Un royaume pour une aiguille ...

Un conte du Sénégal nous enseigne qu'il ne faut rien négliger, ni mépriser ... Si on est assez dégourdi pour en tirer profit, la plus petite chose peut prendre de la valeur (même une aiguille !) ... Mais une chose n'a de valeur que dans son contexte ... il faut savoir observer, en tirer les bonnes conclusions pour s'adapter aux besoins du moment, et aussi oser perdre pour gagner ...

Un homme avait huit fils dont le plus jeune et le plus malin s'appelait Saro. Il était âgé de quinze ans quand, un jour, il trouva une aiguille dans la rue du village. Il la porta à sa mère en disant :
- Regarde, j'ai trouvé une aiguille.aiguille_en_os
Et à son père il dit :
- Je vais échanger mon aiguille contre un poulet.poulet
Puis il sortit de la maison, alla dans le village en criant :
- Qui veut échanger une aiguille contre un poulet ?
La femme du chef du village, qui était fort négligente, ne pouvait plus coudre depuis trois jours, parce qu'elle avait perdu toutes ses aiguilles. Elle appela le jeune garçon et lui dit :
- Une aiguille ne vaut tout de même pas un poulet !
- Et pourtant, je n'accepterai pas de vendre mon aiguille si tu ne me donnes pas un poulet, répondit-il.
Elle lui donna tout de même le poulet qu'il porta aussitôt à son père. Ses sept grands frères lui dirent :
- Comment ? On t'a donné un poulet pour une aiguille ? Nous te croyons pas !
Saro dit à son père :
- Fais cuire le poulet, mange-le, garde-moi seulement une cuisse ; je la mangerai demain matin.

En se réveillant, Saro réclama la cuisse du poulet et le père la lui donna. Le petit malin dit alors :
- Mon père, avec cette cuisse de poulet, je vais acheter un cheval.www.selefa.asso.fr/images/CHEVAL_02.jpg
Tout le monde rit aux éclats et on se moqua de lui. Mais il avait entendu dire qu'il y avait un roi qui bientôt devait arriver à la tête de son armée. Il alla l'attendre sur la route et quand il vit le roi, il se mit à crier :
- Qui veut échanger une cuisse de poulet contre un cheval ?
Aucun soldat de l'armée ne fit attention à lui, sauf un seul, un cavalier, plus affamé ou plus gourmand que les autres, ou moins discipliné peut-être ... Le cavalier demanda à voir la cuise de poulet, puis, l'ayant regardée, la mangea et dit :
- Et maintenant, je ne te donnerai pas mon cheval.
Le petit garçon le réclama à grands cris. Le cavalier descendit de son cheval, alla couper une branche et battit le petit. Celui-ci se mit à hurler. Le cavalier remonta à cheval, et rejoignit ses compagnons. Le petit, lui, courut derrière eux jusqu'à l'étape du soir. Puis il alla trouver le roi qui se reposait et, fatigué, s'apprêtait à dormir.
- Tu agis mal avec moi, cria le petit Saro. Tu as pris ma cuisse de poulet, tu ne m'as pas donné un cheval comme c'était entendu et tu m'as battu.
Les cavaliers du roi voulurent le chasser. Le roi les en empêcha et dit :
- Pourquoi dis-tu que j'ai mangé la cuisse du poulet ?
- C'est un de tes cavaliers qui l'a mangée et qui m'a frappé. Et c'est pourquoi je proteste !
- Reconnaîtrais-tu le cavalier ? demanda le roi.
Et comme le petit Saro affirma qu'il le reconnaîtrait, le roi le fit escorter par trois soldats pour chercher le cavalier. Il le trouva aisément et celui-ci fut conduit devant le roi avec son cheval. Le roi demanda au cavalier :
- Pourquoi as-tu mangé la cuisse de poulet ?
Le cavalier répondit :
- Parce que j'avais faim.
- Ce n'est pas une raison suffisante. Tu savais ce qu'il demandait en échange ... Alors, pourquoi as-tu mangé la cuisse de poulet ?
- Parce que je croyais que ce petit ne pourrait jamais me rejoindre.
- Eh bien, dit le roi, descends de ton cheval. Tu feras la guerre comme fantassin et ton cheval appartiendra au petit.
Saro monta sur son cheval et alla retrouver son père, en lui disant :
- Avec ma cuisse de poulet, j'ai obtenu un cheval.
Ses grands frères crièrent :
- Quelle chance il a eu !
Le père, très content, lui dit :
- Va attacher ton cheval.

Au bout de huit jours, le petit Saro dit à son père :
- Je veux échanger mon cheval contre un petit chat.www.studentsoftheworld.info/sites/animaux/img...
Ses sept grands frères furent très mécontents, mais le père dit :
- Petit, fais ce que tu veux !
Le petit alla trouver une femme, qui avait sept chats. Il lui dit :
- Veux-tu échanger mon cheval contre tes sept chats ?
Les sept frères étaient opposés à cet échange, mais le père dit :
- Saro est libre de faire ce qu'il veut.
Ses grands frères furent de plus en plus mécontents.

Lorsque Saro se fut reposé pendant huit jours, il alla trouver son père et lui dit :
- Je vais emporter mes chats dans un pays où je changerai chacun d'eux contre sept esclaves.media.paperblog.fr/.../esclave-2-L-1.jpeg
- C'est bien, dit le père, Fais ce que tu veux.

Il partit, marcha vingt jours et arriva dans un pays où régnait un roi. Il alla le trouver. Le roi était en colère parce que pendant la nuit les rats avaient dévoré toutes les provisions du pays. Saro présenta ses chats. Le roi et tout son peuple s'écrièrent :
- Voici enfin des chats !
On tua un taureau en son honneur, et pendant trois jours il resta chez le roi. On lui demanda alors combien il vendrait les chats.
- Je veux sept esclaves pour chacun d'eux, répondit-il.
Et les gens dirent :
- Ce n'est pas si cher ! Nous les achèteront tous.
On lui donna donc 49 esclaves, qu'il amena aussitôt chez son père.
- Voilà, mon père ! J'ai vendu mes chats. Pour chaque chat on m'a donné sept esclaves.
Toute la famille fut dans la joie.

Lorsqu'il se fut reposé pendant trois mois, il alla trouver son père et lui dit :
- Je vais échanger mes esclaves contre un homme mort. mort
Le père répondit :
- C'est bien. Fais comme tu veux.
Ses sept frères furent encore très mécontents, car ils s'étaient habitués à se faire servir par les esclaves.

Saro marcha pendant un mois. Il arriva dans la capitale d'un grand pays et en entrant dans la ville, il apprit que le roi venait de mourir. S'adressant à un des habitants qu'il rencontra sur la place du marché, il lui dit :
- Je veux changer tous mes esclaves contre un homme mort. Demande aux fils du roi s'ils veulent accepter de faire cet échange.
Les fils du roi acceptèrent en disant :
- Quand un homme est mort, il n'est plus rien. On peut donc avantageusement en faire l'échange contre des esclaves.
Saro, méfiant, dit :
- Je veux qu'on fasse venir quatre marabouts comme témoins de ce marché.
On les fit venir. Alors Saro prit le mort et donna les esclaves. Il traîna le cadavre par un pied jusqu'à la grande place. Il chargea trois hommes de garder le cadavre, puis, il se rendit dans la forêt après avoir dit aux trois gardiens :
- Je donnerai à chacun de vous un gros sac d'or quand je reviendrai.
Il sortit de la ville, alla dans la forêt, coupa beaucoup de branches et les apporta sur la grande place.
Mais, pendant qu'il était dans la forêt, les fils du roi vinrent trouver les gardiens et leur demandèrent de les laisser enterrer leur père, le feu roi, pendant l'absence de Saro.
- Quand il reviendra, on lui dira que c'est un diable qui a enlevé le corps.
Les gardiens refusèrent. Saro revint, prit les branches et se mit à frapper le cadavre en criant :
- Pendant ta longue vie tu as fait battre beaucoup de gens, mais aujourd'hui, c'est moi qui te frappe.
Il criait des insultes tout en lui donnant de grands coups de pied. Lorsqu'ils apprirent que Saro insultait le cadavre, les fils du roi se mirent en colère et voulurent empêcher Saro de frapper leur père.
- Ce mort m'appartient, répondit Saro. Je puis en faire ce que je veux.
Et il continua à le frapper de toutes ses forces. Les fils voulurent alors annuler l'échange. Saro refusa et dit :
- Allons trouver le juge.
Le juge, après avoir entendu Saro et les fils du roi, fit venir les quatre témoins. Puis, il déclara : - C'est Saro qui a raison. Pourquoi avez-vous vendu un cadavre pour quarante-neuf esclaves ?
Il demanda alors à Saro à quel prix il voulait revendre son cadavre. Celui- ci répondit :
- Ce cadavre est à moi. Si on veut l'acheter, je ne le céderai que si l'on me livre pour chacun des quarante-neuf esclaves que j'ai donné en change de ce mort, sept esclaves.
Les fils acceptèrent et lui livrèrent 343 captifs. http://www.alterites.com/cache/center_evenement/id_1508.phpSaro ajouta :
- Permettez que je demeure près de vous.


Il fit construire un village où coulait une petite rivière.
Il entendit, une nuit, siffler un grand serpent. Il alla le trouver. Le serpent lui déclara : http://www.dinosoria.com/python.htm
- Il y a de l'or à l'endroit même où tu as construit ton village. Si tu me fais don de sept taureaux, je t'indiquerai l'endroit où tu trouveras de l'or.
Saro lui donna sept taureaux et pendant la nuit suivante, le serpent lui indiqua un tas de cailloux.les-taureaux-de-l-elevage-de-jean-laffont_940x705
- Sous ce tas de cailloux, affirma le serpent, il y a un grand vase rempli d'or.
Dès l'aube, Saro fit appeler ses esclaves, et leur fit creuser à l'endroit même, indiqué par le serpent. Et il trouva le vase rempli d'or.http://www.7sur7.be/static/FOTO/pe/3/2/12/large_707202.jpg
Il distribua généreusement de l'or à tous les habitants de son village, puis il les convoqua. Ils attaquèrent la ville du roi et la prirent. Il devint roi du pays et envoya 150 cavaliers chercher sa famille. Quand celle-ci fut arrivée, Saro dit à son père :
- Je suis ton fils et c'est toi qui seras le roi de ce pays. Tu témoigneras que j'ai gagné un royaume avec une aiguille.


LIVRE_anime1.gifSources :
Le petit malin in Histoires merveilleuses des Cinq Continents, de Ré et Philippe Soupault, Ed Seghers, 1985, épuisé, p 211. Réédité en 1990.

Rééditions :
Rassemblés par le poète Philippe Soupault, voyageur inlassable, ces contes du monde entier figurent au hit-parade des livres empruntés dans les bibliothèques : alors pourquoi ne pas les avoir rien qu'à soi ? Dès 10 ans

  • livre broché :

Histoires_merveilleuses_des_5_continents_Soupault Philippe Soupault, Ré Soupault : Histoires merveilleuses des cinq continents, Seghers, juin 1990

Quelques exemplaires sont encore disponibles.


  • format poche, en trois volumes : Contes du monde entier au format poche pour promener dans son jean un peu de la Corée ou des Nouvelles-Hébrides... Au milieu du volume, un cahier « entracte » propose jeux, tests et devinettes ethnologiques.

Histoires_merveilleuses_des_5_continents_T1_SoupaultPhilippe Soupault, Ré Soupault : Histoires merveilleuses des cinq continents , T1 Au temps où les bêtes parlaient, Pocket Junior Mythologies, numéro 316, 12 cm x 18 cm (Poche), novembre 2000.

Histoires_merveilleuses_des_5_continents_T2_SoupaultPhilippe Soupault, Ré Soupault : Histoires merveilleuses des cinq continents , T2, Pocket Junior Mythologies, numéro 317, 12 cm x 18 cm (Poche), juin 2001, épuisé.

Histoires_merveilleuses_des_5_continents_T3_SoupaultPhilippe Soupault, Ré Soupault : Histoires merveilleuses des cinq continents , T3 Amours et jalousie, Pocket Junior Mythologies, numéro 318, 12 cm x 18 cm (Poche), juin 2002, épuisé.

A voir aussi :

  • Un conte de Grimm qui met en évidence le fait qu'il ne faut pas négliger les petits détails, ou les petits problèmes : ''Faute d'un clou'' présenté dans un article précédent.
  • Hamadou Ampaté Ba a traité le même problème dans le conte initiatique : Il n'y a pas de petite querelle.