Vieux à vendre

Il était une fois un vieillard âgé de plus de cent ans, qui avait une connaissance surprenante en toutes choses et qu'on appelait Âref ou Aquel, « celui qui sait et qui comprend ». Un jour, ce vieux déclara à ses fils :
- Il faut que vous me portiez au marché et que vous me vendiez aux enchères, et je serai pour vous d'un grand profit.
Les fils commencèrent par refuser, mais le vieux insista tant et tant qu'ils acceptèrent. Ils le mirent dans un grand panier et allèrent le vendre. Ce fut le roi qui l'acheta, et à partir de ce jour, il ne fit plus rien sans le consulter. Le vieillard prédisait toujours la vérité que tous ignoraient.

Un jour, on offrit au roi un pot de miel. Le roi le porta au vieillard et lui demanda :
- Que penses-tu de ce miel ? N'est-il pas le meilleur des miels. miel
- Certes, répondit le vieux, son goût est exquis, il a une belle couleur, mais les abeilles qui l'ont fait ont butiné dans un cimetière.
Et la chose fut reconnue exacte. Alors le roi fit donner au vieillard un pain et un peu de viande rôtie pour le récompenser.

Une autre fois, alors que le roi avait reçu une splendide jument, il la présenta au vieillard :jument
- Qu'as-tu à dire sur cette merveilleuse bête ?
- C'est en effet, un animal de grand prix, mais elle l'unique petit d'une vieille jument qui l'a eu à son retour d'âge.
Le roi envoya chercher le maître de la jument, qui dut avouer que le vieillard avait dit la vérité. Le roi lui fit donner aussitôt un pain et un peu de viande rôtie pour le récompenser.

Enfin, le roi voulant épouser une jeune fille réputée pour sa beauté et sa vertu, il désira avoir le sentiment du vieillard. Il lui amena sa promise. Celui qui sait et qui comprend, après l'avoir bien regardée fit cette réponse : princesse
- C'est vrai, cette jeune fille est d'une grande beauté, et tu ne pouvais mieux choisir. Mais sa mère, au temps de sa jeunesse, n'a pas eu une vie honorable.
Le roi entra dans une grande colère et menaça le vieillard :
- Si tu as menti, je te ferai tuer par mon bourreau.
Mais le vieillard avait dit vrai et le roi lui envoya encore un pain et un peu de viande rôtie. Ce qui contenta modérément notre vieux, car avec ses dents ...

Les fils du vieillard vinrent voir leur père pour se plaindre :
- Nous allons te reprendre à la maison, ce roi est trop avare, qui ne sait te donner comme récompense qu'un pain et de la viande rôtie.
Le père dit alors à ses fils :
- Un homme ne donne que ce qu'il peut donner. Mais que peut donner le fils d'une boulangère et d'un rôtisseur de moutons, si ce n'est du pain et de la viande rôtie ?
Le roi, qui avait entendu, se rendit aussitôt chez sa mère :
- Il faut qu'à l'instant tu m'apprennes de qui je suis le fils ! lui ordonna-t-il.
Et la pauvre femme, toute tremblante, lui avoua :
- Tu n'es pas notre fils. Nous ne pouvions pas avoir d'enfants. Mais comme le roi, mon époux, avait décidé de me chasser si je ne lui donnais pas un héritier, j'ai simulé une grossesse et, au jour de la délivrance, j'ai présenté, comme le mien, le fils de ma boulangère et de ton vrai père, rôtisseur de moutons.

Alors, le roi donna au vieillard une grosse somme d'argent et de somptueux cadeaux et lui enjoignit ainsi qu'à ses fils de quitter le pays afin que l'histoire demeurât secrète...



Contes_Maroc_Philippe_FIXFIX Philippe : Contes populaires du Maroc », Éditions Hoëbeke, 2003, album jeunesse, 75 p. Extrait : « Histoire du vieux Âref ou Aqel », p 9.

Une maison achetée au paradis, La jeune fille et l'ogresse, Le langage des oiseaux..., voici quelques-uns des vingt contes inédits, adaptés de la tradition orale, où poésie, fantaisie, humour et décors somptueux nous entraînent dans le monde merveilleux des Contes populaires du Maroc. Les contes réunis dans cet album sont extraits de retranscriptions des contes oraux que racontaient, tels ceux des Mille et une nuits, les esclaves vivant dans les palais

Philippe Fix, grand spécialiste des contes et amateur des peintres orientalistes, nous laisse éblouis devant des dessins foisonnant de détails où chaque objet, chaque soierie, chaque tapis, chaque mosaïque est magistralement reproduit. Certaines des planches (travaillées à l’huile) lui ont demandé plus d’un mois de travail et une recherche minutieuse dans les bibliothèques et les musées.