Deux contes de saison :

Patricia : 365_contes_pourquoi_commentMars et le Berger, un conte d'ITALO CALVINO, Contes populaires italiens, Denoël, Italie, in : Muriel Bloch : 365 contes des pourquoi et des comment, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1997, pages du 31 mars. Voici mon adaptation personnelle :

http://fr.academic.ru/dic.nsf/frwiki/205002Il était un berger qui avait plus de brebis et de montons qu'il ne pouvait en compter ... Beaucoup de biens, beaucoup de soucis ... L'hiver est long à passer ... et il ne cesse de supplier les mois d'épargner son troupeau :
Il demande à novembre pas trop de pluie, ni trop de vent du nord, ni tourmente. Il prie décembre de lui éviter le gel à pierre fendre et le berger reste près du feu et des cendres... Il se met à prier janvier de laisser passer l'hiver sans maladie par pitié. Il supplie février : pas de fièvre s'il-te-plait ! et les moutons sont épargnés. Reste mars ... Mars est un mois fantasque (un jour beau soleil, un jour grêle et gel). Le berger grimace et implore pour épargner à son troupeau les bourrasques. Hélas ! au premier rayon de soleil, le berger croit l'hiver finit, parti, vaincu, disparu ... et il commence à se moquer de ses frayeurs passées et de la rigueur de mars ... plus de soucis
- Mars, terreur des troupeaux, je ne te crains plus ! Le printemps est là : il était temps ! Tu ne peux plus me faire de mal, tu peux vraiment aller voir ailleurs !
Mars, vexé, se met à bouder. Plus de jours ensoleillés. Puis il va voir son frère le plus proche, celui avec qui il s'entend le mieux car il le suit toujours de près : avril.
- Avril ! viens à mon secours : ce berger se moque de moi. Prête-moi 3 jours pour que je lui apprenne le respect.
Avril, très attaché à son frère, a bien voulu. Et pendant ces trois jours, mars ramasse tous les vents, les tempêtes, les pestilences, les maladies, grippes et autres vilenies qu'il peut trouver et envoie tout cela sur le troupeau du berger moqueur.
Le premier jour, les moutons et brebis les plus faibles tombent
Le deuxième jour, les agneaux y passent
Le troisième jour, il ne reste plus une bête valide.
Tout le troupeau y est passé. Pas une seule bête n'est restée. Et le berger a appris combien il peut être douloureux de se moquer. Il ne lui est resté que les yeux pour pleurer.

Deux dictons :

  • Soit au début, soit à la fin, mars nous montre son venin
  • En avril, ne te découvre pas d'un fil


D'autres versions :

  • Léo Frobenius : La mort de la première mère du monde et les gelées de janvier, Contes kabyles, Edisud, Algérie in : Muriel Bloch : 365 contes des pourquoi et des comment, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1997
  • VIAUT A : Le mois de février et la vieille, Récits et contes populaires du Bordelais, Gallimard, France in : Muriel Bloch : 365 contes des pourquoi et des comment, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1997
  • Anonyme : La légende de Monsieur Mars, conte du Portugal in : Muriel Bloch : 365 contes des pourquoi et des comment, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1997
  • Muzi Jean : Les journées prêtées, Conte Corses, Editions Milan, France, 2004


Joris : GRAD_Soignons_notre_terreLes mauvaises herbes, d'après un conte extrait du recueil de Read MacDonald Margaret, Les mauvaises herbes, in Soignons notre terre, 41 contes et proverbes des 4 coins du monde, chapitre : Tout a de la valeur, GRAD France, 2005, p 91. Joris a invité Nasreddin dans sa version :

La_Katoubia_Marakkech_JardinUn jour que le Sultan se promenait dans ses jardins, il lui prit l'envie de faire jardiner. Il sema toutes sortes de graines dans un carré tout spécialement préparé pour lui. Et il attendit de voir éclore les plus belles fleurs. Quelques unes poussèrent en effet, mais avec elles plein d'herbes curieuses, disgracieuses, de formes bizarres, poussant tout en hauteur, poilues et piquantes même, et surtout sans fleur, ou alors avec de toutes petites, et sans même un odeur... Pire ! Maintenant elles menacent d'étouffer les fleurs les plus belles, raffinées, éclatantes de couleur et délicatement parfumées, toutes des fleurs rares et sublimes, car ces "mauvaises herbes" grandissent et se multiplient bien plus vite que les belles fleurs du Sultan. Désespéré, le Sultan prend conseil auprès du jardinier des jardins du Palais. Et le jardinier, renommé pour son savoir-faire commence à donner de judicieux conseils au Sultan :
- Si vous me permettez, Ô notre Sultan maître de l'Orient, il faut arracher ces sauvages l'une après l'autre, dès qu'elles sont reconnues comme indésirables, mais aussi sarcler le pied de vos fleurs de collection, biner la terre, protéger le pied des rosiers d'écorce de pin, etc...
Le Sultan offusqué répond aussitôt :
-Mais ce n'est pas un travail de Sultan, tout cela ! M'accroupir pour arracher toutes ces mauvaises herbes ! Et il faut le faire souvent ?
... Le jardinier n'ose plus répondre ... Heureusement, ce jour-là son neveu Nasreddin lui a rendu visite et il se tient là, à ses côtés, sans rien dire. Mais voyant l'embarras de son oncle il prend la parole, et dans sa grande sagesse et en toute simplicité il donne le meilleur conseil :
- NassreddineVous avez entièrement raison, Ô notre sultan ! Arracher ces herbes qui vous déplaisent chaque jour est indigne de vous. Alors Je pense que le mieux que vous puissiez faire est d'apprendre à aimer les mauvaises herbes !

Proverbe vietnamien :
L'amour rend toutes choses belles, la haine rend toutes choses laides.

Un conte merveilleux du JAPON :

Marie-Hélène : femme_dorade_Gay ParaGAY-PARA Praline, La femme dorade, Syros, coll. Paroles de conteurs, 2008

Dorade_rose_http://kichen.rtl.lu/lexikon/fesch/Un pêcheur pauvre et solitaire sauve de la mort une dorade rose que des enfants sur la plage se lancent comme on lance un ballon. Il la remet à la mer et elle gagne le large. Pourtant ce pêcheur n’avait pas mangé de poisson depuis des mois.
Soupe_algues_miso_http://www.japonophile.com/article_misoshiru_fr.htmlLe même soir, alors qu'un orage terrible éclate, il entend frapper à sa porte... une mystérieuse belle femme frappe à sa porte. Elle lui prépare un délicieux bouillon, et il ne tarde pas à en tomber amoureux. Mais quand il lui demande comment elle prépare une si bonne soupe, elle répond :
- C'est mon secret de fabrication. Si c'est bon, contente-toi d'apprécier sans poser de questions.
Mais il insiste jour après jour ... Elle se contente de dire :
- C'est une recette de famille ...
Et comme il insiste encore, elle finit par répliquer :
- L'amour ou les questions, il faut choisir ! Mange ! et ne me pose plus de questions.
Et il mange, chaque jour avec plaisir. Le pêcheur solitaire s'est habitué à la présence de cette femme mystérieuse, à la voir aller et venir dans sa pauvre cabane qu'elle embellit de sa seule présence, et il faut bien le dire, il s'est aussi habitué à sa soupe ... Mais un jour la curiosité est la plus forte. Il part de bon matin, comme chaque jour, puis revient sur ses pas pour voir comment elle prépare cette fameuse soupe avec si peu de choses, car ils sont si pauvres ne possèdent rien ou presque : une marmite, quelques algues et du sel de mer, du bois flotté sert à réchauffer le tout. Comment fait-elle ? Par la fenêtre, il voit la femme mettre à bouillir l'eau dans la marmite, jeter une pincée de sel et quelques algues, jusque là rien de bien original, puis elle dégrafe sa robe et la fait glisser lentement ... elle dénude ses épaules à la peau délicatement rosée, il voit son dos, la courbe de ses reins, la robe tombe ... et c'est une magnifique dorade rose qui plonge dans la marmite et nage, saute et frétille !
Le soir, lorsque le pêcheur rentre, il s'assoit d'un air troublé à table et il n'arrive pas à manger avec le même appétit, ni même à complimenter la femme pour cette soupe si bonne d'ordinaire ... Alors elle comprend :
-Tu sais ? Tu as vu n'est-ce-pas ? mais tu te souviens ce que je t'ai dit L'amour ou les questions, il faut choisir ! Et maintenant, je ne peux plus rester ...
http://anneh.over-blog.com/pages/Contes_a_jouer_du_chapeau-1743876.htmlD'un geste vif elle quitte sa robe et d'un mouvement de queue elle saute dans l'évier ... les canalisations sont si bien faites qu'elle rejoint aussitôt la mer et le pêcheur ne l'a plus jamais revue.

Ce conte merveilleux japonais (La femme-poisson) teinté de fantastique est une histoire d'amour très belle, poétique et troublante qui soulève des questions auxquelles on préfère ne pas penser lorsqu'on est fou-amoureux : Faut-il vraiment tout savoir ? Ou plutôt faire confiance sans tout connaître, sans tout maîtriser, sans esprit de possession ? Qu'il est difficile de respecter l'intimité de l'autre ... jusque dans ses silences...

Deux contes d'AFRIQUE :

Vouloir tout savoir, tout connaître, est-ce possible ? Est-ce la meilleure chose, la plus adaptée à l'homme ? La réponse dans un conte africain :

Viviane :Gougaud_contes-d'Arique Henri GOUGAUD, Contes d'Afrique, Le rayon de lune, Seuil, 1999. Ce conte a été repris d'un recueil précédent : Henri GOUGAUD, L'arbre aux trésors, Le rayon de lune, Seuil, 1987.
Résumé de Viviane : Un jeune homme africain ni très beau ni très laid, vivant simplement, aspirait à la connaissance mais sans savoir exactement laquelle. Il méditait, priait, mais n'était pas satisfait. Un soir, revenant de la mosquée, il longe le fleuve calme ; il entend tous les bruits autour de lui et se sentant d'humeur songeuse, il regarde la lune pleine, blanche et belle. Il s'allonge sous un baobab pour goûter à la douceur du soir et soudain un rayon de lune vient le frapper. Et il se sent tout a coup plus léger, il quitte petit a petit le sol et s'élève le long de ce rayon. Il admire les étoiles, s'élève au delà du firmament ... Il sait qu'il va atteindre LA connaissance quand il entend un cri venant de la terre un vagissement de bébé demandant l'amour de sa mère. Ses pleurs sont si déchirants qu'il se sent obligé de revenir vers cet enfant malheureux. Il se retrouve de nouveau dans son corps et une petite voix au dessus de lui parle : c'est un oiseau noir qui lui explique :"Cet enfant c'est toi qui demande de l'amour. Pour atteindre la connaissance tu dois vivre tes joies et tes souffrances". S'il avait atteint LA connaissance absolue, cela aurait signifié qu'il était mort !!!!
Extrait du texte de Henri Gougaud :

IZZI Soizic - Les ombres - Le baobabMackam voulait sans cesse savoir. Savoir quoi, il n'aurait su dire. son désir était comme une soif sans nom de cœur. Il en tombait parfois dans un désespoir inexprimable. Son moment préféré était le soir à l'heure où la lune s'allume dans le ciel : il goûtait le silence qu'il appelait à voix basse : "le bruit du rien". La lune il l'aimait. Elle lui avait appris à dépouiller sa vie de ses détails inutiles. Sa seule présence simplifiait l'aridité et les obstacles du monde. Ne restait que l'ombre noire de la hutte, la courbe pure du chemin, l'essentiel, et cela plaisait infiniment à Mackam. Une nuit lui prit l'envie de dormir dans cette tranquillité où son âme se plaisait tant.
A la lisière du village, il se coucha donc sous un baobab, mit son Coran sous sa nuque, croisa ses doigts sur son ventre et écouta les menus bruits du rien, alentour. Le ciel était magnifique. Les étoiles brillaient comme d'innombrables espérances dans les ténèbres. Et Mackram laissa échapper dans un soupir :"Savoir la vérité du monde, savoir !" Alors il sentit un rayon pâle et droit comme une lance entrer en lui par cette faille dans son esprit. Il se mit à monter vers la lumière : il se sentait si léger... Le monde et ses chagrins lui sembla gris comme de vieux vêtements délaissés. Il se dit qu'il allait atteindre cette science qu'il ne pourrait peut-être jamais apprendre à personne, mais qui l'apaiserait enfin ! Il s'éleva encore, parvint au seuil d'un vide immense et lumineux.
C'est alors qu'il entendit un cri d'enfant lointain, faible, pitoyable.__ Quelque chose en lui remua, un lambeau de peine terrestre emporté dans le ciel. Mackram se sentit descendre, imperceptiblement. Le cri se fit gémissement dans la nuit. Il s'inquiéta, ému :
- Pourquoi ne donne-t-on pas d'amour à cet enfant ? se dit-il et il eut envie de pleurer à son tour.
Il se tourna ... et il se retrouva dans son corps, sous l'arbre. Et les yeux mi-clos sous la lumière des étoiles, il vit la cour d'une case et un nourrisson couché qui sanglotait, les bras tendus à une mère absente. Il n'y avait pas d'habitation à cet endroit du village... Il murmura :
- "Qui est cet enfant ?"
- "C'est toi-même'' lui répondit une toute petite voix au-dessus de sa tête. Il leva le front, tendit le cou et vit un oiseau noir perché sur une branche basse du baobab. il lui demanda à l'oiseau :
- "Si c'est moi, pourquoi ai-je crié ?"
- "Parce que la seule puissance de ton esprit ne pouvait suffire à atteindre la vraie connaissance. Il y fallait aussi ton cœur, ta chair, tes souffrances, tes joies. L'enfant qui vit en toi t'a sauvé. S'il ne t'avait pas rappelé, tu serais entré dans l'éternité sans espérance, la pire mort : celle où rien ne germe. Va, brûle toi à tous les feux, ceux du soleil, de la douleur et de l'amour car c'est ainsi que l'on entre dans le vrai savoir."
Mackram travers lentement son village observant, goûtant et aimant chaque chose. Au loin un chien hurlait à la lune ... et pour la première fois la lune paru à Mackram comme une sœur exilée et il se sentit pris de pitié pour elle qui ne connaîtrait jamais le goût du lait et la chaleur d'un lit auprès d'un être aimé.


http://i25.tinypic.com/o6h3rd.jpg D'une connaissance à l'autre :
Ce conte est un récit initiatique : il nous fait suivre les étapes nécessaires à l'obtention de la vraie connaissance, pas seulement un savoir abstrait, froid et lointain :

  1. Le désir de connaître qui se présente comme une blessure secrète
  2. Le besoin d'isolement et de tranquillité pour atteindre la connaissance
  3. Le décollement du réel concret sous la force de l'esprit
  4. Le corps oublié
  5. La connaissance obtenue est une connaissance vide et abstraite
  6. Le refoulement de toute la dimension créatrice représentée par l'enfant
  7. Il faut retrouver son corps
  8. Revenir au réel concret, lié à la création
  9. Intégrer le cœur et la chair
  10. Ne pas avoir peur de se brûler aux feux de la douleur et de l'amour pour atteindre la vraie connaissance.


Pour en savoir plus :
Vous trouverez le texte intégral et l'analyse qui en est faite sur le site Mythes fondateurs d'Etienne Duval. Ce blog propose plusieurs thèmes :

  • Méthode d'analyse des mythes et des contes
  • Vérification de la validité du modèle d'analyse des mythes d'après l'Ennéade, la structure fondamentale dans l'Égypte ancienne.
  • Mythes de la Mésopotamie : épopée de Gilgamesh
  • Mythes égyptiens : Haute et Basse-Egypte
  • Récits mythiques de la Bible et textes du Nouveau Testament
  • Mythes et récits mythiques de la Grèce
  • Récits mythiques du Coran
  • Bhagavad-Gîtâ
  • Contes et légendes des Indiens d'Amérique
  • Contes et légendes de l'Inde
  • Légendes et contes d'Extrême Orient
  • Légendes et contes africains
  • Légendes et contes du Moyen Orient
  • Légendes et contes du Moyen Orient
  • Contes juifs
  • Contes de la musique
  • Contes pour rire
  • Les proverbes ou la miniaturisation des mythes et des contes :

La science ne consiste pas en ce qui est conservé dans les livres, mais bien en ce qui se grave dans les cœurs. (proverbe arabe)

Claudine : Gougaud_contes-d'Arique Henri GOUGAUD, Contes d'Afrique, Le secret du Baobab, Seuil, 1999. Ce conte a été repris d'un recueil précédent : Henri GOUGAUD, L'arbre aux trésors, Le trésor du Baobab, Seuil, 1987.

http://www.casenavenroute.com/DSCF5911.JPGUn jour de grande chaleur, un lièvre fit halte dans l'ombre d'un baobab, s'assit sur son train et contemplant au loin la brousse bruissante sous le vent brûlant, il se sentit infiniment bien.
- Baobab, pensa-t-il, comme ton ombre est fraîche et légère dans le brasier de midi !
Il leva le museau vers les branches puissantes. Les feuilles se mirent à frissonner d'aise, heureuses des pensées amicales qui montaient vers elles. Le lièvre rit, les voyant contentes. Il resta un moment béat, puis clignant de l'œil et claquant de la langue, pris de malice joyeuse :
- fruit_du_babobab_pain-de-singeCertes ton ombre est bonne, dit-il. Assurément meilleure que ton fruit. Je ne veux pas médire, mais celui qui me pend au-dessus de la tête m'a tout l'air d'une outre d'eau tiède.
Le baobab, dépité d'entendre ainsi douter de ses saveurs, après le compliment qui lui avait ouvert l'âme, se piqua au jeu. Il laissa tomber son fruit dans une touffe d'herbe. Le lièvre le flaira, le goûta, le trouva délicieux. Alors il le dévora, s'en pourlécha le museau, hocha la tête. Le grand arbre, impatient d'entendre son verdict, se retint de respirer.
- Ton fruit est bon, admit le lièvre. Puis il sourit, repris par son allégresse taquine, et dit encore : Assurément, il est meilleur que ton cœur. Pardonne ma franchise : ce cœur qui bat en toi me paraît plus dur qu'une pierre.
Le baobab, entendant ces paroles, se sentit envahi par une émotion qu'il n'avait jamais connue. Offrir à ce petit être ses beautés les plus secrètes, Dieu du ciel, il le désirait, mais, tout à coup, quelle peur il avait de les dévoiler au grand jour ! Lentement, il entrouvrit son écorce. Alors apparurent des perles en colliers, des pagnes brodés, des sandales fines, des bijoux d'or. Toutes ces merveilles qui emplissaient le cœur du baobab se déversèrent à profusion devant le lièvre dont le museau frémit et les yeux s'éblouirent.
- Merci, merci, tu es le meilleur et le plus bel arbre du monde, dit-il, riant comme un enfant comblé et ramassant fiévreusement le magnifique trésor. Il s'en revint chez lui, l'échine lourde de tous ces biens.
Sa femme l'accueillit avec une joie bondissante. Elle déchargea à la hâte de son beau fardeau, revêtit pagnes et sandales, orna son cou de bijoux et sortit dans la brousse, impatiente de s'y faire admirer de ses compagnes. Elle rencontra une hyène. Cette charognarde, éblouie par les enviables richesses qui lui venaient devant, s'en fut aussitôt à la tanière du lièvre et lui demanda où il avait trouvé ces ornements superbes dont son épouse était vêtue. L'autre lui conta ce qu'il avait dit et fait, à l'ombre du baobab.
La hyène y courut, les yeux allumés, avides des mêmes biens. Elle y joua le même jeu. Le baobab que la joie du lièvre avait grandement réjouie, à nouveau se plut à donner sa fraîcheur, puis la musique de son feuillage, puis la saveur de son fruit, enfin la beauté de son cœur. Mais, quand l'écorce se fendit, la hyène se jeta sur les merveilles comme sur une proie, et fouillant des griffes et des crocs les profondeurs du grand arbre pour en arracher plus encore, elle se mit à gronder :
- Et, dans tes entrailles, qu'y a-t-il ? Je veux aussi dévorer tes entrailles ! Je veux tout de toi, jusqu'à tes racines ! Je veux tout, entends-tu ?
Le baobab, blessé, déchiré, pris d'effroi, aussitôt se referma sur ses trésors et la hyène insatisfaite et rageuse s'en retourna bredouille vers la forêt. Depuis ce jour, elle cherche désespérément d'illusoires jouissances dans les bêtes mortes qu'elle rencontre, sans jamais entendre la brise simple qui apaise l'esprit. Quant au baobab, il n'ouvre plus son cœur à personne. Il a peur. Il faut le comprendre : le mal qui lui fut fait est invisible, mais inguérissable.
En vérité, le cœur des hommes est semblable à celui de cet arbre prodigieux : empli de richesses et de bienfaits. Pourquoi s'ouvre-t-il si petitement quand il s'ouvre ? De quelle hyène se souvient-il ?

Le Baobab :


Pour en savoir plus :

  • Visiter le site http://etienneduval.perso.neuf.fr/m... d'Etienne Duval, où vous retrouverez ce conte et l'analyse qui en est faite.
  • Lire le recueil "Contes d'Afrique" : Le recueil " Contes d’Afrique " regroupe vingt récits, dont la plupart appartiennent au fonds traditionnel d’Afrique noire (...) Tous les textes, de Henri Gougaud, sont tirés de trois de ses ouvrages précédents L’Arbre à soleils, L’Arbre aux trésors et L’Arbre d’amour et de sagesse. Le recueil appartient à une collection de contes des éditions du Seuil, dans laquelle ont déjà parus par exemple les Contes d’Asie et les Contes du Pacifique. Comme le laisse espérer l’illustration de couverture, le travail de Marc Daniau accompagne admirablement bien les textes. Ainsi, à chaque nouveau conte et dessin, c’est toute l’Afrique qui semble jaillir sous nos yeux. Vingt contes pour faire l’Afrique


La curiosité peut nous mettre en danger de tout perdre ... comme dans le conte suivant...

Un conte merveilleux d'EUROPE :

Abessia :PERRAULT_Contes_de_mère_l'oye PERRAULT Charles, La Barbe-bleue in Perrault Charles, Contes de ma Mère l'Oye, Folio Junior, Edition Spéciale, 1997, p.223 - Première Publication : 1678. La Barbe bleue est un conte populaire, dont la version la plus célèbre est celle de Charles Perrault, parue en 1697 dans Les Contes de ma mère l'Oye. C'est également le nom du personnage central du récit.

Un riche et vieux gentilhomme terrifie les femmes, tant à cause de sa barbe bleue que de ses mariages successifs, dont on ne sait ce que les épouses sont devenues. Il propose à une voisine d'épouser une de ses deux filles, mais aucune des deux ne le souhaite. Finalement, la cadette accepte. Quelque temps après les noces, la Barbe bleue doit partir en voyage. Il confie à sa jeune épouse un trousseau de clefs ouvrant toutes les portes du château, mais il y a un petit cabinet où elle ne doit entrer sous aucun prétexte.
Perrault_Barbe-bleue_Gustave-DoréRongée par la curiosité, elle pénètre dans cette pièce et y découvre les corps des précédentes épouses, accrochés au mur. Effrayée, elle laisse tomber la clef, qui se tache de sang. Elle essaye d'effacer la tache, il s'agit d'une clef fée, et le sang ne disparaît pas.
La Barbe bleue revient en avance. Furieux d'avoir été trahi, il s'apprête à égorger sa femme, comme les précédentes. Comme elle attend la visite de ses deux frères, elle appelle à plusieurs reprises sa sœur, qui est montée en haut d'une tour :
- «Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ?»
- «Je ne vois rien que le soleil qui poudroie, et l'herbe qui verdoie.»
Au dernier moment, les deux frères arrivent et tuent la Barbe bleue. Sa fortune revient à sa femme, qui en fait bon usage et se remarie.


La véritable histoire de Barbe bleue :
Barbe-bleue n'est pas seulement un personnage de conte ... Entre autres personnes célèbres méritant le nom de Barbe Bleu, il y a Henri VIII d'Angleterre, qui a eu six femmes et fit condamner à mort pour adultère et trahison ses deuxième et cinquième épouses (respectivement Anne Boleyn et Catherine Howard), a lui aussi été gratifié de ce surnom. Wikipédia
La première femme de Henri VIII était une infante espagnole, Catherine d'Aragon dont le roi divorce parce qu'elle ne lui a pas donné de fils (seulement une fille). Anne Boleyn était sa dame d'honneur et le roi s'est amouraché d'elle et c'est pour cela qu'il a voulu répudier sa femme légitime. Anne Boleyn ne fut reine que 1000 jours ... et fini décapitée, accusée d'inceste (et toujours pas de fils, mais une fille la future Elizabeth I). Une semaine après (!!!) il épouse Jeane Seymour qui lui donnera un fils (enfin !) mais la reine meurt 12 jours après la naissance. Il épouse ensuite Anne de Clèves, princesse allemande choisi d'après un portait (Mythic avant l'heure...). Henri VIII s'ennuie tant à ses côtés, qu'il la répudie au bout de six mois en lui allouant une riche rente princière. Et de 4 !!! Après avoir fait annuler son mariage avec la fade Allemande, le roi vieillissant s'éprend de Catherine Howard, mais elle le trompe. Il la fait avouer, lui promettant l'impunité mais très en colère la fait décapiter ! Pour couronner le tout il édicte une loi : désormais, seront condamnées à mort toutes les femmes n'étant pas vierge et ne l'ayant pas avoué au roi avant leur union et toutes les femmes de prince ou les reines convaincues d'adultère. Un an après l'exécution de Catherine Howard, Henri VIII décide d'épouser une dernière Catherine : celle-ci a 31 ans, est veuve et s'appelle Catherine Parr. Le roi cherche avant tout une garde-malade attentive : Prudente et sage, cette femme "sans grand charme" est également très cultivée et intelligente, et prend grand soin des enfants du roi. Attentionnée, elle s'occupe également très bien de son mari de plus en plus malade et ... tyrannique qui fait couper la tête à bon nombre de ses conseillers. Une fin de règne dans la terreur digne de Barbe-bleue !!! La galerie de portrait est sur la page "J'ai perdu la tête dès que j'ai vu Henri".

Analyse :
La Barbe bleue pourrait être le mari déçu par sa femme suite à ce qu'elle l’ait trompé. La clef tâchée de sang indélébile est un symbole de la défloration. Ce conte apparaît dès lors comme une mise en garde à l'encontre de l'adultère qui pourrait tenter certaines femmes. En revanche Perrault ne fait nullement l'apologie du comportement meurtrier de La Barbe bleue en réponse à sa femme. La mort de celui-ci peut être perçue comme une condamnation de la démesure avec laquelle il s’emporte.
Une autre interprétation, plus profonde et moins dramatique, serait de voir en ce conte une incitation, pour les partenaires d'un couple, à ne pas aller fouiller dans le passé amoureux de l'aimé. La vie en commun implique à la fois la confiance (la Barbe bleue remet la clé à son épouse) et la nécessité de respecter le jardin secret de l'autre (ou, en l'occurrence, la cabinet des horreurs). La mise à mort symboliserait la destruction de la relation amoureuse, la fin de la liaison en raison de la jalousie, s'exerçant a posteriori, de l'épouse qui cherche à exhumer le passé et qui, dans cette quête démentielle, finit par détruire la relation de confiance. Une vie de couple épanouie s'appuie au contraire sur le fait de ne pas violer une partie secrète de chacun des partenaires. Pour qu'elle garde du piment, la vie amoureuse nécessite qu'on laisse planer un halo de mystère autour de soi. Conserver la flamme, c'est conserver la capacité de séduire. Or, la séduction est un jeu subtil de démonstration et de dissimulation. Wikipédia

Pour en savoir plus :

  • Perrault, La Barbe-bleue, première parution en 1697. Le texte intégral, modernisé, est en ligne ici.


Autres versions :

  • Un conte des frères Grimm : Barbe bleue ou l'oiseau ourdi mais très certainement inspiré par la version de Charles Perrault (Grimm : Contes pour les enfants et les parents, 1812-1815) Grimm, Contes, Flammarion, 1986.
  • Une version moderne et humoristique : Jean-Pierre Kerloc'h, Barbe Bleue, P'tit Glénat, 2007, p 44.

Barbe_bleue_Jean-Pierre_Kerloc'hLorsqu'un jour un drôle de bonhomme à barbe bleue descend de sa grande voiture, le petit village ne s'inquiète pas. Lorsque le drôle de bonhomme s'installe dans le Haut-Château, personne ne trouve à redire. Mais lorsque l'on voit Barbe-Bleue emménager avec une belle blonde aux yeux couleur de ciel, puis une rousse flamboyante, puis une splendide brunette, les langues commencent à se délier... Sur la trame du célèbre contre de Perrault, un récit intrigant à souhait, qui mêle émotion et humour...

  • Une très belle version, plus poétique mais riche en symboles : Bruno de la Salle, La Barbe bleue, Casterman, 1991 (album épuisé),

Bruno-de-la-Salle_Le-conteur-amoureux repris in Le conteur amoureux, Casterman, 1994, dont une version augmentée a paru aux Éditions du Rocher en 2007, 367 p. Un père taraudé par la faim va livrer ses trois filles à un géant terrifiant, à la barbe bleue comme les choux d’hiver… la troisième épouse parvient à forcer la barbe-bleue à se dévêtir de sa peau de monstre ... Le texte est en ligne ici

  • "La barbe du troll" et "Les sœurs dans la butte du troll" in La cendrouse et autres contes du Jutland, Evald Tang Kristensen José Corti, 1999
  • Le gros cheval blanc, version canadienne in Le conte populaire français, P.Delarue et M.L. Tenèze, Maisonneuve & Larose, 1997
  • "Les trois ramasseuses de chicoré" in Contes populaires italiens T3, Italo Calvino, Denoël
  • "Les trois soeurs" et "L'homme qui volait des femmes", Contes Corses, G. Massignon
  • "Barbe Bleue" in Littérature Orale de l'Auvergne, Paul Sébillot, Maisonneuve et Larose
  • "Le Diable Batteur" in Contes Français, province du Berry, Carnoy, Arbre d'or, 2001


Et deux "MENTERIES"

Le 1er avril n'étant pas loin il était tentant de faire découvrir des contes d'un autre style où l'humour et l'absurde règnent en maître :

Joris nous a conté une histoire de chasse désopilante que vous retrouverez dans l'article consacré aux "Menteries" (cliquez, dites "Sésame, ouvre-toi !" et l'article apparaîtra ... ).

Patricia a conté une histoire entendue il y a quelques années à Toulouse : "Le roi des menteurs" d' Alain Le Goff, où comment un jeune garçon a épousé la fille du roi pour quelques paroles, avec une histoire sans queue ni tête, au sens propre et au sens figuré ... Vous pourrez lire cette "menterie" dans l'article "Contes & Menteries".