html Au cœur
de la forêt
régnait un Roi despote appelé Hediala, nom qui signifie "angoisse". Chaque matin, la malignité de ce Roi produisait de quoi faire bouillir d’angoisse la cervelle de ses sujets. Ses conseillers avaient beau faire, Hediala, têtu comme une mule, avait décidé une fois pour toutes de torturer tous ceux qui faisaient parler d’eux. Sourcils toujours froncés, il ne levait le bras que pour frapper, n’ouvrait la bouche que pour insulter. Il demandait aux uns d’avaler des flammes, aux autres de lécher un couteau tranchant, et Dieu sait quoi encore !
Or, dans la région, vivait un homme réputé connaître beaucoup de choses. Chacun vantait sa grande sagesse. Il n’en fallait pas plus pour que Hediala veuille le tracasser : aussi le manda-t-il auprès de lui. Le jour de la rencontre, la foule nombreuse s’assembla, chacun tenant à assister à ce qui allait se passer.
- Il m’est revenu, dit le Roi, que tu te piques de tout connaître ?
- Seigneur, répondit le sage, je n’ai jamais prétendu à la connaissance totale. Je ne connais que ce que je sais. Et je sais qu’une goutte d’eau alors que ce que je ne sais pas est un océan immense.
-motier_pilon_Afrique_dogon_http://www.art-afrique-dogon.fr/mortier-pilon-dogon-ancien-africain.html Ah ! ah ! Tu ne sais donc rien et cependant tu fais le gros dos au milieu de tes prétendus élèves ! Eh bien, tu vas devoir faire un plongeon dans la petite goutte de ton savoir pour y trouver la réponse à cette question : quand on laisse tomber un pilon dans un mortier vide, le bruit qui en résulte vient-il du mortier ou du pilon ? Réfléchis bien et réponds, sinon je te ferai pendre immédiatement !
Le sage garda un moment le silence, puis il dit :
- Le bruit vient des deux.
- Mais dans quelle proportion d’intensité ? demanda encore le Roi.
Le sage, ne sachant quoi répondre, resta interdit. Hediala reprit :
- Dépêchons-nous, fameux sage dont la connaissance se situe en deçà d’un mortier et d’un pilon !
A ce moment, un fou écarta la foule et s’avança vers Hediala.
- Ô Roi ! s’écria-t-il. Aucun homme n’ayant été frappé de commotion cérébrale ne poserait pareille question, et pour y répondre il faut avoir l’esprit fêlé. Aussi est-ce moi qui vais te donner satisfaction.
En levant le bras, il assena au Roi une gifle si sonore que chacun l’entendit dans tout le village. Puis il éclata de rire :
- Eh bien, ô Roi ! Est-ce de ma main ou de ta joue qu’est sorti le bruit, et dans quelle proportion ?

Moralité : il faut souvent un fou pour instruire un despote.

Amadou Hampâté Bâ est né à Bandiagara, au pied des falaises du pays Dogon, et mort en 1991 à Abidjan. Historien, écrivain, conteur poète, penseur, frère des hommes, il est surtout connu en France pour la lutte qu’il mena à l’UNESCO, de 1962 à 1970, en faveur de la réhabilitation des traditions orales africaines en tant que source authentique de connaissance et partie intégrante du patrimoine culturel de l’humanité. (Seuil)

Illustrations :

  • Roi Africain : http://club.doctissimo.fr/linda-moni/rois-africains-216565/photos.html
  • Mortier et pilon : http://www.art-afrique-dogon.fr/mortier-pilon-dogon-ancien-africain.html

Variante :

  • Une variante sur le thème de la gifle pour remettre en place un roi est à lire ici. Le conte s'achève sur la révolte du peuple libéré par cette gifle qui ridiculise le despote.

Une fausse note, conte chinois.

Le prince de Tsinn festoyait avec ses courtisans. Le repas avait été bien arrosé. Le souverain, quelque peu éméché, tenait des propos décousus et parfois bien extravagants auxquels ses favoris répondaient par d’onctueuses flatteries. Soudain, le prince étira ses manches flottantes, pousse une exclamation de contentement et déclare :
Il n’y a pas plus grand bonheur que d’être un monarque. On n’a de compte à rendre à personne et nul n’ose vous contredire !
Kouang, son maître de musique, qui était assis en face de lui, prit alors son luth et le lui jeta à la figure. Le prince bondit de son siège, esquivant ainsi l’instrument qui se fracassa contre le mur avec un gémissement pitoyable. Les courtisans indignés se levèrent et protestèrent énergiquement. L’un d’eux demanda au musicien :
- Comment avez-vous osé lever la main contre votre souverain ?
- Lever la main contre le Prince, inconcevable ! Je n’aurais jamais fait une chose pareille ! s’offusque le maître de musique. J’ai simplement voulu corriger un usurpateur qui avait pris la place du prince.
Et il désigna le siège vide du monarque en disant :
J’ai entendu venant de cet endroit des propos indignes d’un souverain !
Des dignitaires, outrés, empoignèrent ce grossier personnage. Ils le traînèrent devant le prince de Tsinn en demandant quel châtiment Sa Majesté voulait qu’on lui inflige. Le souverain éclata de rire :
- Lâchez-le. Il m’est plus utile que vous : lui, il me sert de garde-fou !