La peur pire que la mort

grippe_malade_peurLa crainte de la maladie est plus dangereuse que la maladie elle-même Paracelse

grippe_faucheuse Un pèlerin, un matin, quitte son clocher et ses amis pour Jérusalem. Il croise en chemin la Peste (Corona pour les intimes) qui fait route vers chez lui.
- Où vas-tu donc ainsi et pour quoi y faire ?
- Je vais chez toi y prendre cent vies.
- Y faire cent morts ! C'est beaucoup.
- Cent morts, pas plus ! Tu me le jures ?
- Je te le jure.
Une année a passé quand l'homme rentre chez lui. Il n'y trouve que tombes et misère, quelques vieux rabougris et les maisons vides. Il court et rattrape la Peste qui s'en allait faire sa besogne.
- Tu m'avais dit cent morts, tu en as pris mille !
- Ah ! Non ! J'ai dit cent, j'ai pris cent. Les autres sont morts de peur.

livre_010.gifFAUCHER Marie : Contes des sages qui guérissent, Editions du Seuil, coll. Dirigée par Henri Gougaud, 2007, p. 13-14.

La peur mobilise nos défenses et nous pousse à fuir, loin très loin ... Mais peut-on fuir la mort ?

Ce soir à Samarkand

Conte persan.
Résumé : Le vizir fuit la mort aperçue au marché de Bagdad. Il galope toute la journée pour atteindre Samarkand où l’attend sa mort. Le matin elle le fixait car elle était étonnée de le voir à Bagdad alors qu’elle devait le prendre à Samarkand …

Calife_Vizir_Iznogoud Un matin, le khalife d'une grande ville vit accourir son premier vizir dans un état de vive agitation. Il demanda les raisons de cette apparente inquiétude et le vizir lui dit: - Je t'en supplie, laisse-moi quitter la ville aujourd'hui même.
- Pourquoi ?
- Ce matin, en traversant la place pour venir au palais, je me suis senti heurté à l'épaule. Je me retournai et je vis la mort qui me regardait fixement.
- La mort ?Homme_en_Noir_Méléagant_Kaamelott
- Oui, la mort. Je l'ai bien reconnue, toute drapée de noir avec une écharpe rouge. Elle est ici, et elle me regardait pour me faire peur. Car elle me cherche, j'en suis sûr. Laisse-moi quitter la ville à l'instant même. Je prendrai mon meilleur cheval et je peux arriver ce soir à Samarkand.
- Était-ce vraiment la mort ? En es-tu sûr ?
- Totalement sûr. Je l'ai vue comme je te vois. Je suis sûr que tu es toi et je suis sûr qu'elle était elle. Laisse-moi partir, je te le demande.
Cavalier-Gustave Flasschoen-Gazette DrouotLe khalife, qui avait de l'affection pour son vizir, le laissa partir. L'homme revint à sa demeure, sella le premier de ses chevaux et franchit au galop une des portes de la ville, en direction de Samarkand.

Un moment plus tard, le khalife, qu’une pensée secrète tourmentait, décida de se déguiser, comme il le faisait quelquefois, et de sortir de son palais. Tout seul, il se rendit sur la grande place au milieu des bruits du marché, il chercha la mort des yeux et il l’aperçut, il la reconnut. Mort-cape noire-echarpe rouge-https://operafantomet.tumblr.com/post/146837655927/a-closer-look-at-christines-red-scarf-especially/ampLe vizir ne s’était aucunement trompé. Il s’agissait bien de la mort, haute et maigre, de noir habillée, le visage à demi dissimulé sous une écharpe de coton rouge. Elle allait d’un groupe à l’autre dans le marché sans qu’on la remarquât, effleurant du doigt l’épaule d’un homme qui disposait son étalage, touchant le bras d’une femme chargée de menthe, évitant un enfant qui courait vers elle.
Le khalife se dirigea vers la mort. Celle-ci le reconnut immédiatement, malgré son déguisement, et s’inclina en signe de respect.
- J’ai une question à te poser, lui dit le khalife, à voix basse.
- Je t’écoute.
- Mon premier vizir est un homme encore jeune, en pleine santé, efficace et probablement honnête. Pourquoi ce matin, alors qu’il venait au palais, l’as-tu heurté et effrayé ? Pourquoi l’as-tu regardé d’un air menaçant ?
La mort parut légèrement surprise et répondit au khalife :
- Je ne voulais pas l’effrayer. Je ne l’ai pas regardé d’un air menaçant. Simplement, quand nous nous sommes heurtés par hasard dans la foule et que je l’ai reconnu, je n’ai pas pu cacher mon étonnement, qu’il a dû prendre pour une menace.
- Pourquoi cet étonnement ? demande le khalife.
- Parce que, répondit la mort, je ne m’attendais pas à le voir ici. J’ai rendez-vous avec lui ce soir à Samarkand.

Sources :

  • Jean-Claude Carrière, Le cercle des menteurs I, Plon, 1998, Ce soir à Samarkand, conte persan, p 125 (Chapitre La mort est notre dernier personnage).
  • Farid ud-Dîn Attar, poète et mystique soufi de la Perse, né vers 1140 et mort vers 1230. Version pdf ici
  • Version audio du conte dit par Charles Brulhart ici


Illustrations :

  • Calife et son vizir : Jacques Villeret dans le film "Iznogoud"
  • Silhouette noire, buste : Meleagant dans Kamelot
  • Cheval : dessin de Gustave Flasschoen (1868-1940), école belge, vente aux enchères de La Gazettge Drouot. https://www.gazette-drouot.com/lots/637405
  • Mort : cape noire et écharpe rouge, https://operafantomet.tumblr.com/post/146837655927/a-closer-look-at-christines-red-scarf-especially/amp


La mort, cette incohérente, cette fantasque insouciante, nous apporte quand même un cadeau : Elle nous rappelle à l’urgence de vivre ! (Carole Braéckman)


Ainsi que l'illustrent les deux contes du billet précédent : Face à la Mort - Le déni - Deux contes ! Cliquez ici

Le billet suivant a pour thème le refus face à la mort ... ici. Deux contes à découvrir !