Les trois oranges d'amour

Contes_Legendes_Espagne_SOUPEYLes trois oranges est un conte populaire andalou, rapporté par Marguerite Soupeydans l'ouvrage Contes et Légendes d'Espagne, Fernand Nathan, Collection des Contes et Légendes de tous les Pays, paru en 1922, 1934, 1958, 1973.

Cette version contient certains éléments particuliers qui en font son originalité ; de plus le récit n'est pas dénué d'humour et de gaieté malgré l'action dramatique qui nous tient tout au long de ce conte merveilleux. Cependant, certains détails d'autres versions m'ont séduite ... ils me "parlent". J'ai donc mis le texte du conte andalou rapporté par Marguerite Soupey en fond vert clair et les ajouts (en citant les références) en fond blanc.

Chacun pourra ainsi travailler son conte en le construisant plus ou moins long ou riche et complexe, adapté en fonction de son auditoire, selon les images que le récit crée en chacun. Pour bien relater toutes les finesses de cette quête vers l'amour des trois oranges il est important de saisir ce qu'évoquent les personnages de ce conte : cela donnera tout son sens au récit. Ensuite, notre imaginaire personnel nous incitera à faire un choix entre tous les divers éléments collectés pour choisir, ou composer, notre version personnelle mais respectueuse de la structure du conte, car le but du conteur est - avant tout - de transmettre ....

Pour l'instant, place au merveilleux !!!

Il était une fois un prince qui ne riait jamais, jamais, jamais ...

Asturies
Mais un jour, une femme dit :
Moi, je le ferai rire ce prince, rire et pleurer.
Danse_gitane_CirqueRomanes_ http://www.cezam-iledefrance.fr/?mode=actualitesEt la femme revetit des haillons cousus avec de la ficelle, répandit ses cheveux sur ses épaules et au son d'un tambourin alla danser devant le prince qui se tenait accoudé au balcon de son palais. Elle fit tant et tant en dansant fougueusement, que soudain la ficelle qui retenait ses vêtements se rompit et elle se retrouva toute nue au milieu de la rue. La voyant, le prince se mit à rire aux éclats. La femme pensait distraire le prince par sa danse, rythmée, dynamique et très entraînante mais elle n'avait pas pensé qu'elle pourrait perdre son costume. Quand elle vit que le prince se moquait ouvertement d'elle, elle lui jeta un sort :
Vous ne rirez jamais plus avant de trouver les trois oranges d'amour.
Dès cet instant, le prince se sentit bien triste.

Andalousie

Le roi, son père, décida de lui trouver une fiancée pour qu'il reprenne goût à la vie. Mais il les refusait toutes et refusait de se marier parce qu'il ne trouvait aucune jeune fille à son goût. (La malédiction de la bohémienne avait commencé à faire effet...) Au 303ème refus, le roi perdit patience (on le comprend !) :
- Sors de mon royaume et va toi-même à la recherche de la merveille que tu voudras bien épouser ; mais si dans deux ans, tu n'es pas de retour avec elle, je te déshérite !

Asturies
Le prince finit par se décider :
Je veux m'amuser et rire. J'irai chercher les trois oranges d'amour où quelles soient.
Et il partit à leur recherche, marchant de village en village. Un matin, il croisa en chemin la femme qui lui avait jeté la malédiction, mais il ne la reconnut pas.
Où allez-vous beau jeune homme ? Montre ta main, je te dirai la Bonne Aventure ! et sans attendre son accord elle se saisit de sa main et lit entre les lignes Ton voyage sera long, tu cherches l'amour des trois oranges ...''
Mon père veut que je me marie ; dites-moi où je pourrais trouver le plus belle fille du monde ! Je cherche les trois oranges d'amour.

Andalousie

Elle habite avec ses sœurs le Château des trois oranges, mais c'est bien loin d'ici ! Il vous faudra suivre le chemin que vous voyez devant vous ; marchez sans vous arrêter ; lorsque vous serez arrivé au château, vous entrerez dans les jardins oranger_Ellen Levy Finch_Wikipédiaet vous y chercherez un oranger qui porte seulement trois fruits sur la même branche ; cueillez les trois oranges d'un seul coup et sans monter sur l'arbre ; vous tiendrez alors dans vos mains la merveille que vous cherchez et il arrivera ensuite ce qui doit arriver.

Languedoc (version longue) :
Le prince était à cheval, mais le chemin était long. Au bout d'un moment, il fait halte à une fontaine pour faire boire son cheval. druide_forêt_source_eden-saga.comIl partage son pain avec un vieil homme à longue barbe blanche assis sur la margelle de la fontaine. Pour le remercier, le vieux sage qui puise sa science du monde à la fontaine de la vie lui indique le chemin : il lui faudra marcher vers le Nord et franchir 3 pays avant de trouver le jardin des orangers. Mais attention ! L'entrée de la grotte où se cache le jardin des orangers est gardée par 3 chiens féroces !

Andalousie :

Le jeune homme repart, assuré d'être sur la bonne route. Après avoir marché des jours et des jours, il arrive dans un pays sans verdure et sans eau, aride et fauve, et tout crevassé par la sécheresse ; Alhambra_gouache_Adolf Seel Innenhof der Alhambra_Wikipediail voit un grand palais étincelant de blancheur et il entre pour demander si ce n'est pas là le Château des Trois Oranges.
- Ce n'est pas ici, lui répondit une jeune fille plus brune que le bronze, mais mon père le Soleil rentrera bientôt et il saura peut-être vous renseigner.
Un instant après, le palais commence à resplendir, la chaleur devient de plus en plus forte, puis la lumière se fait éblouissante et le Soleil entre...
- Ça sent la chair fraîche, est-ce là le rôti que tu vas me faire pour mon déjeuner, petite fille ?
- Ah ! Mon père, ce n'est pas le rôti ! C'est un pauvre garçon qui cherche le Château des Trois Oranges et je lui ai promis que vous le renseigneriez !
- Si ce garçon n'est pas bon à rôtir, qu'il s'en aille ! Je ne sais pas où est le château qu'il cherche, mais ma sœur la Lune, qui est une vieille curieuse, pourra sans doute le renseigner.
Le prince est tout heureux de sortir à tâtons, aveuglé par le Soleil, car il sentait déjà sa peau rougir et cuire :
- Pour un peu, je finissais grillé comme une saucisse !

Il marcha pendant longtemps à la recherche du palais de la Lune.
Palais_Espagne_Madrid_http://www.photo2ville.com/photos-madrid/palais+royal+de+madrid-345.html Il arrive enfin dans un pays de bois et de près sombres et voit au bord d'une rivière argentée un palais de marbre bleu.
- Puis-je savoir où est le Château des Trois Oranges ? demande-t-il en rentrant.
- Je ne sais pas où est ce château, répond une jeune fille blanche comme la fleur de jasmin ; asseyez-vous un instant, ma mère la Lune ne tardera pas à rentrer, elle vous renseignera.
Bientôt le jeune homme entend chanter un rossignol ; le palais commence à s'éclairer doucement ; la Lune arrive...
- Ça sent la chair fraîche ! Est-ce là le rôti que tu vas faire cuire pour mon dîner ? demande-t-elle à sa fille.
- Hélas ! ma mère, ce n'est pas un rôti pour vous ! C'est un pauvre garçon qui vient de la part de mon oncle le Soleil vous demander où se trouve le Château des Trois Oranges.
- Si ce garçon n'est pas bon à rôtir, qu'il s'en aille ! Je ne sais pas où est le Château des Trois Oranges, mais mon frère le Vent, qui se fourre partout, le saura sûrement !

Le jeune homme partit et marcha pendant longtemps à la recherche du palais du Vent. Il arrive enfin dans un pays où tous les arbres cassé, tordus, déracinés semblaient avoir été tirés par les cheveux ; forteresse_Loarre_Espagne_Aragon_http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/11/19/01006-20071119ARTFIG00451-darides-deserts-coupes-de-canyons-verdoyants.phpil voit un palais de pierres grises avec une seule porte et pas de fenêtres. Il y entre et demande où se trouve le château des trois oranges.
- Ce n'est pas ici, répondit une jeune fille ébouriffée, mais mon père le Vent le sait peut-être, attendez un instant, le voici qui revient.
On entend au loin de sifflements ; on voit les arbres s'incliner, puis la maison tremble comme si elle allait s'envoler et le Vent entre en tourbillonnant.
- Ça sent la chair fraîche ! Est-ce là le rôti que tu m'a préparé ?
- Hélas ! Mon père, ce n'est pas un rôti ! C'est un pauvre garçon qui vient de la part de ma tante la Lune, pour que vous lui disiez où se trouve le Château des Trois Oranges.
- S'il n'est pas bon à rôtir qu'il s'en aille ! Le Château des Trois Oranges est à quatre lieues d'ici, derrière la montagne des Azalées !

Languedoc (version longue) :
Le jeune homme continue sa route et au pied de la montagne des Azalées, il fait halte dans une ferme pour acheter du pain.
Femme-au-four-à-pain_Je Une femme balaye son four avec ses cheveux qui sont presque entièrement usés et brûlés, et elle continue avec ses doigts en gémissant de douleur. Le jeune homme, touché par cette pauvre femme qui souffre tant lui donne son foulard qu'il fixe à un bâton. Ah ! Quel soulagement ! Pour le remercier elle lui donne trois pains pour les trois chiens qui gardent l'entrée de la grotte cachée dans un éboulis de pierre, sur l'autre versant de la montagne ; elle lui donne aussi une fiole pour endormir l'ogre qui garde le jardin et lui conseille de jeter des miroirs derrière lui pour détourner son attention s'il le poursuit.

Andalousie :

Le jeune homme traverse la montagne des Azalées 3 chiens_Cerbère_http://laussibiencachee.blogspot.fr/2012/03/cerbere.htmlet voit une grotte ouverte comme le grand portique d'un palais mille fois plus splendide que dans ses rêves les plus fous. Vite, il jette les 3 pains aux 3 chiens, traverse une cour pavée de marbre et se trouve dans un jardin rempli d'arbres magnifiques ; le palais comme le jardin comme la maison semblent déserts.
Orangers_http://marilyneengrece.blogspot.fr/Il parcourt toutes les allées, examine tous les bosquets et finit par découvrir au milieu de mille autres un oranger tout en fleurs, mais qui porte à l'une de ses branches trois oranges solitaires. Mais au pied de l'arbre dort, la bouche grande ouverte, un monstre dont la queue, gigantesque, s'enroule autour du tronc : c'est le gardien … Ses ronflements soulèvent les feuilles de l'oranger. Le jeune homme verse 3 fois 3 gouttes dans la gueule du monstre … et d'un saut, d'un seul, atteint la branche, la casse et se sauve en courant de toute la vitesse de ses jambes, en emportant les trois fruits merveilleux.

Languedoc (version longue) :
Mais le bruit de la branche cassée réveille le monstre géant qui se lance à la poursuite du jeune homme … il va le rattraper … Le prince jette les miroirs de ci, de là … le ciel s'y reflète, le soleil y jette ses rayons. Le monstre s'arrête intrigué … et il découvre son reflet pour la première fois, puis un second reflet dans un second miroir … à la recherche de son image, il en oublie ce qu'il cherchait ... Le prince court loin d'ici en tenant bien serré contre son cœur les trois oranges ...

Andalousie :

Le jeune prince doit maintenant refaire en sens inverse le chemin qu'il vient de parcourir. Il a grand'faim – les émotions ça creuse et il n'a plus de pain, il a tout donné aux 3 molosses …. il ne voit plus aucune habitation dans la campagne. Il ne retrouve pas la ferme où il a rencontré la femme au four … Les trois oranges embaument ; il salive à l'idée de se rafraîchir de leur jus …
- Bah ! À quoi bon avoir trois oranges d'amour si je meurs de soif.
3 oranges_1 coupée_http://en.wikipedia.org/wiki/Orange_%28fruit%29
Il choisit la plus petite, l'ouvre et pousse un cri de surprise : de l'orange entr'ouverte une jeune fille sort, s'étire et baille : elle est si belle que le prince affamé en perd l'appetit et reste là, bouche bée, tout ébloui à la contempler :
- Donne-moi du pain !
- Je n'en ai pas !
- Alors, je rentre dans ma petite orange et je retourne à mon arbre.
Et l'orange, se refermant, disparaît. Ce jeune homme n'a rien à partager avec elle, alors autant revenir à son arbre, en attendant mieux ...

Variante d'après le conte des Asturies :
Le jeune homme reprend sa route et arrive à une auberge ; il y commande (enfin!) à manger, du pain, un pichet de vin et une autre d'eau. Pain_boule_La mie calineUne fois restauré il s'assoit un peu à l'écart, emportant avec lui un pain et une gourde de vin. Il ouvre la deuxième orange, espérant voir une fille aussi merveilleusement belle que la première. Elle est encore plus jolie ! Elle s'étire et demande du pain : il lui donne un bon gros morceau du pain qu'il a gardé. Elle lui demande de l'eau, mais le prince lui propose la gourde de vin … Et l'orange, se refermant, disparaît. Gourde_de_vin_Bota_de_vino_wikipediaComme la première fille de l'oranger, elle retourne à son arbre puisque le prince n'a pas su pourvoir à ses besoins.

Andalousie :

Le prince qui tient toujours son morceau de pain à la main, se remet en marche et cherche longtemps une source. Quand il l'a enfin trouvée, il remplit d'eau une coquille de nacre qu'il porte toujours sur lui ; il dispose le pain et l'eau sur une pierre plate, et ouvre la troisième orange. Une troisième jeune fille en sort plus resplendissante encore que les deux autres. Pain_boule_La mie caline
- Donne-moi du pain !
Le prince qui n'a jamais vu beauté si parfaite demeure un moment en extase devant elle, puis lui tend le morceau de pain. Elle sourit.
- Donne-moi de l'eau !
coquille_saint_JacquesIl lui tend la coquille de nacre. Il ose à peine respirer, tant il a peur de la voir disparaître comme les autres.
- C'est bien, lui dit la jeune fille, en souriant de nouveau. Tu es brave, puisque tu m'as cherché si loin, tu es avisé, puisque tu as su trouver de quoi satisfaire mon désir. Je serai ta femme.
Un an tout entier, Bebe_fleur_Anne_GEDDES ils vécurent dans un beau jardin secret des jours de bonheur et des nuits de félicité ; un fils naît, plus beau que le soleil.

Lorsque l'enfant eut dix mois, le prince se souvint que son père l'attendait et qu’il lui fallait regagner son royaume dans un délai de deux ans sinon il serait déshérité. Il prend son cheval, sa femme et son fils, et les voilà partis. A quelques lieues de la ville, dans une forêt très touffue, il dit à la princesse :
- Demeure ici avec notre fils, je vais en avant me présenter au palais de mon père, puis je t'apporterai ici tout ce qu'il te faut pour que tu puisses paraître devant lui dans un équipage digne de ta beauté !
Pour qu'elle soit bien cachée en son absence, le prince fait pour elle et pour l'enfant une retraite sûre, cachée aux regards : sur un gros arbre, à l’endroit où les branches maîtresses se séparent du tronc, il aménage une chambre spacieuse, dissimulée dans la verdure. fontaine_et_arbre_LeroyMerlinAu pied de l'arbre, un bassin de marbre blanc recueille l'eau d’une source voisine. Le prince recommande à sa femme de ne se montrer à personne et de ne pas sortir, sous aucun prétexte, de sa retraite, en attendant son retour. La jeune femme s'installe commodément, sans avoir le vertige nullement : n'est-elle pas fille de l'oranger ?
Reflets_visage_http://plumelamy.centerblog.net/709-reflet-un-visage-dans-eau-mauve-Quelques jours passent tranquillement : la jeune femme joue tout le jour avec son fils et lui chante des berceuses le soir. Pour passer le temps, elle passe sa tête entre les feuilles et s'amuse à voir son visage encadré de verdure se refléter dans l'eau.
femme_cruche_http://www.egyptedantan.com/vie_quotidienne/vie_quotidienne9.htmUn matin, elle voit s'avancer une jeune femme très brune qui porte sur la hanche une cruche. La princesse, curieuse, se penche pour mieux la regarder.
- Comme je suis belle ce matin ! s'écrie la noiraude en apercevant tout à coup dans le miroir de la fontaine le visage de la jeune femme qu’elle prend pour le sien. Vraiment je suis trop jolie pour porter de l'eau !
Elle casse la cruche en mille morceaux et part en chantant. Le conte ne dit pas si sa maîtresse était contente de constater que la cruche était brisée ...

Le lendemain, elle revient avec une cruche neuve ; elle voit de nouveau la figure de la jeune femme.
- Qui oserait me traiter de moricaude ? J'ai les joues roses, le front blanc, mes cheveux sont une lumière d'or ! Je suis vraiment trop jolie pour porter de l'eau !
Elle casse la cruche neuve en mille morceaux et part en chantant. Je n'ose vous dire à quel point sa maîtresse a été fâchée devant tant de bêtise ...Femme_Cruche_Source_Palais_Catherine_Saint_Pétersbourg

Le troisième jour, la même servante revient encore, mais avec une cruche de cuivre  :
- Si le roi me voyait, il me ferait reine. Je suis trop jolie pour porter de l'eau. Allons à la cour du roi !
Et comme les autres fois, elle veut briser sa cruche mais plus elle la cogne sur le marbre de la fontaine et plus la cruche de cuivre se déforme en mile bosses. La jeune femme qui la regarde à travers les branches ne peut retenir un éclat de rire.
La noiraude lève la tête et aperçoit le visage qu'elle avait pris pour le sien. Elle se penche de nouveau sur la fontaine et se voit réellement comme elle faite : sa peau est foncée, ses lèvres épaisses, et ses yeux sont agrandis par la surprise. Et la belle qui rit … C'est comme un coup de poignard dans son cœur : elle se rappelle que le prince s'était bien moquée d'elle ... et maintenant cette jolie fille qui vient d'on ne sait où … L'envie de se venger la possède : elle prend une voix douce pour faire parler la belle et savoir qui elle est :
- Madame, ne vous moquez pas de moi, il est si triste d'être laide ! Laissez-moi vous regarder de plus près !
- Je ne voulais pas vous faire de peine, excusez-moi, répond la princesse touchée, mais je ne peux pas descendre !
- Pourquoi ?
- Parce que j'attends ici le prince qui doit venir me chercher.
- Comme c'est dommage ! J’aimerais coiffer vos beaux cheveux que le vent a dérangés : le prince vous trouvera cet fois plus belle à son retour.
- Si j'étais seule, dit la jeune femme hésitante, je me risquerais à descendre, mais j'ai un fils qui dort et qui pourrait se réveiller.
- Un fils ! Vous avez un fils ! Il doit être, comme sa mère, fait de pétales de roses pétries dans du lait. Montrez-moi ce bel enfant et je partirai contente !
- Bon, je vais descendre ; vous verrez mon fils, vous tresserez mes cheveux à votre gré, et vous me pardonnerez de vous avoir fait de la peine en riant comme je l'ai fait !

coiffure-avec-des-tresses_http://www.modelecoiffure2014.com/15-modeles-de-coiffure-avec-tresses-pour-femmes/modele-de-coiffure-2014-avec-tresse-2/Elle descend et pose sur l'herbe l'enfant endormi ; la bohémienne fait tout un tas de compliments en peignant les beaux cheveux dorés, et la jeune femme, naïve et confiante, lui raconte toute son histoire. La bohémienne, un peu sorcière, prend trois épingles d'acier dans la poche de son tablier et prononce trois mots magiques, puis les enfonce dans la tête de la princesse... qui se change en une tourterelle blanche ; Tourterelle_http://www.photos-neuch.net/Faune/Oiseaux/colombe.html l'oiseau se met roucouler si tristement que le petit enfant se met à pleurer. La bohémienne veut le consoler, mais il crie encore plus fort et la repousse de ses petits poings. Alors elle le regarde durement, elle lui fait si peur qu'il s'arrête net de crier. La servante remonte avec lui dans le grand arbre et attend le retour du prince, bien décidée à prendre la place de la fille de l'oranger au palais.

Le soir même, le prince revient avec une escorte. La servante l'appelle sans se montrer :
- Est-ce vous, mon cher mari ?
- C'est moi, descends vite, avec notre fils, répond le prince.
Lorsqu'elle parait avec l'enfant dans les bras, le prince recule de surprise.
- Où est la princesse ?
- Il n'y a pas ici de servante, il n'y a pas ici d’autre princesse que moi.
Le prince ne peut croire que sa belle ait changé à ce point là et en si peu de temps ; il cherche dans l'arbre ; il interroge la servante qui lui répond exactement comme aurait répondu la princesse. Le prince est troublé :
- Comment es-tu devenue si noire ?
- Vous le savez, Seigneur, le soleil et le grand air rendent les figures noires. Je suis hâlée, mais cela passera quand je vivrai au palais !
Le prince, désolé, l’emmène avec son fils, mais le vieux roi se fâche tout rouge :
- Ce n'était vraiment pas la peine d'aller chercher si loin une fille aussi laide et aussi noire de peau quand nous avons ici tant de jolies filles. Si tu as voulu te moquer de moi, tu as fort bien réussi !
Le vieux roi fut si choqué qu’il mourut quelques semaines plus tard. Le prince en fut bien attristé, bien qu'héritant du royaume, mais la servante noiraude était reine désormais.

Quelques jours après la mort du vieux roi, le jardinier voit dans les allées du parc une tourterelle qui semble le suivre à distance. La tourterelle se met à roucouler doucement et le jardinier comprend tout ce qu'elle dit !
Jardinier_conte-animé_le-hibou-et-le-jardinier_http://vimeo.com/28822202 - Jardinier du roi, comment va le roi ?
- Le roi se porte bien !
- Qu'il soit heureux. Et la reine noire ?
- Elle va bien.
- Qu'elle soit maudite ! Que fait l'enfant ?
- Comme tous ses pareils, parfois il rit, parfois il pleure, mais c'est un beau petit roi.
- Que Dieu le garde ! Merci, jardinier du roi !
Le lendemain, même chose :
- Jardinier du roi, comment va le roi ?
- Bien !
- Que son sommeil soit doux. Et la reine noire ?
- Elle va bien.
- Que son sommeil soit sans réveil ! Et l'enfant ?
- Ce matin il chantait quand j'ai porté des fleurs au palais.
- Hélas ; et moi sa mère, je pleure.
A ce moment, la reine noire apparaît au détour de l'allée et se met en colère :
- Je ne veux pas voir de tourterelle dans ce jardin, ce sont des oiseaux de malheur. Prenez-les toutes et portez-les à mon cuisinier qui les fera cuire à la broche. Si dans huit jours il en reste encore une seule, je vous fais couper la tête !

Le jardinier fut bien forcé d'obéir ; il tendit des pièges avec de la glu et le lendemain la tourterelle blanche était prise avec les autres ; il en fut bien triste. Tandis qu'il essaye de la dégager doucement sans abîmer ses plumes, elle parle de nouveau, en roucoulant :
- Jardinier du roi, comment va le roi ?
- Bien !
- Et la reine ?
- Bien.
- Et l'enfant ?
- Il pleurait ce matin en appelant sa mère.
- Hélas ; et moi, sa pauvre mère, je vais mourir !
Le roi vient à passer ; il voit la tourterelle prisonnière.''
- Porte cet oiseau au petit prince, il aura plaisir à jouer avec elle.

Au dîner, le petit prince emporte la tourterelle avec lui et la pose sur la table.
- D'où sort cette bête ? dit la reine noire furieuse, Je ferai couper la tête du jardinier !
- Comme tu deviens méchante ! lui dit le roi et il soupire en se rappelant la douce jeune fille qu’il avait aimé parmi les fleurs du jardin merveilleux.
La tourterelle fait gravement le tour de la table et comme font ses semblables, elle salue en roucoulant les objets qu’elle trouve à son goût. Pour la plus grande joie du petit prince, elle picore dans son assiette un grain de riz puis elle va prendre un grain de riz dans l'assiette du roi ; enfin, elle s'approche de l'assiette de la reine, elle se tourne et dépose une petite chose innommable.oiseau_Tourterelle_main La reine est furieuse mais le roi ne peut s'empêcher de rire. Il caresse doucement l'oiseau en le prenant dans ses mains et sent les trois épingles ; il les retire et retrouve entre ses bras sa femme, la belle princesse, libérée du sortilège.

princesse_plumes_blanches_http://www.ramses.coLa jeune femme, riant et pleurant à la fois, lui dit comment la bohémienne l'a trompée. Le jeune roi veut emprisonner la sorcière, mais elle s'est enfuie. Seulement, en courant dans un couloir obscur elle tombe par une trappe ouverte au-dessus des cuisines, dans une grande marmite pleine d'huile bouillante où elle est frite en un instant.

Le roi et la reine vécurent des jours heureux dans leur beau palais, avec le petit prince et les nombreux petits frères et petites sœurs qui vinrent au monde par la suite.

Comme il se dit dans les contes :
« Ils eurent beaucoup d'enfants et vécurent heureux » ...
et ils vécurent heureux malgré leurs nombreux enfants et quelques petits pépins ...

Illustrations :

  • Affiche ''L'amour des trois oranges" : http://alisonchin.com/L-amour-des-trois-oranges
  • Danseuse tsigane du cirque Romanes : http://www.cezam-iledefrance.fr/?mode=actualites
  • 3 oranges : photo de Ellen Levy Finch, Wikipédia
  • Vieil homme assis à la fontaine : druide, http://eden-saga.com
  • Alhambra : gouache de Adolf Seel, Innenhof der Alhambra wikipedia
  • Palais royal de Madrid : http://www.photo2ville.com/photos-madrid/palais+royal+de+madrid-345.html
  • Forteresse de Loarre : http://www.lefigaro.fr/lefigaromagazine/2007/11/19/01006-20071119ARTFIG00451-darides-deserts-coupes-de-canyons-verdoyants.php
  • Femme au four à pain : Jean-François Millet: "Femme au four à pain", 1854.
  • 3 chiens : http://laussibiencachee.blogspot.fr/2012/03/cerbere.html
  • Orangeraie : http://marilyneengrece.blogspot.fr/
  • 3 oranges : http://en.wikipedia.org/wiki/Orange_%28fruit%29
  • Pain : boule de pain, La mie caline
  • Bébé : Anne GEDDES
  • Fontaine : Leroy Merlin
  • Reflets d'un visage dans l'eau : http://plumelamy.centerblog.net/709-reflet-un-visage-dans-eau-mauve-
  • Servante : http://www.egyptedantan.com/vie_quotidienne/vie_quotidienne9.htm
  • Femme à la cruche : sculpture du jardin du Palais Catherine à Saint Pétersbourg
  • Coiffure avec des tresses : http://www.modelecoiffure2014.com/15-modeles-de-coiffure-avec-tresses-pour-femmes/modele-de-coiffure-2014-avec-tresse-2/
  • Tourterelle : http://www.photos-neuch.net/Faune/Oiseaux/colombe.html
  • Jardinier : conte animé Le hibou t le jardinier , http://vimeo.com/28822202
  • robe avec des plumes : http://www.ramses.co


Sources d'inspiration :

Contes utilisés :

1/ ESPAGNE : Andalousie

  • Les trois oranges, conte populaire andalou, rapporté par Marguerite Soupey, Contes et Légendes d'Espagne, Fernand Nathan, Collection des Contes et Légendes de tous les Pays, 1922, 1934, 1958, 1973. Ce texte a servi de base à la réécriture de ce conte avec quelques ajouts cueillis de ci de là, comme de délicieuses oranges … Texte en fichier joint, format pdf Les trois oranges_ESPAGNE__Andalousie_Soupey


2/ ESPAGNE : Asturies

  • Les trois oranges d'amour, conte des Asturies, Alfred de Musset : en ligne ici. J'ai retenu dans ce conte les 3 pains lancés aux 3 molosses qui gardent l'entrée de la grotte où se cache le jardin des trois oranges et les 3 apparitions de la femme qui lancé la malédiction.
  • Les trois oranges d'amour, conte des Asturies, Carmen Bravo-Villasante, « 17 contes d'Espagne, Flammarion, 1980 et Castor Poche, Flammarion, 1987. Version semblable à celle d'Alfred de Musset, dans une réédition plus facile à trouver.


3/ LANGUEDOC : Narbonne

  • Les trois oranges (Las tres naranjas), conte du Languedoc, Claudine et Daniel Fabre, Récits et contes populaires du Languedoc/3, Gallimard. Conte relevé à Narbonne par le Dr Guibaud vers 1885 et publié par L. Lambert, Contes populaires du Languedoc en 1899. En ligne ici. D'après le titre originel (Las tres naranjas), ce conte nous vient très certainement d'Espagne même s'il a été conté et collecté à Narbonne. Jusqu'au dix-neuvième siècle, les paysans pyrénéens partaient dès le début du printemps vers Valence, Teruel ou Saragosse pour faire le foin ou les blés. Ensuite ils «remontaient» par étape vers leurs terres pour la mi-juillet. Certains contes ont sans doute cheminé avec eux. Deux personnages particuliers : le vieil homme assis à la fontaine et la femme qui balaie son four et donne une fiole pour endormir le génie et des miroirs.
  • Les trois oranges, Michel Cosem, Contes des Pyrénées, Milan, tome I : 2001, tome II : 2003. Ce conte, très populaire en Espagne, a été collecté en Ariège. Identique au précédent, mais le recueil, plus récent, est plus facile à trouver en librairie. Texte en ligne ici.


Autres versions du conte :

  • Ré et Philippe Soupault, Les Filles de l'oranger, conte d'Iran, Histoires merveilleuses des cinq continents, Seghers, 1985, 1990. La trame de ce conte comporte beaucoup d’éléments qui rappellent les 1001 nuits : Le roi fait un vœu pour la guérison de son fils, le prince reçoit 3 conseils après avoir donné une pièce d'or à la vieille femme qui l'a fait rire : Au pays des génies, au milieu d'un jardin, il y a un oranger. Dans chacune des oranges se trouve une jeune fille. Mais des milliers de génies montent la garde autour de cet arbre ; il ne faut pas cueillir avec la main, et prendre du sel et des épingles. Le prince s'empare de trois oranges en coupant avec une cisaille, puis en lançant un bâton, et la dernière avec la main, ce qui réveille les génies qui gardent le jardin, car l'arbre parle... Le sel et les épingles lui permettront de détruire les génies. Il ouvre les oranges précipitamment. Les 6 filles qui sortent des oranges meurent. La septième fille de l'oranger accepte de l'épouser car il a su prévoir pour elle du pain et de l'eau. Elle sera tuée par une servante noire qui usurpera sa place, mais du sang naît une plante aux fleurs d'or ; une lavandière emporte chez elle quelques branches chez elle et c'est ainsi que la fille de l'oranger revit. A la manière de vivre des femmes orientales, la fille de l'oranger devient brodeuse de perles pour entrer au palais où elle conte son histoire dans l'atelier de broderie : ainsi la vérité est révélée et déclenche la violence de la fausse fiancée, ce qui pousse le prince à intervenir et il reconnaît à ce moment sa fiancée véritable.A découvrir dans l'article Les filles de l'oranger


  • Paul Delarue, Les Péris des Trois Oranges, conte d'Orient, Incarnat blanc et or, Les quatre jeudis


  • L'Amour des trois oranges, op.33, est un opéra en un prologue et quatre actes (dix tableaux) de Sergueï Prokofiev. L'opéra fut créé en version française en 1921 (livret de Prokofiev et de Véra Janacopoulos) puis représenté en russe à Léningrad en 1927. L’opéra retrace les aventures d’un prince très peureux que Truffaldino, spécialiste en farces et attrapes4, est chargé de guérir par le rire. Il est aidé par le pitoyable mage Tchélio qui s’oppose à l’efficace Fata Morgana, sorcière associée à Léandre et Clarice (ils veulent prendre la place du prince dès son décès). Fata Morgana impose au Prince la conquête de l’amour des trois oranges, gardées par une horrible cuisinière. Le Prince y parvient avec l’aide de Truffaldino et les oranges font place à trois belles princesses dont deux meurent rapidement de soif. Grâce à l’intervention du chœur des « Ridicules », la troisième jeune fille, la princesse Ninette, est sauvée de la mort. Mais alors que le Prince s’en va pour lui chercher une robe digne de la cour, elle est transformée en rat par Fata Morgana aidée de son esclave Sméraldine. Après quelques ultimes péripéties, la princesse Ninette retrouve une forme humaine et épouse le Prince. (wikipédia)


  • Le drame lui-même est basé sur le conte fantastique L'Amour des trois oranges (1761) de Carlo Gozzi qui en a tiré une pièce de théâtre.
  • Carlo Gozzi a été lui-même inspiré par Le Conte des trois cédrats figurant dans le recueil "Le Conte des contes" (1634-1636 ; récit n° V-9) de Giambattista Basile.


Un tableau a été élaboré par mes soins pour comparer ces 4 contes Il est en document joint, version pdf, sous licence creative commons : Les trois oranges_4 contes_Tableau_LicenceCreativeCommons_Patricia GUSTIN.

Adaptations récentes :

  • Michel Hindenoch : Les trois oranges , Les plus beaux contes de conteurs, Syros Jeunesse, 1999. Cette version assez longue est proche du conte d'Iran Les filles de l'oranger et, comme dans le texte d'Alfred de Musset (version d'Espagne), on y voit la Fille de l'oranger changée en oiseau.


  • Hélène Loup : L’Amour des trois oranges in : "Le jeu de la répétition dans les contes, ou comment dire et redire sans répéter", Editions Edisud, collection "l'Espace du conte", 2000, p 70 à 84. Vous pourrez découvrir ce texte sur le blog de Kasimir : Le conte des trois oranges en quatre articles. Il y a là un amalgame fait à partir de la version d'Iran en ajoutant des personnages et des aides magiques. Un peu (trop ?) complexe … mais de belles images surgissent au détour de jolies expressions.


  • Henri Gougaud, L'amour des trois oranges, L'arbre à soleils, Editions du Seuil, p 257 Le héros arrive dans le château du bout du monde, parvient à y entrer, rencontre une vieille immémoriale, qui va lui donner les trois oranges, etc. - et elle a une chevelure emmêlée, encombrée de toutes sortes de bestioles, d’insectes, de toiles d’araignées, etc. Et longuement, aussi longuement qu’il le faut, le héros va coiffer la vieille, pour l’amadouer et la convaincre de l’aider. Entretien avec Henri Gougaud, propos recueillis par Patrice van Eersel Les contes remontent à la préhistoire


  • Les filles de l'oranger, adaptation personnelle faite en juillet 201 à partir du conte venu d'Iran, à lire dans l'article ''Les filles de l'oranger''


Les filles de l'oranger à travers 4 contes

Deux articles complètent cet article :

Ils sont consacrés à 4 contes sur le thème des trois oranges, ou des filles de l'oranger

  • Les Filles de l'oranger, conte d'Iran (Orient),
  • Les trois oranges d'amour, conte des Asturies (Espagne),
  • Les trois oranges, conte populaire andalou (Espagne),
  • Les trois oranges (Las tres naranjas), conte du Languedoc certainement venu d'Espagne vu le titre originel (France).


Les trois oranges d'amour (2) - Un conte qui nous vient de loin ... - 4 versions comparées

  • un résumé de chacun des textes et l'original en fichier pdf joint,
  • un tableau comparatif du déroulement du récit dans ces 4 contes (fichier joint en pdf).


Les trois oranges d'amour (3) - Un conte riche de sens - 4 versions étudiées

  • la mythologie grecque et romaine très présente dans la présentation du jardin et de la fille de l'oranger (Asturies)
  • les forces de nature jalonnent la quête du prince (Andalousie)
  • les objets magiques (Iran, Languedoc) présents dans toutes les versions correspondent aux coutumes et croyances du pays où se situe le conte