Quelques contes tissés avec le fil de l'araignée

Contes de sagesse à lire dans cet article et ailleurs ...

  • La gourde de l'araignée - conte d'Afrique - Il n'y a personne qui ne connaisse rien, il n'y a personne qui ne connaisse tout ...
  • L'araignée et la famine - conte d'Afrique - A malin, malin et demi ...
  • Le fil de l'araignée - conte d'Asie - réécrit par Henri Gougaud - on ne peut se sauver soi-même sans esprit de partage ...
  • L'araignée qui avait des dettes - conte d'Europe de l'Est - conté ici Et voilà pourquoi l'araignée accroche sa toile, seule, dans un coin ...


Conte étiologique des origines, des commencements, des pourquoi et des comment ...

  • L'araignée et la mouche, une histoire brûlante ... - conte russe - à lire ici : et vous saurez enfin pourquoi l'araignée a une nette préférence pour les mouches ... la version de Luda a été reprise par Muriel Bloch dans son recueil "365 Contes des pourquoi et des comment" : Un feu d'enfer, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1997.
  • Comment grand-mère araignée dérobé le soleil - conte Cherokee (Amérique du Nord) - in "Mythes et Légendes du monde entier", adaptation de Josette Gontier, Gautier-Languereau/Hachette, 1999. Le peuple indien vivait dans les ténèbres. Renard parle d'un peuple qui vit de l'autre côté du monde et possède la lumière. Opossum y va pour ramener la lumière dans sa queue. Il se brûle. Faucon essaie de transporter la lumière sur la tête, et depuis il a la tête pelée. Grand-mère araignée fabrique une marmite en argile et rapporte le feu aux Cherokee et leur apprend faire du feu et fabriquer des poteries.
  • Muriel Bloch : Comment la mort est revenue à la vie, d'après la tradition Ashanati du Ghana rapportée par Kwesi Hutchinson (SLY), ill. Atak, Éditions Thierry Magnier, 2007. Album cartonné. Au début la Mort se tenait à l'écart des humains, trop occupée à amasser des richesses. Mais un jour, elle se lance à la poursuite d'une voleuse : Anansi, l'araignée. Dans sa poursuite elle sème la mort par son sifflement strident et son odeur fétide parmi ceux qui aident Anansi… Avec l'aide d'un sage, l'araignée prendra la Mort à son propre piège lui infligeant son chant mortel, et décidera de donner de « l'Eau de la vie » à tout ceux qui avaient été fauchés… Malheureusement, cette eau magique se renversera par accident sur la Mort, et ainsi « La Mort reviendra à la vie »… C'est depuis ce temps que la mort frappe les humains, cette fois ci en silence mais toujours avec la même puanteur.


  • Le premier capteur de mauvais rêves ? La toile de l'araignée au-dessus de la tête de l'Indien (en ligne ici ou)


Contes "modernes" suivez le fil de la Toile ...

  • Les araignées de Noël contée ici
  • La petite araignée dans la maison contée ici


La gourde de l'araignée

Une histoire africaine, qui vient du Togo, aborde d’une autre façon l’acquisition – et le partage – de l’indispensable connaissance.

Commère Yévi, l'Araignée, grand génie de la pensée, après avoir longuement observé les œuvres du monde, s'étonna du développement extraordinaire de l'intelligence des hommes et des animaux.
"Si je les laissais faire, se dit-elle, ils me supplanteraient, et je n'aurais plus aucune considération ".
calebasse_de_chasseur_CongoElle prit alors la résolution de les diminuer. Elle se procura une gourde, au goulot de laquelle elle attacha une corde, et elle se mit à retirer des hommes et des animaux tous les éléments ayant trait à la faculté rationnelle : connaissance, sagesse, réflexion, instinct, etc... Elle emballa le tout et le mit soigneusement dans la gourde qu'elle ferma hermétiquement.
"Où mettre ce trésor, se dit-elle, pour être à l'abri des indiscrétions ?".
Au bout de deux heures, elle trouva une solution : accrocher le trésor à la cime d'un arbre géant. Lorsqu'elle eut trouvé l'arbre, Yévi passa la corde autour de son cou et s'en vint au pied du garde-trésor, la gourde sur la poitrine. Elle saisit alors le tronc à bras le corps, et se mit à grimper, la gourde toujours sur la poitrine. Elle tomba, puis se releva et recommença à grimper. Mais elle n'arrivait pas à monter sur l'arbre.
"Non, se disait-elle, je dois souffrir mort et passion, mais j'arriverai au sommet". Et elle recommença ses tentatives.
Du haut d'un arbre, une tourterelle se mit à roucouler : Yétété, so goa yi gudo, Yétété, so goa yi gudo.gudo, gudo, gudo ! (Ce qui signifie : "Araignée, mets la gourde dans le dos, dans le dos !"). Ce juste rappel à la raison, venu d'une aussi pauvre créature que la tourterelle, surprit notre grand génie, qui comprit. Mais, honteuse de son manque d'esprit malgré la haute idée qu'elle se faisait d'elle-même, l'Araignée abandonna son entreprise. A quoi lui servait de porter toute la connaissance du monde si elle manquait de sens pratique ?
Et la tourterelle lui dit :"Il n'y a personne qui ne connaisse rien et il n'y a personne qui connaisse tout."
Si Yévi n'avait pas renoncé à son projet, il est certain que les hommes n'auraient plus d'intelligence et les animaux plus l'instinct.

Source de l'image :

  • wikimedia.org Calebasse de chasseur, pour le transport et la conservation du vin de palme. République Démocratique du Congo. Calebassier, bois, cuir, résine, plumes, fibres végétales, corne, fer, raphia. Début du XXème siècle. Museum d'Histoire Naturelle de La Rochelle, Charente-Maritime. Achat en 2000. Numéro H.4342.


Sources du conte :

  • Conte africain (Togo), conté par Rogo Koffi Fiangor en 2003, conte de sagesse.
  • La gourde de l’araignée, conte du Togo, in : "Le cercle des menteurs", Jean-Claude Carrière, plon, 1999, pp 142,143.

L'araignée et la famine

Conte d'Afrique, conte de sagesse. Il y a toujours une limite en tout...

C'était pendant une période de grande famine dans la forêt. Les animaux ne trouvaient plus de nourriture. L'araignée, qui n'avait pas mangé depuis des jours se mit à marcher droit devant elle à travers la forêt pour chercher quelque chose à se mettre sous la dent. Soudain, comme un mirage, lui apparut un champs de bananes mûres à point, prêtes à être mangé et, de plus, dissimulé des regards étrangers. Devant ce festin inattendu, l'araignée cria de joie : Des bananes mûres !bananes_Mzelle Laure
A la suite de cela, l'araignée tomba raide étendue par terre. Au bout de quelques instants, une goutte de rosée vint chatouiller le nez de l'araignée qui se réveilla.
Alors, le bananier lui dit ceci : "Ne crie jamais mon nom quand tu me voies. Je te laisse la vie sauve pour cette fois. Sers toi et mange mais surtout n'oublie pas ce que je t'ai dit."
L'araignée après avoir mangé tout ce qu'elle pouvait, se mit à élaborer un plan.
Au bout de quelque temps, l'embonpoint de l'araignée commença à faire des envieux, parmi les autres animaux. Un par un, ils venaient la voir pour connaître son secret. Elle promit d'abord de le révéler au lézard parce qu'il n'était pas très malin et qu'il n'avait pas la force de se venger s'il s'apercevait d'une tromperie. Ils partirent donc ensemble et après de nombreux détours, l'araignée l'amena à l'endroit où poussaient les fruits.
Le lézard, surpris, s'écria ""Des bananes mûres !!!"" et tomba raide mort.
Comme elle l'avait prévue, l'araignée avait maintenant de la viande pour accompagner ses bananes.
Chacun à son tour l'accompagnait à la recherche de nourriture. Prenant confiance dans sa ruse, elle se mit à manger des animaux de plus en plus gros et puissants mais peu malins comme l'hyène ou l'éléphant. Au fur et à mesure que la forêt se vidait, l'araignée grossissait.
Il vint un jour ou elle n'eut même plus peur de s'attaquer à des bêtes plus futées. Elle accompagna le lièvre affamé jusqu'à la bananeraie. Mais arrivé là-bas, le rongeur fit celui qui n'avait rien vu.
- Tu n'as encore rien trouvé ? lui demanda l'araignée avec un large sourire.
- Ben, non, et toi ? répondit le lièvre.
- Ici, on peut trouver des choses, il suffit de bien regarder, répondit l'araignée.
Au bout d'une heure de recherche, le lièvre n'avait rien trouvé :
- Je ne vois pas l'ombre d'une carotte dans le coin, on devrait rentrer chez nous !
- On est pas en Europe, idiot, qu'est-ce qu'on trouve de bon ici ... qui pousse dans les arbres ?
- Je sais pas moi, des oranges ?
- En plus, c'est bien devant toi, là, tout jaune et mûr à souhait, tu vois pas là, dit l'araignée excédée en montrant un énorme bananier couvert de fruits
- Quoi ! Des papayes ! Ici ! Montre-moi vite !
- Ça c'est quoi ? Imbécile ! Une banane bien mûre ! ... Arghh ! dit l'araignée en mourant.
Sur ce, le lièvre pris l'araignée et les bananes pour son dîner.

Moralité : Il y a toujours une limite en tout. Celui qui se croit rusé, comme l'araignée, trouvera toujours quelqu'un pour le surpasser.

conte Wobé en ligne ici

Le fil de l'araignée

Henri Gougaud, Le fil de l'araignée, in : "L’Arbre d’Amour et de Sagesse", Paris, Editions du Seuil, 1992. conte de sagesse. Où l'on voit la miséricorde en action, mais l'égoïsme, issu de la peur, empêcha Kandata de se sauver lui-même ... A trop vouloir gagner on peut tout perdre ...

Voici ce qui advint, un jour, au paradis.
Shakiamouni flânait solitaire et serein dans la beauté des fleurs au bord d’un lac céleste. La brise parfumée ridait à peine l’eau. C’était un matin de printemps ordinaire, doux et parfait. Or, comme ce dieu tranquille cheminait à pas lents dans l’herbe tiède de la rive, son regard se laissa captiver par le scintillement du soleil sur les vagues transparentes. Il fit halte, et le désir lui vint de regarder, au travers de l’eau claire, ce qui se passait ce matin-là dans le tréfonds du monde où était l’enfer. Car sous ce lac du paradis, infiniment lointains mais parfaitement visibles aux yeux divins de Shakiamouni, étaient les marais de sang et de feu où remuait la foule épaisse des !@#$%^&*és.enfers_Wikimedia
Parmi cette foule, le dieu remarqua un homme qui se débattait plus furieusement que les autres, s’acharnait à se hisser sur les échines, à tendre les mains aux cieux vides, à s’agripper aux flammes errantes pour hurler sa révolte dans les fumées de soufre. Shakiamouni le reconnut : c’était Kandata, un bandit de grande force et de haute gueule. Cet homme n’avait occupé son séjour terrestre qu’à piller, incendier, assassiner et violer sans vergogne. Avait-il jamais eu le moindre élan de bonté, même infime ? Shakiamouni s’interrogea, et lui vint, comme une brume légère, un souvenir.
Un jour que Kandata traversait une forêt, traqué par une armée de justiciers, il avait failli sur son chemin écraser une araignée. Mais il avait retenu sa botte, par respect pour la vie de cette bête, et avait eu pour elle une fugitive pensée fraternelle. Shakiamouni savoura cet événement menu dans son esprit avec un bonheur imperceptible, mais infini.
araignée_fil_wikimedia_Pierre73« Peut-être est-il possible de racheter ce Kandata », se dit-il.
Près de lui une araignée du paradis tissait sa toile entre deux fleurs de lotus. Il saisit délicatement son fil entre ses doigts d’ivoire et, à travers les eaux du lac, le dévida jusqu’aux marécages de l’enfer.
Au milieu des maudits épuisés de tortures dont les faces blafardes et gémissantes dérivaient autour de lui, Kandata, seul rebelle, battant les flaques sanglantes et chassant les feux follets comme nuées d’insectes, vit tout à coup luire ce fil d’araignée dans le ciel noir. Il leva la tête et s’aperçut qu’il descendait en droite ligne d’un trou brillant comme une étoile, au plus haut de la voûte. Son cœur aussitôt bondit dans sa poitrine et l’espoir exaltant lui vint de s’évader de ces miasmes où il croupissait. Avidement, il empoigna le fil et de toutes ses forces se mit à grimper. En bon voleur qu’il était, il savait agilement escalader dans les ténèbres, mais l’étoile était lointaine, et le paradis plus haut encore. Il s’essouffla à s’élever, perdit ses forces, et bientôt incapable de mettre un poing devant l’autre, il décida de s’accorder un instant de repos.
Il cessa donc de se hisser et regarda en bas. Il ne s’était pas exténué en vain : les marais infernaux étaient déjà presque indistincts, perdus dans une brume fauve, et dans l’air qui respirait ne régnait plus l’oppressante puanteur qui accablait les lieux d’où il venait. « Encore un effort et je suis sauvé », se dit-il avec une jubilation féroce. « A moi le paradis, à moi ! ». Avant de reprendre son ascension, à nouveau il pencha la tête pour se donner courage et s’emplir une dernière fois le regard de l’enfer qu’il fuyait.
Alors il vit, au fond des fonds, semblables à des fourmis dans des lueurs de feux, des grappes de damnés, affolés d’espérance, s’agripper au bout de la fine corde qu’il gravissait, et s’élever à sa suite. « Malheur, se dit-il, ne voient-ils pas que ce fil est fragile ? Il ne me supporte que par miracle. Comment pourrait-il résister à cette armée de malandrins ? Il va se rompre, et nous allons tous retomber en enfer, moi et ces maudits invivables ! »
-« Halte ! » cria-t-il de toutes ses forces, tremblant d’effroi et de colère. « Qui vous a permis de grimper ? Ce fil est à moi, à moi seul, damnés, lâchez-le ! »
A peine avait-il dit ces mots, la bouche contre ses poings, que le souffle de sa voix – ce seul souffle – brisa le fil tout net.
Au bord du lac du paradis, Shakiamouni vit Kandata tomber comme un point de braise et tournoyer jusqu’à se fondre dans les lointaines brumes infernales. Il était à jamais perdu maintenant. Rien ne pourrait plus le sauver. « Comme les hommes sont étranges et peu simples », se dit le dieu, soudain mélancolique. « Pourquoi ce brigand a-t-il voulu se sauver seul ? »
Il reprit sa promenade paisible au bord de l’eau, dans la brise indifférente et les fleurs au parfum parfait. Il était midi au paradis et le soleil dans le ciel n’avait pas encore rencontré le moindre nuage.