Comme l'homme primitif, notre inconscient ne croit pas à la possibilité de sa mort et se croit immortel Sigmund Freud.


La chute

Un homme marchait au bord d'une falaise quand brusquement il glisse, tombe et dégringole tout le long de la paroi ! Falaise-racines-oeil doux-Patricia Gustin-2019Par miracle, dans un ultime réflexe, il arrive à agripper une racine, et se met à hurler :
- Au secours ! Quelqu'un ! Quelqu'un !
Mais voilà que, soudain, il entend la voix du Créateur qui lui dit :
- Mon fils,tu es arrivé au bout de tes peines. Tu peux lâcher cette racine, je vais te recueillir dans mes mains.
L'homme soulagé lâche la racine et il heurte à nouveaux violemment les parois de la falaise ! Alors, malgré lui, sa main agrippe une autre racine ... Mais de nouveau, la voix de Dieu se fait entendre :
- Lâche, je te dis ! Je vais te recueillir dans mes mains !
Et l'homme, éperdu, répond :
- Mais ... Il n'y a pas quelqu'un d'autre ?

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Source :
Jean-Jacques Fdida, Contes des sages juifs, chrétiens et musulmans, Seuil, 2006, p. 67


Le maître du jardin

Il était un roi d’Arménie. Dans son jardin de fleurs et d’arbres rares poussait un rosier chétif et pourtant précieux entre tous. Roses-Jardin-Malines-Belgique-PatriciaGustin-2019S’il était choyé plus qu’une femme aimée, c’était qu’on espérait une rose de lui. Dans les vieux livres il était dit ceci : «Sur le rosier Anahakan un jour viendra la rose généreuse, celle qui donnera au maître du jardin l’éternelle jeunesse.»
Tous les matins le roi venait donc se courber devant lui. Il chaussait ses lorgnons, examinait ses branches, cherchait un espoir de bourgeon parmi ses feuilles, n’en trouvait pas le moindre, se redressait enfin, la mine terrible, et prenait au col le jardinier et lui disait :
- Sais-tu ce qui t’attend si ce rosier s’obstine à demeurer stérile ? La prison ! L’oubliette profonde !
C’est ainsi que le roi tous les printemps changeait de jardinier. Douze printemps passèrent, et douze jardiniers.

Le 13ème était un fier jeune homme. Il se présenta devant le roi :
- Ceux qui t’ont précédé étaient des hommes d’âge mûr, experts dans leur art. Ils ont tous échoué. Et toi, jeune blanc-bec, oisillon encore humide à peine sorti de l’œuf, tu oses !
- Je sens que quelque chose, en moi, me fera réussir, dit le jeune homme… La peur de mourir en prison !
Le jeune jardinier s’en fut à son rosier. Il lui parla longtemps à voix basse, caressa ses feuilles, l'arrosa, bêcha la terre autour de son pied maigre, enfouit ses racines dans du terreau moelleux. Aux premières gelées il l’habilla de paille, il le protégea du vent, sous la neige il resta comme au chevet d’un enfant. Il demeura près de lui nuit et jour. Il se mit à l’aimer.

Le printemps vint. Il ne quittait plus des yeux son rosier droit et frêle, guettant ses moindres pousses, priant et respirant pour lui. Dans le jardin, des fleurs partout s’épanouirent, mais il ne les vit pas. Il ne regardait que la branche sans rose.
- Rosier, mon fils, où as-tu mal ?
Roses_eclore_gifmaniacA peine avait-il prononcé ces mots que de ses racines sortit un ver long, noir, hideux. Il voulut le saisir. Un oiseau s'en empara. A l’instant un serpent surgit d’un buisson proche : avala l’oiseau, avala le ver. Alors un aigle descendit du haut du ciel : il tua le serpent et s’envola vers l’horizon où le jour se levait. Alors, un bourgeon apparut sur le rosier.
Le jardinier remercia avec émotion le rosier et s’en fut au palais en criant la nouvelle. Le roi était au lit. Il bâilla, il grogna : Moi qui dormais si bien ! puis bondit hors de ses couvertures en comprenant que ce qu'il avait tant espéré était arrivé. Il sortit en courant dans le jardin et ordonna :
- Qu’on poste cent gardes armés autour de ce rosier ! Je ne veux voir personne à dix lieues à la ronde ! Toi, jardinier, jusqu’à ta mort tu veilleras sur lui !
- Jusqu’à ma mort, Seigneur.

Le roi dans son palais régna dix ans encore, puis un soir il se coucha pour ne plus se relever. Il appela son jardinier :
- Le maître du jardin meurt comme tout le monde. Tout n’était que mensonge et illusion.
- Non Seigneur, dit le jardinier à genoux près de lui. Le maître du jardin, ce ne fut jamais vous. La jeunesse éternelle est à celui qui veille, et j’ai veillé, et je veille encore et toujours, de l’aube au crépuscule, du crépuscule au jour.
Il ferma les yeux du roi, baisa son front pâle, puis sortit sous les étoiles. Il salua chacune. Il avait le temps désormais… Tout le temps…



Arbre d'amour et de sagesse_GOUGAUDSource :
conte d'Arménie, Henri Gougaud, "L’arbre d’amour et de sagesse", Seuil, 1997

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