La mort marraine

Résumé :
La-mort-marraine-Grimm-dessin Laurent Berman Un homme cherche un parrain pour son treizième enfant, un fils. Il trouve Dieu injuste, le Diable peu fiable. La Mort se propose, elle ne fait pas de différence entre riche ou pauvre, quand c'est l'heure, c'est l'herue ! Lepaysan la choisit. Elle fait du fils un médecin qui sauve les malades avec une certaine herbe, tant que la Mort n'est pas à la tête du mourant. Deux fois, le médecin fait changer de sens le lit pour que la Mort ne se retrouve pas aux pieds des malades. La seconde fois est de trop, la Mort part avec le médecin. La mort emmène son filleul dans une grotte où de petites flammes s'allument puis s'éteignent ici et là ... Ce sont les cierges de la vie humaine. Le médecin supplie la mort de placer son cierge presque entièrement consumé sur un nouveau cierge. La mort fait semblant d'accepter mais laisse tomber le petit cierge qui s'éteint. Au même moment, le médecin s'effondre sur le sol et la Mort l'emporte.

Il était une fois un homme pauvre qui avait douze enfants. Pour les nourrir, il lui fallait travailler jour et nuit. Quand le treizième vint au monde, ne sachant plus comment faire, il partit sur la grand-route dans l'intention de demander au premier venu d'en être le parrain. Le premier qu'il rencontra fut le Bon Dieu. Celui-ci savait déjà ce que l'homme avait sur le cœur et il lui dit :Dieu-main-enfant
- Brave homme, j'ai pitié de toi ; je tiendrai ton fils sur les fonts baptismaux, m'occuperai de lui et le rendrai heureux durant sa vie terrestre.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis le Bon Dieu.
- Dans ce cas, je ne te demande pas d'être parrain de mon enfant, dit l'homme. Tu donnes aux riches et tu laisses les pauvres mourir de faim. (L'homme disait cela parce qu'il ne savait pas comment Dieu partage richesse et pauvreté.)
Il prit donc congé du Seigneur et poursuivit sa route.

Diable-ange dechu-Gustave Dore-WikipediaLe Diable vint à sa rencontre et dit :
- Que cherches-tu ? Si tu me prends pour parrain de ton fils, je lui donnerai de l'or en abondance et tous les plaisirs de la terre par-dessus le marché.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis le Diable.
- Alors, je ne te veux pas pour parrain. Tu trompes les hommes et tu les emportes.

Il continua son chemin. Le Grand Faucheur aux ossements desséchés venait vers lui et l'apostropha en ces termes :MORT-Faux-Statue-Cathédrale Saint-Pierre de Trèves-Allemagne.
- Prends-moi pour parrain.
L'homme demanda :
- Qui es-tu ?
- Je suis la Mort qui rend les uns égaux aux autres.
Alors l'homme dit '
- Tu es ce qu'il me faut. Sans faire de différence, tu prends le riche comme le pauvre. Tu seras le parrain.
Le Grand Faucheur répondit :
- Je ferai de ton fils un homme riche et illustre, car qui m'a pour ami ne peut manquer de rien.
L'homme ajouta :
- Le baptême aura lieu dimanche prochain ; sois à l'heure.
Le Grand Faucheur vint comme il avait promis et fut parrain.

Quand son filleul eut grandi, il appela un jour et lui demanda de le suivre. Il le conduisit dans la forêt et lui montra une herbe qui poussait en disant :
- Je vais maintenant te faire ton cadeau de baptême. La-mort-marraine-Grimm-litJe vais faire de toi un médecin célèbre. Quand tu te rendras auprès d'un malade, je t'apparaîtrai. Si tu me vois du côté de sa tête, tu pourras dire sans hésiter que tu le guériras. Tu lui donneras de cette herbe et il retrouvera la santé. Mais si je suis du côté de ses pieds, c'est qu'il m'appartient ; tu diras qu'il n'y a rien à faire, qu'aucun médecin au monde ne pourra le sauver. Et garde-toi de donner l'herbe contre ma volonté, il t'en cuirait.
Il ne fallut pas longtemps pour que le jeune homme devint le médecin le plus illustre de la terre. « Il lui suffit de regarder un malade pour savoir ce qu'il en est, s'il guérira ou s'il mourra », disait-on de lui. On venait le chercher de loin pour le conduire auprès de malades et on lui donnait tant d'or qu'il devint bientôt très riche.

Il arriva un jour que le roi tomba malade. Roi-lit-PhilippeIV-EspagneOn appela le médecin et on lui demanda si la guérison était possible. Quand il fut auprès du lit, la Mort se tenait aux pieds du malade, si bien que l'herbe ne pouvait plus rien pour lui.
- Et quand même, ne pourrais-je pas un jour gruger la Mort ? Elle le prendra certainement mal, mais comme je suis son filleul, elle ne manquera pas de fermer les yeux. Je vais essayer.
Il saisit le malade à bras le corps, et le retourna de façon que maintenant, la Mort se trouvait à sa tête. Il lui donna alors de son herbe, le roi guérit et retrouva toute sa santé. La Mort vint trouver le médecin et lui fit sombre figure ; elle le menaça du doigt et dit :
- Tu m'as trompée ! Pour cette fois, je ne t'en tiendrai pas rigueur parce que tu es mon filleul, mais si tu recommences, il t'en cuira et c'est toi que j'emporterai.

Peu de temps après, la fille du roi tomba gravement malade. Princesse-coucheeElle était le seul enfant du souverain et celui-ci pleurait jour et nuit, à en devenir aveugle. Il fit savoir que celui qui la sauverait deviendrait son époux et hériterait de la couronne. Quand le médecin arriva auprès de la patiente, il vit que la Mort était à ses pieds. Il aurait dû se souvenir de l'avertissement de son parrain, mais la grande beauté de la princesse et l'espoir de devenir son époux l'égarèrent tellement qu'il perdit toute raison. Il ne vit pas que la Mort le regardait avec des yeux pleins de colère et le menaçait de son poing squelettique. Il souleva la malade et lui mit la tête, où elle avait les pieds. Puis il lui fit avaler l'herbe et, aussitôt, elle retrouva ses couleurs et en même temps la vie.

Quand la Mort vit que, pour la seconde fois, on l'avait privée de son bien, elle marcha à grandes enjambées vers le médecin et lui dit :
- C'en est fini de toi ! Ton tour est venu !
Elle le saisit de sa main, froide comme de la glace, si fort qu'il ne put lui résister, et le conduisit dans une grotte souterraine. La-mort-marraine-Grimm-ciergesIl y vit, à l'infini, des milliers et des milliers de cierges qui brûlaient, les uns longs, les autres consumés à demi, les derniers tout petits. À chaque instant, il s'en éteignait et s'en rallumait, si bien que les petites flammes semblaient bondir de-ci de-là, en un perpétuel mouvement.
- Tu vois, dit la Mort, ce sont les cierges de la vie humaine. Les grands appartiennent aux enfants ; les moyens aux adultes dans leurs meilleures années, les troisièmes aux vieillards. Mais, souvent, des enfants et des jeunes gens n'ont également que de petits cierges.
- Montre-moi mon cierge, dit le médecin, s'imaginant qu'il était encore bien long.
La Mort lui indiqua un petit bout de bougie qui menaçait de s'éteindre et dit :
- Regarde, le voici !
- Ah ! Cher parrain, dit le médecin effrayé, allume-m'en un nouveau, fais-le par amour pour moi, pour que je puisse profiter de la vie, devenir roi et épouser la jolie princesse.
- Je ne le puis, répondit la Mort. Il faut d'abord qu'il s'en éteigne un pour que je puisse en allumer un nouveau.
Dans ce cas, place mon vieux cierge sur un nouveau de sorte qu'il s'allume aussitôt, lorsque le premier s'arrêtera de brûler, supplia le médecin.
Le Grand Faucheur fit comme s'il voulait exaucer son vœu. Il prit un grand cierge, se méprit volontairement en procédant à l'installation demandée et le petit bout de bougie tomba et s'éteignit. Au même moment, le médecin s'effondra sur le sol et la Mort l'emporta.


Sources :

  • Conte des frères Grimm : La mort marraine
  • En ligne ici
  • Une variante : un fabliau lorrain écrit en vers par Louis de Ronchaud, Le filleul de la mort. Le paysan veut pour son fils un parrain possédant une justice entière et sans défaillance. Imbu de cette idée, il refusera, l’un après l’autre, un seigneur, un homme de guerre, un abbé, et Jésus lui-même qui s’offrait à lui. Il acceptera la Mort, qui viendra à son tour, car elle est pour lui la personnification suprême de la justice. Elle fait de son filleul un médecin célèbre parce qu'elle lui indique les cas désespérés en se plaçant à la tête du lit. L'eau claire tiendra lieu de panacée. Il guérit une princesse, mais sans mourir à sa place. Vieux et malade, le médecin devenu riche et célèbre, s'accroche à la vie mais la mort, intraitable, le prend tout de même. Ce n’est que dans un état social inférieur et dans une forme d’existence presque brute que l’homme se détache de la vie comme une plante sans racines enlevée du sol par un souffle. En ligne ici.


Illustrations :

  • La mort-marraine : couverture, Laurent Berman
  • La main de Dieu : https://fr.123rf.com/photo_23478378_baby-hand-tendre-la-main-%C3%A0-dieu.html
  • Le diable : Un ange déchu du Paradis, gravure de Gustave Doré, illustration pour John Milton’s “Paradise Lost“, 1866, Wikipedia
  • La mort : statue de la Cathédrale Saint-Pierre de Trèves, Allemagne
  • La mort aux pieds du lit : illustration du recueil des frères Grimm
  • Le roi malade : le roi Philippe IV d'Espagne sur son lit de mort
  • La princesse malade : la princesse de Montpensier, film de Bertrand Tavernier, 2010 avec Mélanie Thierry dans le rôle de la princesse



Le poirier de Misère

Poirier_http://montour1959lasuite.blogspot.fr/2010/10/cent-dix-neuvieme-sortie.htmlMisère trompe la mort en lui demandant comme dernière volonté de cueillir quelques poires à son poirier. La mort reste collée !!! et plus personne ne meurt. Mais cela occasionne quelques désagréments : si on ne meurt plus, on continue à souffrir ... La mort a donc quelque utilité ...

Résumé :
La mère Misère a peu de choses : un bâton, un sac, un chien et un poirier. Un jour d'hiver, un mendiant demande l'hospitalité et Misère l'accueille. C'est en vérité saint Wanon, qui lui offre un voeu pour la remercier. Elle demandera que celui qui montera dans son poirier y soit pris, jusqu'à ce qu'elle le libère. Des enfants, qui volaient des poires, y sont pris ; elle les libère et c'est certain qu'ils ne reviendront plus. Puis la Mort vient chercher Misère ; elle lui demande d'aller chercher des poires dans l'arbre et la Mort y est prise. C'est l'éternité sur la terre ; plus personne ne meurt. Mais c'est aussi la décadence : plus personne ne meurt, et la maladie n'en finit plus de faire souffrir ; les lois se relâchent et les crimes pulluent. Un jour, le docteur De Profundis retrouve la Mort ; en essayant de la libérer, il se fait prendre par l'arbre, comme bien des paysans, si bien que le poirier est couvert d'hommes. La Misère acceptera de libérer la Mort à la condition de choisir elle-même le moment où la Mort pourra venir la chercher. Ce moment n'est pas encore venu et c'est pour cette raison que la Misère est toujours dans le monde...(tousles contes.com)

Sources :

  • CharlesDeulin (1827-1877), Belgique, Le poirier de Misère in Gambrinus et autres contes
  • A lire en ligne ici
  • Illustration : poirier, http://montour1959lasuite.blogspot.fr/2010/10/cent-dix-neuvieme-sortie


Jack de Lemmerick

" Jack de Lemmerick est une version adaptée à partir d'un conte irlandais. Il rappelle par certains côté Le poirier de Misère.

Résumé :
Jack repousse l'heure de sa mort et le moment de donner son âme au diable en le faisant prisonnier à trois reprises. Mais il finira par mourrir ... Jack partage son pauvre repas avec un voyageur égaré sur la lande qui lui accorde trois vœux. jack choisit le pouvoir de garder collés à l'arbre ceux qui volent ses pommes, puis de garder collé au vieux fauteuil ceux qui se moquent du peu de confort de sa maison, et de garder prisonnier ceux qui fouillent dans le vieux sac en cuir de sa femme, son sac de couture. Vous voyez bien qu'il a (un peu) pensé à elle tout de même ! Bien entendu, son épouse lui reproche de n'avoir pas demander des choses utiles pour la famille Tu ne penses qu'à t'amuser, tu aurais pu demander une table toujours garnie pour nos enfants, ou de l'argent ! Tu n'es qu'un bon a rien, Jack : Va au Diable ! Mais quand on parle du Diable il n'est jamais loin ... Jack accepte son sac d'or mais le Diable viendra le chercher dans un an et un jour ... Jack le piège dans le pommier, puis l'année suivante sur le fauteuil et pour finir l'enferme dans le sac qu'il tape sur l'enclume (Jack est maréchal-ferrant). Le Diable finit par annuler le pacte ...citrouille_JackO'lantern_Wikipedia Mais à sa mort, Jack est refusé au Paradis en raison de ses vœux stupides et de son pacte avec le Diable... et le Diable ne veut pas le laisser entrer non plus ! Le voilà condamné à errer dans la lande avec un citrouille creusée garnie d'un feu follet ... et parfois il prend un navet ou une grosse pomme.

Sources :

  • Je tiens cette version de François Vermel, conteur. Ici Jack s'oppose au Diable qui veut prendre son âme. Mais la mort attend.
  • Le conte traditionnel est en ligne ici. Jack s'oppose à la molr.
  • Une autre version : celle de Gigi Bigot (Bretagne) du conte Bounoume Misère in Les plus beaux contes de conteurs, Syros jeunesse, 1999, 2007.


Jack et la mort

Jack-et-la-mort-Tim Bowley-OQO editions-2013Cette histoire inspirée de La mort attrapée dans une noix, un conte traditionnel britannique, traite avec délicatesse d’un sujet lourd et grave comme la mort d’une maman pour un petit garçon, et recèle un trésor de sagesse qui permet aux petits comme aux grands de comprendre, très facilement, une leçon des plus essentielles : la mort fait partie de la vie, elles sont indissociables. (http://www.lacauselitteraire.fr/jack-et-la-mort-tim-bowley)

L’auteur insiste sur l’idée de présenter la mort non pas comme une ennemie de la vie, mais comme l’autre face de la même monnaie : l’une n’existe pas sans l’autre. L’illustratrice crée de belles métaphores visuelles, dramatiques, poétiques. La mort tient un bout de la corde et tire lentement. Des fleurs qui poussent, qui se fanent et meurent, des graines dispersées dans l’air qui volent vigoureusement et laissent une trace de la vie qui s’éteint… La mort a un grand pouvoir, elle prend tout ce qu’elle veut, sans demander la permission, ses grandes mains détachées de son corps sont le symbole de ce vol. Elle possède, de plus, une collection de masques pour mettre sur les visages des personnes quand elles meurent. (commentaire de l'éditeur - http://oqo.es/fr/produit/jack-et-la-mort/)

Résumé :
Jack rencontre la Mort et, comme il présume qu’elle vient chercher sa mère malade, il élabore un plan pour se débarrasser d’elle. Usant de sa ruse il parvient à attraper le sinistre personnage dans un flacon ; mais les conséquences de ce confinement sont déconcertantes : rien ne peut mourir. Ce qui au début était une cause de joie – la mère se rétablit subitement de sa maladie grave – devient finalement un chaos.

Sources :

  • Jack et la mort, Tim Bowley, illustration de Natalie Pudalov, OQO éditions, 2013, 32 pages, Album jeunesse
  • La mort attrapée dans une noix, un conte traditionnel britannique,


Le tonnelier et la Mort

Résumé (d'après un conte dit par Blanche Jeuland lors d'une réunion-contes des Conteuses de l'Aude il y a quelques années ...) :creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/

C'était un excellent tonnelier. Tonnelier-wikipediaIl faisait des tonneaux, des barriques, des bordelaises ... Et il aimait remplir ses tonneaux et goûter le vin bien reposé dans les fûts de chêne.
Mais un été, une mauvaise toux le prit ... Il sentit la mort s'approcher ... Il venait de finir un dernier tonneau. Il s'est dit :
- Quel dommage ! Laisser un tonneau vide derrière moi ...
La mort ne voyait pas où était le problème :
- Un tonneau vide ou plein reste un tonneau. Et tu as été tonnelier toute ta vie, finir sa vie en terminant un tonneau, c'est bien !
- Moi je fais les tonneaux pour qu'il soient remplis de vin nouveau. Et le vin va se bonifier dans mes tonneaux de chêne, son goût va s'affiner, puis s'affirmer, les saveurs se feront plus suaves, et si on attend quelques années c'est une boisson digne des dieux. Tu veux goûter ? Tiens un petit Corbières ... puis un Syrah, et celui-ci un mélange subtil de Carignan, Syrah et Mourvèdre ...
La mort a goûté, une boisson des dieux ça ne se refuse pas ..., puis elle a regoûté, dégusté, apprécié ... un peu trop (elle n'était pas habituée ..). A la fin elle ne savait même pas pourquoi elle était venue ... Le tonnelier qui savait très bien ce qu'il faisait (et lui, il tenait bien le vin, le bon vin ...) a vanté à la Mort la nouvelle récolte à venir, avec ce soleil elle sera exceptionnelle ! Il faudra goûter absolument ! Allez, rendez-vous en automne ?!!! Et la mort a hoché la tête ... Tope-là !
C'est ainsi que chaque année la Mort vient goûter le vin nouveau, et s'en va un peu gaie, d'une démarche pas trop assurée ... Une fois dégrisée, elle se propose de revenir mais le tonnelier lui dit qu'il faut qu'elle attende un peu que le vin travaille, son goût sera très spécial cette année, exceptionnel ! Et la mort repart et revient lorsqu'on met le vin en bouteilles puis à la nouvelle récolte, et ainsi chaque année.
Il se dit qu'au château on entend la nuit des coups de marteaux : c'est le tonnelier qui continue à travailler ses tonneaux, cela fait déjà plus de 100 ans qu'il travaille ! Mais tant que le vin sera bon, il continuera à trinquer avec la Mort et à fabriquer ses tonneaux.


Sources :

  • illustration : tonnelier, wikipedia, https://commons.wikimedia.org/wiki/File:K%C3%BCfer.jpg


La Mort, le Diable et la Malchance

Résumé :
Que faire pour satisfaire ces clients difficiles lorsqu'on est tailleur ??? Surtout si on n'a pu faire qu'un costume au lieu de trois ... A qui le donner ? Qui honorer : la Mort, le Diable ou la Malchance ?

Dans le pays de Boton le lièvre (en Afrique de l'Ouest), après sept jours de deuil, il est de tradition non obligatoire de faire la fête au défunt. Une façon de remercier tous ceux qui ont compati aux douleurs de la famille éplorée mais aussi et surtout une façon de souhaiter bon voyage au pays des morts.
C'était l'anniversaire du départ dans l'au-delà d'un bébé. (...) Les préparatifs de sa fête étaient à la mesure de l'amour que les gens lui portaient. Tout le village était en chantier. (...)

Tailleur africainCe matin-là, à trois jours de la fête, la Mort, le Diable et la Malchance se rendirent chez le tailleur le plus célèbre du pays pour se faire confectionner de beaux vêtements. Le tailleur s'excusa poliment de ne pas pouvoir les satisfaire parce qu'il avait beaucoup trop de travail. Mais hélàs, nos trois nouveaux clients ne voulurent rien savoir. Alors malgré lui, le tailleur accepta leur demande et put ainsi découvrir à son grand étonnement les modèles à exécuter.
* Vous auriez vu celui de la Mort, un dessin clair, net, précis.
* Le Diable présenta un dessin avec des ratures de partout, des traits qui allaient dans tous les sens (...). On aurait dit une veste avec 313 poches ... pour cacher tous ses tours ? un pour chaque jour de l'année sauf les dimanches, jour du Seigneur : ces jours-là le Diable ne travaille pas parait-il ...
* Quant à la Malchance, son modèle était très étrange, sans forme apparente (...). Pour le lire, notre tailleur (...) avait dû le placer à contre-jour comme on le fait pour découvrir l'image cachée sur certains billets de banque.

Au jour de l'essayage, trois silhouettes marchent dans un brouillard étrange vers l'atelier du tailleur.

MORT-marche
* L'une marchait droit, la tête haute, fière et sûre d'elle. Vous avez deviné qui des trois cela pouvait être ? C'était la Mort bien sûr, il n'y avait qu'elle pour avoir cet air méprisant, car elle frappe toujours sans pitié.

* L'autre se déplaçait à droite, à gauche, avançait sans avancer. Diable_fumeElle faisait un pas en avant, deux pas en arrière, puis sept pas en avant et cinq pas en arrière ; une démarche désordonnée (...). Vous savez à présent qui marche ainsi ? Le Diable, il n'est jamais droit.

* Esprit bleuQuant à la dernière ombre, inutile de vous poser la question. Elle était invisible et se déplaçait comme l'air ; c'était la Malchance.

Le tailleur reçut les trois forces négatives au seuil de sa porte (un mètre de distance minimum ...), un peu déconcerté car il n'avait pu confectionner qu'un seul vêtement. (...) Vous auriez été à la place du tailleur, qui auriez-vous satisfait ? Qui pensez-vous être le plus fort ? Lequel des trois détient le plus de pouvoirs ?

Les auditeurs réfléchissent et donnent leur réponse ...

Le tailleur revint donc du fond de son atelier avec un très beau costume et s'adressa à ses clients en ces termes :
- Voyez-vous, de vous trois, c'est à... Malchance que revient le costume, c'est à Malchance qu'il faut faire la cour. C'est lui le plus fort, c'est lui votre maître, car sans lui vous ne pouvez m'atteindre. Ma grand-mère m'a toujours dit que dans la vie, si vous n'avez pas de chance, c'est à ce moment que le Diable peut entrer en vous pour que la Mort vous emporte.
- Diable alors ! cria le Diable, puis il disparut.
- Mort aux Vaches ! fit la Mort en tapant du pied gauche, puis elle s'éclipsa.
C'est ainsi qu'en cette veille de grande fête le tailleur eut la chance d'éviter la Malchance qui aurait pu lui causer la Mort.


Sources :

  • Manfeï Obin, conte d'Afrique de l'Ouest (Côte d'Ivoire), La mort, le Diable et la Malchance in Les plus beaux contes de conteurs, Syros jeunesse, 1999, 2007, pp 18-21
  • D'après la tradition orale du pays Akyé (sud-est de la Côte d'Ivoire).


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