Askeladd et les canards d'argent du Troll
Par patricia gustin le samedi, avril 7 2012, 10:31 - Contes merveilleux - Lien permanent
Askeladd est le pendant masculin de notre Cendrillon. Ses frères âinés le jugent tout juste bon à nettoyer les cendres de la cheminée ... MAIS ...
Tout le monde, en Norvège, connaît le malicieux Askeladd. Il n’a pourtant rien d’héroïque ... C’est le rejeton d’une famille de miséreux, benjamin de trois frères que les siens considèrent comme un simple d’esprit car il passe tout son temps à rêvasser au coin du feu. Mais c'est lui qui épouse la belle princesse après avoir triomphé des épreuves ...
(Martine Desbureaux, Introduction in : Les aventures d'Askeladd, Flies France, 2011)
Les canards d'argent du Troll est un conte riche en rebondissements et riche de sens car il s'y mêle :
- le mépris pour le plus jeune qui préfère rêver que se vanter
- le respect de ce qui est transmis par les ancêtres (le pétrin)
- faire contre bonne fortune bon cœur
- la jalousie des deux frères aînés
- le mensonge, la calomnie
- un roi qui place mal sa confiance en son serviteur, une princesse et un beau mariage en conclusion du récit
- des épreuves affrontées avec calme bien que le héros risque sa vie
- un troll, esprit sauvage de la nature, mais assez facile à berner
- l'aide d'un objet légué par le père
- la ruse, la réflexion, la patience
- comme dans le conte de Grimm, Hansel et Gretel, Askelaad ne sera pas mangé en présentant à la jeune trollesse trois objets de taille différente à travers la fente de la porte (il faut du temps pour acquérir la maturité sexuelle ... et Askeladd sortira de l'épreuve en tant qu'homme capable de diriger sa vie plutôt que de la rêver)
- la fille du Troll sera consommée par son père (un double sens ? et c'est monstrueux !) ; dans le conte des frères Grimm, la sorcière est enfournée grâce à une ruse de Gretel
- Askeladd s'empare du trésor du Troll, épouse la fille du roi et obtient la moitié du royaume
- il pardonne à ses frères car, après tout, c'est indirectement grâce à eux et leur médisance qu'il a pu obtenir tout ça !
Et maintenant voyons plutôt comment Askeladd s'est sorti du pétrin dans lequel ses frères l'ont conduit ...
Et cric et crac !
Les canards d'argent du Troll
Résumé :
Askeladd, méprisé de ses frères qui le jugent tout juste bon à attiser le feu, est rejeté par eux. Il part seul, avec un vieux pétrin sous le bras, objet dédaigné par les deux frères bien que ce soit le seul héritage du père. Askeladd entre au service du Roi. Ses frères jaloux de sa réussite prétendent qu'il s'est vanté de voler le Troll. Prenant son pétrin comme barque, Askeladd va réussir à tromper le Troll à 3 reprises il lui dérobe ses 7 canards d'argent, son couvre-lit à carreaux d'or et d'argent, et sa harpe d'or qui chasse la tristesse. Prisonnier, il est engraissé (3 fois 7 jours) mais grâce à sa ruse, c'est la fille du Troll qui finira à la casserole ... Askeladd gardera de l'or et de l'argent pour lui, le roi le récompensera en lui donnant sa fille en mariage et il recevra la moitié du royaume. Pour finir, il pardonne à ses deux frères envieux qui l'ont mis dans le pétrin (dans tous les sens du terme) car, finalement, c'est grâce à eux qu'il a pu obtenir tout cela ...
Ma version :
Il était une fois trois frères dont le père était si misérable qu'à sa mort il ne leur laissa qu'une vieille cuve en bois à pétrir le pain, un pétrin. De quoi allaient-ils vivre désormais ? Ah, on peut le dire, ils étaient dans le pétrin !
Les deux aînés décident de s'engager chez le roi mais refusent de prendre avec eux leur jeune frère :
- Toi, Askekadd le bon à rien, tu restes ici au coin du feu à gratter dans les cendres, c'est tout ce que tu sais faire ! Tu vas nous encombrer plus qu'autre chose !
Et ils partent en claquant la porte.
Puisque c'est comme ça, j'irai tout seul ! » se dit Askeladd. Il prend sous son bras la seule chose de la maison qui a de la valeur : le vieux pétrin … Et il s'en va... cahin-caha ...
Il se présente au palais. On répond à Askeladd qu'on n'a plus besoin de personne : on vient d'engager un garçon d'écurie et un aide-jardinier (les deux frères). Mais Askeladd demande si poliment, toujours son pétrin sous le bras, qu'on le met aux cuisines pour porter le bois pour les fourneaux et aller chercher l'eau au puits. Askeladd, toujours gai, poli et serviable, se fait aimer de tous tandis que ces frères, grossiers, prétentieux et paresseux, récoltent plus de coups que de sourires. En plus des bleus ils deviennent verts … de jalousie... en voyant Askeladd apprécié de tous !
Le palais royal est bâti au bord d'un grand lac où nagent 7 canards d'argent. Ils appartiennent au Troll de la rive d'en-face. Le roi les voit nager sous ses fenêtres et rêve de posséder ces canards d'argent qui seraient bien mieux chez lui que chez cet immonde Troll puant !
Par jalousie, le frère aîné glisse à l'oreille du grand écuyer du roi :
- Ce petit morveux d'Askeladd prétend qu'il peut capturer les canards du Troll !
Il sait que l'écuyer répète tout au roi … (et l'écuyer , effectivement répète tout au roi ...)
Dès le lendemain, Askeladd est convoqué devant le roi qui l'interroge :
- Il paraît que tu peux me rapporter les canards d'argent du Troll ?
- Mais, je n'ai jamais rien dit de tel !
- Ce n'est pas ce qui m'a été rapporté, et de source sûre. Si tu refuses, tu perdras la vie !
- Bon, soupira le garçon, alors je vais tenter ma chance. Donnez-moi seulement un fût de seigle et un fût de blé.
Askeladd charge les deux fûts dans son vieux pétrin, le met à l'eau en guise de barque et rame comme il peut. Ah, on pouvait dire qu'il était dans un beau pétrin !!! Il répand sur la rive d'en face le grain et capture les 7 canards, embarque et rame de toutes ses forces.
Arrivé au milieu du lac, il entend gronder au loin … c'est la voix du Troll
- C'est toi qui as volé mes canards d'argent ?
- Ouiii ! crie Askeladd.
- Et tu comptes revenir ?
- Ça se peut !
Le roi est très content, il félicite Askeladd mais ses frères enragent. Le second frère glisse à l'oreille de l'écuyer :
- Askeladd se vante aussi de pouvoir voler au troll son couvre-lit à carreaux d'or et d'argent !
Évidemment, le roi veut le couvre-lit. Askeladd retraverse le lac, toujours dans le pétrin, et quel pétrin ! Arrivé devant la caverne du Troll, il attend que la femme du Troll aère le dessus-de-lit en le suspendant dehors … il s'en empare. Il embarque (toujours dans le pétrin) et rame, rame, rame … de toutes ses forces (normal, quand on est dans le pétrin).
Mais au milieu du lac, il entend gronder au loin … :
- C'est toi qui as volé mon couvre-lit d'or et d'argent ?
- Ouiii ! cria Askeladd.
- Et tu comptes revenir ?
- Ça se peut !
Le roi est si content qu'il nomme Askeladd premier valet de pied. Les frères enragent. Ils vont dire à l'écuyer :
- Ce n'est pas tout ! A l'entendre il serait même capable de voler au troll la harpe d'or qui guérit la tristesse !
Le roi fait venir Askeladd (jamais 2 sans Troll, euh …. jamais 2 sans 3 …) :
- Si tu réussis à le rapporter la harpe d'or du troll, tu auras la main de ma fille et la moitié de mon royaume. Sinon, ton compte est bon !
- Alors je n'ai pas le choix. Laissez-moi 6 jours pour réfléchir.
Le septième jour, Askeladd met dans sa poche un clou, une baguette de bouleau et un morceau de chandelle, et s'embarque dans son pétrin ... il était dans un drôle de pétrin … jusqu'au cou …
Arrivé de l'autre côté, il va roder non loin de la caverne du troll. Le Troll le voit et lui crie très en colère :
- C'est toi qui as volé mes canards d'argent et mon couvre-lit d'or et d'argent ?
- Oui, répond Askeladd, simplement ...
Le Troll se jette sur lui, l'emporte dans sa caverne et le lance à sa fille :
- Tiens, voilà notre voleur. Mets-le à engraisser ; lorsqu'il sera bien dodu, nous le mangerons.
La jeune trollesse enferme Alskeladd et le gave de toutes sortes de mangeailles.
Au bout d'une semaine, le Troll envoie sa fille tâter un peu le garçon pour voir s'il est assez tendre et charnu.
- Passe ton doigt par la fente de la porte
- Askeladd passe le clou qu'il a gardé en poche. A tâtons, dans le noir, la fille appuie son couteau et entend grincer la lame …
- C'est bien trop tôt, il est maigre comme un clou !
Askeladd est nourri pendant une semaine de plus.
Le huitième jour, le Troll envoie sa fille tâter et tester l'engraissement de son futur repas. Askeladd passe par la fente de la porte la baguette de bouleau. La trollesse retourne vers son père en secouant la tête :
- Il a un peu profité, mais il est encore sec, trop coriace.
Sept jours passent. Nouveau contrôle. Askeladd passe cette fois le tronçon de chandelle. La Trollesse tâte ...
- Mmmm ; il est bien tendre, bien gras, le couteau y entre comme dans du beurre.
- Parfait, répond le Troll, je vais chercher les autres pour ce festin. Pendant ce temps, tue-le, fais en cuire la moitié dans la marmite et l'autre à la broche.
Le Troll part. La Trollesse aiguise le couteau … criss, triss, criss, triss...
- Que fais-tu ?
- J'aiguise mon grand couteau.
- C'est pour me tuer ?
- Ben oui !
- Laisse-moi faire, tu ne sais pas t'y prendre. Je te le rendrai tranchant comme un rasoir : ça me fera moins mal !
La Trollesse lui passe le couteau et la pierre. Quand le couteau est bien aiguisé, Askeladd dit à la fille :
- Je crois que ça y est. Je peux l'essayer sur ta tresse pour voir s'il coupe bien ?
La Trollesse ouvre la porte et penche sa tête pour glisser le bout de sa tresse. Aussitôt Askeladd l'empoigne par les cheveux, la tire vers lui et l'égorge. Il suit la recette du Troll : la moitié à la marmite, l'autre à la broche, et dispose les morceaux sur la table... puis il enfile la jupe de la fille, noue son fichu sur sa tête et s'assoit à côté du feu.
Il était temps ...Le Troll arrive avec ses amis. Il invite sa fille à se régaler avec eux.
- Non merci, soupire Askeladd en imitant la voix de la Trollesse, je n'ai pas faim, je me sens triste, si triste aujourd'hui que cela m'a coupé l'appétit... gros soupir ...
- Eh bien, joue donc un morceau sur la harpe d'or, ça te réjouira le cœur ! - C'est vrai, fait Askeladd. Mais où l'as-tu donc rangée ?
- Voyons, tu sais bien qu'elle est toujours pendue au-dessus de la porte !
Le garçon ne se le fait pas dire deux fois : il décroche la harpe d'or et se met à jouer. Dès que les Trolls et autres monstres sont bien occupés à ripailler gaiement, il sort en douce de la caverne avec la harpe, saute dans le pétrin (c'est vrai, il n'est toujours pas complètement sorti du pétrin dans lequel l'a conduit cette histoire...) et se met à ramer si fort que l'eau gicle jusqu'au ciel !!!
Au bout d'un moment, une fois les invités et autres monstres partis, le Troll se demande où est passé sa fille. Il sort et aperçoit l'embarcation au milieu du lac.
- C'est toi qui as volé mes canards d'argent ? rugit-il
- Ouiii ! crie Askeladd.
- Et mon couvre-lit à carreaux d'or et d'argent ?
- Ouiii ! crie de nouveau Askeladd.
- C'est toi qui viens de me voler ma harpe d'or ?
- Ouiii !
- Alors, ce n'est pas toi que j'ai mangé ?
- Nooon, c'était ta fiiiille !
En entendant ces mots, le Troll éclate de fureur … pour de vrai … et son cœur éclate de chagrin. Voilà, il est mort.
Askeladd, voyant cela, retourne plusieurs fois dans la caverne du Troll pour prendre autant d'or et d'argent que le pétrin pouvait contenir. Depuis ce jour, il est enfin sorti du pétrin !!! Dé-fi-ni-ti-ve-ment ...
En rapportant la harpe d'or au roi, il reçoit comme promis, sa fille en mariage avec la moitié du royaume.
Et les deux frères envieux ? Askeladd leur a pardonné. Après tout, c'est grâce à eux, qu'après avoir nagé dans le pétrin, il a fait si bonne fortune !
Sources :
- Desbureaux Martine : Les aventures d'Askeladd, le petit futé dompteur de trolls, Contes norvégiens extraits des collectes de Jorgen Moe, Peter Chrisen Asbjornsen et d’autres folkloristes, Flies France, 2011
- Jorgen Moe, Peter Chrisen Asbjornsen, Contes de Norvège, Editeur Esprit ouvert, 1999
Les personnages
Askeladd, méprisé mais dégourdi :
Askeladd est un petit frère de la Cendrillon de Perrault. son nom signifie Cendre-Pied : en permanence assis dans l'âtre, il a les chaussons (labb) pleins de cendre (aske). Ce nom, il le doit à Jorgen Moe et Peter Chrisen Asbjornsen qui ont collecté et publié en 1844-1844 dans leurs Contes norvégiens la plupart de ses aventures. Dans la tradition populaire, il s'appelait en réalité Askefis ou Oskefis, littéralement Souffle-Cendres. Seulement voilà, le verbe fise signifie aussi péter ! Ce qui n'était guère convenable. Alors Asbjornsen et Moe lui ont fabriqué un autre nom, et c'est sous celui-là que notre héros est passé à la postérité. Mais il peut aussi se nommer Tyrihans, Jean l'affûteur d'allumettes, parce qu'il fait avec des branches mortes de pin (tyri) du petit bois pour allumer le feu.
(Martine Desbureaux, Introduction in : Les aventures d'Askeladd, Flies France, 2011)
Autres aventures d'Askeladd en ligne (cliquez sur le titre) :
- Menteur. Une variante a été rapportée dans le billet Contes et menteries
- Le pari entre Askeladd et le troll
Le Troll : bête mais pas si méchant que ça sauf quand il est en colère ...
Loin au nord, là où le mauvais temps fait rage l'hiver, il existe une contrée longue et étroite. Vous y trouverez des forêts sombres aux lacs reflétant la lune, des fjords profonds entourés par de hautes montagnes aux sommets enneigés, de longs fleuves et des ruisseaux froids dévalant la pente des montagnes. Les hommes ne tardèrent pas à se rendre compte qu'il existait des créatures qui se cachaient dans les forêts... Ils pensèrent qu'elles avaient des pouvoirs surnaturels et ils décidèrent de les appeler : Trolls ! Les Trolls étaient visibles pendant les nuits de clair de lune ou pendant les nuits de tempête, ce qui terrorisait les voyageurs !
A quoi ressemble un Troll ? Ils ont un nez long et crochu, quatre doigts, quatre orteils et la plupart d'entre eux ont une queue longue et touffue. Certains sont petits et d'autres sont géants. Certains récits parlent de trolls à deux, voire trois têtes, certains ne possèdent qu'un seul œil, d'autres auraient la tête et le nez entièrement recouverts d'arbustes et de végétation en forme de mousse. Leur faculté de changer de forme est l'une des nombreuses aptitudes surnaturelles des Trolls.
Bien que leur apparence soient effrayante, les Trolls ont la réputation d'avoir bon caractère et d'être naïfs. La majorité des Trolls vivent pendant des siècles. Ils sont très timides et préfèrent rester ignorés, cachés ... ainsi leur origine et leur mode de vie restent un mystère encore aujourd'hui. Mais leur colère peut être sans limite ! Il est par conséquent très important de ne pas s'en faire un ennemi car vous ne savez jamais quand vous en rencontrez un quand vous irez dans les forêts sombres de Norvège... Faites attention car, au crépuscule, vous ne serez peut être plus seul... mais en compagnie d'un Troll !
Extraits du site Norvege-fr.com
La collecte des contes norvégiens
Les deux philologues et écrivains allemands, Jacob et Wilhem Grimm, furent les premiers à se rendre compte que les contes populaires n'avaient pas seulement un intérêt artistique mais qu'ils pouvaient aussi avoir une valeur scientifique. Lorsque les deux frères se mirent à collecter les contes allemands en vue de les publier, le souci de fidélité à la tradition populaire fut le fil conducteur de leurs travaux. Les deux premiers collectionneurs de contes du folklore norvégien, en vue de leur publication, Peter Christen Asbjørnsen et Jørgen Moe, poursuivirent cette tâche dans le même esprit que les frères Grimm.
Dès 1840, Asbjørnsen et Moe commencent par publier leurs contes sous forme de petits fascicules. Le premier recueil de contes ne paraît qu'en 1852. L'ouvrage, rédigé dans un style facilement accessible à tous, restitue de façon heureuse et dans un style authentique le contenu des contes... Leur fidélité aux sources et leur parfaite compréhension de la valeur inestimable des contes font que ces recueils n'ont pas pris une ride.
La démarche d'Asbjørnsen et Moe consistait à noter succinctement la trame de l'intrigue et les répliques, à titre d'aide-mémoire. Ils s'installaient dans une salle de classe avec de bons conteurs, et relataient à leur manière à leur auditoire les histoires qu'ils avaient entendues, comme tout excellent conteur se plaisait à le faire. Asbjørnsen et Moe s'étaient donné le titre de «Compilateurs», voués à restituer ce fonds culturel en s'efforçant d'en faire une restitution fidèle: ils les reproduisaient selon leur propres termes « aussi fidèlement que possible de sorte qu'ils reflètent ce que nous avions entendu de la bouche du conteur... »
Pour en savoir plus, consultez l'article ''Contes et légendes populaires de Norvège - Trésors de notre patrimoine culturel'' d'où sont extraites ces informations.