Je veille, tu veilles, il (elle) veille... de la veille documentaire à la veillée de contes ...

Le roi Batcha et les fourmis

Il était une fois un roi et un prince, des fourmis, et encore des fourmis ...


Ce conte tibétain présente d'égal à égal les plus grands dignitaires et les plus petits, et montre qu'une bonne action (en apparence) peut avoir des conséquences négatives, mais qu'une action faite dans le but de nuire peut a contrario générer des conséquences bénéfiques inattendues ... On ne sait jamais tout ...

Un jour, le roi Batcha, pour qui toute vie est sacrée, que ce soit la vie d'un homme ou d'un ver de terre, se promenait au bord d'un ruisseau. Il admirait l'herbe plus verte, écoutait avec délices le chant apaisant de l'eau sur les galets, et appréciait toutes ces petites choses que sait voir l'homme dont le cœur est en paix.
En marchant, il voit une fourmilière. Il s'accroupit pour mieux admirer les aller-et-venues bien ordonnées de ses habitants. Plus loin, en remontant le cours d'un ruisseau, il voit que les eaux grossies par les pluies commencent à submerger les rives. Il pense à la fourmilière : elle risque d'être inondée sous peu, et de nombreuses fourmis vont périr ; son cœur est ému de pitié. Le roi prend une branche, creuse une rigole pour détourner le cours du ruisseau et fait un barrage avec des pierres et de la terre : le ruisseau est dévié dans un nouveau lit, la fourmilière est hors de danger ! Heureux d'avoir sauvé tant de vies, le roi Batcha regagne son palais, avec aux lèvres le sourire discret de celui qui sait avoir bien fait.
Les eaux s'écoulent maintenant sur une nouvelle pente. Mais tout au bas de cette pente une autre fourmilière reçoit de plein fouet la vague d'une inondation soudaine, brutale, imprévisible et destructrice. De nombreuses fourmis périssent et leur cité est presque entièrement détruite. Un inondation prévisible et progressive leur aurait permis de construire un mur tout autour de leur nid, ou de déménager leurs œufs … mais là … quelle catastrophe !

Quelque temps plus tard, le roi Batcha donne un grand festin. Il demande qu'on prépare tout ce qu'il faut pour recevoir tous ses invités au bord du ruisseau, près de la fourmilière qu'il a sauvée. Parce que le site est beau, agréable, paisible … et aussi parce qu'il est agréable, apaisant, réconfortant, de se souvenir d'une belle et bonne action. Rien que d'y penser, le roi Batcha se sent plus grand, plus sage, plus généreux. Pendant que les convives mangent, des grains de riz tombent sur le sol. Et quand le festin est terminé, les hommes s'en vont, et viennent les fourmis. Elles ramassent le riz tombé et le range soigneusement dans leurs réserves jusqu'au dernier grain...

Le prince du pays voisin rêve d'agrandir son territoire. Il envahit le pays du roi Batcha. Il marche d'un pas victorieux car personne n'ose le combattre. Le roi Batcha n'ose pas l'affronter de front, car son peuple pacifique n'est pas formé au combat : ses forces sont bien inférieures en nombre et en puissance. Mais plus l'envahisseur avance, plus il se trouve coupé de ses bases : le ravitaillement devient difficile, puis impossible. Et en arrivant au lieu que nous connaissons, l'armée du prince conquérant est affamée, affaiblie. Pendant sa halte au bord du ruisseau, le prince entend une toute petite voix le héler. En se penchant, il voit une grande fourmi qui lui fait signe. Il se penche et entend la fourmi lui parler :
- Ton armée a faim et tu ne sais quoi faire. En descendant ce ruisseau, un peu sur ta droite, tu trouveras une fourmilière. Et dans cette fourmilière tu trouveras de grandes réserves de riz, assez de riz pour nourrir ton armée.
Très surpris, le prince demande :
- Qui es-tu pour savoir cela ? Et pourquoi me le dis-tu ?
La fourmi répond :
- Je suis la reine d'une fourmilière que le roi Batcha a dévastée. Et depuis ce jour, j'attends l'heure de la vengeance.
Le prince envahisseur fait fouiller le sol près de l'autre fourmilière et il trouve effectivement des réserves de riz, de quoi nourrir et rassasier toute son armée qui reprend forces et retrouve toute son envie de combattre. Le prince, se voit déjà en pays conquis. Il s'apprête à donner le signal du départ à ses troupes, quand, au moment de se lever, il aperçoit une grande fourmi qui lui fait signe. Il se penche et la remercie :
- Paix et prospérité sur toi et ton peuple ! Sois remercié, car tu m'as grandement aidé. Ton ennemi, le roi Batcha, va bientôt être vaincu et tu seras vengée.
Mais la fourmi répond :
- Tu te trompes, prince ! Je ne t'ai pas parlé et je ne te veux pas du bien ! Ce sont les réserves de mon peuple que tu viens de saccager. Je suis la reine de la fourmilière que tu as pillée.
- D'où viennent ces réserves. D'où vient tant de riz ?
Et la reine des fourmis répond :
- Le roi Batcha est venu festoyer ici avec son armée. Des grains de riz sont tombés. Peut-être trois ou quatre grains par convive. Et nous avons ramassé ce grain.
Le prince envahisseur se dit alors :
- Ce roi Batcha doit posséder une armée immense, puisqu'à quatre grains par guerrier, il y a eu de quoi nourrir toute mon armée à moi !
Et l'armée du prince s'est retirée sans bruit, sans combat, sans pillage.

Ainsi, toute action porte sa séquelle de conséquences. Bonnes et mauvaises, mauvaises et bonnes ...

Adaptation personnelle du conte Tibétain rapporté par LUDA : «Le roi Batcha et les fourmis» in 365 contes de gourmandise, Gallimard Jeunesse/Giboulées, 1999, pages du 23 au 25 janvier.