Le soleil, le gel, le vent

Un conte de Biélorussie collecté par Afanassiev, que j'ai adapté pour un jeune public

creative-commons_by-nc-sa_http://creativecommons.org/licenses/by-nc-sa/2.0/fr/
homme_russe_moujik_http://www.blogg.org/blog-53326-themes-mes_amis_les_mots-116907-offset-20.htmlUn jour d'automne, un paysan s'en revenait vers son village natal après tout un été d'absence  : il s'était loué pour ramasser les fruits, les melons, avait fait les moissons, puis les vendanges.
En chemin il croise trois beaux messieurs. On aurait dit trois seigneurs … Ils avaient fière allure et quelle prestance ! Ils allaient, sûr d'eux, on sentait leur force et leur autorité. Le paysan s'écarte pour les laisser passer, se découvre et esquisse un profond salut, accompagné d'une révérence. Il poursuit son chemin mais, il n'avait pas fait trois pas que ces messieurs le rappellent :
- Dis-nous bonhomme : nous sommes trois, et tu as fait une seule révérence. Lequel de nous as-tu salué ?
Voilà notre paysan bien embêté. Comment répondre ? S'il en désigne un, au hasard, il va se faire un ami, certes, mais deux ennemis ! Qui désigner ? Pour gagner du temps, et pour choisir en connaissance de cause, le paysan demande prudemment à ces beaux messieurs de se présenter :
- Puis-je vous demander à qui ai-je l'honneur, Messeigneurs ?

Soleil_LouisXIV_wikipediaLe premier gentilhomme s'avance : il a bonne mine, un peu bronzé, joues roses, il resplendit, rayonne de santé et de force. Ses yeux étincellent et vous réchauffent le cœur, ses cheveux couleur or brillent ; son manteau est rouge et or.
- Je suis le Soleil.

Gel_L'hiver_Louvre_WikipediaLe deuxième est mince et voûté. Il se frotte les mains et fait craquer ses doigts ; il a le teint pâle, et les yeux d'un bleu presque transparent : un regard qui vous glace jusqu'aux os ; ses cheveux sont blancs comme son manteau.
- Je suis le Gel.

Vent_Albin Denis_http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille018.htmLe troisième ne tient pas en place, il sautille à droite, à gauche ; ses vêtements sont en désordre et froissés, ses cheveux ébouriffés, son visage tout bosselé et ses joues rebondies et son regard vif se glisse partout : il a l'air d'avoir plus d'un tour dans son sac ...
- Je suis le Vent. %%

Je ne sais pas qui vous auriez choisi … Le paysan, lui, n'a pas hésité :
- C'est devant le seigneur Vent que je me suis incliné. Mes bons messieurs le Soleil et le Gel, j'espère que vous ne vous offusquerez pas ...

Oh oui, ils étaient vexés et très fâchés : Le soleil menaça le paysan de le faire griller comme une saucisse dès l'été prochain ; heureusement le vent souffla doucement à l'oreille du pauvre paysan qui s'inquiétait déjà pour les récoltes : il saurait le rafraîchir.
Le gel siffla entre ses dents une bise glaciale, un petit vent froid très désagréable, en susurrant à l'oreille du paysan que « la vengeance est un plat qui se mange froid » et qu'il saurait bien le geler sur place cet hiver ! Le vent rassure notre ami qui commence déjà à regretter son choix : il s'abstiendra de souffler dans sa vallée cet hiver. Tout le monde le sait : le froid est bien plus supportable quand il ne vente pas.

Une fois rentré chez lui, le paysan fit ample provision de bois pour passer l'hiver sans sortir de chez lui. Il craignait un peu le gel tout de même. Mais le gel vint très tôt cette année et dura tout l'hiver. Bien avant le printemps, notre paysan n'avait plus rien pour se chauffer. Il dut atteler le cheval à la carriole et partir en forêt pour refaire du bois.
Le gel n’attendait que ça : il se met à piquer notre paysan de droite et de gauche, se faufilant entre les gants et les manches, à travers l'écharpe, gelant le petit bout des oreilles qui dépassaient du bonnet et le bout du nez ! Ne parlons pas des orteils ou des doigts ! Le paysan ne pouvant plus tenir, saute de sa carriole et se met à courir sur le chemin à côté du cheval. Il se réchauffa vite fait ! Et en arrivant à la clairière où étaient les troncs à débiter en bûches, il a si chaud, qu'il enlève sa pelisse de mouton, ses gants et son bonnet pour être à l'aise pour couper le bois. Il nargue le gel :
- Merci compère, grâce à toi, je n'ai jamais été si vite ! Merci !
Le gel, très vexé, n'avait pas dit son dernier mot . «La vengeance est un plat qui se mange froid ... Attends un peu ! » Le gel se faufile dans les gants et le bonnet, puis recouvre de givre la pelisse de mouton : les vêtements deviennent froids et raides comme la glace... Lorsque le paysan a fini de ranger les bûches sur la carriole, il veut se rhabiller … Impossible ! Mais rapide comme l'éclair il saisit sa cognée (grande hache) et tape avec le manche sur les gants, le bonnet et la pelisse : le givre commença à voler en éclat et le gel s'enfuit en crissant, en mille morceaux, sauvant sa peau de justesse.

Le reste de l'hiver s'est passé sans problème et sans bourrasque, car le gel s'était réfugié au Nord, mais en passant il était allé se plaindre au soleil.

Au printemps, le soleil riait là-haut dans le ciel :
- Parfait, je vais pouvoir prendre ma revanche et venger ce pauvre gel.
Le soleil commence par réchauffer la terre toute engourdie par le gel, puis il caresse les fleurs, mais chauffe l'air tant et tant que les plantes sèchent sur pied, la terre se craquelle, le paysan s'épuise à charroyer des seaux d'eau pour arroser son potager … la sueur lui dégouline sur le front, dans le cou, inonde son dos …
Heureusement, le vent ne l'a pas oublié : il souffle un petit air frais pour le rafraîchir, se faufile sous sa chemise pour sécher sa sueur et lui redonner des forces : c'est un peu familier mais très agréable : le vent pousse même un petit nuage au-dessus de son potager et de ses champs : le paysan achève ses semis et ses labours en un temps record et fait un très belle récolte cette année-là ... et les années suivantes aussi car le soleil et le gel ne tentèrent jamais plus de l’ennuyer.

Girouette_jardinier_http://avis.plantes-et-jardins.com/6767-fr_fr/5650/reviews.htmVous aussi, choisissez bien vos amis ! Et si vous choisissez le vent, posez en signe d'amitié une girouette sur le toit ...


Sources :

  • Le soleil le gel et le vent in :"Les plus belles légendes de la mythologie russe", texte de E. Warner, adaptation de J. de Pass, Nathan 1986, p. 32
  • Le Soleil, le Gel et le Vent (conte biélorusse) in : AFANASSIEV, "Les contes populaires russe"s, Maison neuve et Larose, ou dans l'édition Imago
  • texte en ligne ici


Illustrations :

  • Moujik : paysan russe, http://www.blogg.org/blog-53326-themes-mes_amis_les_mots-116907-offset-20.html
  • Le soleil : Louis XIV habillé en soleil Victor Falk, wikipedia
  • Le Gel : L'hiver, sculpture attribuée à Pierre Ier Legros (Musée du Louvre), Urban, Wikipedia
  • Le vent : Insigne peint par Albin Denis pour le fuselage des Salmson 2A2 et des Letord de l'escadrille 18 en 1918 et de la 2ème escadrille du GB I / 34 (1938 - 1940), http://albindenis.free.fr/Site_escadrille/escadrille018.htm
  • Girouette : http://avis.plantes-et-jardins.com/6767-fr_fr/5650/reviews.htm


Le soleil et le vent

Une courte fable écrite par Léon Tolstoï ...

Le_voyageur_dans_le_vent_Meissonnier_wikigalleryLe soleil et le vent se prirent de querelle, chacun d’eux se prétendant le plus fort. La discussion fut longue, car ni l’un ni l’autre ne voulut céder. Ils virent un cavalier sur la route et décidèrent d’essayer, sur lui, leurs forces.
Regarde, disait le vent, je n’ai qu’à me jeter sur lui, pour déchirer ses vêtements.

Et il commença à souffler de toutes ses forces. Plus le vent faisait d’effort, plus le cavalier serrait son kaftan ; il grognait contre le vent ; mais il allait plus loin, toujours plus loin. Le vent se fâcha, déchaîna sur le voyageur pluie et neige ; mais celui-ci s’entoura de sa ceinture et ne s’arrêta pas.

Le vent comprit qu'il n’arriverait pas à lui arracher son kaftan et le soleil sourit, se montra entre deux nuages, sécha et réchauffa la terre, et le pauvre cavalier, qui se réjouissait de cette douce chaleur, ôta son kaftan et le mit sous lui.
Vois-tu, dit alors le soleil au vent malveillant, avec le bien on obtient plus qu’avec le mal.


... et reprise par Nelson Mandela, Conversations avec moi-même – Lettres de prison, notes et carnets intimes, Éditions de Noyelles, 2010, p 260

Je comparais la force de la paix à celle de la violence à travers l'histoire d'une dispute entre le soleil et le vent. Le soleil dit : « Je suis plus fort que toi », et le vent répond : « Non, c'est moi qui suis le plus fort. » Pour se départager, ils décident d'éprouver leur force sur un voyageur … qui porte une couverture. Ils se mettent d'accord pour déclarer que celui qui amènera le voyageur à se débarrasser de sa couverture l'emportera. Le vent commence. Il se met à souffler, mais plus il souffle fort, plus le voyageur s’accroche à sa couverture. Le vent souffle encore et encore mais en vain. Plus il souffle, plus le voyageur serre la couverture contre lui. Le vent finit par abandonner. Alors le soleil commence avec ses rayons, doucement d'abord, plus ils gagnent en puissance et à mesure qu'ils chauffent … le voyageur se dit que la couverture ne lui est plus très utile, puisqu'elle était destinée à lui tenir chaud. Il décide donc de la desserrer un peu, mais le soleil continue à rayonner, de plus en plus fort, et il finit par la rejeter. Donc, grâce à une méthode douce, il est possible de l’emporter. Cette parabole signifie que, par la paix, vous pourrez convertir les gens les plus déterminés, les plus enclins à la violence, et que c'est la méthode à employer.

«Penser avec le cerveau pas avec le sang. » Nelson Mandela, p 354

Un peu de vocabulaire :
"Kaftan", "caftan" ou "cafetan" : Le caftan est un vêtement porté dans diverses régions à travers le monde : Asie centrale, Perse, Inde sous la dynastie moghole fondée par Bâbur, certains États indépendants de l'actuelle Italie comme la République de Venise, l'empire omeyyade et Empire ottoman. Le terme recouvre en effet une grande variété de tuniques longues existant ou ayant existé à différentes époques. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Caftan) (http://www.cnrtl.fr/definition/caftan)

  • Riche vêtement oriental en forme de longue pelisse fourrée que les souverains offraient, les jours de cérémonie, aux personnages de rang élevé. Le cafetan de soie du Mameluck (Chateaubriand, Mémoires d'Outre-Tombe, t. 1, 1848, p. 3)
  • Robe fourrée portée en Europe centrale et en Orient par les Juifs


Sources :


Illustration :

  • Le voyageur dans le vent, (Le Marechal Ney A Cheval Luttant Contre Le Vent) de Jean-Louis Ernest Meissonnier, http://www.wikigallery.org/wiki/painting_389386/Jean-Louis-Ernest-Meissonier/Le-Voyageur-%28Le-Marechal-Ney-A-Cheval-Luttant-Contre-Le-Vent%29